Décision

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COUR SUPÉRIEURE

 

 

JT1011

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

HULL

 

N° :

550-17-002166-054

 

 

 

DATE :

19 décembre 2005

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JOHANNE TRUDEL, J.C.S.

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JEAN DJOUFO

Demandeur

c.

DR PIERRE MAILLOUX

ET

ROBERT RABINOVITCH

ET SOCIÉTE RADIO-CANADA

ET

GUY A. LEPAGE

Défendeurs

Et

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

ET

COLLÈGE DES MÉDECINS

ET

JOURNAL DE MONTRÉAL

            Mis en cause

 

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JUGEMENT

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«Les noirs vivant en Amérique étaient le résultat d'un processus de sélection artificielle et par conséquent ils ont un legs, un léger désavantage sur le plan intellectuel.»

[1]                Ces propos entendus au cours de l'émission Tout le monde en parle diffusé par la société d' État, Radio-Canada sont à la base du recours en dommages intenté par le demandeur Jean Djoufo.

[2]                Le demandeur se décrit au premier paragraphe de sa requête introductive comme étant «une personne de peau noire d'origine du Cameroun, pays de l'Afrique noire».

[3]                Il se dit grandement offusqué et troublé par les propos du défendeur Mailloux et reproche à la Société Radio-Canada la diffusion de cette émission pré-enregistrée, alors qu'on aurait pu choisir de ne pas la rendre publique.

[4]                Radio-Canada, Robert Rabinovitch et Guy A. Lepage présentent une requête en irrecevabilité dont le paragraphe 4 se lit comme suit:

"Même en prenant les allégations adressées à l'endroit des défendeurs pour avérées (…), il s'infère nécessairement que le demandeur ne peut prétendre à l'atteinte de quelque doit lui appartenant en propre et le groupe visé comprend tous les membres de la communauté noire."

[5]                À l'appui de leurs prétentions, les défendeurs citent Ortenberg c. Plamondon[1], Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc.[2]; et des passages du traité The Law of Defamation in Canada[3].

[6]                Dans l'arrêt Ortenberg[4], un procès au fond avait été tenu et le jugement de première instance a donné lieu à l'appel. Le résumé de l'arrêtiste est éloquent. Il en est ressorti qu'

"un écrit attaquant une population juive composée de 75 familles sur une population de 80 000 personnes dans des termes qui seraient libelleux s'il était adressé à un individu, ne s'adresse pas à une collectivité assez nombreuse pour se perdre dans le nombre et doit être considéré comme diffamatoire.

[7]                L'argument principal des défendeurs requérants est effectivement à l'effet que les propos tenus par M. Mailloux sont de nature générique et qu'ils ne peuvent constituer une attaque diffamatoire à l'encontre du demandeur.

[8]                Dans l'arrêt Malhab[5] on peut lire:

"En présence de diffamation d'une collectivité, trois cas sont possibles. Premièrement, la diffamation vise un groupe si large qu'elle est diluée et s'estompe avant de rejoindre chaque membre du groupe. Deuxièmement, certains membres du groupe visé par la diffamation collective sont faciles à identifier et sont alors fondés à recevoir une indemnité. Enfin, la diffamation vise un groupe suffisamment restreint pour que chaque membre se sente personnellement blessé. Chaque individu a alors droit à des dommages-intérêts."

[9]                La requête en irrecevabilité ne doit pas avoir pour but et effet de mettre fin prématurément à un procès, considérant les graves conséquences qui découlent du rejet d'une action sans que la demande ne soit examinée au mérite.[6]

[10]            Dans le contexte du présent dossier, il est difficile de conclure d'emblée, et sans enquête au mérite, que les propos diffamatoires visaient un groupe si large qu'ils se sont estompés avant de rejoindre chaque membre du groupe.

[11]            Au-delà de la qualification des propos tenus par M. Mailloux, la preuve révélera, d'une part, l'importance du groupe visé par rapport à l'ensemble de la population québécoise à qui s'adresse l'émission au cours de laquelle les paroles reprochées ont été prononcées. Le juge du procès ne pourra en venir à l'une des trois conclusions citées ci-dessus qu'après avoir, ententu la preuve.

[12]            D'autre part, le demandeur allègue aussi une faute en ce que la Société Radio-Canada a choisi de diffuser l'émission pré-enregistrée en studio quelques jours auparavant. L'enquête au mérite permettra d'en faire la preuve.

[13]            Contrairement à l'opinion exprimée par les requérants, le tribunal juge qu'il n'y a pas, en l'espèce, une situation claire et évidente permettant de conclure d'ores et déjà à l'échec du recours entrepris.

[14]            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[15]            REJETTE la requête;

[16]            LE TOUT avec dépens.

 

 

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JOHANNE TRUDEL, J.C.S.

 

 

Jean Djoufo, personnellement

 

Me Alain-Claude Desforges

BÉLANGER, SAUVE

Procureur des défendeurs -requérants

 

Dr. Pierre Mailloux, personnellement

 

Me André Gauthier

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Procureur du Collège des médecins du Québec

 

Me Bernard Pageau

SAINT-ARNAUD, PAGEAU

Procureur pour le Journal de Montréal

Date d’audience :

28 novembre 2005

 



[1] Ortenberg c. Plamondon (1914) 24 B.R. 69

[2] Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc. REJB 2003-39077

[3] The Law of Defamation in Canada BROWN , Raymond E., Carswell, 2nd ed. VR.1

[4] Ortenberg c. PlamondonSupra note 1

[5] Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc Supra note 2; voir aussi Zhang et al c. Chau, 500-05-069317-012, 2005-12-07, Juge Rousseau (C.S)

[6] Hampstead (Ville de) c. Les Jardins Tuileries Ltée, [1992] R.D.J. 163 (C.A.)

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