Décision

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Syndicat de la fonction publique du Québec inc

Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Québec (Procureur général)

2008 QCCA 839

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-005574-063

(200-05-018233-051)

 

DATE :

1er mai 2008

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JEAN-LOUIS BAUDOUIN J.C.A.

BENOÎT MORIN J.C.A.

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

 

 

SYNDICAT DE LA FONCTION PUBLIQUE DU QUÉBEC INC.

APPELANT - Défendeur

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉ - Demandeur

et

CONSEIL DES SERVICES ESSENTIELS

MIS EN CAUSE - Mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 24 mars 2006 par la Cour supérieure, district de Québec (l'honorable Hubert Walters), déclarant l'appelant coupable d'outrage au tribunal et lui ordonnant de comparaître pour représentations sur sentence;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs du juge Baudouin, auxquels souscrivent les juges Morin et Rochon;

[4]                REJETTE le pourvoi avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

JEAN-LOUIS BAUDOUIN J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MORIN J.C.A.

 

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

 

Me Alexandre Ouellet

Me Pascale Racicot

(GRONDIN, POUDRIER, BERNIER)

Pour l'appelant

 

Me Guy Godreau

(JOLI-CŒUR, LACASSE)

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

3 avril 2008



 

 

MOTIFS DU JUGE BAUDOUIN

 

 

[5]                Le premier juge a longuement résumé la situation de fait qui a donné naissance au litige et je ne crois donc pas utile de revenir là-dessus. En bref, lors de la grève du 5 mai 2005, dans plusieurs endroits à travers la province, les services essentiels qui avaient été négociés entre les parties, décrits de façon spécifique dans l'entente-cadre du 8 avril 2005 et confirmés par un engagement du 4 mai 2005 n'ont pas été assurés pour diverses raisons. Dans certains cas, les lignes de piquetage étaient complètement étanches. Dans d'autres, les listes des personnes responsables des services essentiels n'ont pas été fournies à temps. Dans certains enfin, les cartes d'identification et les laissez-passer devant être remis par le syndicat ne l'ont pas été.

[6]                Le juge de première instance a trouvé l'appelant coupable d'outrage au tribunal le 24 mars 2006  et l'a condamné  le 16 mai  de la même année à une amende totale de 9 400 $.

[7]                Le pourvoi soulève deux questions qui sont les suivantes :

1>   Le juge de première instance a-t-il correctement appliqué les règles de droit en matière d'outrage au tribunal, plus particulièrement en matière de preuve ?

 

2>   Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en condamnant l'appelant à une amende globale de 9 400 $ ?

 

I. L'application des règles touchant l'outrage au tribunal

[8]                L'appelant reproche d'abord au premier juge de ne pas avoir correctement appliqué les règles de preuve en matière d'outrage au tribunal. Ce dernier, argumente-t-il, n'aurait pas tenu compte de la défense de diligence raisonnable appuyée par le témoignage du vice-président exécutif, M. Gaétan Girard, en refusant de prendre en compte les éléments de preuve touchant chacun des ministères et des organismes concernés. M. Girard a témoigné simplement que l'appelant, à sa connaissance, avait fait tous les efforts pour assurer les services essentiels, sans être cependant capable de respecter son engagement dans tous les cas, et ce, pour diverses raisons. C'est donc une défense générale de diligence raisonnable, articulée autour d'événements spécifiques, qu'a présentée l'appelant.

[9]                Il n'est pas inutile de rappeler, ne serait-ce que brièvement, le mécanisme de mise en œuvre de la preuve en matière d'outrage eu égard à sa nature quasi pénale.

[10]           Dans Roques c. Sans[1], notre Cour a bien résumé de la façon suivante les trois étapes de la preuve :

1ère ÉTAPE: le requérant en outrage doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l'intimé n'a pas satisfait à l'ordonnance contenue au jugement (actus reus);

2e ÉTAPE: une fois cette preuve faite, le fardeau de la preuve est renversé et il incombe alors à l'intimé d'expliquer pourquoi il ne s'est pas soumis au jugement. Ce fardeau se limite à la présentation des motifs;

3e ÉTAPE: cette démonstration faite, le fardeau revient sur les épaules du requérant d'établir hors de tout doute raisonnable la fausseté des motifs invoqués et de convaincre le tribunal que c'est de propos volontaire, délibéré et sans aucune excuse légitime que l'intimé n'a pas satisfait au jugement (mens rea).

[11]           Il n'existe aucun doute relativement à la première étape. La violation de l'ordonnance à plusieurs endroits (environ 12) a été amplement prouvée. C'était donc à l'appelant, dans la seconde étape, d'expliquer pourquoi il ne s'est pas soumis à l'ordonnance.

[12]           Force est de constater que l'appelant ne s'est pas vraiment déchargé de ce fardeau. Le témoignage de M. Gaétan Girard reste en effet très général et si la preuve des incidents montrant contravention à l'engagement du syndicat décrit ceux-ci, elle ne le fait aucunement en fonction des mesures qui auraient pu être prises pour en éviter les effets et les conséquences. Il ne suffisait donc pas pour l'appelant, par la bouche de M. Girard, d'affirmer simplement que celui-ci avait toujours eu l'intention de maintenir partout les services essentiels. Mais, même en tenant pour acquis que cette preuve peut être tenue pour suffisante, l'appelant doit échouer sur la troisième condition mentionnée plus haut.

[13]           Cette troisième étape est cruciale. Le requérant en outrage doit démontrer hors de tout doute raisonnable la fausseté des motifs invoqués et donc l'existence d'une mens rea, soit une intention délibérée de contrevenir à l'ordre, soit résultant d'une insouciance grossière. Dans Daigle c. St-Gabriel de Brandon (Co. municipale de la paroisse de)[2], M. le juge Chevalier de notre Cour s'exprime ainsi :

Dans le contexte particulier de l'article 50 C.P., la mens rea qui constitue un élément essentiel du comportement de l'intimé peut se manifester de deux façons: ou bien l'attitude du débiteur de l'obligation reconnue par le jugement démontre une intention évidente de ne pas l'exécuter; ou bien il y a donné suite d'une façon qui, en plus d'être insatisfaisante, révèle de sa part une insouciance grossière à en respecter, sinon la lettre, du moins l'esprit dans lequel elle lui a été imposée.

[14]           Le dossier, à mon avis, ne révèle pas une intention claire et délibérée de contrevenir à l'ordonnance. Du moins, et en tout état de cause, je suis loin de penser que celle-ci pourrait être prouvée au-delà de tout doute raisonnable. L'appelant en était à sa première grève depuis la décentralisation de la négociation des services essentiels. C'était aussi la première fois que le syndicat était responsable des listes de salariés désignés et tout conflit syndicat est propice à certains dérapages. Nous sommes loin de certains autres cas où l'intention de défier la loi était évidente et où le syndicat était bien évidemment de mauvaise foi[3].

[15]           Toutefois, comme l'a décidé le premier juge, il y a eu  quand même insouciance grossière. Il ne suffisait pas, en effet, à l'appelant d'affirmer par une preuve générale qu'il avait fait des efforts raisonnables pour se conformer à l'ordonnance. Comme l'a souligné le premier juge, certains gestes montrent effectivement une grossière insouciance. Ainsi dans un cas, la liste des personnes en charge des services essentiels n'a été remise dans des caisses à l'intimé que quelques heures avant le déclenchement de la grève et aucune explication valable n'a été donnée pour ce retard. Dans un autre cas, aucun laissez-passer n'a été fourni aux personnes chargées d'assurer les services essentiels. Dans un autre cas enfin, la liste de ces préposés était inexacte et les serrures d'un établissement ont été enduites de mélasse.

[16]           Ceci, entre autres, démontre l'absence de diligence raisonnable pour assurer les services essentiels.

[17]           À la décharge de l'appelant, mais sans que ceci ne puisse, en fin de compte, avoir un impact sur l'issue du litige, il faut remarquer que l'on peut probablement mettre certains autres incidents plutôt sur le compte d'un manque d'expérience dans le domaine de la gestion d'un conflit de travail.

 

II. La condamnation à une amende de 9 400 $

[18]           Le second moyen d'appel invoque l'erreur qu'aurait commise le premier juge en imposant une amende de 9 400 $ alors que l'article 51 C.p.c. prévoit une amende maximale de 5 000 $. Le premier juge, sur ce point, a estimé qu'il ne devait pas y avoir, en l'espèce, une seule infraction générale d'outrage, mais autant de citations que d'infractions particulières constatées. Il a donc traité chaque contravention à l'ordonnance comme une infraction en elle-même, à laquelle il a donc attribué un montant spécifique variable. Aussi, pour n'en prendre que deux exemples, pour les contraventions à la fourniture des services essentiels au Palais de justice de Montréal, il a fixé l'amende à 2 500 $. Pour huit autres organismes publics à travers la province, il l'a fixée à 300 $ chacun. Il a ainsi tenu compte d'un ensemble de facteurs dont le nombre de personnes touchées par l'infraction, le degré de perturbation, etc.[4].

[19]           L'ordonnance spéciale de comparaître pour outrage au tribunal, délivrée le 22 juin 2005 par l'honorable Bernard Godbout, enjoint l'appelant à comparaître et contient la mention suivante :

Au cas où vous seriez trouvé coupable d'outrage au tribunal, vous êtes passible d'une amende n'excédant pas 5 000 $ avec ou sans emprisonnement pour une durée d'au plus un an.

[20]           Cet énoncé reprend textuellement les dispositions de l'article 51 C.p.c. Par contre, la requête de l'intimé pour l'émission d'une ordonnance de comparaître pour outrage au tribunal du 20 juin 2005 parle bien au pluriel dans sa conclusion :

Ordonner l'assignation du Syndicat……. [pour] faire valoir les moyens de défense qu'il peut avoir pour éviter des condamnations pour outrage au tribunal et l'imposition d'amendes ou de peines d'emprisonnement.                (je souligne)

[21]           À mon avis, l'intimé sur ce second point a également raison. Rien en droit n'empêchait le premier juge de traiter chaque incident séparément. Le montant maximum prévu par le Code de procédure civile s'entend de chaque acte de contravention et ne peut être vu comme représentant une somme forfaitaire couvrant l'ensemble de ceux-ci au cours d'un seul et même événement. Enfin, quant au montant attribué par le juge en fonction de chaque infraction, il s'agit en l'espèce de l'exercice de son pouvoir souverain et la Cour ne saurait intervenir sans preuve d'une erreur manifeste et dominante, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[22]           Pour ces motifs donc, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

 

 

 

 

 

JEAN-LOUIS BAUDOUIN J.C.A.

 



[1] REJB 2004-55580 (C.A.).

[2] (1991) 9 R.D.J. 249, 253 (C.A.).

[3] Société de transport de la Ville de Laval c. Syndicat des chauffeurs de la Société de transport de la Ville de Laval, D.T.E. 2003T-446 (C.S.); Ville de Montréal c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 (SCFP), D.T.E. 2006T-1063 (C.S.); Ville de Montréal c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 (SCFP), 2006 Q.C.C.S. 5542 . Par exemple: Syndicat des travailleuses et travailleurs des épiciers-unis Métro-Richelieu (CSN) c. Épiciers-unis Métro-Richelieu inc., [1998] R.J.Q. 2838 (C.S.).

[4] Voir à ce sujet: Société de transport de la Ville de Laval c. Syndicat des chauffeurs de la société de transport de la Ville de Laval, supra, note 3.

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