[1] Statuant sur l’appel de deux jugements de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Louis Lacoursière), l’un, rendu le 27 mai 2010, déclarant l’appelante coupable d’outrage au tribunal et l’autre, le 25 août 2010, lui imposant une amende de 15 000 $.
[2] Pour les motifs du juge Dalphond, auxquels souscrivent les juges Rochon et Gagnon;
[3] LA COUR :
[4] ACCUEILLE l’appel, sans frais;
[5] INFIRME en partie le jugement du 27 mai 2010 afin d’acquitter l’appelante de l’accusation d’avoir donné à croire qu’elle pratiquait la médecine;
[6] INFIRME en partie le jugement du 25 août 2010 afin de réduire l’amende à 10 000 $.
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MOTIFS DU JUGE DALPHOND |
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[7] L'appelante se pourvoit contre deux jugements de la Cour supérieure qui, d'une part, la déclare coupable d'outrage au tribunal pour avoir violé trois ordonnances spécifiques d'une injonction, et d'autre part, lui impose une amende de 15 000 $.
[8] Ce pourvoi requiert de déterminer d'abord la procédure d'appel applicable lorsque la déclaration de culpabilité et la peine font l'objet de jugements distincts. Ensuite, il faut statuer sur les moyens soulevés par l'appelante tant à l'encontre de la déclaration de culpabilité que de la peine imposée.
LE CONTEXTE
[9] Aux fins des présentes, il suffit de rappeler les faits suivants :
- l'appelante se décrit comme pratiquant la naturopathie, une activité qui ne fait l'objet d'aucun encadrement à ce jour au Québec par un ordre professionnel ou une association reconnue par le gouvernement, contrairement à la situation dans d'autres provinces canadiennes et dans plusieurs états américains;
- elle exploite actuellement une clinique dans un édifice médical de Westmount connue sous la raison sociale de Centre de santé de Westmount où elle reçoit, sur rendez-vous, des clients et vend des produits en vente libre (non assujettis à l’obtention au préalable à une prescription par un médecin ou autre professionnel);
- elle se décrit sur des cartes professionnelles, sa papeterie et ailleurs comme Mitra Javanmardi, B.Sc., N.D., Doctor of Naturopathic-Medicine Docteur en Médecine Naturopathique;
- depuis vingt-cinq ans, elle a fait l'objet de certaines poursuites pénales par le Collège des médecins du Québec (Collège). En juillet 1987, elle a plaidé coupable à deux accusations de pratique illégale de la médecine, en septembre 1990, à trois accusations similaires et en juin 2006, à une accusation de pratique illégale de la médecine et une autre d'usurpation du titre de médecin;
- en juin 2008, à la suite d'une injection d'une substance à base de magnésium, un de ses clients décède, ce qui donne lieu le 16 octobre 2008 à une accusation d’homicide involontaire toujours pendante;
- parallèlement, le Collège entreprend une nouvelle enquête sur ses activités;
- le 17 octobre 2008, une juge de paix a autorisé un chef d’accusation d’exercice illégal de la médecine et usurpation de titre contre l’appelante, qui a plaidé non coupable[1].
[10] Le 4 novembre 2008, après obtention de l'autorisation du procureur général du Québec, le Collège intente des procédures en injonction contre l'appelante, et ce, conformément à l'art. 191 du Code des professions, L.R.Q., c. C-26 (C.prof.) :
191. Si une personne répète des infractions visées à l'un des articles 188, 188.1, 188.1.1, 188.1.2, 188.2, 188.2.1 ou 188.3, le procureur général ou, après autorisation de ce dernier et sur résolution du Conseil d'administration ou du comité exécutif de l'ordre intéressé, l'ordre, après que des poursuites pénales aient été intentées, peut requérir de la Cour supérieure un bref d'injonction interlocutoire enjoignant à cette personne, à ses administrateurs, dirigeants, représentants, fondés de pouvoir ou employés, de cesser la perpétration des infractions reprochées jusqu'à prononciation du jugement final à être rendu au pénal.
Après prononciation de ce jugement, la Cour supérieure rend elle-même son jugement final sur la demande d'injonction.
[je souligne] |
191. If a person repeats the offences contemplated in any of sections 188, 188.1, 188.1.1, 188.1.2, 188.2, 188.2.1 and 188.3, the Attorney General or, following his authorization and upon a resolution of the board of directors or the executive committee of the interested order, the interested order, after penal proceedings have been instituted, may require of the Superior Court an interlocutory writ of injunction enjoining that person or his directors, officers, representatives, attorneys or employees to cease committing the alleged offences until final judgment is pronounced in penal proceedings.
After pronouncing such judgment, the Superior Court shall itself render final judgment on the application for an injunction.
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[11] Le lendemain, une ordonnance de sauvegarde est délivrée de consentement. Elle deviendra ensuite une injonction interlocutoire. Le dispositif de ces jugements est ainsi rédigé :
Interdit à l'Intimée et à ses dirigeants, représentants ou employés, ainsi qu'à toute autre personne physique ou morale, sous sa charge ou responsabilité :
A) De poser des actes réservés aux membres du Collège des médecins du Québec à savoir :
a) Diagnostiquer des maladies;
b) Prescrire des examens diagnostics;
c) Utiliser des techniques diagnostics (sic) invasives ou présentant des risques de préjudice;
d) Déterminer un traitement médical;
e) Prescrire des médicaments ou d'autres substances;
f) Prescrire des traitements;
g) Utiliser des techniques ou appliquer des traitements invasifs ou présentant des risques de préjudices, incluant des interventions esthétiques;
h) Exercer une surveillance clinique de la condition des personnes malades dont l'état de santé présente des risques;
i) Effectuer un suivi de la grossesse et pratiquer des accouchements;
j) Décider de l'utilisation de mesures de contention.
B) De prétendre de quelque façon être médecin et poser des actes qui seraient de nature à donner lieu de croire qu'elle est autorisée à exercer la profession de médecin;
C) De posséder directement ou indirectement des médicaments à prescription requise sauf pour des médicaments qu'elle ou des membres de sa famille se sont fait prescrire.
[je souligne]
[12] Le paragraphe A) de l'ordonnance reproduit partiellement l'article 31 de la Loi médicale, L.R.Q., c. M-9, alors que le paragraphe B) réitère l'obligation, prévue à l'article 32 du C.prof., d'être titulaire d'un permis pour exercer une profession telle la médecine.
[13] Depuis la fin de 2008, l’appelante n'accepte pas de nouveaux clients et fait signer, lors des rendez-vous avec ses clients existants, un formulaire qui comprend les déclarations suivantes :
Mitra Javanmardi, B.Sc., N.D.
CENTRE DE SANTÉ DE WESTMOUNT
[…]
Disclaimer
Please be advised that this visit in no way represents a diagnosis and or treatment; only your medical doctor can do so.
Avis
Veuillez noter que cette visite ne représente aucunement un diagnostic et ou traitement, seul votre médecin est autorisé à le faire.
Informed consent
I would like to take this opportunity to welcome you to Centre de Santé Westmount. Centre de Santé Westmount utilizes the principles and practices of Naturopathic Medicine and other supportive therapies to assist the body's own ability to heal and to improve the quality of life and health through natural means.
Statement of Acknowledgement
Printed name ____________________________________________
As a patient of Centre de Santé Westmount I have read the information and understand that the form of medical care is based on Naturopathic and other supportive principles and practices. I recognize that even the gentlest therapies potentially have their complications in certain physiological conditions or in very young children or those on multiple medications and hence the information provided[2] is complete and inclusive of all health concerns including risk of pregnancy; and all medications, including over the counter drugs and supplements. The slight health risk of some Naturopathic treatments, include but are not limited to aggravation of pre-existing symptoms, and allergic reaction to supplements or herbs.
I also confirm that I have the ability to accept or reject this care of my own free will and choice and that I am not an agent of any private, local, county, provincial or federal agency attempting to gather information without so stating. I accept full responsibility for any fees incurred during care and treatment.
________________________
Signature
[je souligne]
[14] Le 11 février 2009, une importante perquisition a lieu à la clinique de l'appelante. Le registre des rendez-vous des 13 et 18 novembre 2008 et les dossiers des 26 clients qui ont consulté l’appelante lors de ces deux journées sont saisis. On note lors de la perquisition que l'appelante a tenté de retirer des documents des dossiers. Dans 22 des 26 dossiers, on retrouve le document « Disclaimer » signé par le client concerné.
[15] Le 27 mars 2009, un juge de la Cour supérieure ordonne à l'appelante « d’afficher clairement le jugement sur requête en injonction (…) sur la porte d'entrée du Centre de santé de Westmount ».
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[16] En mars 2009, à la suite d'une enquête du Collège, incluant la saisie de documents, l'appelante est assignée par ordonnance spéciale de comparaître devant la Cour supérieure (art. 53 C.p.c.).
[17] Au terme d'un procès de deux jours en novembre 2009, où l'appelante a choisi de ne pas témoigner ni de présenter de la preuve[3], par jugement écrit rendu le 27 mai 2010 ( 2010 QCCS 2279 ), le juge Lacoursière la trouve coupable de trois violations : avoir prescrit des substances, avoir diagnostiqué des maladies et avoir laissé croire qu’elle était une médecin.
[18] Le 23 juin 2010, les avocats de l'appelante inscrivent en appel de ce jugement. On peut y lire au paragr. 2 :
Research produces no clear answer as to whether one has to wait for the sentence or not for the judgment to become sufficiently final; it therefore appears prudent to inscribe within 30 days and to amend after sentence, if this becomes necessary;
[19] Le 18 août 2010, les parties sont entendues sur la peine. Le Collège suggère un emprisonnement de six mois et une amende de 25 000 $, alors que l’appelante soutient qu’une amende de 1 000 $ serait suffisante. Le 25 août 2010, par un jugement soigné, le juge lui impose une amende de 15 000 $.
[20] Le 13 septembre 2010, les avocats de l'appelante déposent une inscription en appel amendée où ils s'en prennent aussi au jugement sur la peine.
* * * * *
[21] Selon l'avocat de l'appelante, la preuve est insuffisante pour conclure qu’elle a délivré des prescriptions. De plus, il n'y a aucun élément de preuve supportant sa condamnation d’avoir posé des diagnostics. Quant à la conclusion qu'elle a représenté être un médecin, elle est déraisonnable, tant au niveau de l'actus reus que de la mens rea.
[22] Sur la peine, l'avocat soutient que celle-ci est excessive en l'espèce, à supposer que sa cliente ait violé une quelconque ordonnance. Au pire, sa cliente pourrait être coupable d'avoir rempli des prescriptions, ce qui pourrait justifier une amende d'environ 3 000 $.
L'ANALYSE
I. Les principes applicables en matière d'outrage
[23] Même si assujettie au Code de procédure civile, la procédure en outrage au tribunal est désormais considérée de nature quasi pénale puisque l'emprisonnement est une conséquence possible : Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques inc., [1992] 2 R.C.S. 1065 , 1078. Il s’ensuit que la conduite de l'instruction diffère sous plusieurs aspects de celle habituelle en matière civile et que les formalités prescrites doivent être respectés strictement (strictissimi juris).
[24] Dans deux arrêts récents, notre Cour a revu les règles applicables à la délivrance des ordonnances spéciales de comparaître et aux poursuites en outrage : Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean Bleu inc., 2012 QCCA 1663 et Droit de la famille — 122875, 2012 QCCA 1855 .
[25] Dans le premier, la Cour rappelle que l’outrage est un remède exceptionnel. En l'espèce, nous sommes en présence d'une injonction émise dans un contexte exceptionnel, conformément à l'art. 191 C.prof., et dont on allègue ensuite de multiples violations. L'assignation pour outrage est alors le seul remède possible.
[26] Dans le deuxième, après avoir décrit les procédures particulières préalables au procès pour outrage, j’écris au nom de la Cour :
[28] Lors du procès, il revient à la partie poursuivante d'établir, hors de tout doute raisonnable, tant l’actus reus que la mens rea, et ce, sans pouvoir contraindre la personne citée (art. 53.1 C.p.c., codifiant l'arrêt Vidéotron, supra). Ce fardeau de preuve, différent de celui habituel en matière civile (prépondérance : art. 2804 C.c.Q.), doit être satisfait pleinement avant que la partie accusée n'ait à décider de témoigner.
[29] Durant ce procès, la pratique de ne statuer sur les objections prises sous réserve qu'à l'occasion du jugement au fond ne peut être suivie s'agissant d'une matière quasi pénale : voir les commentaires de mon collègue le juge Hilton dans Droit de la famille - 12599, 2012 QCCA 520 , paragr. 36-49.
[30] Sur les éléments à prouver hors de tout doute raisonnable, je fais mien l'extrait suivant des motifs du juge Saunders pour la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Godin v. Godin, 2012 NSCA 54 , 317 N.S.R. (2d) 204 , paragr. 47 :
7. in a case of civil contempt the following elements must be established beyond a reasonable doubt:
(i) the terms of the order must be clear and unambiguous;
(ii) proper notice must be given to the contemnor of the terms of the order;
(iii) there must be clear proof that the contemnor intentionally committed an act which is in fact prohibited by the terms of the order; and
(iv) mens rea must be proven which, in the context of civil contempt proceedings, means that while it is not necessary to prove a specific intent to bring the court into disrepute, flout a court order, or interfere with the due course of justice, it is essential to prove an intention to knowingly and wilfully do some act which is contrary to a court order.
[31] En aucun cas, la partie accusée n'est tenue de fournir des explications ou de démontrer un moyen de défense. La personne poursuivie n’a aucun fardeau de preuve ni aucune obligation de témoigner ou de faire des admissions. Ce n'est qu'une fois la preuve de la partie poursuivante faite, qu'elle peut décider de témoigner ou non. Si elle choisit de témoigner, elle pourra bien sûr être contre-interrogée et ne pourra refuser de répondre. Elle pourra aussi faire entendre des témoins, qu'elle ait témoigné ou non.
[32] Quant à la possibilité d’une contre-preuve par la partie poursuivante, celle-ci devrait être limitée à des cas exceptionnels, comme c’est le cas en matière criminelle et pénale.
[27] En l'espèce, le juge de première instance, qui n'avait pas le bénéfice de cet arrêt, a énoncé une procédure différente dans son jugement du 27 mai 2010. Cependant, cela est sans conséquence réelle puisque l'appelante a choisi d'exercer son droit au silence et que la preuve fut faite exclusivement par la partie poursuivante, le Collège.
[28] Il reste donc à déterminer si la partie poursuivante s'est déchargée de son fardeau d'établir, hors de tout doute raisonnable, tant l'élément matériel (actus reus) que l'élément intellectuel (mens rea) pour chacune des trois violations dont l’appelante a été accusée. Si tel est le cas, il faudra ensuite se prononcer sur la peine.
[29] Mais avant, il me faut traiter du droit d'appel en matière d'outrage et de la régularité du pourvoi devant nous.
II. La procédure d'appel
[30] Dans notre droit processuel, le droit d’appel n’existe qu’en présence d’une disposition spécifique. Il s’exerce soit de plein droit, soit sur permission.
[31] De plus, règle générale, un jugement interlocutoire ne peut faire l'objet d'un appel que sur permission, comme l'indique l'art. 29 C.p.c.
[32] Il faut aussi préciser que la procédure en outrage constitue un litige distinct et indépendant du dossier dans lequel elle s'inscrit. En effet, elle est assujettie à des règles particulières, décrites dans la section précédente, en raison de sa nature quasi pénale.
[33] Dans le cas de l'outrage ex facie, comme c'est le cas lors de la violation d'une injonction, elle consiste en deux étapes :
- l'autorisation par un juge d'assigner par ordonnance spéciale (art. 53 C.p.c.);
- l'instruction « sommaire » donnant lieu à un jugement qui, s'il emporte condamnation, doit indiquer la peine et énoncer les faits sur lesquels se fonde la condamnation, aussi appelée verdict (art. 54 C.p.c.).
[34] À la première étape, le juge jouit d'une certaine discrétion (Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean Bleu inc., supra, paragr. 68). S'il décide d'autoriser l'ordonnance spéciale de comparaître (l'assignation), sa décision ne pourra pas, en principe, faire l'objet d'un appel.
[35] Les auteurs Denis Ferland et Benoît Émery, Précis de procédure civile du Québec, 4e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, écrivent à la p. 125 :
Généralement, le jugement émettant l'ordonnance spéciale d'assignation à comparaître n'est pas susceptible d'appel, puisque, selon la jurisprudence, l'ordonnance spéciale équivaut à un simple bref d'assignation, (tel qu'il existait avant le 1er janvier 1997) dans une action ordinaire, soit un simple ordre de procédure, sujet à rescision par le jugement final qui pourrait rejeter la demande de condamnation pour outrage au tribunal, après instruction sommaire (art. 54 C.p.c).
[note omise]
[36] Paul-Arthur Gendreau, France Thibault, Denis Ferland, Bernard Cliche et Martine Gravel, L'injonction, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, adoptent une position similaire à la p. 358 :
Selon une jurisprudence majoritaire, le jugement émettant l'ordonnance spéciale d'assignation à comparaître n'est pas susceptible d'appel, puisque, selon cette jurisprudence, l'ordonnance spéciale ou l'ordonnance de justification, son équivalent en Cour fédérale, «ne juge ni ne préjuge rien» et équivaut à un simple bref d'assignation (avis au défendeur) dans une action ordinaire, soit un simple ordre de procédure […]
[37] En somme, l'assignation pour outrage ne constitue pas, sauf circonstances exceptionnelles[4], un jugement auquel le jugement final ne pourra pas remédier; bien au contraire, il s'agit simplement d'assigner le requérant pour lui permettre de faire valoir tous ses moyens de droit et de fait devant la Cour supérieure (Verreault c. St-Basile Transport Inc., [1969] B.R. 318 ; Syndicat des employés de la sécurité de la commission de transport de Montréal c. Procureur général du Québec, [1968] B.R. 725 ; Proulx c. Rimouski (Ville de), [1992] R.D.J. 301 (C.A.); Bellemare c. Assurances Bellemare & Lemaire inc., J.E. 92-1092 (C.A., juge unique)).
[38] Quant au jugement refusant la demande d'assignation, on peut le considérer comme un jugement final et, par voie de conséquence, sujet à appel.
[39] Une fois l'assignation autorisée et signifiée, le dossier sera mis en état, incluant communication de la preuve, puis on procédera à l'enquête et aux plaidoiries[5] (l'instruction). Le Code de procédure prévoit que les cas d'outrage doivent être jugés avec célérité : instruction sommaire[6] et un seul jugement se prononçant sur le bien-fondé de l'accusation d'outrage, incluant la peine (art. 54 C.p.c.), si le juge est convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve qu'il y a eu outrage (art. 53.1 C.p.c.). En effet, l'art. 54 C.p.c. est ainsi rédigé :
54. Le jugement est rendu après instruction sommaire; s'il emporte condamnation, il doit indiquer la peine imposée et énoncer les faits sur lesquels il se fonde, et, en ce cas, il est exécuté conformément au Chapitre XIII du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1).
[je souligne] |
54. Judgment is rendered after summary hearing; if it contains a condemnation it must state the punishment imposed and set forth the facts upon which it is based, and in such case it shall be executed in accordance with Chapter XIII of the Code of Penal Procedure (chapter C-25.1). |
[40] Le jugement rendu au terme de l'enquête est donc en principe final, puisque soit il rejette l'accusation, soit il prononce la culpabilité et impose la peine. Telle est conçue cette étape par le législateur.
[41] L'art. 26 , al. 1(3) C.p.c. reconnaît depuis 1979 un droit d'appel de plein droit d'un tel jugement :
Peuvent faire l'objet d'un appel, à moins d'une disposition contraire: […] 3. les jugements finals rendus en matière d'outrage au tribunal pour lesquels il n'existe pas d'autres recours; |
Unless otherwise provided, an appeal lies :
[...]
3. from any final judgment rendered in matters of contempt of court for which there is no other recourse; |
[je souligne]
[42] Quant aux jugements rendus avant l'instruction sommaire ou pendant celle-ci, ils constituent des jugements interlocutoires (art. 29 , al. 3 C.p.c.) et sont, comme tous les jugements de cette nature, assujettis aux art. 29 et 511 C.p.c. (9052-1550 Québec inc. c. Banque Nationale du Canada, 2006 QCCA 64 , le juge Hilton, statuant comme juge unique). Ainsi, pendant l'instruction, seuls certains jugements interlocutoires en matière d'objections à la preuve peuvent faire l'objet d'un appel dans la mesure prévue aux art. 29 et 511 C.p.c.
[43] Il n'y a donc, à première vue, pas de difficulté d'application quant à la procédure d'appel en matière d'outrage.
[44] En vérité, cela se complique lorsqu'il survient un long intervalle entre la déclaration de culpabilité et l'imposition de la peine.
[45] Or, la pratique s'est installée de prononcer un ajournement de l'instruction entre ces deux phases, et ce, pour diverses raisons. Parfois, les parties déclarent ne pas être prêtes à présenter leurs arguments sur la peine appropriée; parfois, le juge veut donner à la partie récalcitrante, désormais placée sous une épée de Damoclès, une dernière chance de s'amender et ainsi rétablir le respect pour l'autorité des tribunaux plutôt que d'imposer une peine qui augmentera les tensions entre les parties. Commentant cette pratique, le juge Peacock de la Cour supérieure écrit dans Droit de la famille — 112094, 2011 QCCS 3661 , paragr. 2 à la note 1 (appel rejeté sur une autre question : 2012 QCCA 508 ) :
An established practice before the Superior Court in civil contempt proceedings is to have a first hearing on the question of guilt and, if guilt is found, to have a second hearing on sentence. See National Bank of Canada v. Weir, 2011 QCCS 2276 and R.S. v. S.R., [2005] AZ-50315389 (S.C.). This mirrors a practice in criminal contempt proceedings[7] for which there are certain analogies: (a) liability for fine and imprisonment, and (b) a burden of proof beyond a reasonable doubt. The operative article for civil contempt is art. 54 Civil Code of Procedure which does not define any specific procedure for the contempt hearing other than that it be "summary".[8] A two-stage procedure has the following benefits: (a) it promotes the right to a fair hearing under art. 23 of the Québec Charter of Human Rights and Freedoms by allowing the Court to focus its attention solely on the issue of guilt in the first hearing; and (b) furthermore, it allows the delinquent found guilty of contempt, the opportunity to prepare representations for sentence, an important consideration given the potential for imprisonment and fine.
[46] Peu importe le motif de la décision de procéder en deux étapes séparées significativement dans le temps plutôt qu'en une seule comme envisagé par l'art. 54 C.p.c., il en résulte alors deux jugements distincts, un peu comme en matière criminelle[9], l'un constituant un verdict ou déclaration de culpabilité et l'autre une imposition de peine ou sentence. Le dernier mettra fin au dossier d'outrage et constitue, sans l'ombre d'un doute, un jugement final au sens du Code de procédure. Il pourra donc faire l'objet d'un appel de plein droit sous l’art. 26 , al. 1(3) C.p.c.
[47] À la suite du jugement prononçant une déclaration de culpabilité, le juge n’est cependant pas dessaisi de la procédure en outrage puisqu'il devra subséquemment prononcer la peine. L’instance est donc toujours en cours. Dans ce contexte, le jugement sur la culpabilité ne peut qu'être considéré comme un jugement interlocutoire au sens du Code de procédure, même s'il se prononce en partie sur le fond du litige et entraîne des conséquences sérieuses pour la partie citée car désormais passible d'emprisonnement[10].
[48] Peut-on alors en appeler de plein droit? Non, puisqu'il ne s'agit pas d'un jugement visé par l'art. 26 C.p.c. Alors, sur permission sous les art. 29 et 511 C.p.c.? Non plus, puisqu'il a été rendu dans le cadre d'une instruction non complétée (art. 29 , al. 2 C.p.c.).
[49] Dans un autre récent arrêt, Droit de la famille — 122617, 2012 QCCA 1721 , une formation de la Cour composée des juges Morin, Dutil et Bich conclut que la décision du juge saisi des procédures d'outrage de reporter à une date subséquente les plaidoiries sur la peine après avoir déclaré la personne assignée coupable d'outrage, constitue en réalité une scission d’instance régie par l'art. 273.2 C.p.c. :
[5] Or, à la suite de l’intervention de l’avocat du fils de l’appelant, la juge a reporté l’audition des observations sur la peine au 10 août 2012, effectuant ainsi une scission d’instance.
[6] Subséquemment, cette audition a été reportée au 25 septembre 2012.
[7] La Cour rappelle l’article 273.2 du Code de procédure civile :
273.2. Le jugement sur la demande de scission est sans appel; le droit d’appeler des jugements rendus sur le fond de l’instance ne prend naissance qu’à compter du jugement qui y met fin.
[8] Compte tenu de cet article, l’appel est prématuré.
[50] En d'autres mots, eu égard au texte de l'art. 273.2 C.p.c., la Cour conclut qu'il n'y a pas possibilité d'appeler du jugement prononçant la culpabilité et qu'il y a un sursis de la naissance du droit d’appel quant au jugement sur la déclaration de culpabilité jusqu'au jugement final. Tout récemment, dans Chamandy c. Chartier, 2013 QCCA 161 , une autre formation, composée des juges Morissette, Kasirer et Fournier, applique cet arrêt et déclare un appel du jugement sur la déclaration de culpabilité irrégulièrement formé. Par contre, une fois la peine prononcée, la personne citée peut se limiter à faire appel du verdict.
[51] Il s'ensuit aussi, comme le soulignait il y a quelques mois une autre formation de la Cour composée des juges Pelletier, Hilton et Wagner (maintenant à la Cour suprême) dans l'arrêt Droit de la famille — 12583, 2012 QCCA 508 , que, malgré la présence de deux jugements distincts, l'un sur la déclaration de culpabilité et l'autre sur la peine, aucun n’est un jugement complet sur le fond et, par voie de conséquence, une seule condamnation à des dépens est possible :
[7] Finally, the Court notes that the trial judge awarded costs to Ms C. in both the judgment finding him in contempt and in the sentencing judgment that is the object of this appeal. Costs could only have been properly awarded once, since contempt proceedings constitute a single proceeding, despite the fact that in this case there were two stages to the proceeding.
En somme, le jugement sur la déclaration de culpabilité et le jugement sur la peine constituent deux parties d'un même tout.
[52] Il découle de mon analyse des dispositions pertinentes du Code de procédure et de notre jurisprudence récente que le juge saisi de l'instruction d'une assignation pour outrage devrait s'en tenir à un processus conforme à l'art. 54 C.p.c., soit demander aux parties de faire des observations sur la peine une fois la déclaration de culpabilité prononcée, à moins que les parties ou l'une d'elles ne le convainquent qu'il est préférable de scinder les deux étapes par un ajournement de l'instruction. Avant d'accepter de scinder, le juge devra tenir compte du fait que la scission est, en principe, non voulue par le législateur en matière d'outrage, comme l'indiquent les mots « s'il [le jugement] emporte condamnation, il doit indiquer la peine imposée » (art. 54 C.p.c.), et se rappeler que le but d'une scission est « [d’]éviter une preuve complexe, inutile ou relative à une conclusion non fondée ou, encore, favoriser un règlement du litige. Dans ces éventualités, une telle scission est susceptible de réduire les coûts et les délais de façon appréciable »[11]. Lorsque c'est la personne assignée pour outrage qui s'oppose à la scission, il devra redoubler de prudence afin d'éviter qu'il n'en résulte un préjudice pour cette dernière du fait que cela entraînera, advenant une déclaration de culpabilité, le report de son droit d'appel.
[53] En l'espèce, le seul jugement final est celui prononçant la peine, rendu le 25 août 2010. Lui seul peut donc faire l'objet d'un appel de plein droit sous l'art. 26 , al. 1(3) C.p.c. Quant à celui déclarant l'appelante coupable, rendu le 27 mai 2010, il y a lieu de déclarer qu'il ne pouvait faire l'objet d'un appel avant le prononcé de la peine.
[54] L'inscription en appel du 23 juin 2010 à l'égard du verdict est sans effet valide. Quant à l'appel du jugement final, il s'est fait par le dépôt le 14 septembre 2010 au greffe de la Cour d'une inscription en appel amendée, signifiée à la partie adverse. Techniquement, on peut soutenir que l'inscription en appel du jugement final est irrégulière, puisqu'il fallait qu'elle soit déposée au greffe de la Cour supérieure.
[55] Il demeure que les frais exigibles ont été payés en Cour supérieure en juin 2010, que le délai d'appel du jugement final a été respecté, que la procédure amendée a été signifiée à la partie adverse concurremment, que la partie adverse n'a jamais soulevé l'irrégularité de l'inscription et que cette dernière soulève des questions sérieuses quant au fond. Dans ces circonstances, je suis d'avis qu'il y a lieu de déclarer que l'inscription en appel amendée du 14 septembre 2010 constitue une inscription en appel du jugement final dûment formée.
III. La prescription de substances
[56] Sur l'accusation d'avoir prescrit des substances à ses clients, les jugements de la Cour supérieure étaient clairs : « Interdit […] de prescrire des médicaments ou d’autres substances ». Quant à la connaissance de cette interdiction par l’appelante, elle ne fait aucun doute.
[57] Pour le reste de l’analyse, le juge du procès écrit :
[74] Les pièces A-12, A-15, A-18, A-50, A-51 et A-52 sont toutes postérieures à l'Ordonnance. Elles ont toutes les apparences d'une ordonnance[12] et réfèrent à des produits qui vont de l'huile de foie de morue et la graine de lin au Meta-Glyceryx et Cordycep, produits de santé naturels.
[75] Si ces produits ne sont pas des médicaments à prescription requise et ne sont peut-être pas des médicaments au sens littéral du terme (encore que le Petit Larousse 2009 décrit médicament comme : substance ou préparation administrée en vue de traiter ou de prévenir une maladie, ou de restaurer, corriger, modifier des fonctions organiques), ils sont à tout le moins des « substances », suggérées par l'Intimée, qui ont ostensiblement un lien avec l'état de santé du patient, que ce soit pour le soulager, l'améliorer ou le maintenir.
[76] Le Petit Larousse 2009 définit la prescription comme une « recommandation thérapeutique, éventuellement consignée sur ordonnance, faite par le médecin »; le Nouveau Petit Robert décrit la « prescription d'un médecin » comme la « recommandation faite au malade, verbalement ou par écrit (sous forme d'ordonnance) ».
[77] Le bloc-note sur lequel apparaissent les écrits porte l'en-tête "Mitra Javanmardi, N.D. Homeopathic & Naturopathic Physician". Il a toutes les allures et les dimensions du formulaire de prescription utilisé par la profession médicale. Selon la preuve, la copie blanche est remise au patient et une copie jaune reste au dossier. (soulignement ajouté)
[78] Le Tribunal conclut que les pièces A-12, A-15, A-18, A-50, A-51 et A-52, toutes datés du 13 novembre 2008, sont des « recommandations thérapeutiques » sous forme d'ordonnance. Il s'agit là de « prescriptions d'autres substances », au sens de l'Ordonnance, lesquelles, selon le témoignage de Mme Trommer, sont toutes disponibles et vendues au Centre.
[79] En agissant ainsi, l'Intimée a enfreint l'Ordonnance.
[notes omises]
[58] L'avocat de l'appelante concède que ce raisonnement est difficile à attaquer. En réalité, je le trouve inattaquable quant à la preuve de l'actus reus. Il est par contre plutôt lacunaire quant à la mens rea. J'y reviendrai.
IV. Avoir posé des diagnostics
[59] Les jugements de la Cour supérieure étaient clairs : « Interdit […] de diagnostiquer des maladies ». Quant à la connaissance de cette ordonnance, elle ne fait pas l’ombre d’un doute.
[60] À l'égard de la violation de celle-ci, voici comment s'exprime le juge :
[80] Le Collège invite le Tribunal à conclure que l’Intimée a nécessairement posé des diagnostics en vue d’en arriver à prescrire les produits qui apparaissent aux documents A-12, A-15, A-18, A-50, A-51 et A-52.
[81] Le Petit Larousse 2009 décrit ainsi le diagnostic : «1. Méd. Identification d’une maladie par ses symptômes. 2. Identification de la nature d’un dysfonctionnement, d’une difficulté».
[82] Compte tenu du contexte, la conclusion que l’Intimée a posé des diagnostics avant de prescrire apparaît inéluctable. En effet, une fois que le Tribunal conclut à l’existence d’une prescription de substances, il doit conclure à l’exercice préalable d'un jugement thérapeutique par l’Intimée pour identifier une maladie ou une condition, par des symptômes constatés ou décrits.
[note omise]
[61] Selon l'avocat de l'appelante, cette partie du jugement attaqué ne renvoie à aucune preuve que sa cliente a posé des diagnostics, mais se limite à une pétition, sans fondement. Il s’ensuit que la preuve, hors de tout doute raisonnable, d'un actus reus (diagnostiquer une maladie) n’a pas été faite.
[62] Avec égards, je ne partage pas cette prétention. Certes l'analyse du juge pourrait être plus complète sur les deux éléments requis pour cette violation, mais il est manifeste que la conclusion du juge repose sur bien plus qu'une simple inférence tirée de l'existence de prescriptions, comme l'indiquent d'ailleurs les mots « Compte tenu du contexte ».
[63] Ainsi, la lecture des dossiers correspondants aux prescriptions cotées A-12, A-15, A-18, A-50, A-51 et A-52 révèle que celles-ci ont été complétées à la suite d'une rencontre entre le client et l'appelante où celle-ci a noté les symptômes rapportés par le client et diverses caractéristiques personnelles. Il est alors logique de retenir que les prescriptions ont été remises aux clients après une consultation où ceux-ci ont décrit leurs maux et où l'appelante a diagnostiqué une maladie ou une déficience de la santé puis recommandé la prise de substances précises, et ce, selon un dosage précis et pour une période individualisée.
[64] Dans l'arrêt Vézina c. Corp. professionnelle des médecins du Québec, [1998] R.J.Q. 2940 , notre Cour était saisie d'une poursuite contre une infirmière à laquelle on reprochait d'avoir posé un diagnostic, alors que légalement, elle n'était autorisée qu'à identifier « les besoins de santé » d'une personne. Appelée à préciser ce qui distingue identifier des besoins de santé par opposition à diagnostiquer une maladie, la Cour écrit aux p. 2945-2946 :
L'appelante, en l'espèce, est allée au-delà de l'identification des besoins de santé. Elle a réellement cherché à déceler et à traiter des maladies ou déficiences de la santé. En mentionnant qu'un ralentissement du foie est à prévoir, ou que le foie et d'autres organes sont encrassés et qu'un nettoyage s'impose à l'aide de produits naturels destinés à cette fin, elle a véritablement posé des actes qui ont pour objet de diagnostiquer et de traiter des déficiences de la santé.
[je souligne]
[65] La définition retenue par le juge du procès me semble pratiquement au même effet quand il écrit « identification d’une maladie par ses symptômes ». Il n'y a donc pas erreur de droit à ce niveau.
[66] En l'espèce, la preuve documentaire démontre que l'appelante a cherché à déceler et à traiter des maladies ou déficiences de la santé des personnes qui la consultaient. En d'autres mots, après avoir rencontré un client qui expose son état, l'appelante a posé un diagnostic, puis a suggéré une substance, selon une posologie précise (prescription), ayant pour finalité de traiter la déficience identifiée.
[67] L'application d'un tel processus par l’appelante est confirmée par la description que donne elle-même l'appelante de ses services :
I would like to take this opportunity to welcome you to Centre de Santé Westmount. Centre de Santé Westmount utilizes the principles and practices of Naturopathic Medicine and other supportive therapies to assist the body's own ability to heal and to improve the quality of life and health through natural means.
…
I also confirm that I have the ability to accept or reject this care of my own free will and choice and that I am not an agent of any private, local, county, provincial or federal agency attempting to gather information without so stating. I accept full responsibility for any fees incurred during care and treatment.
[68] Clairement le patient qui se rend à sa clinique et accepte de lui verser des honoraires (250 $ pour 90 minutes) pour une consultation a des attentes qui dépassent un simple conseil sur un produit en vente libre (effets, posologie recommandée, lieu d'origine, etc.).
[69] L'actus reus, soit l'acte de poser un diagnostic, l’existence d’une interdiction claire et la connaissance de l'ordonnance, a été démontrée hors de tout doute raisonnable.
V. Avoir représenté être un médecin
[70] La troisième violation alléguée reproche à l'appelante d'avoir prétendu être une médecin ou d'avoir posé des actes qui seraient de nature à donner lieu de croire qu'elle est autorisée à exercer la profession de médecin. Il s'agit du paragraphe B) des ordonnances, lequel, tel qu'indiqué précédemment, ne fait que reprendre l'art. 32 C.prof., tout en précisant la profession concernée, soit la médecine.
[71] Dans l'arrêt Lessard c. Ordre des acupuncteurs du Québec, 2005 QCCA 832 , au paragr. 8, la Cour déclare :
Afin de déterminer s'il y a eu contravention à l'article 32, il faut se placer dans la position d'une personne possédant un quotient intellectuel convenable et se demander quelle serait sa réaction face aux annonces ou aux représentations qui lui sont faites, sans qu'elle doive vérifier les lois ou consulter des dictionnaires avant de requérir les services d'un professionnel;
[72] Une telle violation comporte donc deux éléments : des actes ou paroles de la personne poursuivie et une finalité, créer l'impression chez le client qu'il est en présence d'un médecin.
[73] L'avocat de l'appelante a raison de soutenir que l'élément matériel de cette accusation n'a pas été établi hors de tout doute raisonnable.
[74] En effet, l'appelante a fait remettre et signer par ses clients le document intitulé Informed Consent - Statement of Acknowledgement, cité plus haut. De plus, elle affiche depuis janvier 2009 sur la porte d'entrée de la clinique, un jugement qui lui interdit de pratiquer la médecine.
[75] Avec égards, le document remis aux clients, dont une copie signée se trouvait dans une très grande majorité des dossiers saisis, tend à démontrer que les clients étaient bien conscients qu'ils ne faisaient pas affaire avec un médecin ni avec quelqu'un qui laisse croire qu'il en était un. Un doute raisonnable ne peut qu’exister à cet égard[13].
VI. La mens rea requise
[76] La preuve, hors de tout doute raisonnable, de l'élément matériel de deux des violations alléguées a été faite. Mais cela ne suffit pas pour obtenir une condamnation. Il faut ensuite démontrer, hors de tout doute raisonnable, la mens rea requise.
[77] Sur ce point, je cite à nouveau l'arrêt Droit de la famille — 122875, supra :
[30] Sur les éléments à prouver hors de tout doute raisonnable, je fais mien l'extrait suivant des motifs du juge Saunders pour la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Godin v. Godin, 2012 NSCA 54 , 317 N.S.R. (2d) 204 , paragr. 47 :
7. in a case of civil contempt the following elements must be established beyond a reasonable doubt:
(i) the terms of the order must be clear and unambiguous;
(ii) proper notice must be given to the contemnor of the terms of the order;
(iii) there must be clear proof that the contemnor intentionally committed an act which is in fact prohibited by the terms of the order, and
(iv) mens rea must be proven which, in the context of civil contempt proceedings, means that while it is not necessary to prove a specific intent to bring the court into disrepute, flout a court order, or interfere with the due course of justice, it is essential to prove an intention to knowingly and wilfully do some act which is contrary to a court order.
[78] En somme pour l’élément intellectuel, il suffit d'établir l'intention de faire le geste reproché, que l’on sait par ailleurs interdit par l'ordonnance.
[79] En l'espèce, les prescriptions et les diagnostics ont été posés de façon répétée ce qui démontre la volonté de l’appelante de poser ces gestes. Il ne s'agit pas de gestes posés accidentellement, mais d’actes intentionnels et volontaires, sachant qu’ils étaient interdits. L'élément intellectuel, la mens rea, a été établi hors de tout doute raisonnable à l'égard de ces deux violations.
VII. Les peines possibles
[80] L'art. 761 C.p.c. stipule qu'une personne qui ne respecte pas une injonction est coupable d'un outrage au tribunal et s'expose à une amende qui ne peut excéder 50 000 $ avec ou sans emprisonnement pour une période maximale d'une année :
761. Toute personne nommée ou désignée dans une ordonnance d'injonction, qui la transgresse ou refuse d'y obéir, de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rendent coupables d'outrage au tribunal et peuvent être condamnées à une amende n'excédant pas 50 000 $, avec ou sans emprisonnement pour une durée d'au plus un an, et sans préjudice à tous recours en dommages-intérêts. Ces pénalités peuvent être infligées derechef jusqu'à ce que le contrevenant se soit conformé à l'injonction.
Le tribunal peut également ordonner que ce qui a été fait en contravention à l'injonction soit détruit ou enlevé, s'il y a lieu.
[je souligne] |
761. Any person named or described in an order of injunction, who infringes or refuses to obey it, and any person not described therein who knowingly contravenes it, is guilty of contempt of court and may be condemned to a fine not exceeding $50,000, with or without imprisonment for a period up to one year, and without prejudice to the right to recover damages. Such penalties may be repeatedly inflicted until the contravening party obeys the injunction.
The court may also order the destruction or removal of anything done in contravention of the injunction, if there is reason to do so.
|
[81] Puisque la violation d'une ordonnance d'injonction constitue une forme d'outrage au tribunal, les art. 49 à 54 C.p.c. s'appliquent dans la mesure où ils ne sont pas modifiés par l'art. 761 C.p.c., qui prévoit la possibilité d'une amende plus grande.
[82] Puisque l'art. 761 C.p.c. prévoit les peines possibles, comme d'ailleurs l'art. 51 C.p.c. dans les autres cas d'outrage, on peut se demander si seules celles-ci peuvent être imposées advenant violation. Je n'ai pas à répondre en l'espèce à cette question, puisque la sanction imposée ici est l'amende.
[83] Quant aux dispositions du Code de procédure pénale, seules celles du chapitre XIII - Exécution des jugements sont applicables (recouvrement des sommes, frais d'exécution, versement des sommes au fonds consolidé, mandat d'amener, délai et modalités de paiement, saisie, travaux compensatoires, emprisonnement, etc.).
VIII. La peine appropriée
[84] La partie poursuivante demandait une peine d'emprisonnement de six mois et une amende de 25 000 $. L'avocat de l'appelante suggérait plutôt une amende de 1 000 $.
[85] Le juge du procès condamne l'appelante à une amende globale de 15 000 $ à la suite des trois violations retenues. Comme je propose un acquittement sur l'une d'elles, il faut déterminer la peine appropriée plutôt qu’évaluer le caractère raisonnable de celle imposée en Cour supérieure.
[86] Afin de guider les juges dans la détermination de la peine appropriée, dans l'arrêt Bellemare c. Abaziou, 2009 QCCA 210 , [2009] R.J.Q. 276 , la Cour approuve les objectifs suggérés par la juge Julien dans Syndicat des travailleuses et des travailleurs des épiciers unis Métro-Richelieu (CSN) c. Épiciers unis Métro-Richelieu inc, [1998] R.J.Q. 2838 , 2840 (C.S.) :
Ainsi, le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et des ordonnances de la Cour, et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'imposition de sanctions justes visant, entre autres, certains objectifs :
a) la dénonciation du comportement illégal, c'est-à-dire la dénonciation de la désobéissance aux ordonnances de la Cour ;
b) dissuader les délinquants de commettre semblable outrage ;
c) assurer la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité ;
d) susciter chez les délinquants la conscience de leurs responsabilités.
La peine sera proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Elle tiendra compte de circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la commission de l'outrage et à la situation du délinquant et de l'harmonisation des peines.
[87] En l'espèce, l'ordonnance a été émise en vertu de l'art. 191 C.prof., une disposition, somme toute, de dernier ressort puisqu'elle requiert l'autorisation préalable du procureur général et ne peut être demandée qu'alors que des poursuites pénales sont en cours, et ce, à l’encontre d’une personne qui récidive[14]. Manifestement, elle vise des cas exceptionnels, les récidivistes, et a pour objectif la cessation immédiate des opérations illégales qui, malgré les poursuites pénales antérieures, se continuent. En principe, cette procédure accessoire sera rapide et plus facile car assujettie aux règles habituelles en matière d'injonction[15], dont celles relatives à la preuve civile, incluant la possibilité de forcer la personne poursuivie à témoigner. Par l'injonction, si délivrée, on veut s'assurer d'une cessation immédiate des opérations illégales sous peine d'outrage avec possibilité d'emprisonnement en cas de violation prouvée. Il y a donc un élément de gravité objective et subjective en l'espèce.
[88] De plus, l'appelante a violé à répétition deux ordonnances distinctes de l'injonction : diagnostiquer des maux et prescrire des substances. Si l'une et l'autre des violations ont été accomplies à l'égard des mêmes personnes et dans le cadre d'une même consultation, je ne puis conclure que l'une et l'autre constituent un même outrage. Il y a donc eu deux outrages distincts, et ce, à l'égard de plusieurs personnes observées sur une période de deux jours alors que l'appelante opère à la semaine.
[89] Il ressort aussi du dossier que l'entreprise de l'appelante compte manifestement un bon nombre de clients puisque depuis le début des procédures, celle-ci a cessé d'en accepter des nouveaux. De même, elle semble très payante, puisque l’appelante exige 250 $ pour une consultation de 90 minutes, soit environ 160 $ par heure. Je rappelle qu’en deux jours, les 13 et 18 novembre 2008, 26 personnes ont consulté l’appelante, soit en moyenne 13 par jour.
[90] Quant à la violation dont l'appelante doit être acquittée, elle est la moins susceptible de causer un préjudice à un membre du public, alors que l'acte de diagnostiquer, puis celui de prescrire des substances sont susceptibles de résulter en des conséquences importantes, voire même graves, sur l'état de la personne qui a consulté.
[91] Dans ces circonstances, il m'apparaît qu'une amende de 10 000 $ est appropriée.
CONCLUSION
[92] Pour ces motifs, je propose d'accueillir l'appel, sans frais, d'infirmer en partie le jugement de la Cour supérieure afin d'acquitter l'appelante de l'accusation d'avoir donné à croire qu'elle pratiquait la médecine et de réduire l'amende à 10 000 $.
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PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. |
[1] Trois autres chefs seront déposés fin 2008. (voir P-4).
[2] Le client doit remplir un questionnaire de quatre pages sur son état de santé.
[3] Il y a cependant eu des admissions le 19 novembre 2009.
[4] On peut penser, par exemple, à l'assignation d'un député pendant une session parlementaire, ce qui est interdit.
[5] Incluant le droit des parties de faire des représentations sur la peine appropriée en fonction de la nature de l'outrage dont la personne est finalement déclarée coupable et avant la sentence : R. c. K. (B.), [1995] 4 R.C.S. 186 ; Droit de la famille — 122875, supra.
[6] Le sens du mot sommaire est ici double. Dans son sens ancien, inspiré de la tradition britannique (voir : Arlidge, Eady & Smith, On Contempt, Thomson Reuters, U.K., 2001,paragr. I-53 et suivants), il signifie par procédure sommaire plutôt que par acte d'accusation (indictment), afin que l'outrage soit puni le plus rapidement possible (voir : Adrian Popovici, L'outrage au tribunal, Éditions Thémis, Montréal, 1976, p. 116-118); par conséquent, il ne pouvait donner lieu à un procès devant jury, ce qui était autrefois possible au Québec en matière civile. La Cour suprême reconnaît la validité d'une procédure sommaire en matière d'outrage : R. c. K. (B.), supra. Dans son acception moderne, il ne peut que signifier que le système judiciaire et les parties doivent faire diligence pour se rendre dans les meilleurs délais à l'instruction, laquelle n'a rien de sommaire au sens, par exemple, des art. 54.2 et 54.4 C.p.c., vu son caractère quasi pénal et les règles exigeantes qui en découlent.
[7] Je crois qu'il faudrait plutôt lire « in criminal proceedings ».
[8] Avec égards, cela est inexact puisque l'art. 54 C.p.c. prescrit aussi que le jugement qui condamne doit prononcer la peine et les motifs qui justifient cette condamnation.
[9] Cette analogie ne permet pas cependant d'appliquer les règles de procédures criminelles en matière d'appel, alors que la procédure d'outrage est assujettie à celles prévues au Code de procédure civile : 9052-1550 Québec inc. c. Banque Nationale du Canada, supra, paragr. 9-11.
[10] À la différence du processus criminel, cette déclaration de culpabilité n'entraîne pas la constitution d'un casier judiciaire et n'est pas inscrite dans les registres policiers et criminels. Le stigmate social, s'il en est, n'est pas du même ordre.
[11] Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, Québec, Gouvernement du Québec, 2001, p. 132.
[12] Ici dans le sens du mot prescription.
[13] Il en va de même à l'égard de la volonté de l'appelante de se faire passer pour un médecin.
[14] Je souligne que la peine en cas de condamnation pénale est l'amende, laquelle peut maintenant, en vertu de l'art. 188 du Code des professions, atteindre 40 000 $ par chef d’accusation pour une personne physique en cas de récidive.
[15] Ordre des comptables agréés c. Papillon, 2005 QCCA 860 (C.A.).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.