[1] En appel d'un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal, rendu le 8 mars 2012 (l'honorable Danielle Turcotte), déclarant l'appelante coupable d'outrage au tribunal et la condamnant à six mois de prison.
[2] Pour les motifs du juge Dalphond, auxquels souscrivent les juges Hilton et Léger;
LA COUR :
[3] ACCUEILLE l'appel avec dépens;
[4] INFIRME le jugement;
[5] PRONONCE l'acquittement de l'appelante quant aux procédures en outrage introduites en juillet 2011.
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PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. |
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ALLAN R. HILTON, J.C.A. |
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JACQUES A. LÉGER, J.C.A. |
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Me Guy Nephtali |
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AMATO NEPHTALI RUBINO |
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Pour l'appelante |
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Me Luce Gayrard |
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Pour l'intimé |
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Date d’audience : |
Le 13 septembre 2012 |
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MOTIFS DU JUGE DALPHOND |
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[6] Le pourvoi fait suite à un jugement concluant en la commission d'un outrage au tribunal ex facie et condamnant l'appelante à six mois de prison. Il s'inscrit dans une saga judiciaire entre les parties quant à la garde de leurs deux enfants, un garçon de 12 ans et une fille de 14 ans.
[7] Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la condamnation doit être infirmée parce que la procédure suivie, tout en étant conforme à celle décrite dans plusieurs arrêts et jugements[1], était malgré tout contraire aux principes applicables en matière d'outrage depuis l'avènement des chartes des droits, notamment l'art. 11 c) de la Charte canadienne des droits et libertés et l'art. 33.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui tous deux reconnaissent le droit d'une personne passible d'une sanction de nature pénale, comme l'emprisonnement, de ne pas être tenue de témoigner contre elle-même.
[8] Il s’agit de la troisième procédure en outrage par l’intimé contre l’appelante dans le dossier. Les deux premières tentatives ont été rejetées. La dernière débute le 5 juillet 2011 lorsque l’intimé obtient ex parte d’un juge de la Cour supérieure une ordonnance spéciale à comparaître pour répondre à un outrage au tribunal ainsi rédigée :
To appear before this Honorable Court, practice division, family division, sitting in Room 2.11 at the Montreal Court House located at 1 Notre-Dame East, province of Quebec, Tuesday September 8th 2011 at 2:00 p.m, to hear the proof of the acts with which she is charged and to urge any grounds of defence which she may have to avoid to be found guilty of Contempt of Court and be liable to a fine or to imprisonment as provided for by article 51 of the Code of Civil Procedure (...)
[je souligne]
Cette citation ne précise donc aucunement les gestes reprochés.
[9] Le 11 août 2011, l'ordonnance est signifiée à l’appelante avec copie de la requête qui l'a demandée. Cette dernière contient 24 paragraphes et se termine par les conclusions suivantes :
GRANT the present Motion;
ORDER and ENJOIN Defendant to appear before this Court at the indicated date and time, to hear proof of the acts with which she is charged and to urge any grounds of defence which she may have;
DECLARE Defendant guilty of Contempt of Court;
IMPOSE upon Defendant the sanction this Honorable Court may deem appropriate in the circumstances;
[10] C'est donc uniquement en lisant la requête que l'appelante peut comprendre ce qui lui est reproché. L'intimé y fait plusieurs reproches à l'appelante, mais l'accuse principalement d'avoir fait défaut d’aller reconduire ses enfants dans un camp de vacances le 30 juin 2011, tel qu'ordonné par la juge Laberge de la Cour supérieure. On peut aussi comprendre, quoique cela ne soit pas dénué d'ambiguïtés, que l’intimé lui reproche d’avoir gardé les enfants avec elle depuis février 2011, à la suite d’une fin de semaine d’accès chez elle, malgré le fait que leur garde lui avait été confiée.
[11] Le procès pour outrage a lieu les 7, 8 et 9 novembre 2011. À l’ouverture de la séance, un échange intervient entre l’avocate de l’intimé, l’appelante, qui n’est pas assistée d’un avocat, et la juge. On s’interroge sur la nécessité de faire témoigner les enfants comme le demande l'appelante. Après certaines remarques, elle accepte de les dispenser de témoigner si des admissions suffisantes sont faites par l'intimé. Dans le cours des discussions, il est dit ce qui suit :
...
Ms. S. Q.:
So, my understanding is I’m here today on Contempt of Court...
THE COURT:
Yes.
Ms. S. Q.:
... for not fulfilling a Court Order.
THE COURT:
That’s right.
Ms. S. Q.:
And, so, it is ... I don’t dispute the issue at hand of not doing the driving. So, then, when I’m being tried right now, it is my responsibility to demonstrate to the Court what my intention was, what my efforts were. Did I do my... everything that I could to make that Court Order happen...
THE COURT:
M’hm.
Ms S. Q.:
... or was it an error or an unwillingness on my part. So...
THE COURT:
So, that is...
Ms. S. Q.:
Is the correct understanding?
THE COURT:
That is your duty only if you have the feeling that Mr. G. made his proof out beyond any reasonable doubt, because this is kind of a criminal matter.
Ms. S. Q.:
M’hm, yes.
THE COURT:
Okay? So, the suing party has the burden of the proof, and he has to prove his point beyond any reasonable doubt. If that is the case, then there is a ‘renversement’, and then it’s your turn to explain why you did not fulfil or you thought you did or whatever, exactly what you explained to me, and then... because you’re not obliged to testify.
Ms. S. Q.:
Oh, yes, I respect and understand that.
THE COURT:
You understand that? Okay.
Ms. S. Q.:
I’ve been in a position of Contempt of Court before.
THE COURT:
Yes.
Ms. S. Q.:
And I never testified, because the obligation was not there... and I believe the first part is actus reus.
THE COURT:
M’hm.
Ms. S. Q.:
But I saw as a result of not testifying, my perception... my efforts were not recorded and, in fact, I found that the representations ended up harming me, because they carry forward with each Judgment.
THE COURT:
Okay.
Ms. S. Q.:
So, I’m happy to testify.
THE COURT:
Okay.
Ms. S. Q.:
And I’m happy to do that.
THE COURT:
Okay.
Ms. S. Q.:
With regard to the children, though, is it possible to reserve that until tomorrow morning... until at the end of today. I will explain to you happily now why not, but I would like to see how things are proceeding today to conclude its necessity, true necessity, because I don’t have the intention of putting the children in this situation.
If I feel that the information that I know is properly conveyed to this Court, then I don’t feel the necessity for them to come forward.
THE COURT:
Okay.
Ms. S. Q.:
If at any point I feel that I’m still not able to convey what the essence is and my true efforts, what I would hope to achieve with their testimony, with you in Chambers, is... is it true. Was I really sending that message to them? Was I clear? Was my intention there? Was I consistent, whether we were here or there or doing this or doing that? Was it consistent, and did you get that sense from the children that I was really aware of my responsibility.
So, if I felt that I’m not able to convey it in this courtroom prior to them coming tomorrow... I believe they had requested to come in the afternoon.
THE COURT:
Tomorrow afternoon, yes.
...
[12] Par la suite, les discussions se poursuivent sur des questions d’intendance. L’avocate de l’intimé indique qu’il y a deux éléments à l’outrage, soit le refus de conduire les enfants au camp et de les avoir gardés avec elle depuis le mois de février. Elle ajoute que les actus reus pour ces deux gestes avaient été admis par l'appelante devant la juge Laberge au mois d’août 2011.
[13] L’appelante répond qu'elle comprenait n'avoir été citée pour outrage qu'en relation avec le défaut de conduire les enfants au camp et pour rien d’autre :
Ms. S. Q.:
Okay. Thank you.
I was aware of the driving part of the Contempt of Court. I was not aware that I would be providing proofs on... the children do live... had been living with me at that... during the... since February, I don’t deny that.
...
Ce passage confirme l’imprécision de la citation. D'ailleurs, la juge Laberge parlera elle-même en août 2011 d'une accusation d'outrage et non de deux accusations.
[14] En tout état de cause, l’appelante admet alors que les enfants sont avec elle depuis le mois de février 2011 et qu’elle ne les a pas conduits au camp. Elle indique cependant qu’elle fera la preuve des circonstances expliquant ces évènements, ajoutant qu’elle n’en est pas responsable puisqu'il s’agissait bien de la volonté des enfants eux-mêmes.
[15] La juge du procès fait alors consigner au procès-verbal qu’il y a admission des paragraphes 15 à 20 de la requête pour citation pour outrage en ces termes[2] :
Madame Q... reconnaît que le libellé des paragraphes 15 à 20 de la requête pour outrage représente fidèlement le témoignage que rendrait monsieur G... à cet effet.
L’appelante, qui s'exprime en anglais, demande immédiatement ce que signifie le mot « fidèlement ». La juge lui explique. L'appelante répond qu’elle est d’accord avec le fait que c'est ce que l’intimé déclarerait, mais que cela ne signifie pas que ce qu’il déclarerait est vrai, faisant immédiatement valoir certaines inexactitudes.
[16] En aucun moment, la juge ne mentionne à l’appelante qu’elle peut insister pour que l'intimé témoigne et qu’elle aura alors le droit absolu de le contre-interroger.
[17] Une deuxième admission est ensuite consignée au procès-verbal, à savoir : « que les enfants ont habité avec elle du 9 février au 16 septembre ». Puis, l’avocate de l’intimé déclare sa preuve close, les actus reus étant admis. S'ensuit l'échange suivant :
Me LUCE GAYRARD:
Well, I believe that the actus reus being admitted...
THE COURT:
Yes.
Me LUCE GAYRARD:
... Madame can make proof with respect to the mens rea, and thereafter we will make counter-proof, since we do still have the burden and... to prove beyond a reasonable doubt that she has the actus reus.
THE COURT:
Very good.
Me LUCE GAYRARD:
I’m sorry, the mens rea.
THE COURT:
Oui, yes. Parfait.
So, Madame Q……
Ms. S. Q.:
Yes.
THE COURT:
So, then I believe that you wish to testify, as you just told me?
Ms. S. Q.:
Yes.
THE COURT:
Yes, okay. So, then you will have to stand into the... in the box.
...
[18] Débute ensuite le témoignage de l'appelante, suivi d'un contre-interrogatoire par l’avocate de l’intimé. Dans le cadre du premier, certaines admissions sont faites, notamment :
Si les enfants venaient témoigner demain, les deux diraient que leur mère leur a dit, à de nombreuses reprises, qu’ils allaient au camp, qu’il y a un jugement, qu’ils doivent le respecter et qu’ils n’avaient pas le choix.
M. reconnaît que lors de la rencontre avec Olga Pazzia Guiducci, il a accepté que X habite avec sa mère jusqu’à la semaine de relâche printanière.
Les parties conviennent que si Y venait témoigner demain il dirait qu’il n’a pas vu son père souvent de février à juillet 2011, mais qu’il était libre et encouragé à le faire.
Mme renonce à faire témoigner les enfants demain.
[19] Le lendemain, 8 novembre 2011, la docteure Guiducci est dispensée de témoigner à la suite d’une admission par l'intimé qu’elle corroborerait la description des événements faite par l’appelante. Cette dernière fait entendre d’autres témoins, puis déclare sa preuve close en début d’après-midi.
[20] En contre-preuve, l’intimé témoigne pour la première fois. Le lendemain, son avocate fait témoigner l'appelante, toujours dans le cadre de sa contre-preuve. L’avocate de l’intimé le reconnaît candidement, c’est dans le cadre de cette contre-preuve qu’elle a tenté d’établir la mens rea de l’appelante.
[21] L’affaire est ensuite mise en délibéré et, par jugement rendu le 8 mars 2012, l’appelante est déclarée coupable d’outrage. Après une courte pause, tel qu'annoncé dans une lettre du 6 mars 2012, la juge procède immédiatement à la détermination de la peine, malgré la demande de remise de l'appelante, toujours non assistée d'un avocat.
[22] L'appelante est condamnée à six mois de prison, alors que l’avocate de l’intimé en réclamait douze, soit la peine maximale. Elle est alors immédiatement mise en état d’arrestation et transportée à la prison Tanguay, d’où elle sera remise en liberté, une semaine plus tard après avoir trouvé un avocat pour la représenter (Droit de la famille -12551, 2012 QCCA 501 ).
[23] La procédure en outrage au tribunal est de nature quasi pénale étant donné les conséquences possibles : Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques inc., [1992] 2 R.C.S. 1065 , 1078.
[24] Il s’ensuit que la procédure à suivre, qui diffère de la procédure civile habituelle, doit être respectée strictement (strictissimi juris).
[25] D'abord, l'ordonnance spéciale (ou citation à comparaître) doit être signifiée à la personne poursuivie. L'art. 53 C.p.c. précise que l'ordonnance enjoint de comparaître au jour et à l'heure indiqués, pour entendre la preuve des faits qui lui sont reprochés et faire valoir ses moyens de défense. L'ordonnance spéciale doit donc énoncer précisément la nature des violations alléguées ou référer précisément aux paragraphes de la requête en outrage énonçant les actes reprochés.
[26] Il revient au juge qui délivre l'ordonnance spéciale d’exercer un rôle de filtrage et de s'assurer que les actes reprochés sont énoncés avec précision dans la citation ou, à tout le moins, dans la requête pour ordonnance spéciale qui l'accompagnera. Si les actes reprochés sont mal définis ou imprécis, il ne peut qu’en résulter des problèmes par la suite[3]. De même, le juge doit estimer que la violation alléguée est susceptible de donner lieu à une condamnation pour outrage; cela comprend une évaluation sommaire de la portée de l'ordonnance dont la violation est alléguée et des faits invoqués par la partie demandant l'ordonnance spéciale, les tenant pour avérés. Le juge doit apprécier la preuve prima facie et ne délivrer une ordonnance spéciale que si cette preuve semble suffisante[4].
[27] Une personne citée pour outrage a le droit de connaître la nature exacte des accusations et a droit d'être informée de tous les détails pertinents, surtout si elle est citée pour un outrage commis hors la présence de la cour (R. v. Cohn (1984), 15 C.C.C. (3d) 150 (C.A. Ont.)). Il s'ensuit que, concurremment à la signification de la citation ou peu après, la partie poursuivante doit communiquer les pièces et autres éléments qu'elle entend invoquer pour démontrer l'outrage, ce qui est d'ailleurs tout à fait conforme aux exigences des art. 331.1 et suivants C.p.c. Elle devra aussi communiquer conformément à la règle 15 du Règlement de procédure civile (Cour supérieure), la liste des témoins, les admissions proposées et un exposé concis des questions de fait et de droit en litige. Par contre, la personne citée n’a pas l’obligation de compléter ce formulaire. À mon avis, la communication des pièces et autres éléments jumelés au formulaire II prescrit par la règle 15 constitue une communication adéquate de la preuve de la partie poursuivante à la partie accusée d'outrage.
[28] Lors du procès, il revient à la partie poursuivante d'établir, hors de tout doute raisonnable, tant l’actus reus que la mens rea, et ce, sans pouvoir contraindre la personne citée (art. 53.1 C.p.c., codifiant l'arrêt Vidéotron, supra). Ce fardeau de preuve, différent de celui habituel en matière civile (prépondérance : art. 2804 C.c.Q.), doit être satisfait pleinement avant que la partie accusée n'ait à décider de témoigner.
[29] Durant ce procès, la pratique de ne statuer sur les objections prises sous réserve qu'à l'occasion du jugement au fond ne peut être suivie s'agissant d'une matière quasi pénale : voir les commentaires de mon collègue le juge Hilton dans Droit de la famille - 12599, 2012 QCCA 520 , paragr. 36-49.
[30] Sur les éléments à prouver hors de tout doute raisonnable, je fais mien l'extrait suivant des motifs du juge Saunders pour la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Godin v. Godin, 2012 NSCA 54 , 317 N.S.R. (2d) 204 , paragr. 47 :
7. in a case of civil contempt the following elements must be established beyond a reasonable doubt:
(i) the terms of the order must be clear and unambiguous;
(ii) proper notice must be given to the contemnor of the terms of the order;
(iii) there must be clear proof that the contemnor intentionally committed[5] an act which is in fact prohibited by the terms of the order, and
(iv) mens rea must be proven which, in the context of civil contempt proceedings, means that while it is not necessary to prove a specific intent to bring the court into disrepute, flout a court order, or interfere with the due course of justice, it is essential to prove an intention to knowingly and wilfully do some act which is contrary to a court order.
[31] En aucun cas, la partie accusée n'est tenue de fournir des explications ou de démontrer un moyen de défense. La personne poursuivie n’a aucun fardeau de preuve ni aucune obligation de témoigner ou de faire des admissions. Ce n'est qu'une fois la preuve de la partie poursuivante faite, qu'elle peut décider de témoigner ou non. Si elle choisit de témoigner, elle pourra bien sûr être contre-interrogée et ne pourra refuser de répondre. Elle pourra aussi faire entendre des témoins, qu'elle ait témoigné ou non.
[32] Quant à la possibilité d’une contre-preuve par la partie poursuivante, celle-ci devrait être limitée à des cas exceptionnels, comme c’est le cas en matière criminelle et pénale.
[33] Il va de soi que la procédure en outrage au tribunal, puisque régie par des règles particulières et différentes de celles des dossiers civils ou familiaux, fait en sorte que le juge saisi d'une demande d'outrage ne peut en même temps entendre des requêtes ordinaires, comme en modification des ordonnances de garde, une demande d'injonction ou de saisie, etc. (Droit de la famille - 12599, précité; paragr. 29-33). En réalité, une ordonnance spéciale, même si délivrée dans un dossier civil ou familial, doit donner lieu à une procédure distincte des autres procédures et être traitée séparément de ces dernières. Il faut bien isoler le processus quasi pénal du processus civil.
[34] Il peut être préférable dans certains cas que le juge qui entend les procédures en outrage ne soit pas celui qui a rendu l'ordonnance, par exemple, lorsqu'il y a un débat sur l'interprétation de l'ordonnance dont on allègue une violation. De même, il faut éviter des situations pouvant soulever une crainte raisonnable de partialité chez la personne citée, comme, par exemple, lorsque le juge a manifesté du mécontentement avec la conduite de cette personne dans le cadre d'une procédure antérieure ou encore possède une connaissance particulière des parties ou du dossier dont il ne pourrait faire abstraction indépendamment de la preuve offerte dans le dossier de l’outrage.
[35] Il y a lieu aussi de rappeler que, lorsqu’une procédure en outrage est entendue contre une partie non représentée par avocat, le juge a un rôle particulier à jouer. Il doit s’assurer, vu la nature quasi pénale de la procédure, que la personne poursuivie comprenne bien la nature du procès et, en particulier, son droit de garder le silence. Sans devenir l’avocat de la personne poursuivie, le juge doit s’assurer que le procès demeurera juste et équitable, conformément aux règles applicables en matière criminelle.
[36] Ainsi dans l'arrêt Sechon c. R., J.E. 96-157 (C.A), le juge Rothman écrivait :
And where an accused, for whatever reason, is not represented by counsel at his trial, it is clear, as well, that the trial judge has a duty to provide reasonable assistance to the accused in the presentation of evidence and in putting his defences before the court.
[je souligne]
[37] Ce principe est réaffirmé dans l'arrêt Guenette c. R., J.E. 2002-420 (C.A.) en ces termes :
La situation des justiciables qui se présentent seuls à leur procès, sans l'assistance d'un avocat, est toujours délicate et ce, peu importe le stade du processus judiciaire. Au stade du procès, le juge a le devoir de s'assurer que l'accusé ne soit pas privé de son droit à un procès juste et équitable en raison de son ignorance des règles de la procédure criminelle. Il expliquera donc sommairement à l'accusé le déroulement de la procédure pour que ce dernier puisse faire des choix éclairés en temps utile; il prêtera aussi à cet accusé une aide raisonnable pour qu'il puisse faire valoir toute défense qu'il peut avoir, tout en évitant d'agir comme son avocat, au risque de perdre l'impartialité essentielle à l'exercice de ses fonctions.
[je souligne]
[38] Plus récemment, le juge Vézina de notre Cour entérinait ce principe dans l'arrêt Franche c. R., 2005 QCCA 719 . Tout en reconnaissant la complexité de la situation, la Cour accueillait l'appel d'une peine prononcée après que l'accusé non représenté n'eut fait aucune représentation, parce que le juge de première instance ne s'était pas enquis des circonstances particulières du dossier.
[39] Les auteurs Béliveau et Vauclair résument l'état du droit comme suit :
Si l'accusé n'a pas droit à l'aide d'un procureur, ou qu'il refuse d'en avoir un, le juge a néanmoins l'obligation d'assurer un procès équitable. [...] La règle demeure de déterminer si, tenant compte de l'ensemble des circonstances, le procès a été équitable. [...] Par ailleurs, le juge a l'obligation d'expliquer sommairement les procédures à l'accusé. [...] De même, le juge est tenu de lui apporter une aide raisonnable dans la préparation de sa défense et de le guider d'une manière telle que sa défense puisse avoir pleinement force et effet. [...] Cela étant, il n'existe pas de règles fixes quant à l'assistance que le juge doit apporter à l'accusé; il s'agit d'un facteur qu'on doit apprécier selon les circonstances et qui relève de sa discrétion[6].
[notes omises]
[40] Même en matière disciplinaire, notre Cour reconnaissait récemment que lorsque la partie poursuivie est non assistée d'un avocat, le comité de discipline a un devoir d'assistance limité envers elle : Ménard c. Gardner, 2012 QCCA 1546 . Cela ne peut qu'être plus vrai en matière d'outrage au tribunal.
[41] En somme, sans être un spécialiste du droit criminel, le juge saisi d'une procédure en outrage doit toujours se rappeler qu'il ne préside pas un dossier civil ordinaire, mais un dossier de nature quasi pénale, largement influencé par les règles du droit criminel et pénal avec lesquelles il devrait être suffisamment familier.
[42] Finalement, même si la partie poursuivante établit hors de tout doute raisonnable les éléments requis tant pour l'actus reus que la mens rea, le juge doit s'interroger sur l'opportunité de prononcer une peine. Tout récemment, mon collègue le juge Kasirer rappelait dans Centre commercial Les Rivières ltée c. Le Jean Bleu inc., 2012 QCCA 1663 , l'aspect discrétionnaire, reconnu à l'art. 49 C.p.c., du pouvoir des tribunaux supérieurs de punir pour outrage commis hors la présence du tribunal (outrage ex facie) :
[68] I am inclined, at least on the basis of the facts of the present case, to see the exhaustion of other remedies less as a formal rule of law and more as a reflection of the proper exercise of judicial discretion undertaken pursuant to article 49 C.C.P. Indeed the discretionary and contextual character of a contempt order would suggest that exhausting remedies is best viewed as a sound judicial policy rather than as an unbending legal rule. A judge seized of a motion for contempt should inquire first whether there are other available remedies suitable for redressing a party’s disobedience of a court order, reserving punitive measures of contempt for quasi-criminal conduct that meaningfully impugns the authority of the courts. While exhausting remedies may not be required as a precondition to contempt in all cases, judges should inquire whether alternative remedies to contempt exist in their evaluation of the proportionality between, on the one hand, the quasi-criminal sanctions for contempt and, on the other, the seriousness of the contemnor’s conduct and intent.
[43] L’imprécision de l'ordonnance spéciale de même que celle de la requête qui l’accompagnait a créé un imbroglio, comme en attestent les commentaires de l’appelante lorsqu’on lui mentionne qu’elle est citée pour deux événements, alors qu’elle croyait n'avoir à répondre que d'un.
[44] De plus, comme le reconnaît d’ailleurs l’avocate de l’intimé, la procédure décrite plus haut n’a pas été respectée lors du procès. Ainsi, la juge a demandé à l’appelante de témoigner avant que la preuve de la partie poursuivante ne soit close et dans les faits, d'établir une absence de mens rea. Elle a été aussi appelée à témoigner durant la contre-preuve de l'intimé.
[45] À la décharge de l'avocate de l'intimé et de la juge du procès, la procédure suivie était conforme à des jugements, certains récents et subséquents à l'arrêt de la Cour suprême dans Vidéotron, précité, y compris de notre Cour en matière d'outrage commis hors la présence du tribunal.
[46] Il demeure que ces irrégularités de procédure sont graves et commandent d'invalider le jugement rendu.
[47] Il faut aussi souligner qu'il a été consigné au procès-verbal que l'intimé reconnaissait que l'appelante avait expliqué aux enfants, des adolescents, qu'ils devaient aller au camp, devaient respecter le jugement de garde et n'avaient pas le choix. Avec pareilles admissions, il est difficile de conclure hors de tout doute raisonnable que l'appelante a intentionnellement voulu violer l'ordonnance de conduire les enfants au camp ou celle confiant la garde à l’intimé, à moins de lire dans celles-ci une obligation pour l'appelante de prendre tous les moyens nécessaires, y compris la force physique, pour y donner effet. Cela ne serait pas réaliste ni raisonnable (voir : Godin v. Godin, précité, paragr. 61 et suivants). L'intimé a aussi semblé consentir de facto à ce que les enfants demeurent avec l’appelante pendant une certaine période.
[48] Une fois ces constats faits, quelle est la réparation appropriée? Deux options sont possibles : un retour du dossier en Cour supérieure pour un nouveau procès (Droit de la famille - 12599, précité) ou un rejet des procédures en outrage.
[49] En l'espèce, considérant l'imprécision des actes reprochés, les irrégularités survenues dans l'administration de la preuve et la faiblesse de la preuve offerte, il me semble plus approprié de rejeter la requête en outrage. Cela ne signifie pas que la Cour endosse la conduite de l'appelante ou encore qu'elle s'est bien comportée, bien au contraire. Mais il demeure que les procédures ont été mal engagées et mal conduites, au point de tout vicier.
[50] Finalement, quant au fait que les enfants sont demeurés après février avec l'appelante, je me demande si d'autres avenues n'étaient pas plus appropriées qu'une citation pour outrage. Ainsi, la participation des parents à des sessions de coparentalité accompagnées de rencontres des enfants avec un tiers spécialisé aurait, peut-être, été une bien meilleure option.
[51] Pour ces motifs, je propose d'accueillir l'appel avec dépens, d'infirmer le jugement de la Cour supérieure rendu sur l'outrage et de prononcer l'acquittement de l'appelante.
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PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. |
[1] Voir notamment : Daigle v. St-Gabriel-de-Brandon (Paroisse), [1991] R.D.J. 249 (C.A.); Droit de la famille-1605, [1995] R.D.F. 8 (C.A.); Droit de la famille-3674, [2000] R.D.F. 493 (C.S.); Sans v. Roques, J.E. 2004-790 (C.A.); Droit de la famille - 072747, 2007 QCCA 1592 , paragr. 50; Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 839 , paragr. 10; Fontes PNS ltée c. Hamel, 2008 QCCA 2247 .
[2] En l’espèce, il aurait été préférable que les admissions soient faites et consignées au procès-verbal dans la langue anglaise, soit celle de la personne citée.
[3] Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile, 4e éd., vol. 1 « Art. 1 - 48 1 C.p.c. », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 124, citant Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048 .
[4] Ibid., p. 125; Desroches c. Procureur général du Québec, [1967] B.R. 604 (C.A.).
[5] Par opposition à un acte involontaire ou en l’absence de connaissance de l’ordonnance.
[6] Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité de preuve et de procédure pénales, 19e éd., Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2012, nos 1542-1544, p. 687-688.
AVIS :
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