Syndicat de la copropriété du 1401-1403-1405 de Maisonneuve Est c. Dehling |
2013 QCCS 3064 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-075056-120 |
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DATE : |
8 JUILLET 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DAVID R. COLLIER, J.C.S. |
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SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ DU 1401-1403-1405 DE MAISONNEUVE EST et BERNARD BOULAY |
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Demandeurs |
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c. |
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MARIE-SOPHIE DEHLING et RÉGIS FREYD et GILLES BÉLISLE et JEAN-GUY BERGERON |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Les demandeurs réclament l’émission d’une injonction interlocutoire pour empêcher les défendeurs, Marie-Sophie Dehling et Régis Freyd, d’ériger une clôture sur leur propriété, laquelle bloquerait l’accès des demandeurs au stationnement aménagé à l’arrière de leur immeuble.
[2] Le demandeur Bernard Boulay est un des six copropriétaires divis d’un immeuble situé à l’angle du boulevard de Maisonneuve Est et la rue Plessis, à Montréal. L’immeuble est administré par le syndicat demandeur.
[3] La façade de l’immeuble est érigée sur le boulevard de Maisonneuve. Monsieur Boulay et trois autres copropriétaires (« les copropriétaires ») ont des espaces de stationnement aménagés à l’arrière de l’immeuble et y ont accès par la rue Plessis.
[4] Les défendeurs, Marie-Sophie Dehling et Régis Freyd, sont les propriétaires de l’immeuble sis immédiatement à l’arrière de celui des demandeurs, à […] (« l’immeuble Plessis »). Ils l’ont acheté en novembre 2011 du défendeur Gilles Bélisle.
[5] Le défendeur Jean-Guy Bergeron est le notaire instrumentant qui a préparé la déclaration de copropriété de l’immeuble des demandeurs ainsi qu’un des actes de vente portant sur l’immeuble Plessis. Il n’est pas visé par les conclusions en injonction.
[6] Étant donné la situation des deux immeubles et la configuration des espaces de stationnement, les propriétaires des lots voisins partagent le même passage charretier (dénivellation du trottoir) sur la rue Plessis pour accéder à leurs stationnements respectifs, qui sont adjacents. De plus, puisque trois des quatre espaces de stationnement des copropriétaires sont parallèles à la rue Plessis, ces derniers doivent passer par le stationnement des défendeurs afin d’accéder à leurs espaces de stationnement.
[7] Le défendeur Gilles Bélisle était un copropriétaire de l’immeuble des demandeurs de 1994 à 2005, lorsqu’il a acheté l’immeuble Plessis. Après son déménagement, monsieur Bélisle a continué à stationner son auto dans un des quatre espaces réservés aux copropriétaires.
[8] Les aires de stationnement sur les deux lots sont aménagées comme un ensemble. L’asphalte est continu entre les deux lots et jusqu’à la vente de l’immeuble Plessis aux défendeurs Dehling et Freyd, les propriétaires des deux immeubles contribuaient en parts égales au déneigement de l’espace commun. Le trottoir est abaissé uniquement devant l’entrée de la propriété des défendeurs. En 1992, la Ville de Montréal a planté un arbre sur le trottoir de la rue Plessis au niveau des stationnements des copropriétaires, empêchant tout accès de la rue à cet endroit.
[9] Depuis au moins 1994, Gilles Bélisle et les copropriétaires accèdent aux espaces de stationnement en passant par l’entrée de l’immeuble Plessis. Ce faisant, ils croyaient bénéficier d’une servitude de passage qui est mentionnée dans la déclaration de copropriété de l’immeuble des demandeurs et dans au moins un des actes de vente portant sur l’immeuble Plessis.
[10] En 2011, le syndicat demandeur a sommé Gilles Bélisle de ne plus stationner son auto dans les espaces réservés aux copropriétaires. C’est à ce moment que monsieur Bélisle a examiné l’acte de servitude en question et a découvert que le droit de passage grève d’autres propriétés de la rue Plessis et ne confère aucun droit aux demandeurs.
[11] Cette découverte a donné lieu à des échanges de correspondance entre les parties et leurs procureurs. Entre-temps, Gilles Bélisle a vendu l’immeuble Plessis aux défendeurs Dehling et Freyd en novembre 2011. En mai 2012, ces derniers entreprenaient l’érection d’une clôture entre les deux lots, ce qui a incité les demandeurs à leur signifier une requête en injonction en juillet 2012. Depuis cette date, les travaux d’érection de clôture sont suspendus.
[12] Les parties conviennent que pour obtenir une injonction interlocutoire, les demandeurs doivent démontrer, par une preuve prépondérante, qu’ils ont une apparence de droit, qu’ils subiraient un préjudice sérieux ou irréparable si l’injonction n’est pas accordée, et si leur droit est douteux, que la balance des inconvénients les favorise par rapport aux défendeurs[1].
[13] Les demandeurs font valoir que même s’ils ne bénéficient pas d’une servitude de passage conventionnelle, un propriétaire commun des deux immeubles voisins a créé, il y a plusieurs années, une servitude par destination du propriétaire[2] accordant aux demandeurs un droit de passage sur le terrain des défendeurs.
[14] De façon subsidiaire, les demandeurs plaident que le stationnement des copropriétaires est enclavé, et que le Tribunal devrait forcer les défendeurs à leur fournir le passage nécessaire à l’utilisation de leur fonds[3].
[15] Les demandeurs soutiennent que leur droit à l’injonction est clair et que si le recours n’est pas accordé, ils subiraient un préjudice sérieux en n’ayant pas accès à leurs espaces de stationnement.
[16] Les défendeurs répliquent que les demandeurs n’ont pas établi que les conditions nécessaires à l’existence d’une servitude par destination du propriétaire ont été remplies en l’espèce. De plus, ils avancent que s’il y a enclave, ceci est dû à la faute des demandeurs ou de leurs prédécesseurs, qui ne peuvent bénéficier de leur propre « auto-enclavement ».
[17] Enfin, les défendeurs soutiennent que s’ils érigent une clôture sur leur propriété, les copropriétaires ne subiraient aucun préjudice sérieux puisqu’ils peuvent stationner dans la rue. Ils sont d’avis que la balance des inconvénients les favorise puisqu’ils ne devraient pas être privés de leur droit de disposer de leur immeuble comme ils l’entendent.
[18] Les demandeurs ont-ils droit à l’émission d’une injonction interlocutoire?
[19] Selon la doctrine et la jurisprudence, au stade interlocutoire, le Tribunal n’a pas à déterminer de façon définitive si les demandeurs bénéficient d’un droit de passage sur le fonds des défendeurs, soit en vertu d’une servitude par destination du propriétaire, soit parce que le fonds des demandeurs est enclavé. Il suffit que le Tribunal constate que les demandeurs paraissent bénéficier du droit réclamé.
[20] Ainsi, les auteurs Gendreau et Thibault écrivent :
Le requérant (…) doit fournir une preuve prima facie suffisamment convaincante de l’existence des droits sur lesquels sa requête est fondée. À ce stade, le Tribunal n’a pas à déterminer de façon définitive tous les aspects des droits des parties ni à statuer de façon certaine sur ceux-ci[4].
[21] En l’espèce, les droits invoqués par les demandeurs sont contestés. Les demandeurs avancent que toutes les conditions nécessaires à la présence d’une servitude par destination du propriétaire sont présentes. Ils soutiennent que les deux fonds ont eu un propriétaire commun dans les années 1990, même si celui-ci, la société 135910 Canada inc., n’a pas détenu les deux immeubles de façon concomitante. Les demandeurs plaident que l’intention du propriétaire de créer un droit de passage est reflétée dans la déclaration de copropriété de 1992 ainsi que dans l’acte de vente par lequel 135910 Canada inc. a vendu l’immeuble Plessis à Gilles Bélisle en 1994. Selon les demandeurs, « l’arrangement permanent » des aires de stationnement confirme l’intention de créer une servitude de passage sur le fonds des défendeurs.
[22] Les défendeurs ne partagent pas cet avis et affirment qu’une servitude par destination du propriétaire ne peut exister que lorsque les deux fonds sont détenus en même temps par le même propriétaire. Les défendeurs sont d’avis que la consignation par écrit de la servitude en question est incomplète (la servitude de passage n’est pas mentionnée dans tous les actes de vente de l’immeuble Plessis) et que cette condition nécessaire à l’existence d’une servitude par destination du propriétaire n’est pas remplie.
[23] Les arguments avancés par les parties relativement à l’existence d’un droit de passage et le possible enclavement du terrain des demandeurs soulèvent plusieurs questions de faits et de droit qui ne peuvent être résolues par le Tribunal au stade interlocutoire, sur la base d’une preuve incomplète. Il s’agit de questions que le Tribunal, saisi du fond de l’affaire, aura à trancher. Cependant, il demeure que les moyens soulevés par les demandeurs à ce stade des procédures sont « suffisamment sérieux pour offrir une perspective raisonnable du succès »[5], et que les demandeurs ont fait la démonstration prima facie de l’existence des droits au soutien de leur requête. Le fait que les propriétaires des immeubles voisins agissent depuis vingt ans comme si les demandeurs bénéficient d’un droit de passage indique au Tribunal qu’il serait téméraire de conclure à ce stade que les droits invoqués par les demandeurs sont inexistants.
[24] Vu l’apparence du droit des demandeurs, il faut se demander s’ils risquent de subir un préjudice sérieux ou irréparable si l’injonction interlocutoire n’est pas accordée.
[25] Il est évident que si les défendeurs érigent une clôture entre les deux propriétés, les demandeurs seront privés de leurs espaces de stationnement pendant une période d’au moins plusieurs mois avant que la cause puisse être instruite. La conséquence serait que les demandeurs et les copropriétaires ne pourront pas exercer leur droit « d’user, de jouir et de disposer complètement » de leur bien[6] pendant ce temps. Cette limitation au droit de propriété des demandeurs leur causerait un préjudice sérieux.
[26] Enfin, puisque les droits des demandeurs ne sont pas clairs, il faut examiner la balance des inconvénients. De l’avis du Tribunal, la balance des inconvénients favorise nettement les demandeurs. L’érection d’une clôture causerait un inconvénient certain aux demandeurs, mais l’absence d’une clôture n’enlèverait pas aux défendeurs la possibilité de jouir de leur propriété de la même manière que leurs prédécesseurs depuis 1994. À cet égard, lorsque les défendeurs Dehling et Freyd ont acheté leur propriété en 2011, ils étaient au courant de la dispute entre les parties. Par conséquent, ils ne pouvaient raisonnablement croire pouvoir ériger une clôture avant que les droits des parties soient préalablement déterminés par le Tribunal.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[27] ACCUEILLE la requête des demandeurs;
[28] ÉMET une injonction interlocutoire pour valoir jusqu’au jugement final;
[29] ORDONNE aux défendeurs Marie-Sophie Dehling et Régis Freyd et à toute personne qu’ils contrôlent de s’abstenir d’ériger une clôture entre la propriété des demandeurs et celle des défendeurs Marie-Sophie Dehling et Régis Freyd;
[30] ORDONNE aux défendeurs Marie-Sophie Dehling et Régis Freyd et à toute personne qu’ils contrôlent de s’abstenir d’empêcher l’accès aux espaces de stationnement des demandeurs;
[31] DISPENSE les demandeurs de fournir un cautionnement;
[32] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ DAVID R. COLLIER, J.C.S. |
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Me Louis Charron |
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Avocats Montréal |
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Procureurs des demandeurs |
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Me Nick Hould |
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Janson Larente Roy Avocats |
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Procureurs des codéfendeurs Marie-Sophie Dehling et Régis Freyd
Date d'audience : 8 mai 2013 |
[1]
Article
[2]
Article
[3]
Article
[4] Paul-André GENDREAU, France THIBAULT et al., L’Injonction, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1998, p. 320.
[5]
Brassard c. Société zoologique de Québec inc.,
[6]
Article
AVIS :
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