Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, région de Montréal c. Conciergerie Speico inc. |
2013 QCCQ 12059 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
500-61-320436-117 |
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DATE : |
16 octobre 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. SERGE CIMON, JUGE DE PAIX MAGISTRAT |
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COMITÉ PARITAIRE DE L'ENTRETIEN D'ÉDIFICES PUBLICS, RÉGION DE MONTRÉAL |
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Poursuivant
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c. |
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CONCIERGERIE SPEICO INC |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le poursuivant reproche à la défenderesse d'avoir enfreint l'article 34 de la Loi sur les décrets de convention collective[1], en remettant à l'inspectrice Lise Pelletier un document ayant été sciemment altéré, plus particulièrement en masquant une partie de l'information inscrite sur une annexe d'un contrat conclu avec le sous-traitant 9212-5772 Québec Inc.
I - LE CONTEXTE FACTUEL
[2] La défenderesse, Conciergerie Speico Inc («Speico»), est spécialisée dans les services de conciergerie et d'entretien ménager depuis 1990.[2] Celle-ci utilise les services de sous-traitant pour effectuer l'entretien de certains édifices publics, notamment la compagnie 9212-5772 Québec Inc («9212»).
[3] Dans le cadre d'une vérification administrative, 9212 remet un certain nombre de documents au Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, région de Montréal (« Comité »). Parmi ceux-ci se trouve une annexe concernant le Sears de Joliette contenant la rubrique suivante:
(Pièce P-5: Annexe Sears Joliette provenant de 9212)
[4] Les documents remis par 9212 étant incomplets, le Comité requiert de Speico de lui fournir le contrat conclu avec 9212, ainsi que les annexes. Le 15 septembre 2011, Speico transmet au Comité l'information demandée.
[5] Après analyse, le Comité réalise que l'annexe concernant le Sears de Joliette est altérée, en ce que l'information concernant le nombre d'heures et le taux horaire a été masquée:
(Pièce P-7: Annexe Sears Joliette provenant de Speico)
[6] Madame Sandy Lopez, directrice-adjointe aux opérations chez Speico, admet avoir altéré l'annexe. Cependant, elle prétend que 9212 a remis au Comité, par erreur, un projet d'annexe. Ce projet d'annexe n'étant pas définitif, puisqu'il ne comporte aucune signature de Speico, pouvait être altéré.
[7] De plus, Speico indique qu'elle n'a jamais eu l'intention spécifique de frauder le Comité en lui transmettant l'annexe puisque celle-ci a été modifiée bien avant la demande du Comité et que les informations masquées ne sont nullement pertinentes. Speico soumet également qu'elle ne tire aucun avantage du fait d'avoir masqué cette information.
[8] Le Comité soumet de son côté qu'il n'a qu'à prouver une intention générale de la part de Speico pour que celle-ci soit reconnue coupable de l'infraction reprochée.
II - LES QUESTIONS EN LITIGE
[9] L'infraction reprochée comporte-t-elle une intention générale ou une intention spécifique?
[10] Le poursuivant prouve-t-il tous les éléments de l'infraction reprochée?
III- LE DROIT APPLICABLE
1. Loi sur les décrets de convention collective
[11] La Loi vise à assurer des conditions de travail décentes dans certains secteurs de l'industrie où les salariés comptent parmi les plus vulnérables[3] et à éliminer la concurrence déloyale.[4] Il s'agit d'une loi d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent se soustraire.[5] Comme loi remédiatrice, celle-ci doit de plus recevoir une interprétation large et libérale.[6]
2. L'élément matériel (actus reus) de l'article 34 de la Loi
[12] L'article 34 de la Loi édicte que:
«Quiconque, sciemment, détruit, altère ou falsifie un registre, une liste de paye, le système d'enregistrement ou un document ayant trait à l'application d'un décret, transmet sciemment quelque renseignement ou rapport faux ou inexact, ou attribue à l'emploi d'un salarié une fausse désignation pour payer un salaire inférieur, commet une infraction et est passible d'une amende de pas moins de 200 $ mais n'excédant pas 500 $ pour la première infraction, et d'une amende de pas moins de 500 $ mais n'excédant pas 3 000 $ pour toute récidive.»
[13] À la lecture du libellé de la disposition, il ressort clairement qu'il existe diverses façons de commettre l'élément matériel de l'infraction:
(1) sciemment détruire, altérer ou falsifier un registre, une liste de paye, le système d'enregistrement ou un document ayant trait à l'application d'un décret;
(2) transmettre sciemment quelque renseignement ou rapport faux ou inexact;
(3) attribuer à l'emploi d'un salarié une fausse désignation pour payer un salaire inférieur.
[14] La première façon concerne la conservation et la protection de l'intégrité de tout document: soit d'une perte (destruction), soit d'une modification (altération), soit d'une création ou d'un ajout (falsification). Ces actes sont interdits afin de permettre aux inspecteurs du Comité de remplir adéquatement leur mandat de surveiller et d'assurer l'observation du Décret sur le personnel d'entretien d'édifices publics de la région de Montréal (« Décret »).[7]
[15] À cet égard, il est non pertinent de savoir si la destruction, l'altération ou la falsification d'un document a eu lieu avant ou après une demande d'information formelle faite par un inspecteur en vertu de la Loi. En effet, ce n'est pas une telle demande qui fait naître ces interdictions, celles-ci s'appliquent dès la confection du document.
[16] Puisqu'elle opère dans un domaine d'activités réglementé, Speico se doit de prendre les mesures nécessaires pour conserver ses documents et en assurer une intégrité permanente afin d'en permettre une consultation adéquate par le Comité.
IV- L'ANALYSE
A) L'INFRACTION REPROCHÉE COMPORTE-T-ELLE UNE INTENTION GÉNÉRALE OU UNE INTENTION SPÉCIFIQUE?
1. Une infraction d'intention générale
[17] Les parties reconnaissent qu'en raison de l'utilisation du mot «sciemment» par le législateur, l'infraction prévue à l'article 34 de la Loi comporte un élément intentionnel que doit prouver le poursuivant.[8]
[18] Pour les motifs ci-après exposés, le Tribunal conclut que cette infraction n'exige qu'une intention générale d'accomplir un des actes prohibés, sans autre intention ou dessein.[9] Ainsi, l'élément intentionnel est présent dès qu'il est démontré qu'un défendeur a délibérément altéré un document ayant trait à l'application d'un décret, sauf dans le cas où son geste serait le résultat d'un accident ou d'une erreur.[10]
[19] Premièrement, comme l'explique le professeur Hugues Parent[11], l'inclusion de verbes positifs dans un texte, lorsqu'ils ne sont pas suivis ou précédés par une expression associée à la présence d'une intention spécifique, ce qui est le cas en l'espèce, est généralement un indicateur précieux de la présence d'une intention minimale.
[20] Deuxièmement, il est reconnu qu'une intention spécifique vient compléter une action principale en ajoutant à celle-ci la poursuite d'un but ultérieur ou un résultat qui excède l'accomplissement de l'action principale.[12] Or, aucun élément du libellé de l'article 34 de la Loi ne donne à penser que le législateur a voulu imposer une intention spécifique. À cet égard, l'article ne contient aucune expression telle que «aux fins de», «dans l'intention de» ou «dans le but de» qui indiquerait l'exigence d'une intention spécifique.
[21] Le législateur canadien offre plusieurs exemples d'infraction comportant un acte principal consistant à «altérer» un document auquel s'ajoute une intention spécifique[13], notamment l'article 397 du Code criminel qui prévoit:
«397. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, avec l’intention de frauder, selon le cas :
a) détruit, mutile, altère ou falsifie tout livre, papier, écrit, valeur ou document, ou y fait une fausse inscription;
b) omet un détail essentiel d’un livre, papier, écrit, valeur ou document, ou y altère un détail essentiel.
(2) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, avec l’intention de frauder ses créanciers, contribue à l’accomplissement d’une infraction visée au paragraphe (1)». (Notre emphase)
[22] Troisièmement, le législateur québécois a introduit, dans deux autres lois à caractère protecteur pour les travailleurs[14], des infractions de même nature que celles se retrouvant à l'article 34 de la Loi. Le Tribunal ne croit pas que celui-ci désirait imposer aux différents poursuivants un fardeau aussi lourd que de démontrer une intention spécifique pour ce genre d'infraction, sans l'exprimer expressément, compte tenu du contexte de ses lois qui visent la protection des travailleurs et l'intérêt public.
2. Distinction entre altérer et falsifier
[23] Le Tribunal considère que le législateur québécois fait une nette distinction entre l'altération d'un document et sa falsification.
[24] D'abord, comme le souligne le professeur Pierre-André Côté, le principe de l'effet utile en matière d'interprétation des lois enseigne qu'en:
« … lisant un texte de loi, on doit en outre présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles: il ne parle pas pour ne rien dire. »[15] (Notre emphase)
[25] De plus, le sens ordinaire du mot «altérer» ne comporte pas l'idée de fausseté, mais bien celle d'une atteinte à l'intégrité d'un document:
«Altérer»: Modifier en mal la forme ou la nature de; détériorer. Changer la vraie valeur, la vraie nature de qqch; dénaturer.[16]
«Altérer»: Provoquer l'altération de. (Modifier, transformer). Changer en mal. (Abîmer, corrompre, gâter).[17]
[26] C'est d'ailleurs le sens qui s'infère des articles 6 et 11 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information édictée par le même législateur:
«Article 6. L'intégrité du document est assurée, lorsqu'il est possible de vérifier que l'information n'en est pas altérée et qu'elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.
L'intégrité du document doit être maintenue au cours de son cycle de vie, soit depuis sa création, en passant par son transfert, sa consultation et sa transmission, jusqu'à sa conservation, y compris son archivage ou sa destruction.
Dans l'appréciation de l'intégrité, il est tenu compte, notamment des mesures de sécurité prises pour protéger le document au cours de son cycle de vie.
Article 11. En cas de divergence entre l'information de documents qui sont sur des supports différents ou faisant appel à des technologies différentes et qui sont censés porter la même information, le document qui prévaut est, à moins d'une preuve contraire, celui dont il est possible de vérifier que l'information n'a pas été altérée et qu'elle a été maintenue dans son intégralité.» [18]
[27] C'est également le sens que l'honorable juge Benoît Emery, de la Cour supérieure, donne au mot «altérer» dans l'arrêt 9031-2265 Québec inc. c. Brûlotte, Savoie & Associés:
«[35] Mais pire encore, le défendeur a altéré certaines pièces avant de les remettre au tribunal. En remettant certaines copies de factures qu'il s'était engagé à communiquer, le défendeur a masqué la description du dossier.
[36] Le procureur en demande s'est aperçu du subterfuge lorsqu'à la suite de la signification d'un subpoena à des clients, ceux-ci lui ont fait parvenir leur propre copie des factures qu'ils avaient reçues en 2003 du défendeur Charles Brûlotte. À titre d'illustration, le tribunal réfère à la facture numéro 1002-2003 que Charles Brûlotte a fait parvenir à son nom à Niedner Limitée. Sur l'une des copies de cette facture on retrouve la description du mandat soit « dossier équité salariale » alors que sur l'autre copie, la description du mandat a été effacée. Il en est de même de la facture numéro 1019-2003 où apparaît la description du dossier soit « dossier équité salariale ». Sur l'autre copie de cette même facture, Charles Brûlotte a fait disparaître la description du mandat.» [19]
(Notre emphase)
[28] Le Tribunal ne peut accepter la proposition de Speico à l'effet que l'altération et la falsification d'un document ne vise qu'une seule et même réalité. En effet, cette proposition ne tient pas compte de la présomption contre la suppression des termes applicables en interprétation des lois, tel que le souligne l'auteur Pierre-André Côté:
«Si la loi est bien rédigée, il faut tenir pour suspecte une interprétation qui conduirait soit à ajouter des termes ou des dispositions, soit à priver d'utilité ou de sens des termes ou des dispositions. Comme le rappelait récemment la Cour d'appel d'Ontario: « En général, un tribunal doit présumer que le législateur exprime ce qu'il veut dire et veut dire ce qu'il exprime.»[20]
3. L'arrêt 9146-3810 Québec Inc
[29] La défenderesse s'appuie sur l'arrêt rendu par l'honorable juge André Vincent, de la Cour supérieure, dans Comité paritaire de l'industrie de l'automobile des régions Lanaudière-Laurentides c. 9146-3810 Québec Inc,[21] pour prétendre que l'article 34 de la Loi nécessite la preuve d'une intention spécifique de frauder le Comité pour être reconnue coupable.
[30] Le Tribunal n'accepte pas les prétentions de la défenderesse sur cette question.
[31] Premièrement, le Tribunal souligne que cet arrêt concerne un élément matériel différent de celui du présent dossier, soit celui d'avoir transmis un rapport inexact.
[32] De plus, l'honorable juge Vincent ne mentionne aucunement que cette dernière infraction comporte une intention spécifique de frauder. Il prend plutôt bien soin d'indiquer qu'en l'espèce, vu le défaut par le Comité paritaire de prouver que 9146-3810 Québec était informée, avant l'envoi des rapports mensuels, que messieurs Ouimet et Desjardins devaient être considérés comme salariés au sens du Décret, celle-ci doit bénéficier du doute raisonnable.[22] En effet, avant la réception des constats d'infraction, 9146-3810 Québec inc avait toujours considéré ces messieurs comme des entrepreneurs indépendants. De plus, la défenderesse avait d'autres sous-traitants à qui elle confiait certains ouvrages, et ce, à la connaissance et avec l'approbation du Comité paritaire.
[33] Par ailleurs, il convient de rappeler les propos de l'honorable juge Westmoreland-Traoré dans la décision Comité paritaire des agents de sécurité c. Isra-Guard (I.G.S.) Sécurité Inc concernant l'infraction d'avoir transmis un rapport faux ou inexact en contravention de l'article 34 de la Loi:
«[126] I conclude that the prosecution has proved that the defendant was informed and continued to refuse to comply. As submitted by the prosecution, the defendant did not seek any procedure before an arbitre to determine coverage. The Court considers, however, that the Parity Committee could have acted more diligently from the time they received the initial complaint in April 2005. (…)
[129] Nor do I consider that it is necessary to prove a fraudulent strategy, to prove the infraction as in the file of Beaumier, cited above, I find that Defendant was informed and refused to comply.»[23] (Notre emphase)
[34] Subsidiairement, le Tribunal est en accord avec le professeur Hugues Parent lorsqu'il souligne que la nature et l'étendue de la mens rea varie selon l'infraction, et que seule une analyse détaillée de l'actus reus permet de déterminer celle-ci.[24]
[35] En l'espèce, l'action d'altérer un document ne contient pas l'aspect de fausseté lié à l'acte de falsifier un document. La seule altération suffit.
B) LE POURSUIVANT PROUVE-T-IL LES ÉLÉMENTS DE L'INFRACTION?
[36] La représentante de Speico, madame Lopez admet avoir altéré l'annexe en y apposant du «liquid paper.» Cela étant dit, le poursuivant démontre-t-il que Speico possédait l'intention générale d'altérer l'annexe?
[37] Les parties reconnaissent que le sort du présent dossier dépend entièrement de la crédibilité des témoins. Or, dans l'analyse de la crédibilité, le rôle du Tribunal n'est pas de choisir entre une version plutôt qu'une autre. Il s'agit de déterminer si, compte tenu de la preuve, le Tribunal éprouve un doute raisonnable quant à la culpabilité du défendeur.
[38] La Cour suprême du Canada [25] énonce la démarche à suivre devant une preuve contradictoire :
«Premièrement, si le Tribunal croit la déposition du défendeur, il doit l'acquitter;
Deuxièmement, après avoir pris en considération l'ensemble de la preuve, si le Tribunal ne croit pas le témoignage du défendeur, mais que sa défense soulève néanmoins un doute raisonnable, il doit l'acquitter;
Troisièmement, si le témoignage du défendeur ne soulève aucun doute raisonnable dans son esprit, le Tribunal doit examiner l'ensemble de la preuve et déterminer si la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable la culpabilité du défendeur.»
[39] Le Tribunal souligne que la crédibilité s'apprécie selon plusieurs facteurs, notamment: la consistance du témoignage et sa précision, sa cohérence, sa compréhension, la mémoire du témoin, la vraisemblance de ses propos, l'absence d'hésitation ou de réticence, l'absence de contradiction, son attitude, son comportement et sa sincérité.
1. Évaluation de la preuve de la défenderesse
[40] Pour les motifs suivants, le Tribunal ne retient aucunement le témoignage des deux témoins de Speico. De plus, sa défense de bonne foi et sa prétention à l'effet que la pièce P-5 ne constitue qu'un projet pouvant faire l'objet d'altération ne soulève aucun doute raisonnable.
a) Madame Sandy Lopez
[41] Le témoignage de madame Lopez est imprécis. Il comporte plusieurs contradictions et est d'une faible fiabilité. De plus, elle ne produit pas plusieurs documents[26] sur lesquels elle appuie ses prétentions.
[42] Ainsi, elle ne produit pas l'original de l'annexe concernant le Sears de Joliette, qu'elle prétend pourtant posséder dans ses dossiers. De plus, elle ne dépose pas en preuve le courriel qu'elle allègue avoir envoyé à monsieur Sevillano de la compagnie 9212 et dans lequel apparaîtrait sûrement l'indication que l'annexe, produit sous la côte P-5, n'est qu'un projet préliminaire. Le Tribunal trouve invraisemblable qu'on indique la mention «projet» dans un courriel et non sur l'annexe elle-même. Également saugrenu, le fait d'indiquer directement sur l'annexe le nombre d'heures et le taux horaire, alors qu'elle aurait pu mentionner cette information dans son courriel. En outre, madame Lopez ignore la date d'envoi du courriel qu'elle allègue avoir transmis.
[43] De plus, elle indique que la mention de 70 heures à l'annexe n'est nullement pertinente. Pourtant, elle mentionne qu'il s'agit d'un nombre d'heures déterminé spécifiquement par le directeur de comptes en prenant en considération la superficie[27] et l'achalandage d'un édifice. D'autre part, ce nombre d'heures lui sert de base pour attribuer une valeur au contrat et permet à 9212 d'évaluer la rentabilité de celui-ci.
[44] Madame Lopez spécifie également qu'elle n'exige pas un nombre d'heures particulier à 9212; que celle-ci peut effectuer le travail en 15 ou 80 heures. Or, monsieur Redouame Halim, agent de finances chez Speico, contredit cette affirmation lorsqu'il indique:
«On lui donne (au sous-traitant) le prix pour lequel on estime qu'il va être correct pour déclarer toutes ses heures. Ce qui est important pour nous c'est qu'il déclare toutes ses heures. C'est pourquoi de temps en temps on vérifie ses heures, parce que s'il ne déclare pas ses heures, c'est nous qui allons finir par les payer car on est responsable solidairement.»
[45] De plus, le fait que le contrat d'entreprise intervenu entre 9212 et Speico prévoit une retenue de garantie de 10 % de la valeur mensuelle du contrat, et ce, pendant 10 mois[28], notamment pour que la main d'œuvre soit payée conformément à la Loi, contredit l'assertion de madame Lopez à l'effet que Speico n'a aucun intérêt pécuniaire à surveiller les heures de 9212.
[46] Madame Lopez ignore la date de conclusion du contrat avec 9212 ainsi que la date effective du début de l'entretien du Sears de Joliette par 9212. Sa mémoire quant aux évènements sur ce point est tout à fait nébuleuse et même contradictoire. Ainsi, dans un premier temps, elle indique qu'entre le 1er et le 23 mars 2011, 9212 fait l'entretien du Sears de Joliette (malgré l'absence d'un contrat signé) pour en contre-interrogatoire admettre qu'il se peut que l'entretien ait été plutôt effectué par Speico.
[47] Également, madame Lopez ignore totalement la date à laquelle elle signe la version finale de l'annexe produite sous la côte P-7, celle-ci se limitant à indiquer qu'elle est postérieure à la date du début du contrat.
b) Monsieur Redouame Halim
[48] Le témoignage de monsieur Halim est de faible pertinence puisqu'il n'est nullement impliqué lors des négociations entre Speico et ses sous-traitants. Son rôle se limite à la transmission du contrat et ses annexes au Comité. De plus, sa mémoire des évènements est faible, comme le démontre son incapacité à déterminer s'il a envoyé tous les documents au Comité en une seule transmission ou en deux jours distincts. À cet égard, il indique ne pas avoir conservé la preuve écrite de l'envoi des documents.
[49] En ce qui concerne la détermination du nombre d'heures ainsi que le taux horaire indiqué à l'annexe, il mentionne que ceux-ci sont fixés, soit par madame Sandy Lopez, soit par madame Fernanda Diaz, contredisant alors Sandy Lopez qui indique que ceux-ci sont établis par le directeur de compte, monsieur Alberto Vega.
c) Monsieur Carlos Sevillo
[50] Le Tribunal souligne que Speico, soit par oubli ou par choix stratégique, n'a pas fait entendre le cosignataire de l'annexe, monsieur Carlos Sevillo. Or, puisqu'elle plaide une erreur de sa part, soit la remise du projet d'annexe au Comité, l'absence de ce dernier, alors qu'il est un témoin disponible, affecte la force probante d'une telle assertion.[29]
d) L'obligation de divulgation
[51] Subsidiairement, Speico allègue en défense que, puisqu'elle a altéré une information qu'elle n'était pas obligée de fournir légalement, elle ne peut être reconnue coupable de l'infraction. Le Tribunal ne peut retenir une telle prétention.
[52] D'abord, Speico n'explicite pas les dispositions sur lesquelles elle se base pour faire une telle affirmation. De plus, le Décret contient de nombreuses dispositions concernant la semaine de travail ainsi que le taux horaire payable à un salarié.[30]
[53] Également, les inspecteurs du Comité sont expressément autorisés de vérifier auprès de tout employeur et de tout salarié le taux du salaire ainsi que la durée du travail.[31]
[54] Le Tribunal souligne que le fait que par le passé, le Comité n'ait jamais exigé cette information ou que le formulaire « Informations sur les sous-traitants »[32] ne le mentionne pas n'est d'aucun secours pour Speico. En effet, l'ignorance de la loi n'est pas recevable et celle-ci étant une entreprise spécialisée dans un domaine d'activités particulier, se doit de prendre connaissance des lois et règlements qui s'appliquent à elle.
[55] De plus, même en acceptant sa prétention à l'effet qu'elle n'avait pas à fournir l'information altérée, la défenderesse ne peut unilatéralement décider si une information est utile ou non pour le Comité et s'autoriser à modifier un document en le masquant ou en le caviardant. Son obligation légale est de transmettre au Comité des documents dont l'intégrité n'a pas été affectée. À cet égard, le Comité est en droit de s'attendre que les documents qu'il reçoit n'ont pas fait l'objet de modification de quelle que nature que ce soit.
[56] Le Tribunal rejette également la prétention de Speico à l'effet que l'information altérée n'a aucune incidence économique à son endroit. En effet, elle est solidairement responsable avec son sous-traitant 9212 des obligations pécuniaires fixées par la Loi.[33]
2. Évaluation de la preuve du poursuivant
[57] Relativement au témoignage de madame Lise Pelletier, qu'il suffise de souligner que celle-ci a rendu un témoignage clair, fiable et cohérent des évènements. De plus, elle n'a jamais tenté d'improviser ses réponses. À cet égard, tant le contenu de son témoignage, que son aplomb n'amène qu'une seule conclusion: elle est un témoin crédible. Le Tribunal retient entièrement sa version des faits.
[58] Cela étant dit, la preuve démontre que l'annexe est un document ayant trait à l'application du Décret et Speico admet être assujettie à celui-ci. En ce qui concerne l'élément matériel de l'infraction, l'altération de l'annexe, celle-ci est reconnue par Sandy Lopez, directrice-adjointe chez Speico, qui avoue avoir masqué des informations.
[59] En ce qui a trait à l'élément intentionnel de l'infraction, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que lorsque madame Lopez a posé l'acte d'altérer l'annexe en question, elle savait ce qu'elle faisait et avait l'intention de faire ce qu'elle a fait, ce qui répond à l'exigence de l'intention générale de l'infraction.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
DÉCLARE la défenderesse coupable de l'infraction reprochée.
FIXE l'audition pour l'imposition de la peine à 9h30, le 6 novembre 2013, à la salle 5.06 du Palais de justice de Montréal.
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______________________________ Serge Cimon, Juge de paix magistrat |
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Me Christiane MORRISSEAU Me Sarah PROULX-DOUCET TRUDEAU NADEAU AVOCATS Procureures du poursuivant |
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Me Annie FRANCESCON Me Monique MÉNARD BERNARD & BRASSARD CONSEILLERS JURIDIQUES Procureures de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
18 octobre 2012 et 15 février 2013.
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Argumentation écrite de la défenderesse: 6 mars 2013.
Argumentation écrite du poursuivant: 11 mars 2013.
[1] L.R.Q. c. D-2, ci-après nommé la « Loi. »
[2] Pièce P-3: Registraire des entreprises.
[3] Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, [1994] 2 R.C.S. 406, 419.
[4] Pétroles Calex Ltée c. Comité paritaire de l'industrie de l'automobile de Montréal, EYB 1992-75325, par. 36 et 37.
[5] Article 11 de la Loi et Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, Région de Montréal c. Service d'entretien Clairvoyant (2002) Inc, 2006 QCCQ 1807, par. 10.
[6] Station de Ski Le Valinouët Inc c. Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics de la région de Québec, 1994 QCCA 5677, page 3.
[7] L.R.Q., c. D-2, r. 15.
[8] R. c. Pierce Fisheries Ltd, [1971] R.C.S. 5, 17 et R. c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, 1326.
[9] R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, 863. Côté-Harper, Rainville, Turgeon, Traité de droit pénal canadien, 4e édition, Éd. Yvon Blais, page 408, section 2.1.1.2.1.
[10] R. c. George, [1960] R.C.S. 871, 890.
[11] L'intention en droit pénal canadien: analyse dualiste d'un concept en pleine évolution. (2007) 41 R.J.T. 301, 327.
[12] Id., 327.
[13] Voir les articles 338 et 396 du Code criminel. L'article 125 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c. N-5. L'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu, LRC 1985, c. 1 (5e suppl.). L'article 5 de la Loi sur la protection de l'information, LRC 1985, c. O-5.
[14] L'article 139 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 et l'article 122 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'œuvre dans l'industrie de la construction, L.R.Q., c. R-20.
[15] Interprétation des lois, 4e édition, page 318, # 1047. Voir également, l'article 41.1 de la Loi d'interprétation du Québec, L.R.Q., c. I-16.
[16] Le Petit Larousse illustré, 2013, page 36.
[17] Le Petit Robert, 2011, page 74.
[18] L.R.Q., c. C-1.1
[19] 2006 QCCS 6349.
[20] Interprétation des lois, 4e édition, page 316, # 1042.
[21] 2010 QCCS 1800.
[22] Id. Paragraphes 58 à 62.
[23] 2008 QCCQ 4667.
[24] Discours sur les origines et les fondements de la responsabilité morale en droit pénal, 2001, Éditions Thémis, page 274.
[25] La Reine c. W.(D), [1991] 1 RCS 742.
[26] Béliveau, Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 20e édition, 2013, Éd. Yvon Blais et Thémis, # 642, page 275.
[27] Voir également l'article 3 a) du Contrat d'entreprise produit sous la côte P-7.
[28] Article 3 in fine du Contrat d'entreprise produit sous la côte P-7.
[29] R. c. Robidas, 2013 QCCQ 1705, par. 51 à 54.
[30] Voir notamment les articles 3.01, 6.01 et 10.02 par. 12.
[31] Paragraphe e) de l'article 34 de la Loi.
[32] Pièce P-8.
[33] Article 14 de la Loi.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.