Décision

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Girard (Syndic de)

2013 QCCS 6049

JA0775

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre commerciale)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

N° :

705-11-007278-097

 

 

 

DATE :

28 novembre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CLAUDE AUCLAIR, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

DANS L’AFFAIRE DE LA FAILLITE DE :

SYLVAIN GIRARD

Débiteur

et

JEAN-MARC POULIN DE COURVAL

Syndic/intimé

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Créancier/requérant

______________________________________________________________________

 

TRANSCRIPTION DES MOTIFS[1]

DU JUGEMENT RENDU SUR LE BANC LE 28 NOVEMBRE 2013

______________________________________________________________________

 

[1]           Le Tribunal rend jugement sur la procédure cotée 57 qui s’intitule « Audition préliminaire de la requête en appel de la décision du syndic rejetant une preuve de réclamation » et qui statue en partie sur la procédure Cote 47 du plumitif.

[2]           La « Requête en appel de la décision du syndic rejetant une preuve de réclamation » est présentée par le Procureur général du Canada suite à l’émission d’un avis de cotisation par l’Agence du revenu du Canada (ARC); j’appellerai ARC ou Procureur général comme étant la même partie.

[3]           Les parties ont convenu de soumettre au Tribunal la question suivante :

« En matière de faillite, lorsque l’Agence du revenu du Canada émet un avis de nouvelle cotisation postérieurement à la date de la faillite, doit-elle obtenir l’autorisation préalable de la Cour de faillite en vertu de l’article 69.4 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité? »

[4]           Les parties ont fait les admissions suivantes :

« 1.       Le débiteur Sylvain Girard a fait faillite le 15 mai 2009 […];

2.            En date du 16 juillet 2009, l’Agence du revenu du Canada, à titre de créancière garantie sur la résidence du failli, a déposé auprès du syndic une preuve de réclamation au montant de $89 225,43, ce qui correspondait au montant de l’avis de cotisation original […];

3.            En date du 22 janvier 2010, l’Agence du revenu du Canada a produit une preuve de réclamation amendée auprès du syndic, dans laquelle un montant de $731 774,46 s’ajoutait à titre de réclamation non garantie […];

4.            En date du 25 janvier 2010, l’Agence du revenu du Canada a émis des « Avis de nouvelle cotisation » attestant de l’ajout d’une réclamation de $731 774,46 […];

5.            Aucune opposition n’a été logée à l’encontre de cet avis de nouvelle cotisation par le syndic de faillite;

6.            En date du 23 février 2010, la réclamation garantie originale de l’Agence du revenu du Canada fut acquittée en totalité, pour la somme de $89 225,43 […];

Et un reçu-quittance a été émis.

7.            Entre le mois de mars 2010 et le mois de novembre 2012, le syndic a demandé des informations additionnelles de l’Agence du revenu du Canada et de la part du débiteur, concernant l’avis de nouvelle cotisation. Le syndic a obtenu des informations, puis a procédé à l’interrogatoire d’une représentante de l’Agence du revenu du Canada, ainsi que du débiteur Sylvain Girard;

8.            En date du 26 novembre 2012, le syndic a émis un avis de rejet de la preuve de réclamation amendée […];

9.            En date du 21 décembre 2012, l’Agence du revenu du Canada en a appelé du rejet de sa preuve de réclamation amendée; »

[5]           L’avis de rejet porte sur une réclamation du Procureur général du Canada de 454 501 $ d’intérêts et pénalités ainsi que de 306 497 $ en capital.

[6]           Le premier paragraphe de l’avis de rejet du syndic précise ce qui suit :

« (i)      la réclamation et la cotisation sous-jacentes ont été émises postérieurement à la date de la faillite;

(ii)           aucune autorisation d’intenter des procédures contre l’actif ou le débiteur n’a été sollicitée ou obtenue de la Cour supérieure du Québec, en vertu des dispositions de l’article 69.4 LFI;

(iii)          par conséquent, le syndic considère que l’avis de cotisation émis pour ladite somme de $731 774,46 $, et ce postérieurement à la date de la faillite, ne constitue qu’un simple état de compte, et non un acte introductif d’instance, amorçant le processus de contestation fiscal, lequel aurait requis une autorisation préalable de la Cour de faillite; »

[7]           Le syndic ne conteste pas que c’est à la Cour canadienne de l’impôt à statuer sur le quantum mais il conteste le fait que les délais enclenchés par l’avis de cotisation - émis après la faillite pour des dettes fiscales antérieures à la date de la faillite - couraient en l’absence d’une autorisation de continuer les procédures, suivant l’article 69 et suivants de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[2] (LFI).

[8]           Le syndic soumet que - pour que le délai de contestation de l’avis de cotisation puisse courir - l’ARC devait demander au Tribunal de faillite la permission de continuer les procédures - conformément à l’article 69.3 - car toutes les procédures sont réputées suspendues par le simple fait de la Loi puisqu’il considère qu’un avis de cotisation est une procédure au sens de l’article 69.

[9]           L’ARC réplique que l’avis de cotisation n’est pas une procédure mais un simple acte d’administration. Au surplus, elle plaide que le ministre doit émettre des avis de cotisation conformément à l’article 220(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu[3], et ce, sans aucune discrétion.

[10]        L’ARC s’appuie également sur deux jugements de notre Cour, soit l’affaire St-Pierre[4] et l’affaire de Gestion Manoir St-Sauveur[5]. Dans l’affaire St-Pierre[6], mon collègue Schrager mentionne :

« [23]    Une cotisation n'est pas un remède et n'est pas sujet à la suspension de recours dans l'article 69.3 LFI. Donc, elle peut être validement émise après faillite.

[24]       Dès réception des preuves de réclamation avec des cotisations amendées en avril 2008, le syndic disposait de 90 jours pour déposer un avis de contestation et une année supplémentaire pour chercher une extension de ce délai.

[25]       Ce processus lie le syndic. Le défaut par le syndic de suivre le processus d'appel prévu par les lois fiscales résulte dans la déchéance du droit d'appel. La cotisation est présumée véridique.

[26]       Cet état de droit est reconnu par une jurisprudence abondante.

Il s’appuie - entre autres - sur l’affaire de la Cour d’appel d’Ontario dans l’affaire Norris qui est perçue comme l'une des causes principales à ce sujet. Et je continue la citation du juge Schrager :

[…] La Cour d'appel d'Ontario cite avec approbation les jugements dans les affaires Trustee of Carnat Construction Co. V. Minister of National Revenue - MNR Canada et Re Selkirk (no. 2), et ajoute comme raisonnement que de donner le pouvoir au syndic de rejeter une preuve de réclamation des autorités fiscales basée sur une cotisation serait équivalent à accorder au syndic les pouvoirs que les législateurs ont accordés à la Cour du Québec et à la Cour canadienne de l'impôt. La Cour d'appel d'Ontario ajoute qu'aucune interprétation des dispositions de la LFI ne peut appuyer une telle conclusion. »

Et j’ajoute que ce n’est pas ce que le syndic plaide ici, dans notre présente affaire.

[11]        Avec égards pour mon collègue Schrager, tous les jugements sur lesquels il s’appuie sont antérieurs à l’arrêt de la Cour suprême dans M & D Farm Ltd[7]. Il en est de même du jugement du juge Chaput dans Gestion Manoir Saint-Sauveur[8]. Dans ces jugements, on ne discute pas si - oui ou non - il y a suspension automatique des recours en matière fiscale ou de l’application de l’art. 69.

[12]        Dans l’affaire M & D Farm[9], la Cour suprême avait à décider de la portée de l’article 23 de la Loi sur la protection des exploitations agricoles[10], de la Loi sur l’examen de l’endettement agricole[11] et de la Société du crédit agricole du Manitoba (SCAM).

[13]        Le syndic plaide donc que la Couronne est liée par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[12] en mentionnant - entre autres - dans ses notes et autorités :

« 23.    Il est établi que la Couronne, et donc l’ARC, sont liées par les dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (ci-après: « LFI »), et que leurs réclamations prennent rang à titre de réclamations ordinaires, sauf exceptions (comme par exemple dans le cas où une hypothèque légale a été publiée avant la faillite):

4.1 La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

86.(1) Dans le cadre d’une faillite ou d’une proposition, les réclamations prouvables - y compris les réclamations garanties - de Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province ou d’un organisme compétent au titre d’une loi sur les accidents de travail prennent rang comme réclamations non garanties. »

[14]        Quant à la portée générale de la suspension des procédures, le syndic ajoute :

« 24.    En vertu de l’article 69.3(1) LFI, aucune action, mesure d’exécution ou « autre procédure » ne peut être intentée ou poursuivie après la faillite d’un débiteur « en vue » du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite: »

[15]        Il cite - entre autres - l’article 69.3 où il y est mentionné :

« 69.3 […] à compter de la faillite du débiteur, ses créanciers n’ont aucun recours contre lui ou contre ses biens et ils ne peuvent intenter ou continuer aucune action, mesure d’exécution ou autre procédures en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite. »

C’est ce que nous enseigne l’article 69.3.

[16]        Le syndic réfère par la suite à l’arrêt Vachon c. Commission de l’emploi et de l’immigration[13] où :

« 25.     […] la Cour suprême du Canada était confrontée à une situation où, postérieurement à la faillite, la Commission de l’emploi et de l’immigration avait retenu des prestations d’assurance-chômage payables au débiteur afin de se rembourser de sa créance pré-faillite. La question en litige était donc la suivante […]:

La question qu’il s’agit de trancher est la suivante: le recouvrement du trop-perçu par voie de retenue sur les prestations subséquentes, dont l’intimée s’est prévalue, constitue-t-il, au sens du par. 49(1) [désormais 69(1)] de la Loi sur la faillite, un recours contre le débiteur ou contre ses biens, une action, exécution ou autre procédure qui se trouvait suspendu sauf, comme le prévoit cet article, avec l’autorisation du tribunal et aux conditions que ce dernier pouvait imposer? »

[17]        Le juge Beetz[14] avait mentionné dans son jugement que :

« C’est à juste titre, à mon avis, que l’appelant invoque la version anglaise du par. 49(1) de la Loi sur la faillite, où le mot « recours » est rendu par le mot remedy, lui donnant, ainsi qu’aux mots « autres procédures » (other proceedings) un sens très large qui vise toute espèce de tentative de recouvrement, tant judiciaire qu’extrajudiciaire. »

[18]        Et j’ajoute que c’est comme notre présente affaire où l’ARC - en émettant un avis de cotisation pour un montant supérieur - tente d’avoir un recouvrement supérieur au montant initial de l’avis de cotisation émis pré-faillite. Le juge Beetz[15] continue :

« […] les cours y ont eu raison à mon avis de donner, expressément ou implicitement, un sens large à la suspension des procédures décrétée par le par. 49(1) de la Loi sur la faillite. Ce sens large est d’ailleurs confirmé par l’insistance du législateur à écarter les recours tant contre le débiteur que contre ses biens.

Comme l’écrivent Houlden et Morawetz dans Bankruptcy Law of Canada, vol. 1, p. F-70.1, sous l’art. 49 de la Loi sur la faillite:

[TRADUCTION] Un créancier ordinaire non privilégié qui a une réclamation prouvable en matière de faillite ne peut obtenir le paiement de cette réclamation que sous réserve des conditions de la Loi sur la faillite et conformément à celle-ci. La procédure que prévoit cette loi exclut complètement tout autre recours ou procédure.

La Loi sur la faillite régit la faillite sous tous ses aspects. Il est donc normal que le législateur ait voulu suspendre tous les recours, les administratifs comme les judiciaires, afin d’assurer la réalisation de tous les objectifs de la loi.

Je suis donc d’avis que le par. 49(1) de la Loi sur la faillite a une extension suffisante pour comprendre un recouvrement par voie de retenue sur les prestations subséquentes comme celui dont il est question en l’espèce. »

(Le Tribunal souligne)

[19]        Dans ses notes et autorités, le syndic s’appuie également sur l’arrêt M & D Farm[16], jugement qui a examiné la portée de l’article 23 de la Loi sur l’examen de l’endettement agricole[17], lequel article 23 a un libellé semblable à l’article 69.3 LFI, où on y retrouve :

« 23.    […] ni intenter ou continuer des poursuites ou autre action, voie d’exécution ou procédure, judiciaire ou extra-judiciaire, pour le recouvrement d’une dette […] »

[20]        Et le syndic - dans ses notes et autorités - continue :

« 28.     Dans cette affaire, la ferme M & D s’était prévalue de la protection de cette législation fédérale. Postérieurement, la Société du crédit agricole du Manitoba (la SCAM) - créancier hypothécaire de la débitrice - s’était présentée à la Cour en vue d’obtenir, conformément à une loi provinciale, l’autorisation d’intenter une action en forclusion hypothécaire devant éventuellement mener à la prise de possession de la ferme.

29.        La ferme M&D n’avait pas comparu à l’occasion de cette audition parce qu’elle prenait pour acquis que la suspension décrétée par la loi fédérale était en vigueur.

30.        La Cour d’appel du Manitoba avait tranché en faveur de la SCAM, en parvenant à la conclusion « ...que l’ordonnance du 17 janvier 1994 ne soit pas une poursuite interdite par la suspension mais seulement une « condition préalable » à l’exercice d’une telle poursuite. » (p. 971)

31.        Devant la Cour suprême du Canada, la position du créancier demeurait la suivante (p. 975-976):

La SCAM soutient que l’autorisation qu’elle a obtenue sous le régime de la loi provinciale ne porte pas atteinte aux modalités de la suspension prévue par la loi fédérale. Selon elle, la demande d’autorisation est une étape préliminaire à l’exercice des poursuites interdites par la loi fédérale. Elle ne permet pas elle-même d’obtenir le « recouvrement d’une dette, le dégagement d’une valeur ou la prise de possession d’un bien détenu par l’agriculteur. » Elle n’est qu’une condition préalable à l’exercice de telles poursuites. […].

[...] Le juge Helper de la Cour d’appel du Manitoba a conclu, à la page 176, que:

...la demande d’autorisation n’est pas une poursuite au sens de l’art. 23 de la LEEA. La demande d’autorisation n’est pas « un recours contre les biens de l’agriculteur », et il ne s’agit pas non plus d’intenter ou de continuer « des poursuites ou autre action, voie d’exécution ou procédure, [...] », pour le recouvrement d’une dette. C’est une condition préalable à leur introduction... »

[21]        La Cour suprême du Canada rejette la position de la Cour d’appel du Manitoba. Elle mentionne[18] :

« Je crois que pour déterminer si l’art. 23 devrait être interprété de façon restrictive (comme l’a fait la Cour d’appel du Manitoba) ou de façon plus large (comme l’a fait le juge Clearwater), il faut examiner l’objet général de la Loi sur l’examen de l’endettement agricole fédérale, qui doit « s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet : […] »

[22]        Là, la Cour suprême réfère à la règle d’interprétation qu’elle avait émise dans l’affaire R. c. Z. (D.A)[19] :

« Les termes exprès utilisés par le législateur dans les dispositions pertinentes d’une loi, doivent être interprétés non seulement selon leur sens ordinaire mais également dans le contexte de l’esprit et de l’objet de la loi… »

[23]        Et la Cour suprême continue en citant le juge Iacobbuci dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd[20] :

« Bien que la Cour d’appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n’a pas accordé suffisamment d’attention à l’économie de la [Loi sur les normes d’emploi], à son objet ni à l’intention du législateur; le contexte des mots en cause n’a pas non plus été pris en compte adéquatement. »

[24]        Et la Cour suprême continue[21] :

« Appliquant cette méthode, je suis d’accord avec les appelants pour dire que dans la présente affaire, la Cour d’appel du Manitoba a trop limité la portée de l’art. 23 de la loi fédérale sans prendre convenablement en considération le régime fédéral plus large dans lequel s’inscrit l’art. 23. [...]

[…]

Compte tenu du régime législatif envisagé dans son ensemble, et notamment des brefs délais qu’il prévoit, je suis d’avis que le moratoire visé à l’art. 23 fait obstacle à la présentation d’une demande d’autorisation qui vise en fin de compte à recouvrer une créance ou à dépouiller l’agriculteur de sa terre ou d’un autre bien objet de la garantie. La forclusion, la prise de possession et la vente de terres agricoles hypothéquées comportent de nombreuses étapes et (comme le démontre l’avis de requête initial de l’intimée), de multiples procédures. Il est artificiel de détacher la demande d’autorisation de ce processus complexe et de prétendre ensuite qu’elle n’est pas visée par la suspension prévue à l’art. 23. »

(Le Tribunal souligne)

[25]        La Cour suprême du Canada indique également[22] :

« […] La demande d’autorisation n’entraîne pas elle-même la dépossession, mais elle oblige l’agriculteur à présenter une défense, ce qui nécessitera fort probablement le concours d’un avocat (bien que l’agriculteur soit par hypothèse insolvable) pour contre-interroger les auteurs des affidavits, préparer des affidavits pour faire opposition et s’occuper des ajournements, sans parler des dépenses et des perturbations suscitées par un procès. Et tout cela doit être fait au moment même où le bureau tente d’aider l’agriculteur à conclure avec les créanciers un arrangement qui rendrait ce procès inutile.

La demande d’autorisation prévue à l’art. 8 de la Loi sur la protection des exploitations agricoles familiales est si étroitement liée aux poursuites énumérées à l’art. 23 que, si l’on donne à l’article une interprétation fondée sur l’objet, elle est également interdite pendant la durée de la suspension visée à l’art. 23. Je devrais ajouter, incidemment, qu’à mon avis même une interprétation littérale du libellé de l’art. 23, isolée de son contexte plus large, n’étaye pas nécessairement le point de vue de la SCAM. La SCAM met beaucoup l’accent sur les termes « pour le recouvrement » […] Cependant, selon son sens ordinaire, le mot « for » signifie notamment « [w]ith a view to; with the object or purpose of: as preparatory to [...] [c]onducive to » […]. Le mot « pour » a un sens aussi étendu et marque « la destination figurée [...], le but, l’intention »; il signifie notamment « [e]n ce qui concerne », « [e]n vue de » (Le Grand Robert de la langue française […]). La demande d’autorisation est manifestement faite « [e]n vue de » déposséder définitivement l’agriculteur de sa terre. […]

(Le Tribunal souligne)

J’arrête la citation pour faire un parallèle avec notre affaire. Ici, l’émission d’un avis de cotisation a pour but d’obtenir un plus grand dividende à même des sommes que le syndic a réalisées et ça, au détriment des autres créanciers. Et je reprends la citation :

[…] Dans le contexte du régime fédéral, l’emploi de ces mots conduit à conclure que la demande d’autorisation est visée par l’interdiction frappant les « poursuites ou autre action, voie d’exécution ou procédure, judiciaire ou extra-judiciaire, pour le recouvrement d’une dette, le dégagement d’une valeur ou la prise de possession d’un bien détenu par l’agriculteur. »

À mon avis, cette conclusion rejoint les propos tenus par le juge Beetz relativement à une disposition de suspension comparable de la Loi sur la faillite […] »

Et là, la Cour suprême fait le lien avec l’affaire Vachon[23].

[26]        Par la suite, la Cour suprême mentionne[24] :

« […] il reste qu’une demande d’autorisation exige bel et bien « que le destinataire y réponde » et que « la position du demandeur [sera] grandement améliorée » si l’on ne s’y oppose pas avec succès. […] »

(Le Tribunal souligne)

[27]        Un parallèle avec notre avis de cotisation : si le débiteur fiscal ne conteste pas dans les 90 jours, la position du ministère est définitivement arrêtée et le quantum opposable par la suite.

[28]        Dans notre affaire, l’ARC soumet que l’avis de cotisation n’est qu’un moyen administratif. Le Tribunal ne partage pas cette opinion. L’avis de cotisation est le déclencheur du délai de contestation en vertu de l’article 152 du montant établi pour la créance fiscale. Il est l’équivalent d’une requête introductive d’instance. De plus, à défaut de contester dans le délai, la créance est réputée établie.

[29]        Si l’ARC veut - pendant la faillite, où tous les recours sont suspendus - pouvoir bénéficier du défaut du syndic de ne pas contester dans les 90 jours de l’avis d’opposition, elle doit demander la levée de la suspension. Dans la présente affaire, elle a émis l’avis de cotisation après la date de la faillite. Elle devait donc, en conséquence, demander la permission à la Cour de la faillite pour déclencher ainsi les délais de contestation, et ce, pour que l’avis de cotisation produise ses effets, y inclus le compte à rebours de la prescription du 90 jours pour disposer de l’avis d’opposition ou d’une contestation.

[30]        On peut voir un grand parallèle avec l’affaire M & D Farm[25] quand la Cour suprême mentionnait que le débiteur devait - face à la demande faite par le créancier - enclencher tous les moyens de contestation. Tant et aussi longtemps que l’avis de surseoir n’est pas levé, le délai ne peut courir - je me répète - car l’avis est le démarreur de toute la procédure de contestation.

[31]        L’ARC soulève que seule la Cour de l’impôt peut se prononcer sur le défaut d’agir. Est-ce que le syndic doit déposer cette demande devant la Cour de l’impôt? Le Tribunal ne partage pas cette opinion puisque c’est au Tribunal de la faillite de lever la suspension. Après, la Cour de l’impôt décidera du quantum de l’avis de cotisation.

[32]        L’ARC devait - devant le présent tribunal - obtenir la permission de poursuivre. Or, elle ne l’a pas fait. Elle est comme tous les autres créanciers ordinaires, la Loi s’appliquant à tous.

[33]        Le législateur est présumé être cohérent et logique; il n’a pas exempté l’ARC de l’application de l’article 69. S’il avait voulu clarifier ou diminuer la portée de l’article 69, il a eu maintes occasions de le faire, et ce, à plusieurs reprises lorsqu’il a apporté des amendements à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[26], et ce, tant après le jugement de M & D Farms[27] rendu en 1999 qu’après l’affaire Vachon[28] en 1985. Le Tribunal a examiné la Loi pour y constater un nombre important et appréciable d’amendements apportés à la Loi depuis 1985. Le délai ne peut donc courir puisqu’en droit, l’avis de cotisation n’était pas opposable.

[34]        Une certaine logique découle de l’obligation d’obtenir une autorisation de la Cour de la faillite puisque dans la majorité des situations, le syndic n’a pas l’information appropriée pour contester un avis de cotisation. C’est donc dire que si l’ARC veut absolument bénéficier de la prescription du délai de contestation, elle doit donc enclencher tous les mécanismes, et ce, afin que le syndic soit conscient qu’à défaut par lui d’agir la créance sera certaine, liquide et opposable à tous.

[35]        À titre d’exemple - dans le présent dossier - l’émission de la nouvelle cotisation entraînerait un dividende de plus de 70 % en faveur du gouvernement et au détriment des autres créanciers.

[36]        Tant et aussi longtemps que la suspension n’est pas levée, l’avis de cotisation post-faillite - pour des dettes fiscales antérieures à la faillite - n’a pas d’effet juridique les effets n’ont pas commencés à courir sinon il n’y aurait pas de suspension.

[37]        Quant à l’argument de l’ARC que le ministre ne peut refuser d’émettre un avis, le Tribunal précise que le ministre peut émettre un avis de cotisation mais ce dernier ne produit pas d’effet pendant la suspension, à moins de la levée de la suspension et - dès lors qu’il y aura levée - le départ des délais de contestation débuteront.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[38]        CONCLUT que l’ARC doit requérir l’autorisation du Tribunal de la faillite pour enclencher les délais de contestation d’un avis d’opposition si l’ARC veut bénéficier des effets d’un tel avis de cotisation non contesté pour une dette fiscale pré-faillite et émis après la faillite;

[39]        En conséquence, FIXE la requête en appel de la décision du syndic rejetant une preuve de réclamation (Cote 47 du plumitif) au 16 janvier 2014 pro forma;

[40]        LE TOUT, SANS FRAIS.

 

 

__________________________________

CLAUDE AUCLAIR, J.C.S.

 

Me Jean-Philippe Gervais

Pour le syndic/intimé

 

Me Julie Mousseau

MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA

Pour le créancier/requérant

 

Date d’audience :

20 novembre 2013

Date du jugement :

28 novembre 2013

Demande de transcription :

02 décembre 2013

Date de signature :

04 décembre 2013

 

 



[1]     Le jugement a été rendu sur le banc. Les présents motifs ont pu être modifiés, remaniés ou amplifiés pour en améliorer la présentation et la compréhension comme le permet l'arrêt Kellogg's Company of Canada c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 258, 259-260, le dispositif demeurant toutefois inchangé.

 

[2]     Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985) ch. B-3.

[3]     Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985) ch. 1 (5ième suppl.).

[4]     St-Pierre (Syndic de), 2011 QCCS 7499.

[5]     Gestion Manoir Saint-Sauveur inc. (Syndic de), J.E. 93-657.

[6]     St-Pierre (Syndic de), précité note 4, par. 23-26.

[7]     M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba, [1999] 2 R.C.S. 961.

[8]     Gestion Manoir Saint-Sauveur inc. (Syndic de), précité note 5.

[9]     M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba, précité note 7.

[10]    Loi sur la protection des exploitations agricoles familiales, CPLM c. F 15.

[11]    Loi sur l’examen de l’endettement agricole, L.R.C. (1985) c. 25, art 23.

[12]    Loi sur la faillite et l’insolvabilité, précité note 2.

[13]    Vachon c. Commission de l’emploi et de l’immigration, [1985] 2 R.C.S. 417, p. 422.

[14]    Id., p. 423.

[15]    Id., p. 426.

[16]    M & D Farm c. Société du crédit agricole du Manitoba, précité note 7.

[17]    Loi sur l’examen de l’endettement agricole, précité note 11.

[18]    M & D Farm c. Société du crédit agricole du Manitoba, précité note 7, p. 976.

[19]    R. c. Z. (D.A.), [1992] 2 R.C.S. 1025, p. 1042.

[20]    Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 23.

[21]    M & D Farm c. Société du crédit agricole du Manitoba, précité note 7, p. 976-977.

[22]    Id., p. 977-978.

[23]    Vachon c. Commission de l’emploi et de l’immigration, précité note 13, p. 426.

[24]    M & D Farm c. Société du crédit agricole du Manitoba, précité note 7, p. 981.

[25]    Id.

[26]    Loi sur la faillite et l’insolvabilité, précité note 2.

[27]    M & D Farm c. Société du crédit agricole du Manitoba, précité note 7.

[28]    Vachon c. Commission de l’emploi et de l’immigration, précité note 13.

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