Décision

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Benedetti c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l'UQAM (CSN)

2013 QCCA 2088

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No:

500-09-022227-110

 

(500-17-062079-101)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE:

3 décembre 2013

 

CORAM: LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

APPELANT

AVOCAT(S)

CLAUDIO BENEDETTI

Me Michel Jean Girard

Me Michel Girard Avocat

 

 

INTIMÉ

AVOCAT(S)

SYNDICAT DES CHARGÉES ET CHARGÉS DE COURS DE L'UQAM (CSN)

Me Isabelle Lanson

Laroche Martin

 

MISES EN CAUSE

AVOCAT(S)

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

 

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

 

 

 

Me Éric Thibaudeau

Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l.

 

En appel d'un jugement rendu le 8 novembre 2011 par l'honorable Marie-Anne Paquette de la Cour supérieure, district de Montréal.

 

NATURE DE L'APPEL:

Révision judiciaire

 

Greffière: Marcelle Desmarais

Salle: Antonio-Lamer

 

 

AUDITION

 

 

9 h 35 Argumentation par Me Michel Jean Girard.

9 h 46 Argumentation par Me Isabelle Lanson.

10 h 33 Argumentation par Me Éric Thibaudeau.

10 h 54 Réplique par Me Michel Jean Girard.

10 h 55 Fin de l'argumentation de part et d'autre.

10 h 56 Suspension de la séance.

11 h 24 Reprise de la séance.

PAR LA COUR:

Arrêt unanime prononcé par l'honorable Marie-France Bich, J.C.A. - voir page 3.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcelle Desmarais

Greffière d'audience

 


 

 

ARRÊT

 

[1]          L'appelant, M. Claudio Benedetti, chargé de cours chez la mise en cause l'Université du Québec à Montréal depuis 1982 ou 1983, est congédié le 29 juin 2009, congédiement qui prend effet à la fin du trimestre d’été 2009. Le motif du congédiement est le suivant : l'appelant aurait, à six reprises, fait de fausses déclarations relatives à son statut d’emploi.

[2]          La convention collective qui unit l'intimé Syndicat des chargées et chargés de cours de l'UQAM (CSN) et l’employeur prévoit en effet que la répartition des charges de cours se fait selon que les chargés de cours sont en situation de simple emploi (c’est-à-dire que leurs activités de chargés de cours auprès de l'UQAM constituent leur principale source de revenus) ou en situation de double emploi (lorsqu’ils ont d’autres activités rémunératrices). Chaque trimestre, le chargé de cours doit remplir un formulaire sur lequel il doit inscrire l’état de sa situation et révéler également l'ensemble de ses activités professionnelles. Un comité paritaire vérifie ces déclarations. S’il constate l’existence d’une fausse déclaration, le comité, par décision qui doit être unanime, recommande le congédiement à l’employeur, qui est lié par cette recommandation.

[3]          C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Le comité, après avoir entendu l'appelant (qui plaide essentiellement l'erreur), a conclu qu’il avait, par six fois, faussement déclaré être en situation de simple emploi. On peut noter tout de suite qu'en ce qui concerne les trois premières déclarations en question, il n'est pas impossible que le comité ait fait erreur; par contre, à compter de 2008, la convention ayant été modifiée, les trois dernières déclarations sont, apparemment du moins, problématiques.

[4]          L'appelant dépose un grief qui ne sera cependant pas porté à l’arbitrage (malgré une tentative de négociation avec l'employeur), l'intimé estimant nulles ses chances de succès.

[5]          Conformément aux articles 47.2 et s. C.t., l'appelant porte plainte contre l'intimé, lui reprochant d’avoir enfreint le devoir de représentation que consacre l’article 47.2 C.t.

[6]          Le 12 octobre 2010, au terme d’une décision particulièrement minutieuse et nuancée, la Commission des relations du travail, sous la plume du commissaire Benoît Monette, accueille la plainte. Pour l’essentiel, le commissaire estime que l'intimé a indûment refusé de porter à l’arbitrage un grief qui avait des chances de succès sérieuses, qu’il a traité l’affaire avec une certaine désinvolture, d’une manière passablement arbitraire assaisonnée de discrimination, sans même solliciter un avis juridique externe, ce qui aurait été de mise en l’espèce vu le caractère particulier de la situation. Il conclut que l'intimé ne s'est pas acquitté de son devoir de représenter l'appelant aux fins du grief de congédiement. Il renvoie donc l'affaire à l'arbitrage conformément à l'article 47.5 C.t. et condamne en outre l'intimé à verser à l'appelant une somme de 6 000 $ destinée à dédommager le salarié des frais encourus afin de défendre sa plainte.

[7]          L'intimé se pourvoit en révision judiciaire.

[8]          Le 8 novembre 2011, la Cour supérieure, district de Montréal, sous la plume de l'honorable Marie-Anne Paquette, donne gain de cause à l'intimé, casse la décision du commissaire Monette et rejette la plainte de l'appelant. Selon la juge, qui réévalue l'ensemble de la preuve et des moyens soumis au commissaire, la décision de celui-ci est en effet déraisonnable. Le commissaire aurait ainsi usurpé la compétence de l'arbitre en statuant sur le grief, en se substituant à l'intimé dans l'interprétation de la convention collective sans faire la démonstration de la fausseté du raisonnement de ce dernier, en ignorant « le principe voulant qu'un syndicat jouisse d'une certaine latitude dans l'évaluation et le traitement d'un grief »[1] et en négligeant les enseignements de la Cour suprême dans l'affaire Noël c. Société d'énergie de la Baie James[2] ainsi que ceux de notre cour.

[9]          La décision serait également déraisonnable en ce que le commissaire aurait imposé à l'intimé une obligation de consultation externe « déraisonnablement onéreuse dans les circonstances »[3] et contraire aux intérêts des salariés. La juge reproche ainsi au commissaire d'avoir fait fi de ce qu'un syndicat peut, pour des raisons d'équité générale et au bénéfice de l'ensemble des salariés, décider de ne pas porter un grief - même fondé - à l'arbitrage. « C'est probablement ce qui s'est produit dans le cas de M. Benedetti »[4], écrit la juge, qui conclut également que « [l]e standard onéreux retenu par la CRT inciterait un syndicat à une grande frilosité dans de telles circonstances »[5].

[10]       Avalisant le point de vue de l'intimé, la juge opine au passage que le congédiement de l'appelant serait de nature administrative[6] (alors que le commissaire a de son côté conclu au caractère disciplinaire du congédiement).

[11]       Finalement, la juge estime que la décision du commissaire serait déraisonnable parce qu'elle ne respecte pas les critères jurisprudentiels applicables. Le commissaire, en effet, écrit ce qui suit dans sa décision :

[98]      Le présent dossier sort un peu des sentiers battus puisqu'il comporte des éléments de mauvaise foi, de comportements arbitraires, discriminatoires et de négligence grave. Aucun des quatre critères prohibés par l'article 47 du Code ne justifie probablement à lui seul d'accueillir la plainte. Toutefois la somme des reproches prohibés retenus autorise la Commission à accueillir la plainte.

[12]       Or, selon la juge, cette conclusion ne fait pas partie des issues possibles du litige :

[85]      En l'espèce, la CRT reconnaît avec honnêteté que selon elle, il existe des éléments de mauvaise foi, de comportements arbitraires, discriminatoires et de négligence grave, mais qu'aucune des quatre conduites prohibées n'est démontrée [renvoi omis]. Ce faisant, la CRT ne conclut pas que l'accumulation des éléments qu'elle retient démontre une des conduites prohibées. Elle crée plutôt un critère supplémentaire, non prévu à l'article 47.2 du Code du travail, pour s'autoriser à accueillir la Plainte.

[13]       La juge reproche également au commissaire la « recherche avide d'une conduite prohibée »[7]. Elle tient en outre les propos suivants :

[91]      Le Tribunal est aussi d’opinion que la conclusion de la CRT, suivant laquelle le Syndicat aurait fait preuve de négligence grave et de conduite arbitraire en ne réagissant pas aux affirmations de l'Employeur voulant qu'il y ait rupture du lien de confiance avec M. Benedetti, est aussi déraisonnable. À cet égard, la CRT reproche au Syndicat de ne pas avoir réagi aux affirmations de l’Employeur, qui invoquait une rupture du lien de confiance, alors que la lettre de congédiement ne fait pas état d'une telle rupture.

[92]      Un rappel des éléments de base suffit à démontrer la nature déraisonnable de la conclusion de la CRT à cet égard. Les règles sur le double emploi revêtent une importance capitale pour les salariés. Le respect de ces règles se fait à partir de déclarations que les salariés déposent. L'Employeur reproche à M. Benedetti d'avoir produit plusieurs déclarations (trois (3) ou six (6), selon les interprétations) où il représente faussement sa situation d'emploi.

[93]      Dans ce contexte, est-il nécessaire que l'employeur mentionne expressément dans la lettre de congédiement que ces fausses déclarations à répétition ont émoussé sa confiance envers lui? Cela semble aller de soi. Selon le Tribunal, il est déraisonnable de taxer par la suite le Syndicat de négligence grave et de conduite arbitraire s'il ne s'insurge pas contre l'Employeur qui précise par la suite sa pensée et évoque une rupture du lien de confiance en raison des fausses déclarations.

[14]       Tout cela amène la juge à conclure de la manière suivante :

[94]      En somme, le Tribunal retient que la CRT a voulu élargir la portée de l'article 47.2 du Code du travail. Elle était par ailleurs bien consciente des limites de cette disposition et de la preuve dont elle disposait, tel qu'en fait foi le paragraphe 98 de la Décision. Sans doute guidée par la sympathie que lui inspirait le cas de M. Benedetti, la CRT s’est écartée des critères applicables et est allée trop loin. Cette erreur trahit un manque d’objectivité et un mépris du cadre juridique applicable qui mènent à une décision déraisonnable.

* *

[15]       Le 2 avril 2012, l'appelant obtient, en vertu de l'article 523 C.p.c., la permission d'appeler du jugement de la juge Paquette[8]. L'arrêt de la Cour souligne que :

[2]        La Cour estime par ailleurs que la requête satisfait au critère posé par l'article 26, 2e alinéa C.p.c., tant en ce qui a trait à l'application de la norme d'intervention qu'en ce qui a trait à l'étendue du devoir de juste représentation d'un syndicat à l'égard de ses membres eu égard à la nature du grief portant, en l'espèce, sur la clause de double emploi et le travail du comité paritaire chargé d'examiner ces questions.

* *

[16]       En tout respect pour la juge de première instance, la Cour estime qu'il y a lieu d'accueillir l'appel. Car si la juge, en effet, a bien identifié la norme de contrôle applicable - celle de la décision raisonnable -, elle ne l'a pas appliquée, choisissant plutôt de réévaluer l'entièreté de la preuve et des arguments présentés au commissaire et substituant sa propre opinion à celle de ce dernier.

[17]       Or, ce n'est pas ce genre d'exercice que commande, dans le cadre d'une révision judiciaire, l'application de la norme de la raisonnabilité.

* *

[18]       Il n'y a pas de débat sur la norme applicable en l'espèce. Les décisions de la Commission, organisme spécialisé, titulaire d'une mission juridictionnelle exclusive et protégé de surcroît par une disposition d'inattaquabilité absolue, sont ordinairement sujettes à révision judiciaire selon la norme de la raisonnabilité. Il existe quelques exceptions à cette règle : la question de la violation directe des règles de justice naturelle, les questions constitutionnelles, les questions de compétence au sens strict (vires) du terme, les questions de droit générales d'une importance capitale pour le système juridique et étrangères à son domaine d'expertise entraîneront plutôt l'application de la norme de la décision correcte[9].

[19]       Aucune des ces exceptions ne s'applique ici, le litige portant sur une question qui relève à tous égards de la compétence spécialisée, et même ultraspécialisée, de la Commission, puisqu'il s'agit d'interpréter les dispositions du Code du travail en rapport avec un sujet, celui des tenants et aboutissants du devoir de représentation syndicale, qui fait partie de son champ d'expertise exclusif. C'est donc bel et bien la norme de la décision raisonnable à laquelle on doit recourir.

[20]       Ainsi que l'écrivent les juges Bastarache et LeBel dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[10], cette norme signifie que :

[46]           En quoi consiste cette nouvelle norme de la raisonnabilité? Bien que la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes. La question de ce qui est raisonnable, de la raisonnabilité ou de la rationalité nous interpelle dans tous les domaines du droit. Mais qu’est-ce qu’une décision raisonnable? Comment la cour de révision reconnaît-elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et, plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?

[47]           La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[48]           L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut-être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif. Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 596, la juge L’Heureux-Dubé, dissidente. Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker, par. 65; Ryan, par. 49).

[49]           La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur. Comme l’explique Mullan, le principe de la déférence [traduction] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » : D. J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93. La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.

[50]           S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[Soulignements ajoutés.]

[21]       Or, tout en affirmant fonder son examen de la décision de la Commission sur la norme de la raisonnabilité, la Cour supérieure a plutôt entrepris sa propre analyse de l'affaire, suggérant même ce que devrait être le sens des dispositions de la convention collective, réappréciant les chances de succès du grief, donnant son avis sur la fausseté des déclarations reprochées à l'appelant, réévaluant à tous égards la conduite syndicale, proposant son interprétation de l'article 47.2 (interprétation très formaliste, d'ailleurs), pour conclure enfin au caractère déraisonnable des motifs et de la conclusion du commissaire, auxquels elle ne souscrit manifestement pas. Elle a imposé, dans les faits, ses propres vues.

[22]       Avec égards, cet exercice, qui aurait été de mise si la norme de la décision correcte avait été applicable (sous certaines réserves en ce qui concerne l'appréciation des faits), est contraire à la démarche que requiert l'application de la norme de la décision raisonnable.

[23]       Cela dit, la décision du commissaire est-elle raisonnable? On doit répondre à cette question par l'affirmative. Tant par le fond que la forme, elle est parfaitement intelligible[11], en ce qu'elle est lisible, claire et compréhensible, elle est transparente, reposant sur des motifs qui sont bien exprimés et qui correspondent à l'état du droit, un droit dont le développement, du reste, relève de la Commission et non des cours supérieures.

[24]       Sur ce point, il importe en effet de souligner 1° que la décision du commissaire Monette est conforme aux grands principes reconnus par la jurisprudence en matière de représentation syndicale et dont l'affaire Noël c. Société d'énergie de la Baie James, précitée, fait la synthèse et 2° que, au contraire de ce que lui reproche la juge de première instance, elle use précisément de l'approche flexible que recommande cet arrêt de la Cour suprême. Elle est également conforme à l'enseignement de la Cour suprême dans Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail[12], qui reconnaît que les syndicats ont une latitude moindre et, par conséquent, une obligation de représentation accrue lorsqu'ils doivent défendre les intérêts du salarié ayant fait l'objet d'une mesure disciplinaire ou, plus encore, d'un renvoi (ce qui est ici le cas, circonstance à laquelle le jugement de première instance n'accorde guère d'importance). Les moyens qu'ils peuvent être tenus de prendre en pareil cas peuvent donc être plus exigeants. Comme l'écrivent les auteurs Morin, Brière, Roux et Villaggi, même s'il n'y a pas de droit absolu à l'arbitrage en cas de congédiement, « [i]l va de soi qu'un syndicat ne peut assimiler un grief en congédiement à tout autre grief de nature pécuniaire »[13].

[25]       Soulignons également que le droit de la représentation syndicale ne s'est pas figé avec l'affaire Noël (ou avec l'affaire Centre hospitalier Régina). Certes, il s'agit là d'un jugement phare, mais, comme indiqué précédemment (voir supra, paragr. [23]), il demeure que c'est à la Commission que le législateur a confié le soin d'interpréter et d'appliquer l'article 47.2 C.t. et de façonner ainsi le corpus applicable, dans une perspective qui, cela va de soi, peut être évolutive.

[26]       Sur le plan factuel, la décision du commissaire Monette est tout aussi raisonnable et se trouve entièrement étayée par la preuve : il n'y a rien à redire à sa lecture et à son appréciation des événements et de la crédibilité des intéressés. Le fait de ne pas partager son point de vue sur tel ou tel élément de preuve n'est évidemment pas un motif suffisant d'intervention.

[27]       Quant à l'application du droit aux faits, la décision du commissaire, là encore, est rationnelle, logique et juste. On peut être d'avis que sa conclusion est sévère pour l'intimé, mais cette sévérité n'est ni contre-indiquée ni excessive et elle appartient assurément au spectre des issues possibles en la matière, vu l'ensemble des faits. En aucun cas ne peut-elle justifier une intervention de la Cour supérieure ou de notre cour.

[28]       Quelques mots enfin sur les erreurs précises dont la décision aurait été entachée, selon le jugement de première instance : usurpation de la compétence de l'arbitre de grief; imposition indue de l'obligation d'obtenir un avis juridique externe; mauvaise application des critères donnant ouverture au recours en vertu des articles 47.2 et s. C.t.

[29]       Tout d'abord, on ne peut pas reprocher ici à la Commission d'avoir usurpé la fonction de l'arbitre de grief. Il était naturel que le commissaire examine les chances de succès du grief, puisqu'il aurait été inutile de renvoyer à l'arbitrage, en vertu de l'article 47.5 C.t., un grief voué à l'échec, sans compter que les chances de succès ou d'insuccès du grief sont à considérer dans l'appréciation du comportement de l'intimé aux fins de l'art. 47.2. L'analyse qu'il fait de la question n'a évidemment rien de final et ne liera aucunement l'arbitre, qui demeure entièrement libre de statuer, à tous égards, sur le grief et de conclure autrement, à la lumière de la preuve et des arguments que lui présenteront les parties.

[30]       Il est vrai que le commissaire paraît convaincu du sérieux du grief et l'on pourrait même lire dans certains paragraphes qu'il le juge bien fondé. Cela aurait-il pu altérer la manière dont il devait examiner la conduite syndicale et vicier sa démarche? C'eût pu être le cas s'il avait stoppé là son analyse, pour sauter ensuite à sa conclusion, mais ce n'est pas ce qu'il a fait. Il lui a paru nécessaire - et on ne peut guère lui donner tort - de considérer le grief attentivement dans la mesure où son étude révélait les failles potentielles du processus de congédiement, que l'intimé a choisi d'ignorer. Rappelons du reste que « l'importance d'un recours et de ses conséquences pour le salarié constitue un facteur pertinent d'appréciation de l'exécution par le syndicat de son devoir légal de représentation »[14].

[31]       Or, les éléments que souligne le commissaire s'imposent en effet d'emblée à l'attention : que le congédiement de l'appelant soit disciplinaire plutôt qu'administratif est une inférence raisonnable, tant au regard du texte de la convention que des agissements de l'employeur; de même, il est raisonnable de conclure que, si la convention collective impose une mesure disciplinaire précise en cas de fausse déclaration sur la situation d'emploi, cela n'empêche aucunement l'arbitre de vérifier si les conditions d'imposition de cette sanction sont remplies. L'employeur, en l'espèce, était peut-être lié par la recommandation du comité de vérification, mais l'arbitre, lui, ne l'est pas et peut conclure que ce comité a mal évalué la situation et indûment recommandé un congédiement que la convention et les faits ne justifiaient pas, ce qui affecte évidemment la décision patronale qui a donné suite à cette recommandation.

[32]       Ensuite, quant à l'obligation d'obtenir un avis juridique externe, il faut bien constater que le commissaire n'en fait aucunement une exigence générale qui s'imposerait désormais dans tous les cas. Il estime plutôt simplement que, dans les circonstances, il eut été nécessaire, pour compléter la démarche d'enquête de l'intimé, de procéder à une consultation externe. Comme l'écrit le commissaire, après avoir rappelé l'importance cruciale des dispositions de la convention collective en matière de double emploi :

[92]      C'est dans ce contexte très particulier qu'il faut comprendre la frilosité du syndicat à défendre le plaignant, voire l'hostilité à son endroit. Monsieur Benedetti s'est déclaré en situation de simple emploi alors qu'il était techniquement en double emploi. Et encore, dans l'un des trois cas, sa déclaration date du 18 juin 2008 alors que la nouvelle clause est entrée en vigueur le 2 juin de la même année.

[93]      Déchirés entre leur devoir de loyauté envers le syndicat et ses membres et son obligation de défendre les intérêts du plaignant, les représentants syndicaux n’ont pas jugé bon de soumettre le dossier à un tiers afin d'obtenir une opinion juridique indépendante.

[33]       La situation était singulière et la prudence aurait voulu que l'intimé, plutôt que d'abandonner le grief, mesure radicale, obtienne un avis juridique indépendant. On ne peut voir dans cette appréciation, vu le contexte, la marque d'une décision déraisonnable. Quoi qu'il en soit, la décision du commissaire n'est pas fondée que sur cet élément, qui s'ajoute à bien d'autres.

[34]       Parlant d'ailleurs de ce que devait considérer le commissaire afin de conclure à l'insuffisance de la représentation syndicale en l'espèce, répétons qu'il a considéré tout ce qu'il devait l'être. Qu'il ait vu dans le comportement de l'intimé un mélange d'attitudes tout à la fois discriminatoires, négligentes et arbitraires, qui, ensemble, constituent un manquement au devoir de représentation qu'impose l'article 47.2 C.t. ne saurait être vu comme une erreur. Les catégories qu'énumère cette disposition ne sont pas des compartiments étanches, comme semble le croire l'intimé, et il n'est aucunement déraisonnable de conclure à la violation de cette disposition sur la base d'une série de fautes cumulatives dont chacune, à elle seule, n'aurait peut-être pas emporté une telle conclusion, mais dont l'ensemble révèle le caractère gravement déficient de la représentation syndicale.

[35]       Le traitement accordé au grief de l'appelant, et c'est ce qui ressort de la décision du commissaire, a été superficiel et axé uniquement sur la protection d'intérêts supposément collectifs, avec fort peu d'égards pour les faits particuliers de l'espèce. À tout le moins cette conclusion appartenait-elle à la gamme des issues raisonnablement possibles au regard des faits et du droit et cela aurait dû suffire à entraîner le rejet de la requête en révision judiciaire.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[36]       Accueille l'appel, avec dépens;

[37]       INFIRME le jugement de première instance;

[38]       REJETTE la requête amendée en révision judiciaire, avec dépens;

[39]       RÉTABLIT la décision de la Commission des relations du travail du 12 octobre 2010.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 



[1]     Jugement de première instance, paragr. 49.

[2]     [2001] 2 R.C.S. 207.

[3]     Jugement de première instance, paragr. 69.

[4]     Jugement de première instance, paragr. 71.

[5]     Jugement de première instance, paragr. 71.

[6]     Jugement de première instance, paragr. 74.

[7]     Jugement de première instance, paragr. 87.

[8]     Benedetti c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l'UQAM (CSN), 2012 QCCA 647.

[9]     Sur le tout, voir : Syndicat des travailleuses et travailleurs de ADF - CSN c. Syndicat des employés d’Au Dragon forgé inc., [2013] R.J.Q. 831 (C.A.), qui fait le tour de la question.

[10]    [2008] 1 R.C.S. 190.

[11]    Encore que la perfection dans la rédaction des motifs ne soit pas le standard à respecter : même des motifs médiocres (et les motifs du commissaire Monette ne le sont pas, au contraire) peuvent être raisonnables. Voir notamment, par analogie : Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187, 728, 1163 c. Brideau, 2007 QCCA 805, J.E. 2007-1265.

[12]    [1990] 1 R.C.S. 1330.

[13]    Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l'emploi au Québec, 4e éd., 2010, paragr. V-92, p. 1593.

[14]    Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec, sous la dir. de Yann Bernard, André Sasseville, Bernard Cliche et Jean-Guy Villeneuve, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 2013, paragr. 560, p. 512.

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