Droit de la famille — 133554 |
2013 QCCA 2176 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-09-008093-137 |
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(655-12-003843-089) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
13 décembre 2013 |
CORAM : LES HONORABLES |
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q. (JD1739) |
PARTIE APPELANTE |
AVOCAT |
A... C...
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Me KENNETH GAUTHIER (ABSENT)
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCATE |
H... J...
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Me NANCY LEBLANC (ABSENTE) (Leblanc, Dostie)
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En appel d'un jugement rendu le 12 juin 2013 par l'honorable Paul Corriveau de la Cour supérieure, district de Baie-Comeau. |
NATURE DE L'APPEL : |
Pension alimentaire |
Greffière : Marianik Faille (TF0891) |
Salle : 4.33 |
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AUDITION |
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9 h 30 |
Continuation de l’audition du 11 décembre 2013; |
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Arrêt. |
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(s) |
Greffière audiencière |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] L'appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 12 juin 2013 par l'honorable Paul Corriveau de la Cour supérieure, district de Baie-Comeau, qui a accueilli la demande de l'intimé en diminution de la pension alimentaire.
[2] Les parties ont eu quatre enfants en huit ans de vie commune, prenant fin en 2008. Lors de la séparation, l’intimé, thanatologue, avait un revenu annuel de $90,000 $ pour les fins de la pension alimentaire pour enfants. En 2011, ce revenu n’était plus que de 66 900 $.
[3] En 2012, l’entreprise familiale de pompes funèbres est vendue et l’intimé, qui en avait été actionnaire, est congédié deux mois plus tard. Après 45 semaines d’assurance-chômage, il reste sans emploi, ayant effectué entre novembre 2012 et 2013 deux démarches de recherche d’emploi, dont l’une (comme chauffeur de camions sans détenir les permis requis) peut tout au plus être qualifiée de symbolique.
[4] Acceptant sans réserve les prétentions de l’intimé quant à sa situation de travail, le juge de première instance a réduit à 413 $ par mois une pension alimentaire qui, au jugement de divorce, avait été établie à 1 675 $ par mois.
[5] L’intervention en appel sur une erreur de fait est rare, mais elle existe néanmoins. Les circonstances auxquelles prétend l'intimé sont éminemment suspectes. Ses démarches postérieures à son congédiement ne satisfont pas son obligation de se comporter raisonnablement pour répondre à son obligation alimentaire.
[6] Au-delà de la question de la perte volontaire d’un emploi, même en acceptant que le juge ait eu raison de conclure qu’il ne fallait pas tenir l’intimé responsable de sa perte d’emploi, la jurisprudence de cette Cour a fréquemment reproché à un débiteur alimentaire des choix personnels incompatibles avec ses obligations alimentaires, surtout en présence d’une possibilité réaliste de générer des revenus[1]. La mauvaise foi du débiteur n’est donc pas nécessaire :
It is not necessary to show that the debtor of support is in bad faith by avoiding work, but it suffices that it is reasonable to impute income based on an availability and potential to earn income at the relevant level.[2]
[7] Le débiteur alimentaire a l’obligation de se comporter comme l’aurait fait un débiteur alimentaire raisonnable dans sa situation. Le comportement du débiteur doit donc être mesurée à l’aune de ses obligations alimentaires. Une décision « légitime dans certaines circonstances » peut néanmoins être « inopportune » lorsqu’elle « a pour effet de priver les […] enfants de ressources essentielles à leur bien-être ».[3]
[8] La fixation de revenu peut s’imposer en présence d’une décision consciente et assumée de refuser un emploi, tenant compte des efforts déployés, de l’âge, des possibilités réelles d’emploi et d’autres facteurs pertinents de même nature. Il ne s’agit pas d’une pure question de choix individuels.[4]
[9] Dans C.S. c. M.G., la juge Bich, pour la Cour, rappelait que la liberté des ex-époux était dorénavant restreinte en raison de leur statut de parent :
[27] Bien sûr, en cas de divorce, chacun des ex-conjoints perd une mesure importante de liberté en ce que ses choix, s’ils ont des répercussions alimentaires, seront examinés et, même, contrôlés, particulièrement lorsqu’il est question de la pension payable au bénéfice des enfants. Tout d’abord, la loi oblige les ex-conjoints, lorsqu’ils sont parents, à un partage strict des charges financières rattachées aux enfants, sur la base des revenus respectifs de chacun, et il importe que les choix de l’un n’imposent pas un fardeau démesuré ou injuste à l’autre. D’autre part, il importe également que les choix professionnels d’une partie n’aient pas pour effet de lui permettre de se soustraire à son obligation alimentaire ou n’infligent à son créancier des contraintes exagérées ou inacceptables compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le divorce n’entraîne cependant pas le gel de la condition des parties et n’établit pas à perpétuité le cadre financier des relations qui existent entre elles ou celui des relations qui existent entre elles et leurs enfants. Ce cadre peut évidemment se modifier ou se transformer selon les aléas de la vie et l’évolution de la situation des parties et de leurs enfants, dans la mesure où se produisent des changements significatifs.[5]
[soulignement ajouté]
[10] Le juge Pierre C. Gagnon de la Cour supérieure soulignait l’obligation qui incombait dorénavant aux parents de répondre aux besoins de leurs enfants :
[13] Il faut comprendre la façon dont fonctionne notre collectivité : lorsque deux parents mettent un enfant au monde, c’est leur responsabilité primaire de s’en occuper. On demande aux parents de déployer tous les efforts pour être responsables de leurs enfants à tous égards, notamment sur le plan financier. C’est seulement en seconde ligne qu’on demande à leurs concitoyens, les contribuables qui paient des impôts, de financer ainsi l’aide sociale qui vient à la rescousse de parents qui n’en sont pas capables. Comme prérequis, ce mécanisme d’entraide requiert un effort suffisant de la part de chaque parent, à moins qu’il soit établi, que ce parent soit dans l’incapacité, pour une raison physique ou autre, de générer des revenus lui permettant de veiller financièrement sur les enfants.[6]
[soulignement ajouté]
[11] Dans C.S. c. M.G., la juge Bich allait même plus loin en laissant entendre qu’une réorientation professionnelle reposant pourtant sur des motifs légitimes et raisonnables devait aussi éviter de faire porter un fardeau excessif aux enfants :
[25] Toutefois, les tribunaux ne sont pas réfractaires à la démarche de réorientation professionnelle lorsque cette démarche repose sur des motifs légitimes et raisonnables (la perte d’un emploi, par exemple, ou des problèmes de santé) et qu’elle n’impose pas de restrictions excessives aux bénéficiaires de l’obligation alimentaire, en l’occurrence les enfants, ou ne mette pas leur bien-être en péril.[7]
[note omise; italique dans l’original; soulignement ajouté]
[12] Dans plusieurs autres provinces, la possibilité d’imputer à une partie le revenu raisonnable qu’elle devrait gagner est également reconnue. Payne et Payne expliquent l’opinion de la majorité des cours d’appel[8], opinion à laquelle ils adhèrent :
Although such deliberate or reckless conduct, where it exists, weighs heavily in the exercise of the court’s discretion to impute income to a parent, the proper test for the judicial imputation of income to a parent pursuant to section 19(1)(a) of the [Federal Child Support Guidelines] is perceived in the aforementioned appellate judgments as being a test of reasonableness. According to this criterion, the court must have regard to the parent’s capacity to earn in light of such factors as employment history, age, education, skills, health, available employment opportunities, and standard of living enjoyed during the marriage.[9]
[soulignement ajouté]
[13] L’on peut dégager de ce qui précède les principes suivants : premièrement, la négligence d’un débiteur alimentaire est suffisante pour lui imputer un revenu supérieur à son revenu réel, en fonction des revenus qu’il aurait pu raisonnablement générer. Deuxièmement, la satisfaction de l’obligation alimentaire doit être modulée en fonction des circonstances familiales. Or, en l’espèce, l’obligation alimentaire est d’autant plus importante que les parties ont quatre enfants.
[14] Il était déraisonnable pour le juge de première instance de conclure que l’intimé avait satisfait à son fardeau de trouver un nouvel emploi. Le juge n’a pas appliqué les principes exposés ci-dessus en analysant le comportement de l’intimé.
[15] Rappelons les faits pertinents. Sept mois se sont écoulés entre le congédiement de l’intimé (29 octobre 2012) et le procès (3 juin 2013). En sept mois, l’intimé a fait une seule démarche sérieuse de recherche d’emploi.
[16] Lors du procès, l’intimé n’avait d’ailleurs aucune idée d’une future réorientation professionnelle et n’avait fait aucune consultation pour savoir dans quel domaine il pourrait suivre des cours. Lorsqu’il est contre-interrogé sur ses futures démarches de recherche d’emploi, l’intimé répond :
Q |
Puis quelles sont les autres démarches que vous avez faites, monsieur J...? |
R |
Bien, peut-être des cours du soir vont être nécessaires, de la formation additionnelle mais que je sois branché dans ce que je vas m’orienter. |
Q |
Les cours du soir. Vous parlez… pourquoi pas des cours dans le jour? Vous êtes disponibles, vous n’avez pas d’emploi à date? |
R |
C’est une possibilité. |
Q |
Oui. |
R |
Merci du conseil. |
Q |
D’accord. Vous n’y avez pas pensé avant aujourd’hui? |
R |
Bien, les cours se donnent l’automne prochain. Ça fait que… |
Q |
En quoi? |
R |
Je n’ai pas consulté encore. |
[17] Depuis son congédiement, l’intimé prend simplement du temps pour s’occuper de son père, sans pour autant prétendre être un aidant naturel.
[18] L’appelante, quant à elle, témoigne que le rythme de vie de l’intimé n’a pas changé depuis la perte de son emploi :
R |
[…] [I]l habite toujours la même maison, une grande maison de six (6) chambres, trois (3) salles de bain, un gros garage. J’ai remarqué qu’il s’était acheté une nouvelle voiture aussi assez dispendieuse, plus que je suis capable, moi, de me permettre malgré que j’ai quatre (4) enfants à voyager. |
[19] Bref, l’attitude de l’intimé semble très éloignée du comportement que devrait avoir un parent raisonnable. Les quatre enfants de l’intimé ont « droit au support financier de leur père »[10]. Ce dernier se devait dans les circonstances de faire des démarches plus que minimales pour trouver un emploi de façon à remplir son obligation alimentaire. La jurisprudence permet d’utiliser l’article 825.12 C.p.c. pour tenir compte de ce type de négligence. Or, le salaire annuel qu’a attribué le juge à l’intimé est à peine équivalent au salaire minimum en vigueur[11].
[20] Il est possible qu’en faisant des démarches actives de recherche d’emploi l’intimé ne réussisse pas à se trouver un emploi plus rémunérateur, mais dans les circonstances, il n’a pas démontré à la Cour qu’il a pris des mesures raisonnables pour s’acquitter de ses obligations. Cela justifie l’intervention de la Cour et, comme remède, l’attribution d’un revenu.
[21] Le salaire antérieur de l’intimé fournit une balise appropriée. Il gagnait, avant son congédiement, près de 70 000 $ annuellement. La Cour estime qu'il est raisonnable de lui imputer un salaire de 50 000 $ par année.
[22] Reste la demande de l’appelante d’être informée de tout changement à la situation financière de l’intimé, formulée par amendement lors des plaidoiries en première instance et lors de l’audition de l’appel. La Cour est d'avis de permettre un tel amendement, lequel ne nécessite aucune preuve nouvelle (articles 200, 205 et 509 C.p.c.).
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[23] ACCUEILLE l’appel en partie, sans frais;
[24] INFIRME en partie le jugement de première instance;
[25] ÉTABLIT le revenu annuel de l’intimé à 50 000 $ aux fins de la fixation de la pension alimentaire payable à l'appelante pour les besoins des enfants;
[26] MODIFIE le paragraphe [120] du jugement de première instance et ORDONNE à H... J... de verser à A... C..., pour les enfants, une pension alimentaire mensuelle de 1 031,66 $ (12 379,92 $ annuellement) rétroactivement au 1er janvier 2013, avec indexation annuelle selon la Loi;
[27] ORDONNE à chaque partie de fournir à l'autre une copie des documents suivants :
- déclarations fiscales annuelles, fédérale et provinciale, incluant toutes les annexes utilisées, mais non les pièces justificatives, dans les 30 jours de leur transmission au ministère du Revenu, mais au plus tard le 15 juin de chaque année;
- de tous les avis de cotisation, dans les 15 jours de leur réception;
[28] Les autres conclusions du jugement dont appel demeurant inchangées.
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NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q. |
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JULIE DUTIL, J.C.A. |
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JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
[1] F.L. c. R.N., 2005 QCCA 498; J.-P.M. c. G.D., (J.E. 2001-15 (C.A.).
[2] Droit de la famille - 133207, 2013 QCCA 1989, par. 89. Voir aussi Droit de la famille - 1275, 2012 QCCA 87, par. 34; Kowalewich v. Kowalewich, 2001 BCCA 450, par. 40, 155 B.C.A.C. 143.
[3] Droit de la famille - 3140, J.E. 98-2131 (C.A.). Voir aussi Droit de la famille - 111504, 2011 QCCA 979.
[4] Droit de la famille - 1744, [1993] R.D.F. 319, 320 (C.A.).
[5] C.S. c. M.G., 2005 QCCA 702, paragr. 27, [2005] R.D.F. 538.
[6] Droit de la famille — 071490, 2007 QCCS 2961.
[7] C.S. c. M.G., 2005 QCCA 702, paragr. 27, [2005] R.D.F. 538.
[8] Colombie-Britannique, Manitoba, Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse et Ontario.
[9] Julien D. Payne et Marilyn A. Payne, Canadian Family Law, 4e éd., Toronto, Irwin Law, 2011, p. 446. Les auteurs expliquent ensuite que cette jurisprudence n’a pas convaincu la Cour d’appel de l’Alberta.
[10] Droit de la famille — 111504, 2011 QCCA 979, paragr. 3.
[11] À 40 heures de travail par semaine, le salaire minimum annuel en vigueur au Québec est de 21 112 $ (art. 3 du Règlement sur les normes du travail, R.R.Q., c. N-1.1, r. 3).
AVIS :
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