Brodeur et Centre de services partagés du Québec |
2013 QCCFP 25 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER No : |
1300977 |
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DATE : |
20 décembre 2013 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Me Robert Hardy |
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THÉRÈSE BRODEUR
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Appelante
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Et
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CENTRE DE SERVICES PARTAGÉS DU QUÉBEC
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Intimé |
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DÉCISION |
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(Article 127, Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1) |
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[1] Mme Thérèse Brodeur a pris sa retraite le 13 novembre 2013. Toutefois, le 16 avril 2012 a été son dernier jour de travail comme analyste de l’informatique et des procédés administratifs, un emploi de la catégorie du personnel professionnel qu’elle occupait au Centre de services partagés du Québec (ci-après le « CSPQ »). De plus, comme il est mentionné à son entente de retraite (A-21), ce jour a été celui où elle a mis fin à son programme d’aménagement et réduction du temps de travail, en vertu duquel elle travaillait jusqu’à ce moment-là trois jours par semaine.
[2] Dans son appel, Mme Brodeur allègue, pour les raisons exposées plus loin, avoir été l’objet d’un traitement inéquitable, différent de celui de ses collègues professionnels. Elle demande en conséquence que son poste de travail soit reconnu, toujours en date du 16 avril 2012, comme un poste à 40 heures par semaine, et ce, avec les mêmes avantages dont bénéficiaient à cette date ces mêmes collègues.
[3] Plus précisément, Mme Brodeur prétend avoir droit à cette modification à son horaire de travail, ce qui lui permettrait de bonifier la valeur des jours de vacances et des congés de maladie, accumulés au moment de la fin de sa période travaillée et utilisés dans le cadre de son programme de retraite progressive qui s’est appliqué du 17 avril 2012 au 13 novembre 2013. La valeur additionnelle qui serait octroyée à ces jours rémunérés aurait alors également un effet positif sur le montant de sa rente de retraite, considérant que celle-ci est calculée sur la base de sa rémunération obtenue au cours de ses meilleures années de gains d’emploi.
[4] Avant de rapporter les faits soulevés par Mme Brodeur, situons d’abord l’environnement administratif dans lequel elle évoluait au moment des événements à l’origine de son appel. Selon l’organigramme du CSPQ en vigueur le 23 février 2012 (A-1), cet organisme comportait alors quatre vice-présidences, dont celle aux projets majeurs de laquelle dépendaient deux directions générales, dont la Direction générale des solutions d’affaires en gestion intégrée des ressources, dirigée par M. Denis Gagnon.
[5] Cette direction générale comportait notamment deux directions principales, dont celle des opérations, dirigée à ce moment-là, par intérim, également par M. Gagnon.
[6] La Direction principale des opérations se subdivisait enfin en trois directions, dont deux sont à retenir aux fins de la compréhension de la preuve apportée par Mme Brodeur. Il s’agit de la Direction de l’entretien et de l’évolution, sous la gouverne de M. Yves Turcotte, et de la Direction du service à la clientèle, dirigée par M. Éric Labbé, celle-ci comptant à elle seule, suivant le témoignage de ce dernier, environ 115 employés.
[7] À cette dernière direction appartenait entre autres la Division pilotage du SAGIP, soit le Service automatisé de gestion des informations du personnel, communément appelé le système de paye des fonctionnaires. Et cette division comprenait six analystes, dont Mme Brodeur et M. Claude Vézina, son chef d’équipe.
[8] D’autres professionnels travaillaient également pour SAGIP, mais dans l’équipe dite de réalisation technique qui dépendait plutôt de la Direction de l’entretien et de l’évolution de M. Turcotte.
[9] Enfin, tel que sommairement décrit par Mme Brodeur, mentionnons que l’équipe de réalisation technique s’occupait principalement de la partie informatique du système de paye, alors que la division du pilotage, comme son nom l’indique, pilotait le cheminement de divers dossiers. Mme Diane Parisé, analyste au SAGIP depuis mars 2011, venue témoigner à la demande de Mme Brodeur, donnera en exemples de dossiers périodiques ceux de la préparation et du suivi d’un calendrier opérationnel, de la révision des codes d’accès au SAGIP, du dépliant de codification, de la campagne Entraide ou encore de listes diverses comme celle des communiqués.
[10] Le 31 janvier 2012, Mme Brodeur reçoit un courriel de M. Labbé invitant les analystes de la Division du pilotage à une rencontre le 2 février, sans mention plus précise de l’objet de la réunion. Lors de celle-ci, M. Labbé annonce qu’il avait déposé auprès de son supérieur, M. Gagnon, une demande afin que l’horaire de travail de cinq postes de pilote sur les six de la division soit majoré de 35 à 40 heures par semaine. L’offre de travailler sur cet horaire majoré était faite sur une base volontaire et les personnes concernées étaient invitées à manifester leur acceptation de s’y inscrire.
[11] Dans le cas de Mme Brodeur, M. Labbé devait préciser qu’elle n’était pas admissible parce qu’elle était en aménagement de temps de travail suivant une formule de trois jours semaine de travail, soit 21 heures. Sur le coup, Mme Brodeur dit avoir considéré que c’était tout à fait normal.
[12] Vers le 7 février, un nouveau courriel annonçait que la demande de majoration d’horaire avait été acceptée et que celle-ci s’appliquerait à compter du 20 février, et Mme Brodeur de dire que « jusque-là, cela allait. »
[13] Mais voici qu’à un certain moment, une collègue pilote, Mme France Dupont, prend une journée de congé. Étant donné que ce congé est pris à partir d’une banque accumulée au moment où l’horaire de travail de Mme Dupont était de 35 heures par semaine, soit de sept heures par jour, Mme Brodeur se demande sur quelle base elle va être payée. Mme Dupont lui dit alors que ses banques de vacances ou de congés de maladie n’avaient pas été changées.
[14] À compter de ce moment, s’est développée chez Mme Brodeur l’impression d’avoir été flouée.
« Si on n’a pas fait une conversion des banques et que tu as 100 jours et que tu continues avec 100 jours, on s’entend qu’à raison d’une heure par jour, cela fait 100 heures en cadeau. »
[15] Ses collègues avaient acquis les journées en banque à raison de sept heures par jour, tout comme elle. Mais au moment d’en bénéficier, en travaillant 40 heures par semaine, elles leur étaient rémunérées dorénavant pour huit heures pendant que dans son cas ses journées de congé, vacances ou maladie, ne lui étaient payées toujours que pour sept heures par jour.
[16] Mme Brodeur décide alors de demander à M. Labbé de bénéficier du même régime d’horaire que ses collègues. S’ensuit alors une série d’échanges de courriels qu’il convient d’exposer pratiquement in extenso.
[17] Dans son courriel du 14 mars 2012, Mme Brodeur écrit ceci à M. Labbé :
« Le jeudi 2 février 2012, vous avez réuni l’équipe de pilotage du SAGIP, à la salle 201A, afin de les informer qu’une demande a été adressée et négociée auprès de la direction, afin que les postes de la division soient dorénavant à 40 heures. La demande devait être acceptée, selon vos dires. Vous avez demandé que si certaines personnes n’étaient pas intéressées, il faudrait le dire tout de suite, afin d’arrêter la demande pour eux. Mais tous étaient intéressés. Et de fait, tous mes collègues de travail sont sur des postes à 40 heures depuis le 20 février.
De plus, vous avez mentionné lors de cette rencontre, qu’il était plus facile d’obtenir des postes à 40 heures que de demander des primes d’expert.
Vous avez aussi mentionné que le personnel devrait faire son 40 heures, ce à quoi Madame France Dupont vous a répliqué : "Vous êtes sans doute obligé de nous dire cela." Vous n’avez pas renchéri.
Vous avez d’emblée précisé en préambule, que je ne pouvais bénéficier de cette mesure, étant en aménagement ministériel.
Or, afin de pouvoir bénéficier de cette mesure, je demande de mettre fin à mon aménagement ministériel à compter du 30 mars 2012 et que mon poste soit reconnu à 40 heures, tout comme mes collègues de travail, à compter du 2 avril 2012. »
[18] Le 21 mars 2012, M. Labbé répond à Mme Brodeur :
« Tout d’abord, je regrette que tu aies eu l’impression que l’horaire majoré à 40h des pilotes du SAGIP soit une mesure de reconnaissance. La semaine normale de travail des pilotes est désormais de 40h et j’ai pris les mesures administratives nécessaires à cet effet.
La majoration de l’horaire de cinq pilotes vise essentiellement à assurer la continuité de service dans un contexte où la taille de l’équipe s’est réduite au cours des dernières années. Par ailleurs, les majorations d’horaire sont autorisées poste par poste. Ainsi, ton poste étant sur un horaire de 35 heures, si tu souhaites mettre fin à ton aménagement de temps de travail, ton horaire redeviendra à 35 heures.
Pour le moment, tout m’indique que cette majoration de 5 heures par semaine pour 5 pilotes est suffisante. Je n’ai donc pas prévu faire de demandes additionnelles pour la Division du pilotage du SAGIP. Dans ce contexte, si tu souhaites toujours mettre fin à ton aménagement, je te prie de me le confirmer. »
[19] Ce même 21 mars, Mme Brodeur revient sans tarder à M. Labbé en ces termes :
« Je comprends que vous ne voulez pas prendre les mesures administratives nécessaires afin que mon poste soit aussi à 40 heures, car vous ne le jugez pas nécessaire, selon les besoins du service. Je considère donc votre réponse aujourd’hui, comme un refus de votre part, de donner suite à ma demande du 14 mars 2012, de majorer mon poste à 40 heures, tout comme celui de tous mes collègues de travail. D’ailleurs, je n’ai pas été informée par la direction, que la majoration avait été acceptée pour les postes occupés par mes collègues, car je n’étais pas visée par cette mesure. Ce n’est qu’au début de mars que j’ai entendu mes collègues parler que leur majoration d’horaire avait été acceptée. [En contre-interrogatoire, Mme Brodeur reconnaîtra qu’elle avait fait une erreur dans ce courriel et que c’était plutôt en février qu’elle en avait entendu parler.]
Étant la seule employée en aménagement, étant plus proche de ma retraite que mes collègues et ayant manifesté mon désir de prendre ma retraite incessamment, qu’un seul poste sur 6 ne soit pas majoré à 40 heures, quand on voit les avantages que cela procure à mes collègues pour le calcul de leur retraite, de leur banque de crédits de maladie et de leur banque de crédits de vacances, on comprend que c’est une mesure dont on a voulu me priver. Aussi, je considère cette mesure comme discriminatoire.
Aussi, si vous maintenez encore aujourd’hui, votre position de ne pas prendre les mesures administratives nécessaires, afin que mon poste soit aussi à 40 heures, je désire continuer à être en aménagement ministériel.
Le fait que vous ne m’ayez pas du tout informée avant la réunion du 2 février que je n’étais pas admissible à cette majoration, car j’étais en aménagement ministériel, ce qui ne me laissait pas l’opportunité de mettre fin à mon aménagement et de bénéficier de la même mesure que mes collègues, est injuste. D’ailleurs, à cette réunion, je le répète, vous aviez dit que je n’étais pas admissible, étant en aménagement et non que la division n’avait pas besoin d’un 6ième poste à 40 heures, comme vous semblez maintenant le dire. Votre discours a changé depuis le 2 février.
Je vous saurais gré de me répondre promptement.
[...] »
[20] Six jours plus tard, le 27 mars, M. Labbé répond à Mme Brodeur :
« Je crois nécessaire de faire le point sur ta situation. Je demande à Claudine [sa secrétaire] de nous planifier une rencontre sous peu. »
[21] Ne l’entendant pas de cette façon, Mme Brodeur réécrit le même jour à M. Labbé :
« Merci de votre réponse.
Toutefois, comme votre discours lors de la rencontre de l’équipe du pilotage du SAGIP du 2 février (à laquelle vous avez mentionné que je n’étais pas admissible à la majoration d’horaire à 40 heures, car j’étais en aménagement) et que dans votre courriel du 21 mars, vous avancez une nouvelle raison, toute nouvelle, jamais énoncée auparavant (à l’effet que vous n’aviez pas besoin d’un 6ième poste à 40 heures), vous conviendrez que ma confiance à votre égard, concernant cette décision, n’est plus du tout présente. Aussi, dorénavant, si vous avez quelques informations ou sujets dont vous aimeriez me faire part, je vous demande que ce soit par écrit uniquement.
D’ici peu, je vais vous envoyer un courriel afin de mettre fin à mon aménagement ministériel. »
[22] Deux jours plus tard, le 29 mars 2012, Mme Brodeur écrit à nouveau à M. Labbé :
« Comme je vous l’avais mentionné dans mon courriel du 27 mars, à l’effet que je vous demanderais sous peu, de mettre fin à mon aménagement, je vous demande par la présente, de mettre fin à mon aménagement ministériel à compter du 16 avril à 8h30 AM et de me considérer à plein temps. Néanmoins, si vous refusez toujours de mettre mon poste à 40 heures, tout comme celui de tous mes collègues de travail, je désire tout de même mettre fin à mon aménagement ministériel. »
[23] Le 4 avril 2012, Mme Brodeur fait parvenir un autre courriel (I-3) à M. Labbé lui demandant de lui retourner son projet d’entente signé de départ à la retraite. M. Labbé lui répond, tôt le lendemain, d’une part, qu’il l’a signé, mais que le document doit l’être également par le directeur général et d’autre part, qu’il la prie de passer le voir à 14h le même jour.
[24] Peu après, toujours dans l’avant-midi du 5 avril, Mme Brodeur répond à M. Labbé qu’il n’a pas à attendre après la signature du directeur général pour lui retourner son projet d’entente de retraite, car c’est elle qui, suivant la procédure, doit le faire signer par son supérieur immédiat et retourner les cinq copies à M. Lortie qui est celui qui doit se charger de l’acheminement des documents au directeur général. Par ailleurs, Mme Brodeur complète son message en signifiant à M. Labbé qu’elle ne souhaite pas le rencontrer.
« […] De plus, je ne vois pas la nécessité de vous voir à ce sujet. Si vous avez signé, c’est que vous avez accepté. Je vous ai déjà mentionné, que dorénavant, je ne communiquerai avec vous que par écrit.
Si je ne reçois pas mes copies de projet d’entente aujourd’hui à 15h00, signées par vous et par le directeur général, je considère comme un refus de votre part d’accepter et de signer mon projet d’entente et tout sera à recommencer, peut-être même mes plans de départ à la retraite. »
[25] Et la saga des courriels prend fin avec la nième réponse de M. Labbé, de 15 h 38 le même jour disant :
« Je constate que tu n’es pas venue à notre rendez-vous de 14h. Je serai à mon bureau de 16h30 à 17h. »
[26] Mme Parisé témoigne avoir participé à la rencontre du 2 février 2012 et y avoir entendu M. Labbé présenter le projet de majoration de la semaine de travail offerte aux pilotes à l’exception de Mme Brodeur. Mme Parisé reconnaît également qu’à compter du 20 février 2012 ses journées de maladie ou de vacances lui ont été rémunérées elle aussi pour huit heures. Elle est d’accord pour affirmer par ailleurs qu’à sa connaissance seulement Mme Dupont et M. Jocelyn Mathieu, autre pilote, avaient déjà manifesté le désir que leur poste soit reconnu de niveau expert[1]. De plus, Mme Parisé confirme aussi la tenue, le 12 avril 2012 (A-5), d’une rencontre au cours de laquelle les pilotes de son équipe ont été appelés à émettre leurs préoccupations par rapport à leur milieu de travail en vue de les partager avec M. Gagnon lors d’une autre réunion prévue pour le 17 mai 2012. Parmi les 18 préoccupations énoncées dans un résumé de la rencontre du 12 avril, on peut constater que certaines concernent la perte d’expertise au niveau des usagers du SAGIP, l’insuffisance des ressources internes au pilotage du SAGIP et une charge de travail à la hausse. Mme Brodeur reviendra sur ces aspects lorsqu’elle traitera du besoin, selon elle, que la Division du pilotage avait en termes de postes à 40 heures par semaine.
[27] En contre-interrogatoire, Mme Parisé admet que si elle revenait à un horaire de 35 heures par semaine, le nombre de jours de ses banques de congés ne changerait pas et qu’ils recommenceraient à lui être rémunérés, au moment d’en bénéficier, sur la base de sept heures par jour.
[28] Pour sa part, Mme Dupont, analyste pour le SAGIP depuis septembre 2009 et pilote elle aussi de dossiers périodiques, témoigne dans le même sens que celui des propos de Mme Parisé, notamment quant aux préoccupations manifestées relativement à la hausse de la charge de travail et au personnel insuffisant au pilotage. Elle est d’accord en plus avec l’affirmation que lors de la rencontre du 2 février 2012, M. Labbé n’avait pas mentionné qu’il n’avait pas besoin de six postes à 40 heures.
[29] En contre-interrogatoire, Mme Dupont précise que ce n’est pas l’habitude de faire des heures supplémentaires dans sa division, entre autres parce que c’est compliqué d’en faire autoriser et qu’en lieu et place les employés utilisent l’horaire variable pour reprendre à un autre moment les heures travaillées en surplus. Parfois la banque de temps, constituée suivant le régime d’horaire variable, pouvait dépasser la norme et les employés se faisaient dire de prendre congé pour la vider ou la ramener à un niveau inférieur.
[30] M. Daniel Lord, technicien en informatique, mais dans l’équipe de réalisation technique de la direction de M. Turcotte, raconte qu’il travaille au niveau du SAGIP depuis mai 1985. Bien que les employés des deux divisions pilotage et réalisation technique appartiennent à des directions différentes, elles ont le même supérieur hiérarchique, M. Gagnon, et travaillent au quotidien de façon complémentaire et prennent régulièrement leur pause ensemble. En février 2012, lorsque les pilotes du SAGIP de la division du pilotage ont vu leur horaire de travail majoré à 40 heures par semaine, son chef d’équipe de réalisation technique, M. Marcel Lussier, a consulté les employés de son groupe pour savoir s’ils étaient intéressés par cette formule. Ils ont eu une rencontre à ce sujet avec leur directeur, M. Turcotte, qui leur a proposé, pour une durée de quatre à six mois, un horaire de 37,5 heures par semaine, avec rémunération des 2,5 heures additionnelles en heures supplémentaires. Si les personnes étaient d’accord, il ferait une demande en conséquence. À son souvenir, certains employés étaient intéressés, quant à lui M. Lord ne l’était pas. Enfin, il ne sait pas si quelqu’un a finalement fait des heures supplémentaires, mais à sa connaissance personne de son équipe n’est en majoration d’horaire.
[31] Mme Brodeur fait témoigner ensuite Mme Lucie Barbeau, conseillère en gestion de ressources humaines au CSPQ. Elle travaille pour cet organisme depuis avril 2009, mais dans ses fonctions actuelles que depuis quatre ans, ayant été auparavant analyste des procédés administratifs.
[32] Mme Barbeau mentionne que la Direction des ressources humaines a reçu le 13 janvier 2012, ou peu après, cinq demandes de majoration d’heures de travail (A-9), soit aux noms de Mmes Dupont et Parisé, de M. Mathieu et de M. Vézina, ainsi que pour Mme Francine St-Laurent, également pilote dans cette équipe.
[33] Mme Brodeur souligne à Mme Barbeau le commentaire des ressources humaines, inscrit à la fin de la demande de majoration d’horaire, voulant qu’il n’y a pas de disposition dans les conditions de travail qui couvrent cette situation. Mme Barbeau explique d’une part, qu’à ce moment-là les motifs n’étaient pas assez précis et d’autre part, qu’elle ne savait pas qu’il y avait une directive qui prévoyait qu’on ne pouvait soustraire les non-syndiqués d’un article à ce sujet prévu dans la convention collective des professionnels du gouvernement du Québec.[2] Elle a demandé des précisions et on lui a dit que les demandes étaient fondées sur le fait que ces personnes devaient travailler avec du personnel fonctionnaire d’autres secteurs qui lui travaillait à plus de 35 heures par semaine. Effectivement, pouvait s’appliquer l’article 4-1.05 c) de la convention collective, qui prévoit qu’un horaire spécial de travail peut être établi dans un tel cas.
[34] Mme Brodeur souligne aussi que la demande de majoration indiquait que l’« équipe de pilotage et de service à la clientèle du SAGIP est un groupe restreint de cinq (5) professionnels, non syndiqués, hautement spécialisés de ce système particulier. » Et Mme Brodeur de faire la remarque :
« Moi, si je comprends bien, je n’existe pas dans cette équipe-là. Il y a six professionnels, mais on ne parle que de cinq. »
Mme Barbeau mentionne qu’elle ne savait pas que Mme Brodeur faisait partie de l’équipe de pilotage et qu’elle s’en est tenue, sans vérification additionnelle, à la demande qui lui avait été faite pour cinq personnes.
[35] Mme Brodeur présente à Mme Barbeau une série d’offres d’affectation et de mutation (A-8, p. 1 à 9) publiées au cours de l’été 2012 par le CSPQ pour pourvoir un emploi de pilote de système SAGIP. Mme Barbeau confirme que les ressources humaines ont procédé d’abord à trois affichages pour trouver quelqu’un pour remplacer Mme Brodeur partie en préretraite en avril précédent, mais elle croit se rappeler que personne n’a répondu ou, à tout événement, aucune candidature le cas échéant n’a été retenue si bien que cet emploi a été affiché en promotion (A-8, p. 10) en octobre 2012. Depuis, les résultats du concours de promotion ont été transmis au gestionnaire concerné et, au moment où elle témoigne, en janvier 2013, elle n’a pas eu encore de retour du gestionnaire voulant que l’emploi avait été pourvu.
[36] Par ailleurs, Mme Barbeau n’a eu à traiter qu’une seule autre demande de majoration d’heures de travail. Elle a été complétée en septembre 2012 et elle concernait M. Vincent Roy (A-10), qui est venu, à la suite d’une offre de mutation différente (A-8, p. 12), remplacer comme chef de l’équipe des pilotes, M. Vézina dont le poste était lui-même jusqu’à ce moment-là sur un horaire majoré à 40 heures par semaine.
[37] Réinterrogé par Mme Brodeur, M. Lord affirme que Mme Nicole Drolet, une connaissance qui travaille également au CSPQ, lui avait mentionné récemment qu’elle allait se joindre très prochainement à la division du pilotage. Il présume que c’est à titre de pilote, mais il ne sait pas si c’est pour un poste à 40 heures par semaine. Par ailleurs, il croit que M. Mathieu et Mme Dupont pourraient prendre leur retraite dans le courant de 2013.
[38] M. Jacques Lortie, technicien en conseil-retraite au CSPQ, est appelé à témoigner relativement à l’entente de retraite que M. Vézina aurait conclue en 2012. Par hasard, Mme Brodeur a vu sur le photocopieur du bureau une version du projet de cette entente de retraite dans laquelle M. Vézina se négociait, d’après sa compréhension de ce dont elle se rappelle avoir rapidement aperçu, une bonification à 40 heures pour le temps qu’il allait prendre en préretraite.
[39] Alors qu’elle tentait de bénéficier du même avantage et que le CSPQ le lui refusait, elle constatait que son employeur était d’accord pour l’accorder à son chef d’équipe.
[40] À l’objection du CSPQ d’accepter le dépôt en preuve de l’entente de retraite de M. Vézina, que M. Lortie avait été requis d’apporter dans son assignation à comparaître, objection pour absence de pertinence d’une pièce ne concernant qu’un tiers non appelé à témoigner, la Commission a répondu par la négative et a permis le dépôt du document (A-11) et le témoignage de M. Lortie à ce sujet, après émission d’une ordonnance de confidentialité quant à son contenu. La pertinence du document en ce qui a trait à l’allégation sérieuse de Mme Brodeur quant au contenu du projet d’entente l’emportait, selon la Commission, sur l’intérêt du tiers qui pouvait autrement être protégé.
[41] Il ressort du témoignage de M. Lortie qu’il est au service du CSPQ depuis quatre ans. Auparavant, il travaillait à la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurance, mieux connue sous son acronyme CARRA, en tant que chef d’équipe au service à la clientèle.
[42] Au cours de la dernière année, il n’a jamais préparé de projet d’entente de retraite qui précisait qu’un employé continuait de bénéficier de son horaire majoré durant sa préretraite. En fait, dans une entente de retraite, M. Lortie dit que l’on n’écrit jamais cela.
« On ne l’indique jamais dans une entente de départ à la retraite. C’est un écrit, un document ou un courriel qu’on reçoit du gestionnaire qui autorise ou non le maintien de l’horaire majoré.
Dans les cas où les gens ont déjà un horaire majoré depuis un certain temps et quand c’est requis, et c’est toujours discrétionnaire selon les besoins du service. Mais ce n’est pas parce que c’est un horaire majoré que c’est accepté automatiquement par le gestionnaire. Quelqu’un peut avoir un horaire majoré et que le gestionnaire ne conseille pas un horaire majoré pour la durée de l’entente. »
[43] Il n’y a pas de durée prédéterminée, mais les cas que l’on voit selon lui concernent des gens qui ont pu être à horaire majoré depuis un certain nombre de mois ou d’années. « On ne fait pas partie de la décision, précise-t-il, et on procède selon la recommandation des gestionnaires. »
[44] Dans le dossier de M. Vézina, M. Lortie confirme avoir eu un écrit de M. Labbé, du 12 juin 2012, qui autorisait le maintien de l’horaire majoré dans ce cas.
[45] Ce courriel est le plus ancien qu’il ait dans son dossier et rien n’y indique que des démarches antérieures auraient été faites à ce sujet, par exemple en mars comme le lui suggère Mme Brodeur.
[46] En contre-interrogatoire, M. Lortie explique qu’il arrive que la décision soit changée avant sa validation finale, ce qui a été le cas pour M. Vézina. Quand le projet d’entente lui revient une première fois, il a été signé par certaines personnes, puis dans le cheminement à l’interne deux ou trois autres signataires doivent également l’autoriser.
[47] Dans le cas de M. Vézina, « plus haut dans les signataires, quelqu’un a pris la décision de ne pas y donner suite [à l’entente]. Le maintien de l’avantage, l’horaire de 40 heures, a été refusé pour la durée de la préretraite. » C’est le directeur général, M. Gagnon, qui a dit que « ça ne marchait pas ».
[48] Témoignant à son tour, Mme Brodeur raconte qu’au lendemain de son échange avec Mme Dupont qui lui avait appris que ses jours de congé lui étaient rémunérés pour huit heures, M. Vézina a cessé de lui adresser la parole et il ne l’écoutait pas lorsqu’elle lui parlait. Alors, elle s’est dit qu’en ne voulant pas lui donner l’horaire de 40 heures, on la poussait à la porte bien qu’elle ne souhaitait pas partir à la retraite immédiatement. Le matin du 7 mars 2013, lorsqu’elle est allée porter sa demande écrite de partir en préretraite le 26 mars, M. Vézina lui a fait une sainte colère dont elle n’a pas compris le degré d’agressivité. Finalement, comme M. Lortie n’avait pas le temps de préparer son projet d’entente de retraite pour cette date, celle-ci a été reportée.
[49] Mme Brodeur commente ensuite l’échange de courriels qu’elle a eu avec M. Labbé et qui ont été reproduits précédemment. Elle mentionne que ce dernier est son supérieur depuis mai 2010 et qu’elle l’a alors rencontré environ 30 minutes, soit la seule fois où ils ont eu l’occasion d’échanger seul à seul.
[50] Par ailleurs, M. Vézina est son chef d’équipe depuis 1997, soit 15 ans. Il n’a jamais apprécié qu’elle soit en aménagement de temps de travail et elle juge qu’il ne lui donnait pas de tâches intéressantes.
[51] Mme Brodeur dépose quelques extraits (A-12 à A-17) de la convention collective du personnel professionnel qui portent sur la rémunération des diverses banques de congé, par exemple au moment d’un départ à la retraite. La Commission y revient plus loin dans l’exposé de l’argumentation de Mme Brodeur.
[52] Mme Brodeur mentionne aussi que bien qu’elle n’ait pas travaillé à plein temps, elle cotisait au régime de retraite comme si elle l’était.
[53] En contre-interrogatoire, Mme Brodeur admet que c’est lorsqu’ils travaillaient huit heures par jour que ses collègues voyaient leurs congés, de maladie ou de vacances, payés également pour huit heures.
[54] En preuve patronale, la Commission a entendu M. Éric Labbé, actuellement directeur de la mise en œuvre du système SGR2, pour Solution en gestion des ressources - phase 2. À l’hiver et au printemps 2012, il était responsable de la Direction du service à la clientèle qui supervisait la division du pilotage du SAGIP. M. Labbé précise que le CSPQ opère deux systèmes informatiques majeurs : le SAGIP et le SAGIR, le Système d’affaires en gestion intégrée des ressources. Les deux équipes du SAGIP, celle du pilotage de la Direction du service à la clientèle et celle de la réalisation technique de la Direction de l’entretien et de l’évolution. La fonction pilotage est l’interface entre une clientèle et l’équipe informatique de la réalisation technique. Et ce mode d’organisation se répète pour le SAGIR.
[55] Au plan de la gestion des ressources humaines, chaque gestionnaire est responsable de ses propres ressources.
[56] M. Labbé expose le contexte qui a mené aux majorations des horaires de travail. À l’été 2011, son directeur, M. Gagnon, le même que celui de M. Turcotte de la Direction de l’entretien et de l’évolution, leur a demandé de démarrer un chantier sur la réduction de la vulnérabilité des équipes et de leurs postes de travail, en vue d’assurer la continuité des services tant du SAGIP que du SAGIR. Ils ont ainsi commencé par identifier les zones de vulnérabilité de la continuité du service de paye du SAGIP qui pouvaient découler notamment des départs à la retraite courants et à venir.
[57] Pour faire face au risque de vulnérabilité identifié, son collègue Turcotte a opté pour publier un appel d’offres en vue que des ressources externes, des consultants d’une firme privée, viennent appuyer le travail de son équipe de réalisation technique. En ce qui le concerne, pour la division du pilotage su SAGIP, M. Labbé a proposé la majoration d’horaires et en novembre 2011, M. Gagnon l’a autorisé à se préparer à aller de l’avant avec son approche.
[58] Lorsqu’il a monté son projet en décembre 2011 et jusqu’à janvier 2012, son dossier contenait six demandes de majoration d’horaire, dont une pour Mme Brodeur. À ce moment-là, il croyait qu’elle pourrait faire ses trois journées de travail à huit heures par jour, au lieu des sept heures qu’elle faisait selon son aménagement particulier de temps de travail.
[59] Mais, en janvier, la Direction des ressources humaines l’a informé que, selon les normes, un employé en aménagement de temps de travail ne pouvait pas avoir un horaire majoré. Il a donc retiré la demande concernant Mme Brodeur et il a laissé les autres demandes de majoration suivre leur cours.
[60] M. Labbé dit qu’il informait le chef d’équipe du pilotage, M. Vézina, lors de leurs rencontres statutaires, du développement du dossier et il s’attendait que celui-ci informe à son tour son équipe du cheminement du projet. À son souvenir, il a débuté la rencontre du 2 février 2012 en disant quelque chose comme : « Claude vous a déjà informés qu’il y a un dossier de majoration d’horaire sur le point d’être approuvé. » Il avoue avoir perçu que certains avaient l’air d’être au fait de ce qu’il annonçait et que d’autres semblaient un peu surpris. Mais il n’a jamais reparlé de cette impression avec M. Vézina et jusqu’à la veille de son témoignage, il croyait que ce dernier avait fait part à son équipe de ce qui était envisagé.
[61] M. Labbé poursuit son témoignage en répétant dans ses mots la suite des événements déjà rapportés par les autres acteurs dans ce litige. Il apporte toutefois les précisions suivantes en rapport avec les réponses données aux courriels de Mme Brodeur.
[62] Au moment du courriel du 21 mars, il y avait déjà trois semaines qu’il disposait d’une force additionnelle de travail de 25 heures par semaine de par l’horaire dorénavant majoré des cinq autres pilotes et il n’y avait pas d’urgence de doter un sixième poste à 40 heures par semaine.
[63] De plus, il dit avoir aussi considéré que Mme Brodeur travaillait à temps réduit, à trois jours semaines, depuis 15 ou 18 ans, se disant :
« C’est vraiment un saut important. C’est pratiquement doubler son horaire de travail de passer de 21 à 40 heures. J’ai trouvé alors raisonnable de demander à Mme Brodeur de passer un bout de temps à 35 heures et si cela allait bien de procéder à une majoration par la suite. »
[64] C’était là la proposition que M. Labbé comptait faire à Mme Brodeur et lui présenter lors de la rencontre à laquelle il la conviait dans son courriel du 27 mars, invitation réitérée dans ses messages des 4 et 5 avril.
[65] Par ailleurs, M. Labbé admet qu’il a fait erreur en ne retournant pas immédiatement à Mme Brodeur les documents de son projet d’entente de retraite. Il reconnaît qu’il avait à les lui renvoyer à elle et non à les faire parvenir lui-même au directeur général pour sa signature.
[66] M. Labbé mentionne qu’il n’avait pas fait part à M. Vézina de ses réflexions relatives à la demande de Mme Brodeur.
« J’ai comme habitude de traiter les dossiers d’insatisfaction directement avec la personne, pas avec son chef d’équipe. »
[67] En contre-interrogatoire, Mme Brodeur demande à M. Labbé pourquoi il était écrit en introduction des demandes de majoration des heures de travail que l’équipe de pilotage était constituée d’un groupe restreint de cinq professionnels, alors qu’ils étaient six avec le chef d’équipe. M. Labbé constate là une erreur de rédaction.
« On aurait dû écrire six, un groupe restreint de cinq professionnels et leur chef d’équipe. »
[68] À la question de savoir pourquoi M. Labbé n’a pas proposé par écrit, comme Mme Brodeur le souhaitait, l’approche qu’il a exposée dans son témoignage, de faire d’abord quelque temps à 35 heures pour possiblement majorer plus tard sa semaine de travail à 40 heures, M. Labbé répond qu’il sentait que le dossier s’envenimait sérieusement et il est de plus d’avis que les communications écrites ne sont pas les plus efficaces.
[69] Depuis le départ en préretraite de Mme Brodeur, le 16 avril 2012, M. Vézina a quitté à son tour et M. Labbé n’est plus gestionnaire responsable de cette équipe-là depuis le 27 août.
[70] Selon Mme Brodeur, il n’a pas été démontré qu’il existait un réel besoin de majorer la semaine de travail des pilotes à 40 heures par semaine. La preuve en serait que les deux pilotes qui ont témoigné, Mmes Dupont et Parisé, ont affirmé ne pas avoir fait d’heures supplémentaires dans l’année précédant celle au cours de laquelle leur horaire hebdomadaire a été majoré. On peut alors se poser la question si cette majoration d’heures de travail ne constituait pas plutôt une prime déguisée.
[71] Mme Brodeur estime que puisque Mme Dupont et M. Mathieu avaient manifesté à plusieurs reprises qu’ils souhaitaient obtenir une prime d’expert, c’est là la raison pour laquelle ils n’ont pas été surpris de l’offre de majoration de la semaine de travail à 40 heures, et cela dans le contexte où M. Labbé a dit lors de la rencontre du 2 février 2012 que c’était difficile d’obtenir des primes d’expert. Cela aurait été d’autant plus difficile qu’il aurait alors fallu, selon elle, obtenir une prime d’émérite pour M. Vézina qui, dans son cas, avait déjà une prime d’expert.
[72] Du fait que des pilotes n’ont pas été informés, avant la rencontre du 2 février 2012, du projet de majoration de la semaine de travail, ajouté à celui qu’elle est la seule à qui M. Labbé a dit qu’il n’avait pas besoin d’un poste additionnel à 40 heures par semaine, Mme Brodeur soutient qu’on peut se demander si, volontairement, on n’aurait pas tenu l’information secrète afin qu’elle ne puisse pas mettre fin en temps utile à son aménagement de temps de travail et bénéficier des avantages rattachés à cette mesure. Dans le même sens, on peut se demander, dit-elle encore, pourquoi il n’avait pas été précisé d’objet de la rencontre du 2 février dans son avis de convocation.
« On était trois pilotes sur cinq à ne pas être au courant [du projet]. On peut aussi se questionner pourquoi le 2 février, M. Labbé n’a pas mentionné qu’il n’avait pas besoin d’un sixième poste à 40 heures, sauf en mars lorsque je lui ai demandé de mettre fin à mon aménagement et de mettre mon poste à 40 heures. Si c’était sur une base volontaire, pourquoi me l’avoir refusé? Si les autres avaient refusé, qu’en aurait-il été de ses besoins? »
[73] Mme Brodeur souligne que le compte-rendu de la rencontre du 12 avril fait état d’un manque de ressources et d’une charge de travail à la hausse, ainsi que d’un certain manque d’expertise. Dans ce contexte, comment expliquer que c’est de son poste dont on n’a pas besoin, alors que Mmes Parisé et Dupont, pour qui la semaine de travail était majorée, avaient moins d’expérience qu’elle dans l’équipe, la première n’y travaillant que depuis mars 2011 et la seconde y étant arrivée en septembre 2009.
[74] Quant à sa date de départ en préretraite, Mme Brodeur insiste sur le fait qu’elle a été précipitée par la réaction de M. Vézina lorsqu’elle a manifesté, en mars 2012, son désaccord avec le traitement inéquitable dont elle estimait avoir été l’objet. Elle dit que son intention n’était pas de quitter aussi tôt; elle voulait d’abord partir en octobre 2012. Mais après le début de ses démarches auprès de M. Labbé, le comportement de M. Vézina a changé avec elle. C’est parce que ce n’était plus « vivable » qu’elle a finalement annoncé son intention de prendre sa préretraite à compter du 26 mars, ce qui n’a pas eu l’heur, selon elle, d’améliorer l’attitude négative de son chef d’équipe à son égard.
[75] Au sujet du traitement accordé à M. Vézina, la preuve déposée (A-11) n’indique pas, mentionne Mme Brodeur, s’il bénéficie ou pas de la majoration de sa semaine de travail durant sa préretraite. Comme il manque deux signatures à cette pièce, on n’a pas le « vrai visage de l’entente ».
[76] Mme Brodeur reprend différents passages de certains articles de la convention collective du personnel professionnel[3].
[77] Elle réfère en premier lieu à l’article 4-1.05 (A-12) qui expose les trois situations pour lesquelles il est possible pour un sous-ministre d’établir un horaire spécial, dont celle du paragraphe c) pertinente à ce dossier-ci, qui prévoit le cas où :
« l’horaire de travail de l’employée ou de l’employé doit correspondre à celui d’une employée ou d’un employé de la catégorie des emplois du personnel fonctionnaire, du personnel ouvrier ou du personnel agent de la paix dont la semaine normale de travail excède trente-cinq (35) heures. »
[78] Mme Brodeur renvoie également la Commission aux articles suivants :
« 7-1.01 Aux fins de la convention, on entend par "traitement", le traitement annuel de l’employée ou de l’employé comprenant son taux de traitement et, le cas échéant, la somme forfaitaire.
Pour l’employée ou l’employé à temps réduit, ce traitement est proportionnel aux heures prévues à son horaire. » [A-13]
« 4-3.04 L’employé ou l’employée qui, au moment de sa démission, de sa fin d’emploi au cours ou à la fin du stage probatoire, de son congédiement, de sa retraite ou de son décès, n’a pas pris la totalité des jours de vacances acquis au 1er avril précédant immédiatement son départ, reçoit une indemnité équivalant à la durée des vacances qu’elle ou qu’il n’a pas prises et qui sont prévues par la présente section.
De plus, elle ou il a droit à une indemnité équivalant au nombre de jours de vacances accumulés depuis le 1er avril précédant son départ, mais dont le nombre de jours se calcule selon son ancienneté à ce 1er avril.
L’indemnité prévue par le présent article est calculée sur la base du traitement de l’employée ou de l’employé au moment de son départ. » [A-14]
« 8-1.37 La ou le sous-ministre paie à l’employée ou à l’employé ou à ses ayants droit, le cas échéant, qui a au moins une (1) année d’ancienneté au moment de sa démission, de son congédiement, de sa mise à pied, de son licenciement, de son décès ou de sa retraite, une indemnité équivalant à la moitié du solde de jours de congé de maladie accumulés à sa réserve à titre de fonctionnaire. Cette indemnité est payée sur la base du traitement applicable à l’employée ou à l’employé au moment de son départ et ne peut excéder, en aucun cas, soixante-six (66) jours du traitement brut à la date du départ. » [A-16]
« 8-1.39 Après entente avec la ou le sous-ministre sur le nombre d’heures de travail et leur répartition, l’employée ou l’employé qui opte pour une retraite graduelle a le droit de recevoir une indemnité équivalant à la moitié du solde des jours de congé de maladie accumulés à sa réserve, sur la base du traitement qui lui est applicable avant que ne débute sa retraite graduelle. Cette indemnité ne peut excéder en aucun cas soixante-six (66) jours de traitement brut. » [A-16]
[Nous soulignons]
[79] Mme Brodeur fait ressortir ainsi qu’au moment de quitter la fonction publique la base du paiement des jours de vacances ou de congés de maladie accumulés est son traitement à la date du départ.
[80] Et Mme Brodeur de revenir plus loin à cet égard dans sa plaidoirie en disant :
« Si je l’avais su plus tôt, j’aurais pu mettre fin à mon aménagement bien plus tôt. Si je n’ai rien fait avant la mi-mars, c’est que moi je pensais qu’il y avait conversion des banques pour les gens qui avaient un horaire majoré, compte tenu que toutes leurs banques avaient été acquises à sept heures par jour. Dès que j’ai su cela de Mmes Dupont et Parisé, j’ai dit : "Vous avez eu un beau cadeau." C’est là que j’ai trouvé cela inéquitable. »
[81] Elle renvoie également la Commission à certains paragraphes de l’article 1 de son entente de retraite (A-21) dans lesquels elle a exprimé les choix suivants :
« Mme Thérèse Brodeur choisit :
1. De mettre fin à son programme d’aménagement et réduction du temps de travail (ARTT) le lundi 16 avril 2012 à 8h 30.
2. Un programme de retraite progressive débutant le mardi 17 avril 2012 à 8h 30 et se terminant le lundi 11 novembre 2013 à 16h 30. Les journées non travaillées seront : mardi, mercredi et jeudi.
3. D’utiliser 54 jours de vacances, à raison de deux jours par semaine, débutant le lundi 12 novembre 2012 à 8h 30 et se terminant le dimanche 11 novembre 2012 à 16h 30.
4. Un programme de préretraite graduelle jumelé au départ progressif débutant le lundi 12 novembre 2012 à 8h 30 et se terminant le lundi 11 novembre 2013 à 16 h 30. Les journées non travaillées seront : lundi et vendredi. Nombre de jours utilisés : 96.
[…] »
[82] Mme Brodeur constate qu’à compter du 16 avril 2102, elle a été sur un horaire de 35 heures par semaine pour au moins une journée.
[83] Donc, suivant les dispositions applicables citées précédemment, ses différents congés devaient lui être payés sur la base de 35 heures semaines. Mais, ce qu’elle avait demandé c’était que son poste soit majoré à 40 heures par semaine et c’est la demande qu’elle réitère maintenant à la Commission.
[84] Puisque M. Labbé n’avait pas répondu à sa demande de majorer sa semaine de travail, Mme Brodeur explique qu’elle a dit à M. Lortie :
« Mets-le dans mon entente que mon aménagement cesse. Mets-moi une journée à 35 heures pour que, si je gagne ma plainte, je sois à 40 heures, pour avoir le même avantage retraite, congés de maladie et vacances que mes collègues. »
[85] Pour toute sa durée du 16 avril 2012 au 12 novembre 2013, sa préretraite, alors rémunérée à même ses réserves de jours de vacances et de congés de maladie, serait considérée à 40 heures par semaine et sa rente de retraite, basée sur les meilleures années de ses gains d’emploi, s’en trouverait améliorée.
[86] Dans un autre ordre d’idées, Mme Brodeur se pose la question de savoir pourquoi M. Labbé, qui avait préparé en décembre 2011 une demande de majoration également pour elle, ne l’a pas déposée auprès de Mme Barbeau. En temps normal, c’est ce qu’il aurait dû faire et ce qui aurait permis à celle-ci d’inscrire, dans l’espace réservé à un avis de conformité à donner par un responsable des ressources humaines, qu’elle n’avait pas droit à l’aménagement. Pour Mme Brodeur, il s’agit là d’un autre indice que les choses ne se sont pas passées normalement et c’est révélateur du traitement inapproprié de son cas.
[87] Sur le fait que M. Labbé ait insisté pour la rencontrer et ait rejeté sa demande de n’entrer en contact avec elle que par écrit, Mme Brodeur considère que lorsqu’un moyen ne convient pas à une personne et que l’on tient réellement à entrer en communication avec elle, on en essaye un autre. Selon elle, c’était d’autant plus approprié qu’elle lui avait signifié qu’elle privilégiait un moyen qui laisse des traces parce que sa confiance en lui était fort diminuée.
[88] Enfin, Mme Brodeur fait remarquer à la Commission que si M. Labbé avait réellement voulu lui proposer une certaine période de travail à 35 heures semaines avant de majorer son temps de travail hebdomadaire à 40 heures, il aurait pu lui faire, par écrit, une proposition à l’inverse : « Essaie le 40 heures et si cela ne fait pas, tu retourneras à 35 heures. » Selon elle, s’il ne l’a pas fait c’est plutôt que la porte était complètement close, dans son cas à elle, pour la majoration à 40 heures.
[89] Il ne faudrait pas que la Commission retienne l’argument de M. Labbé à l’effet qu’il a senti que le dossier s’envenimait.
« Pourtant, j’ai toujours été courtoise dans mes courriels, mais sérieusement ferme. Mais pourquoi, lui, ne pas avoir tenté de faire baisser la tension en m’écrivant? »
[90] Mme Brodeur dépose copie de la décision de la Commission dans l’affaire Lord[4] dans laquelle il est cité un passage de l’article 8-1.37 de la convention collective applicable à cette époque où il est mentionné que l’indemnité compensatrice, au moment de la retraite, de congés de maladie accumulés se calcule sur la base du traitement brut à cette date.
[91] Mme Brodeur conclut en disant qu’elle a trouvé très triste de terminer son emploi de la façon dont cela s’est déroulé et elle souhaite que la Commission soit équitable et accueille son appel.
[92] Pour la procureure du CSPQ, Mme Brodeur, qui demande une majoration à 40 heures par semaine de son poste de travail, cherche à modifier sa situation au moment de prendre sa retraite. Or, la compétence de la Commission par rapport à ce litige ne peut aller jusque-là.
[93] M. Lortie a mentionné que pour qu’un horaire majoré soit conservé durant une préretraite, il fallait une autorisation particulière, attribuée de façon discrétionnaire. La majoration d’horaire n’est pas une récompense. Même si Mme Brodeur cite plusieurs dispositions de la convention collective des professionnels selon lesquelles la rémunération des vacances ou congés de maladie lors d’un départ de la fonction publique est fondée sur le traitement au moment de ce départ, cela n’emporte pas la condition, dans le cas particulier d’un horaire majoré, qu’il faille d’abord que son maintien ait été autorisé pour la durée de la préretraite. Il y a un pouvoir discrétionnaire qui doit s’exercer et tant qu’il ne l’a pas été, la Commission ne peut intervenir.
[94] Par ailleurs, la procureure du CSPQ croit qu’il convient de s’inspirer dans ce dossier-ci d’une décision[5] de l’arbitre de grief Pierre-A. Fortin dans un dossier où on prétendait à un droit acquis à une majoration d’horaire de travail. L’arbitre Fortin disait :
« Il serait pour le moins questionnable qu’une majoration de l’horaire par l’employeur pour des besoins particuliers devienne une allocation garantie le liant, à cause de la durée ou autrement, de telle sorte qu’il ne puisse modifier à nouveau l’horaire pour le rendre conforme à l’horaire régulier dans le respect de la convention collective. Confirmer un droit acquis au plaignant en la matière équivaudrait à annuler ou restreindre le pouvoir de l’employeur de modifier la répartition et les heures de travail que lui confère la convention collective, ce faisant, l’arbitre outrepasserait sa juridiction. »
[95] Quant à la décision Lord, déposée par Mme Brodeur, la procureure du CSPQ fait remarquer qu’il s’agit d’un cas dans lequel l’horaire de travail majoré avait été formellement aboli avant que le plaignant prenne sa retraite.
[96] Relativement aux faits soulevés par Mme Brodeur, la procureure conteste sa façon de les présenter.
[97] Par exemple, on ne peut suggérer qu’en omettant d’inclure un motif dans l’avis de convocation de la rencontre du 2 février 2012, on ait voulu éviter d’informer Mme Brodeur du projet de majoration d’horaire pour éviter qu’elle mette fin à son aménagement de temps de travail. Même si elle l’avait su plus tôt, rien ne prouve qu’elle aurait agi différemment. De toute façon, de souligner la procureure, elle ne s’est pas plainte au lendemain de cette rencontre, mais plus tard lorsqu’elle a été informée que les banques de congés de maladie ou de vacances restaient les mêmes en termes de jours. C’est du principe même de la majoration d’horaire qu’elle déduit erronément qu’il en résulte un cadeau pour ceux qui en bénéficient et une iniquité pour elle.
[98] À partir de l’entente de retraite de M. Vézina, Mme Brodeur maintient que celui-ci a peut-être, bien que ce n’y soit pas écrit, eu droit à la conservation de son horaire majoré à 40 heures durant sa préretraite. Pourtant, la preuve apportée par M. Lortie est claire : il n’y a finalement pas eu droit. De plus, qu’elle ait été en mauvais termes avec M. Vézina ne change rien; M. Labbé a témoigné qu’il n’avait pas discuté avec lui de ses échanges avec Mme Brodeur.
[99] La majoration de l’horaire de travail n’a pas été retenue par rapport au cas particulier de Mme Brodeur. M. Labbé a expliqué que c’était la solution qu’il a choisie pour faire face à une situation appréhendée de vulnérabilité du service à rendre en raison de départs prévisibles à la retraite. Il a même mentionné qu’il avait cru, en développant son projet, pouvoir majorer l’horaire de Mme Brodeur tout en la laissant en aménagement de son temps de travail. Mais, on lui a dit que ce n’était pas possible et c’est pour cela qu’il a mentionné, lors de la rencontre du 2 février 2012 avec l’équipe des pilotes, que Mme Brodeur n’était pas admissible à la majoration d’horaire envisagée.
[100] Par la suite, la situation a évolué. Rendu au 21 mars, lorsqu’il répond au premier courriel de Mme Brodeur, celui du 14 précédent, il s’est rendu compte qu’avec les 25 heures additionnelles de travail découlant de l’horaire majoré des autres pilotes, il n’y avait pas urgence à faire passer un autre poste à 40 heures.
[101] Par ailleurs, comment, se demande la procureure, pourrait-on dire que c’est déraisonnable de la part de M. Labbé d’avoir refusé de lui accorder la majoration à 40 heures, alors qu’il l’a invitée par trois fois à aller le rencontrer pour discuter de la situation? Pour la procureure, l’argument que tente de tirer Mme Brodeur du fait que M. Labbé n’ait pas retenu sa demande de ne communiquer avec elle que par écrit ne tient pas davantage. Elle ne l’avait rencontré qu’une seule fois avant la réunion du 2 février et même si sa confiance en lui n’était plus là, rien ne l’empêchait d’aller voir son gestionnaire qui voulait discuter avec elle.
[102] En conclusion, la procureure du CSPQ affirme que l’horaire spécial de travail prévu dans les conditions de travail des professionnels n’est pas une bonification de la retraite, comme le voudrait Mme Brodeur. C’est la réponse à un besoin de l’organisation et il est demandé à la Commission de rejeter son appel.
[103] L'appel de Mme Brodeur est fait en vertu de l’article 127 de la Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1, qui indique notamment ce qui suit :
« 127. Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu’il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d’aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.
Ce règlement établit, en outre, les règles de procédure qui doivent être suivies.
La Commission de la fonction publique entend et décide d’un appel. […] »
[104] Le règlement auquel fait référence l’article 127 est le Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective, c. F-3.1.1, r. 5. À son article 2, ce règlement énonce une liste de directives dont les décisions afférentes peuvent être contestées devant la Commission.
[105] Enfin, le paragraphe 5 de cet article 2 inclut, dans l’éventail des directives visées, la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires, laquelle, comme il l’a été précisé en note de bas de page du paragraphe 33 de cette décision, prévoit une extension aux personnes non syndiquées de pratiquement l’ensemble des conditions de travail prévues à la convention collective du personnel syndiqué qui leur est correspondant. Dans ce dossier, c’est la Convention collective des professionnelles et professionnels 2010-2015 qui est pertinente à l’appel de Mme Brodeur, analyste de l’informatique et de procédés administratifs, un emploi de la catégorie du personnel professionnel.
[106] Par ailleurs, comme cette affaire est de nature civile et administrative, le régime général de la preuve appliqué est celui prévu au Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64. À cet égard, les articles 2803 et suivants du C.c.Q, édictent que :
« Art. 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
Art. 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.
Art. 2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n’exige expressément de la prouver. »
[107] Appelé couramment la preuve selon la balance des probabilités, le tribunal qui applique ce régime doit constater s’il est plus probable qu’improbable que les faits allégués sont réellement ceux qui se sont passés.
[108] Quant aux moyens de preuve à la disposition de la personne qui veut faire valoir son droit, on compte bien sûr les témoignages d’individus et les pièces documentaires, mais également des moyens plus indirects comme la présomption décrite également au C.c.Q. :
« Art. 2846. La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu. »
[109] À l’égard des présomptions, il importe de retenir ceci :
« Art. 2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l’appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes. »
[110] Enfin, rappelons que les tribunaux supérieurs ont précisé ce qu’il fallait entendre pour chacune de ces qualités. Le juge Lamer, alors juge à la Cour d’appel, précisait leur contenu dans l'affaire Longpré[6] en ces termes :
« Pour conclure ainsi, j'ai fait mienne la notion qu'avait Larombière de la norme qui s'applique en l'espèce et qu'il énonça ainsi dans son traité des obligations : Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l'existence de l'un établit, par une induction puissante, l'existence de l'autre (…).
Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. […]
Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu'il s'agit de prouver (…) Si (…) elles se contredisent (…) et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l'esprit du magistrat[…]. »
[111] Ce long préambule aux motifs qui suivent pour souligner que c’est en tenant compte de ces conditions de validité que plusieurs des faits soulevés par Mme Brodeur doivent être analysés en premier lieu, puisque, de l’avis de la Commission, une bonne partie de sa preuve repose sur les conjectures qu’elle tire de ces faits et que la Commission devrait accepter comme des présomptions.
[112] Par ailleurs, la décision du CSPQ qui est contestée par Mme Brodeur, c’est avant tout de lui refuser de majorer son horaire de travail à compter du 16 avril 2012. Mme Brodeur était toujours en lien d’emploi à cette date et la Commission a compétence pour décider de la question qu’elle soulève, et ce, même si la décision qu’elle rendra pourrait avoir un effet sur le futur.
[113] Mme Brodeur n’invoque aucun article de ses conditions de travail qui accorderait le droit à cette majoration d’horaire. Elle considère cependant avoir été, dans les circonstances, traitée injustement par rapport à ses collègues pilotes. La Commission a ainsi à décider si le refus du CSPQ a revêtu un caractère abusif, arbitraire ou déraisonnable au point d’être invalidé.
[114] De la plaidoirie de Mme Brodeur, la Commission retient d’abord les allégations suivantes.
[115] Mme Brodeur soutient que le besoin de majorer la semaine de travail des pilotes de son équipe n’avait pas été démontré. Elle invoque que Mmes Dupont et Parisé ont témoigné n’avoir pas fait d’heures supplémentaires en 2011, dans l’année précédant celle où la majoration d’horaire est survenue, ce qui démontrerait une absence de besoin d’heures additionnelles de travail. Elle relève également que Mme Dupont et M. Mathieu avaient déjà demandé d’avoir des primes d’expert et qu’il était difficile d’en obtenir, ce qui démontre que le CSPQ voulait éviter d’en demander en majorant l’horaire de tout le monde sauf elle.
[116] Pourtant, Mme Brodeur invoque des éléments du rapport de la rencontre d’équipe du 12 avril 2012 au cours de laquelle il a été fait état d’un manque de ressources internes dans l’équipe de pilotage. Elle invoque ce fait pour justifier qu’on aurait dû faire plutôt appel à elle puisqu’elle avait davantage d’expérience. De plus, Mme Dupont a aussi témoigné que ce n’était pas l’habitude de faire des heures supplémentaires car c’était compliqué à faire autoriser et qu’en lieu et place les pilotes accumulaient des heures dans leur banque de temps.
[117] Le temps à compenser par la banque de temps peut équivaloir à des heures supplémentaires aux fins de démontrer qu’un autre moyen, comme la majoration d’horaire, pouvait venir contribuer à combler des besoins. On ne peut alors présumer que ces besoins n’existaient pas. Et si ces besoins n’existaient pas, comment Mme Brodeur peut-elle suggérer qu’on aurait dû faire appel à ses services en majorant son horaire pour les combler? Les éléments de cette conjecture ne sont pas concordants.
[118] Mme Brodeur se questionne à savoir si l’absence, dans la convocation de la réunion du 2 février 2012, de l’objet de la rencontre pouvait découler d’une volonté de tenir des informations secrètes et l’empêcher de mettre fin plus tôt à son aménagement de temps de travail et de la rendre admissible au projet de majoration d’horaire.
[119] De plus, elle reproche à M. Labbé de ne pas non plus avoir mentionné à ce moment-là qu’il n’avait pas besoin d’un sixième poste à 40 heures par semaine.
[120] La prétention relative à l’objet de la rencontre ne concorde pas avec le témoignage de Mme Brodeur qui a reconnu qu’elle n’avait pas de problème a priori, le 2 février, avec l’idée qu’elle ne pouvait pas voir majorer son horaire de travail parce qu’elle était déjà en aménagement de son temps de travail à trois jours par semaine. C’est l’information obtenue plus tard de Mme Dupont quant à la rémunération des jours de congé de maladie ou de vacances des personnes en horaire majoré qui a suscité sa volonté de mettre fin à son régime particulier d’aménagement de temps de travail.
[121] Quant au reproche à M. Labbé, il ne tient pas compte du fait que le 2 février, le projet de majoration d’horaire n’était pas encore en place et qu’en conséquence M. Labbé ne pouvait pas savoir encore que l’apport des heures additionnelles qui allaient être travaillées par les autres pilotes suffirait à combler les besoins. La bonne foi se présume toujours et la Commission doit prendre l’explication de M. Labbé pour ce qu’elle révèle de l’évolution des événements qui l’ont amené à considérer, à la mi-mars, que les besoins ne commandaient plus nécessairement d’ajouter un poste à 40 heures.
[122] Mme Brodeur prétend que le CSPQ ne l’aurait pas traitée équitablement en comparaison de M. Vézina dont la copie du projet d’entente qu’elle avait vu traîner sur une imprimante mentionnait qu’il pourrait conserver, durant sa préretraite, le bénéfice de son horaire majoré. Malgré le témoignage de M. Lortie voulant que cela n’a finalement pas été le cas, Mme Brodeur maintient que l’entente déposée en preuve ne représente peut-être pas son vrai « visage » parce qu’elle ne comporte pas toutes les signatures appropriées.
[123] Cette suggestion ne présente aucunement le caractère de gravité nécessaire pour donner lieu à une présomption valable, suggestion qu’il lui appartenait d’abord à elle de prouver. Les faits connus, le document aperçu sur l’imprimante et l’entente incomplète déposée en preuve, n’établissent pas, par une induction puissante, d’un contenu de l’entente finale qui irait dans le sens de la prétention de Mme Brodeur.
[124] Par ailleurs, Mme Brodeur dit qu’elle ne souhaitait pas prendre sa préretraite si tôt, n’eût été du comportement difficile de M. Vézina à son endroit. Peut-être que le tempérament de M. Vézina pouvait lui être difficile à supporter, mais cet argument ne vient en rien justifier cependant que le CSPQ lui accorde la majoration de sa semaine de travail à 40 heures.
[125] En résumé, la Commission ne peut induire des conjectures de Mme Brodeur, de ses raisonnements à partir des faits résumés précédemment, l’existence des faits qu’elle tente par-là de prouver et qui auraient pu supporter des présomptions valables.
[126] Mme Brodeur tente de convaincre que les choses auraient pu se passer autrement en suggérant que M. Labbé aurait pu faire d’autres choix dans sa façon de gérer.
- M. Labbé aurait dû acheminer à Mme Barbeau la formule de demande de majoration d’horaire qui la concernait;
- il aurait dû considérer sa demande de ne communiquer avec elle que par écrit, comme il aurait dû essayer un autre moyen que de lui demander de venir le rencontrer quand il voyait qu’elle ne se rendait pas aux rendez-vous fixés;
- il aurait dû lui proposer de tenter directement un retour à un horaire majoré plutôt que de penser lui suggérer de revenir d’abord à 35 heures par semaine.
[127] Mais Mme Brodeur ne peut simplement se glisser dans le rôle que M. Labbé a eu à jouer et substituer à ses décisions celles qu’elle-même ou une autre personne aurait prises si elle eut été à sa place. Au mieux, Mme Brodeur pouvait tenter de démontrer que les choix, les décisions effectives de M. Labbé étaient arbitraires, abusives ou déraisonnables, mais pas uniquement en suggérer d’autres.
[128] Mme Brodeur a bien fait état de dispositions de la convention collective des professionnels du gouvernement du Québec qui, par extension de leur portée au personnel non syndiqué, établissent que les jours accumulés dans les banques de congés de maladie ou de vacances sont rémunérés, selon certaines conditions, au moment du départ de son emploi d’un fonctionnaire, à leur valeur au jour de ce départ.
[129] Mais l’horaire majoré est un horaire spécial qui est tributaire de la décision de l’employeur. L’article 4-1.05 de la convention collective des professionnels, qui encadre notamment l’instauration et la fin d’un horaire spécial, prévoit expressément ceci :
« 4-1.05 Un horaire spécial de travail peut être établi par la ou le sous-ministre lorsque : […]
La ou le sous-ministre peut mettre fin à l’horaire spécial d’une employée ou d’un employé après l’en avoir avisé au moins trente (30) jours à l’avance. »
[130] De la rédaction de cet article qui vise un employé à la fois, on doit déduire, comme l’a plaidé le CSPQ, qu’un horaire majoré s’attribue poste par poste et non par exemple, par équipe de travail.
[131] S’il n’existe pas de droit à se faire maintenir un horaire spécial, sous réserve possiblement d’agissements arbitraires ou abusifs pour l’enlever à une personne alors que les conditions pour lesquelles il lui aurait été accordé existeraient toujours, la Commission ne saurait dans ce cas-ci, où Mme Brodeur n’a jamais vu l’horaire de sa semaine de travail être majoré à 40 heures, se substituer au CSPQ pour lui en attribuer un.
[132] C’est là la seule décision que la Commission avait à rendre dans ce dossier. Il n’est pas nécessaire qu’elle se prononce sur la pratique d’un droit discrétionnaire, selon le CSPQ, qu’aurait un employeur de faire bénéficier, dans certaines circonstances, un fonctionnaire, pendant sa préretraite, des avantages d’un horaire majoré.
POUR CES MOTIFS, la Commission rejette l’appel de Mme Thérèse Brodeur.
Original signé par :
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_________________________ Robert Hardy, avocat Commissaire |
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Mme Thérèse Brodeur |
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Appelante non représentée |
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Me Mélissa Houle |
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Procureure pour l’intimé |
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Lieu de l’audience : |
Québec |
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Dates de l’audience : |
23 et 24 janvier 2013 |
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[1] Selon la Directive concernant la détermination du niveau de complexité des emplois professionnels et la gestion des emplois de complexité supérieure, l’employé désigné à un emploi de complexité « expert » a, sous certaines conditions, droit à un montant forfaitaire équivalent à 10 % ou, si son emploi est désigné de complexité « émérite », à un montant forfaitaire équivalent à 15 % de son taux de traitement. Ce montant lui est versé à chaque période de paye tant que son emploi est ainsi désigné, et ce, même pour une certaine période additionnelle qui varie selon la durée pour laquelle son emploi a été désigné d’un niveau ou l’autre de complexité. C.T. 204117 du 31 juillet 2006 et ses modifications, art. 19.
[2] Il s’agit de la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires, C.T. 203262 du 31 janvier 2006 et ses modifications, qui prévoit notamment ceci :
« SECTION II - EXTENSION DE CERTAINES CONDITIONS DE TRAVAIL AUX FONCTIONNAIRES NON SYNDIQUÉS
Sous-section 2 - Extension de conditions de travail
14. S'appliquent, en les adaptant, au fonctionnaire visé à la présente section, à l'exception du régime syndical et de la procédure de règlement des griefs et d'arbitrage, les dispositions des dernières conventions collectives liant le gouvernement du Québec et :
1° le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec; (…) »
[3] Convention collective des professionnelles et professionnels 2010-2015, Les publications du Québec, 2011, 189 p.
[4] Lord c Secrétariat du Conseil du trésor [2005] 14 n° 1 R.D.CF.P. 81, p. 95.
[5] Syndicat de la fonction publique du Québec c. Gouvernement du Québec (RAMQ), sentence arbitrale du 16 juillet 2002, Pierre A. Fortin, arbitre.
[6] Longpré c. Thériault, [1979] CA 258, p. 262.
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