Construction Blanchard et Frères (1994) inc. c. 9135-9505 Québec inc. |
2014 QCCS 45 |
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JO-0317 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEDFORD |
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N° : |
460-17-001341-106 |
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DATE : |
15 janvier 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHARLES OUELLET, J.C.S. |
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CONSTRUCTION BLANCHARD ET FRÈRES (1994) INC. |
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Demanderesse / saisissante |
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c. |
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9135-9505 QUÉBEC INC. |
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Défenderesse / saisie |
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et |
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9246-6440 QUÉBEC INC. |
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Opposante |
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Me CHRISTIAN DAVIAU |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Ce jugement dispose des procédures suivantes :
a) « Requête en opposition à la saisie-exécution mobilière » présentée par 9246-6440 Québec inc. (9246)[1];
b) « Requête (ré) amendée de la demanderesse / saisissante en contestation de la déclaration négative de la tierce-saisie »[2] présentée par Construction Blanchard et Frères (1994) inc. (Blanchard).
le contexte
[2] En 2007, 9135-9505 Québec inc. (9135) fait effectuer par Blanchard des travaux de construction dans un local qu’elle s’apprête à louer sur la rue Denison Est dans le but d’y déménager le centre de conditionnement physique (gymnase) qu’elle exploite dans un autre local devenu trop petit.
[3] Une fois les travaux exécutés, 9135 paie à Blanchard le coût des travaux jusqu’à hauteur de 300 000 $ et refuse de payer un solde de 73 368,75 $ réclamé par Blanchard.
[4] Blanchard introduit une requête pour réclamer ce solde à 9135. Celle-ci dénonce des moyens de défense. Le procès est fixé au 21 septembre 2012 à l’occasion de l’appel du rôle tenu le 2 décembre 2011.
[5] Au mois de février 2012, l’âme dirigeante de 9135, Philippe Corriveau, contacte Yan Pellerin. Ce dernier est un jeune homme d’affaires qui s’était déjà montré intéressé à acheter le gymnase exploité par 9135. Il bénéficie du soutien financier de son père.
[6] Une rencontre a lieu à laquelle assistent Yan Pellerin, Philippe Corriveau ainsi que Dominique Lachance et Daniel Parenteau. Ces deux derniers sont alors les actionnaires de 9246.
[7] Corriveau explique à Pellerin avoir convenu de vendre l’entreprise à Lachance et Parenteau qui devaient faire l’achat par l’entremise de 9246. Ces derniers ont dans les faits commencé à exploiter le gymnase depuis quelques mois dans l’attente d’obtenir un prêt du programme de financement des petites entreprises (PPE) qu’ils ont demandé à une caisse populaire.
[8] Corriveau informe Pellerin que la caisse a fait procéder à une évaluation des équipements du gymnase qui en établit la valeur à un peu plus de 310 000 $[3] et qu’elle a refusé la demande de financement de 9246 parce qu’elle considère Lachance et Parenteau, qui devaient cautionner l’emprunt, insuffisamment solvables.
[9] Ceux-ci doivent se retirer de la transaction.
[10] Corriveau offre à Pellerin d’acheter le gymnase pour le montant de l’évaluation des équipements obtenue par la caisse populaire. Les conditions sont à prendre ou à laisser. Il y a le loyer payable le 1er mars qui devra être pris en charge par l’acheteur ainsi que des factures d’électricité et de gaz en souffrance. L’acheteur devra aussi prendre à sa charge les versements mensuels des hypothèques sur les équipements ainsi que le solde du prix d’achat de vélos stationnaires achetés récemment. Le capital versé sur les hypothèques et les vélos lui sera crédité lors de la signature de la vente.
[11] 9135 est insolvable et elle n’est plus en mesure de faire face à ses obligations. Corriveau représente à Pellerin que l’entreprise a besoin d’une injection de capitaux si elle doit survivre, qu’il n’a plus les moyens de continuer à exploiter le gymnase qui fait des déficits et que 9135 va simplement mettre la clé dans la porte si Pellerin n’est pas intéressé à en faire l’achat aux conditions proposées.
[12] Après discussion avec son père au téléphone, Yan Pellerin accepte d’acheter les actifs de l’entreprise. Selon la preuve, l’entente qui intervient lors de cette rencontre est la suivante :
- Lachance et Parenteau lui cèdent leurs actions de 9246, laquelle est à ce moment une coquille vide;
- Pellerin renouvelle ensuite la demande de 9246 pour un PPE à la caisse populaire, cette fois-ci avec sa solvabilité personnelle et celle de son père;
- Une fois que sera obtenu le PPE demandé, 9246 achètera les actifs de l’entreprise pour un montant de 310 000 $.
[13] Pellerin entreprend d’exploiter le gymnase le ou vers le 1er mars. Il paie le loyer à compter de cette date ainsi que toutes les dépenses d’exploitation. Il paie les factures de gaz et d’électricité qui sont en souffrance. Il acquiert les actions de 9246 et obtient le PPE. Le contrat d’achat d’actifs est signé le 31 juillet 2012.
[14] La répartition du prix de vente est faite de la façon suivante[4]:
- Au vendeur (9135) : 27 831,76 $
- Aux créanciers ayant des hypothèques sur
les équipements : 218 473,77 $
- À Revenu Québec : 1 138,47 $
- À l’acheteur (9246) : 62 556,00 $
[15] La somme de 62 556 $ créditée à l’acheteur est pour tenir compte des impenses qu’il a effectuées avant la vente et qui devaient lui être créditées à la signature, c’est-à-dire (chiffres arrondis) :
- Capital remboursé aux créanciers hypothécaires : 21 600 $;
- Marge de crédit : 20 000 $;
- Solde de prix de vente, vélos stationnaires : 4 200 $
- Solde travaux d’asphaltage : 8 200 $
- Factures Gaz Métropolitain en souffrance : 2 200 $
- Factures Hydro-Québec en souffrance : 5 800 $
62 000 $
[16] L’objection prise sous réserve au procès quant au témoignage de Yan Pellerin sur ces montants est rejetée. La preuve révèle qu’il avait une connaissance personnelle suffisante. Sa mère faisait la comptabilité mais c’est lui qui a signé les chèques.
[17] Quant au montant de 27 831,76 $ remis à 9135, la preuve non contredite est qu’il a servi en entier au remboursement partiel de ses autres créanciers (à l’exception de Blanchard).
[18] Le 1er septembre 2012, 9135 signe un contrat de sous-location du local en faveur de 9246 auquel intervient le propriétaire / locateur (Bissonnette)[5]. Selon le contrat, le montant du loyer doit être payé directement au propriétaire / locateur Bissonnette par le sous-locataire 9246.
[19] Le procès qui oppose Blanchard et 9135 pour le solde des coûts de construction des aménagements du gymnase a lieu le 21 septembre 2012. Un jugement est rendu le 27 septembre 2012 qui condamne 9135 à payer à Blanchard la somme de 73 368,75 $ avec intérêts, indemnité additionnelle et dépens.
[20] Le 6 novembre 2012, Blanchard procède à la saisie des équipements du gymnase en vertu d’un bref de saisie-exécution des biens de 9135.
[21] Le 6 novembre 2012 également, Blanchard signifie un bref de saisie en main tierce à 9246.
[22] Le 13 novembre 2012, 9246 produit la « requête en opposition à la saisie-exécution mobilière » qui fait l’objet du présent jugement. 9246 allègue être propriétaire des équipements saisis pour les avoir achetés aux termes du contrat O-2.
[23] Le 13 novembre 2012 également, 9246 dépose une déclaration négative sur la saisie en main tierce.
[24] Le 30 novembre 2012 Blanchard dépose une « requête de la demanderesse / saisissante en contestation de la déclaration négative de la tierce-saisie », qui sera amendée et ensuite réamendée le 30 avril 2013. Par cette requête, Blanchard fait valoir que 9246 est sous-locataire et qu’elle aurait dû déclarer, sur la saisie en main tierce, qu’elle doit payer un loyer de sous-location à 9135.
[25] Le 27 mai 2013 Blanchard dépose une « contestation de la demanderesse / saisissante à la requête en opposition de la saisie immobilière »[6]. Elle fait valoir que le contrat de vente d’actifs O-2 lui est inopposable.
analyse
[26] Les questions en litige sont :
a) La contestation par Blanchard de la déclaration négative de 9246 est-elle bien fondée ?
b) La demande de Blanchard que soit déclaré inopposable à son égard le contrat de vente d’actifs O-2 est-elle bien fondée ?
a) La contestation de la déclaration négative :
[27] Blanchard plaide exclusivement que la sous-location est un bail en soi qui rend la défenderesse 9135 créancière d’un loyer de sous-location payable par la tierce-saisie 9246.
[28] Blanchard fait valoir que contrairement au cessionnaire d’un bail qui a l’obligation de payer le loyer directement au locateur (art. 1873 C.c.Q.), le sous-locataire doit payer le loyer au sous-locateur, la loi ne stipulant le paiement du loyer de sous-location directement au locateur qu’à compter du moment où ce dernier intente une action contre le locataire / sous-locateur (art. 1874 C.c.Q.).
[29] Cet argument, en théorie juste, fait cependant abstraction des dispositions du contrat de sous-location signé entre les parties, auquel est intervenu le propriétaire Bissonnette, qui contient plusieurs stipulations particulières, dont notamment l’obligation pour la sous-locataire 9246 de payer le loyer directement au locateur Bissonnette ainsi que la prise en charge par 9246 de toutes et chacune des obligations de la locataire 9135.
[30] Blanchard n’a pas plaidé que ces stipulations seraient nulles ou qu’elles lui seraient inopposables.
[31] L’article 625 C.p.c. stipule que le tiers-saisi doit déclarer « les sommes qu’il doit au débiteur ou qu’il aura à lui payer ».
[32] Blanchard n’a pas convaincu le Tribunal que 9246 devait du loyer à 9135 au moment de la saisie en main tierce, ni qu’elle aurait à lui en payer par la suite.
[33] Rappelons que 9135 est insolvable et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’elle paiera elle-même au propriétaire Bissonnette la part du loyer dont 9246 est devenue sa codébitrice solidaire envers Bissonnette à la signature du contrat de sous-location.
b) L’inopposabilité du contrat de vente d’actifs (O-2) :
[34] Dans l’arrêt Réserve de bois Morin et Blanchette inc. c. Tremblay[7] la Cour d’appel écrit :
« [25] La Cour a déterminé les conditions nécessaires à l'exercice de l'action en inopposabilité de la façon suivante :
1. le demandeur doit avoir, contre son débiteur qui aliène, une créance valable et antérieure à l’acte d’aliénation;
2. l’acte d’aliénation doit causer préjudice au créancier demandeur;
3. le débiteur doit avoir agi avec l’intention de frauder;
4. celui qui a contracté avec le débiteur n’était pas de bonne foi [référence omise]. »
[35] La condition numéro 1 est rencontrée. La créance est antérieure au contrat de vente. Elle est née suite à l’exécution des travaux de construction des aménagements au local par Blanchard et le jugement rendu subséquemment n’a fait qu’en confirmer l’existence.
[36] La condition numéro 2 est également satisfaite. La preuve présentée par Blanchard, bien que sommaire sur ce point, permet de déduire avec un degré de certitude suffisant que les actifs physiques vendus étaient affectés d’hypothèques à hauteur de 218 473,77 $[8] alors que leur valeur était évaluée à 314 000 $[9], laissant une valeur possible de 96 000 $ libre d’hypothèque. La vente des actifs a privé Blanchard de la possibilité d’exécuter son jugement sur ce gage commun.
[37] La condition numéro 3 est aussi remplie. Il ressort du témoignage de Philippe Corriveau que celui-ci n’a jamais eu l’intention de payer le solde de la créance de Blanchard pour les travaux. La vente n’a pas été faite dans le but d’éluder le paiement de cette créance mais elle a été faite sans considération aucune pour celle-ci, avec l’intention et avec pour résultat de préférer les autres créanciers, notamment ceux que la somme de 27 831,76 $ perçue par 9135 a servi à payer.
[38] La condition numéro 4 n’est cependant pas rencontrée.
[39] D’entrée de jeu, Blanchard dispose d’une présomption qui établit la mauvaise foi de 9246 puisque celle-ci, par son représentant Yan Pellerin, connaissait l’insolvabilité de 9135 :
« Art. 1632. Un contrat à titre onéreux ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable. »
[40] Dans l’arrêt Banque Nationale du Canada c. Soracchi[10] la Cour d’appel a établi que cette présomption est réfragable.
[41] Le témoignage non contredit de Yan Pellerin est qu’il n’a appris l’existence de la créance de Blanchard qu’au moment de la saisie-exécution ainsi que de la saisie en main tierce pratiquées entre ses mains le 6 novembre 2012, c’est-à-dire un peu plus de trois mois après qu’il eut acheté et payé les actifs du gymnase.
[42] Son comportement, tel que révélé par la preuve non contredite, est conforme à celui d’un acheteur de bonne foi qui fait l’acquisition des actifs d’une entreprise en difficulté.
[43] Pellerin connaissait l’insolvabilité de 9135 et il devait savoir qu’une fois les créanciers hypothécaires payés, le solde disponible du prix de vente serait insuffisant pour payer tous les créanciers ordinaires. Cependant, il ignorait que Blanchard était un des créanciers ordinaires, si bien qu’il ne pouvait pas savoir que Corriveau avait l’intention de faire en sorte que Blanchard ne reçoive rien.
[44] C’est pourquoi le Tribunal estime que Pellerin a repoussé la présomption à l’effet que 9246 a conclu le contrat d’achat d’actifs avec l’intention de frauder. Ceci mène au rejet de la demande en inopposabilité[11].
[45] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[46] ACCUEILLE la requête en opposition à la saisie-exécution mobilière de l’opposante 9246-6440 Québec inc.;
[47] REJETTE la contestation de la requête en opposition à la saisie-exécution mobilière;
[48] ANNULE la saisie-exécution mobilière pratiquée le 6 novembre 2012 sur les biens situés au […] à Granby;
[49] ACCORDE à l’opposante mainlevée de ladite saisie-exécution;
[50] REJETTE la requête réamendée de la demanderesse en contestation de la déclaration négative de la tierce-saisie;
[51] LE TOUT sans frais, vu les circonstances.
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__________________________________ CHARLES OUELLET, J.C.S. |
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Me Julien Cabanac |
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Procureur de la demanderesse |
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Me Robert Jodoin |
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Procureur de la défenderesse et opposante |
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Date d’audience : |
29 juillet 2013 |
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[1] Séquence 028, à laquelle une contestation écrite a été déposée sous la sequ. 082.
[2] La requête réamendée porte la séquence 077, la requête amendée la séquence 051 et la requête initiale la séquence 033.
[3] Dans les faits l’évaluation obtenue par la caisse populaire établit la valeur des équipements à 314 845 $ pièce O-3.
[4] Pièce C-6
[5] Pièce DS-7.
[6] Séquence 082.
[7] 2012 QCCA 253.
[8] État des déboursés C-6.
[9] Pièce O-3.
[10] REJB 2000-16669, voir The Mutual Trust Company c. St-Cyr, C.A. 22 août 2002, AZ-50141903 aux paragr. 21 à 24.
[11] BAUDOUIN, Jean-Louis, JOBIN, Pierre-Gabriel, Les Obligations, 7e éd., paragr. 914.
AVIS :
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