Droit de la famille — 10616 |
2010 QCCS 1145 |
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JC2043 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
500-04-043240-069 |
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DATE : |
19 mars 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEAN-PIERRE CHRÉTIEN, J.C.S. |
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N... A... |
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Requérante |
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c. |
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S... L... |
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Intimé |
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JUGEMENT |
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[1] Madame N... A... ("Mme A...") demande dans sa requête que Monsieur S... L... ("M. L...") soit déchu de toute autorité parentale relativement à leur fils, X, né le [...] 2003. Elle allègue, d'une part, la très grande dangerosité que représente M. L... pour elle et, d'autre part, que cela est nécessaire dans l'intérêt de X. Monsieur et Madame n'étaient pas mariés.
[2] M. L... demande dans sa requête des droits d'accès afin de voir son fils et se dit ouvert à toutes les modalités pouvant être mises en place pour que tout se passe bien tenant compte, d'une part, du long délai depuis qu'il ne l'a pas revu, soit un peu plus de quatre ans et, d'autre part, du fait que les relations sont extrêmement difficiles entre lui et Mme A....
[3] Lors de l'audition, les procureurs des parties ont convenu de ne procéder que sur la requête en déchéance de l'autorité parentale.
[4] Le procès s'est tenu sous haute surveillance policière, avec des mesures de sécurité exceptionnelle, car M. L... est jugé, par les policiers, très dangereux pour Mme A.... D'ailleurs, celle-ci vit avec ses deux enfants, depuis le 16 février 2006, dans une ville dont le nom est tenu secret, et cela sous la protection de la Sûreté du Québec, le but étant que M. L... ne puisse pas la retrouver.
DROIT
[5] Toute demande de déchéance de l'autorité parentale doit être traitée avec grand soin car elle est lourde de conséquences pour tous et, en particulier, pour la personne envers qui une telle demande est formulée.
[6] Les dispositions du Code civil du Québec applicables en l'espèce sont les articles 600, 606, 32 et 33 qui se lisent comme suit :
Art. 600. Les père et mère exercent ensemble l'autorité parentale.
Si l'un d'eux décède, est déchu de l'autorité parentale ou n'est pas en mesure de manifester sa volonté, l'autorité est exercée par l'autre.
Art. 606. La déchéance de l'autorité parentale peut être prononcée par le tribunal, à la demande de tout intéressé, à l'égard des père et mère, de l'un d'eux ou du tiers à qui elle aurait été attribuée, si des motifs graves et l'intérêt de l'enfant justifient une telle mesure.
Si la situation ne requiert pas l'application d'une telle mesure, mais requiert néanmoins une intervention, le tribunal peut plutôt prononcer le retrait d'un attribut de l'autorité parentale ou de son exercice. Il peut aussi être saisi directement d'une demande de retrait.
Art. 32. Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l'attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.
Art. 33. Les décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.
Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.
(Notre soulignement)
[7] Le juge Beetz de la Cour suprême a bien campé, en 1987, ce que représente la déchéance de l'autorité parentale[1]. Il s'exprime comme suit :
« La déchéance est une mesure radicale, quoique nécessaire, de contrôle de l'autorité parentale. Elle dépouille son titulaire de droits mais ne le libère jamais de ses obligations. Lorsqu'elle est totale, la déchéance est susceptible de mener à la rupture du lien de filiation par le mécanisme de l'adoption
[…]
Elle peut aussi, selon les circonstances, conduire au changement de nom de l'enfant dont le parent a été déchu (art. 56.3 C.c.B.-C.) La déchéance de l'autorité parentale constitue un jugement de valeur sur la conduite de son titulaire. Qu'il soit partiel ou total, le jugement de déchéance représente une déclaration judiciaire d'inaptitude du titulaire à détenir une partie ou la totalité de l'autorité parentale. On ne peut donc déchoir une personne, même partiellement, sans conclure qu'elle a commis, par action ou abstention, un manquement grave et injustifié à son devoir de parent.
[…]
La déchéance partielle ou totale de l'autorité parentale demeure conditionnelle: elle dépend de la preuve d'un comportement répréhensible du titulaire ».
(Notre soulignement)
[8] Plus récemment, en 2008, le juge Chamberland de la Cour d'appel écrivait sur le sujet ce qui suit[2] :
« 16. La déchéance de l'autorité parentale est une mesure «extrêmement grave». Il s'agit d'une «mesure radicale», une mesure «tout à fait exceptionnelle», d'une «extrême sévérité», dont les auteurs Marty et Raynaud soulignent le «caractère infamant». Le professeur Pineau a déjà écrit que «la déchéance de l'autorité parentale n'a pas été instituée pour permettre à l'enfant de changer de nom […] ou pour permettre d'accélérer le processus d'adoption». Dans Droit de la famille-1738, j'écrivais que la déchéance de l'autorité parentale n'existe pas non plus pour permettre à un parent de contrer ou d'entraver toute velléité de l'autre parent d'avoir accès à l'enfant. Elle ne sera prononcée que si des motifs graves et l'intérêt de l'enfant justifient une telle mesure d'exception. «La nature de la déchéance, à la fois sanction et mesure de protection, explique cette double exigence», expliquent les auteurs Pineau et Pratte.
17. Le fardeau de la preuve incombe à celui ou celle qui demande au tribunal de prononcer la déchéance de l'autorité parentale ».
(Notre soulignement)
[9] Avant d'aborder la discussion, il est nécessaire de rappeler plusieurs faits permettant d'avoir une perspective élargie dans le présent dossier.
RAPPEL DE CERTAINS FAITS
[10] Mme A... a 35 ans et M. L... en a 37. Il a fait une tentative de suicide à l'adolescence suite à une rupture amoureuse décidée par sa petite amie de l'époque qui trouvait qu'il prenait beaucoup trop de drogues.
[11] Mme A... rencontre M. L..., pour la première fois, en 1995.
[12] Mme A... a eu un premier enfant, Y, avec un autre homme en 1999.
[13] M. L... a eu une vie criminalisée depuis son adolescence. Il séjourne en prison, la plupart du temps, de 1991 à 2002, et ce, suite à des condamnations pour différents crimes, soit vols simples, vols qualifiés avec possession d'arme, vol de voiture, introductions par effraction, voies de fait sur policier et menaces de mort. Il y eut également une accusation de tentative de meurtre contre une personne autre que Mme A... dont il ne fut pas trouvé coupable. Grâce à l'argent obtenu de ses méfaits, M. L... se procure beaucoup de drogue qu'il consomme en quantité importante.
[14] En 2002, Mme A... revoit M. L... et commence à le fréquenter. Après être tombée enceinte de X, elle fait vie commune avec lui, la relation s'avérant rapidement très houleuse entre les deux. En juillet 2003, Mme A... met fin à la relation.
[15] Mme A... s'oppose à ce que M. L... voit X du mois de juillet 2003 jusqu'au mois de novembre 2003. En septembre 2003, M. L... se présente chez Mme A.... Il a encore la clé et ouvre la porte. Mme A... sort de la chambre, suivie de son amant. Elle met M. L... à la porte, tout en l'invectivant. Fou de rage, il défonce à main nue la vitre près de la porte, se coupe profondément et se sectionne plusieurs tendons et vaisseaux sanguins, se causant ainsi une blessure grave nécessitant qu'une ambulance l'emmène d'urgence à l'hôpital.
[16] Le 28 novembre 2003, un consentement sur mesures intérimaires est signé et homologué par la Cour supérieure[3]. En vertu de ce consentement, M. L... a des droits d'accès une fin de semaine sur deux, du samedi à 9h30 jusqu'au lundi à 19h, les droits devant être exercés au domicile de ses parents situé [dans la région A] et en leur présence. Le transfert de X doit se faire au domicile de Mme A..., à ville A, par l'entremise de la grand-mère paternelle. Les parties s'engagent à collaborer pour qu'une expertise psychosociale soit faite relativement aux capacités parentales. M. L... s'occupe de son fils, lui prépare les repas et voit à ses soins personnels, ce que reconnaît Mme A....
[17] Ce consentement, reconduit une seule fois le 19 décembre 2003, fut appliqué de facto par la suite par les parents jusqu'à la fin de l'été 2005, bien que leur relation était très difficile. En effet, Mme A... porte souvent plainte à la police contre M. L... depuis leur séparation et le fait arrêter à plusieurs reprises. Il en résulte finalement une ordonnance lui interdisant d'entrer en contact avec elle.
[18] Le 28 juin 2004, Mme Carole Beauchamp-Leroux, psychologue et psychoéducatrice, signe son rapport, pièce P-8, dont l'objet est «d'évaluer les capacités parentales de chaque parent dans le contexte d'un litige sur la garde de l'enfant en regard de l'intérêt de celui-ci et déterminer si la supervision des parents, du père de l'enfant est nécessaire lors des droits d'accès de celui-ci». En substance, elle recommande que M. L... ait des droits élargis du vendredi soir au lundi soir. Par ailleurs, compte tenu des tensions, elle recommande, page 20, qu'« il lui faut consulter pour se distancier du conflit avec Mme A..., pour développer des stratégies plus adaptées pour composer avec elle, enfin pour se réapproprier une bonne représentation de cette femme qui est la mère de son fils et surtout pour contenir son hostilité ».
[19] Au printemps 2005, rien ne va plus dans la vie de Mme A.... Ses sœurs, M. L... et elle-même d'ailleurs demandent à la Direction de la Protection de la Jeunesse ("DPJ") d'intervenir car elle a beaucoup de difficulté à s'occuper de ses deux enfants, à subvenir aux besoins de la famille et à s'occuper de ses propres besoins. Au cours de l'été 2005, M. L... a souvent X une semaine sur deux.
[20] En effet, Mme A... est loin d'être parfaite. Elle a un caractère difficile, s'exprime avec force et véhémence et fait souvent des crises de nerfs. Elle consomme plusieurs drogues différentes, soit de la marijuana, du haschisch, du speed et de l'ecstasy, entre autres. Pour payer ses dépenses, elle vend d'abord ses bijoux, ensuite un terrain que lui avait donné M. L..., puis elle encaisse les fonds placés dans les régimes enregistrés d'épargne-études de ses enfants. Pour arrondir davantage ses fins de mois, elle accepte d'agir comme escorte à quelques occasions. Au cours de l'automne 2005, elle travaille comme serveuse, uniquement dit-elle, dans un bar de danseuses de ville B où elle dort la nuit, parfois, dans les quartiers réservés au personnel.
[21] Après diverses évaluations, le Tribunal de la Jeunesse rend une ordonnance le 30 août 2005, pièce D-2, contenant plusieurs mesures avec lesquelles Mme A... est d'accord. La DPJ place les enfants dans une famille d'accueil pour donner un répit à Mme A.... Elle doit cesser de consommer et doit subir, sans préavis, des tests confirmant, ou non, la présence de drogues chez elle. Elle doit subir une évaluation en toxicomanie et avoir un suivi social. Il lui est recommandé de participer aux suivis de jour de la clinique de psychiatrie et de prendre la médication appropriée. Quant aux droits d'accès, Mme A... peut voir ses enfants, sous supervision, et M. L... peut voir X à chaque semaine, mais seulement du vendredi soir au dimanche soir.
[22] Le 15 septembre 2005, M. L... est au volant de son véhicule dans lequel prend place son fils X. Il excède la vitesse permise. Un policier lui fait signe d'arrêter, ce qu'il fait en immobilisant sa voiture…à quelques centimètres à peine d'un agent puis, dès le déplacement de celui-ci, il déguerpit avec sa voiture et se précipite à la pharmacie voisine avec son fils, convaincu d'être filmé par les caméras de surveillance, ce qu'il recherche. Les policiers surgissent, le plaquent au sol et le menottent, tout cela devant X, âgé de 2½ ans. Il s'ensuivra une incarcération de quelques jours, une accusation et son droit d'accès, décidé alors par la DPJ, passe à une fin de semaine sur deux.
[23] Le 14 octobre 2005, la DPJ organise une rencontre de concertation au palais de justice de Joliette pour discuter des problématiques relatives à Mme A... et de la garde des deux enfants. Sont présents : la travailleuse sociale, Mme A... et son avocate, M. L... non représenté par avocat et sa mère. La travailleuse sociale rencontre Mme A... et M. L... dans des cubicules séparés. M. L... passe environ une heure, seul, avec la travailleuse sociale qui évoque la possibilité d'une garde partagée de X pour soulager Mme A.... Il s'en réjouit. Mme A... n'est pas au courant de cette possibilité. Content, M. L... va la reconduire en voiture en compagnie de sa mère qui fait la conversation, pas lui.
[24] Le 20 octobre 2005, les mêmes personnes se rencontrent de nouveau au palais de justice de Joliette en prévision d'une audition devant le Tribunal de la Jeunesse qui a lieu le même jour. M. L... et sa mère sont dans un cubicule et Mme A... et son avocate dans un autre. Un document préparé par la travailleuse sociale circule. M. L... y lit que Mme A... a fait de la prostitution, ce qui l'enrage car elle avait la garde de son fils.
[25] La question de la garde partagée est abordée aux deux tables. Mme A... s'oppose. M. L... l'apprend. Il devient furieux car on lui avait fait miroiter qu'il aurait une garde partagée. Il sort de son cubicule pour parler à Mme A.... Elle lui fait, avec arrogance, un doigt d'honneur. Il voit rouge et profère des menaces de mort à son endroit en retournant à son cubicule, menaces que Mme A... n'entend pas, mais qui sont entendues par son avocate de l'époque et par d'autres personnes. Des constables spéciaux interviennent pour calmer la situation qui est explosive. En après-midi, la demande de remise est accordée et l'ordonnance du 30 août 2005 est reconduite jusqu'au 18 novembre suivant, tel qu'il appert du procès-verbal d'audience, pièce D-3.
[26] Le 12 novembre 2005 est la dernière fois que M. L... voit X qui a un peu plus de 2½ ans.
[27] Le 18 novembre 2005, un vendredi, toujours les mêmes personnes se présentent au palais de justice de Joliette en prévision de l'audition devant le Tribunal de la Jeunesse. M. L..., cette fois-ci, s'est trouvé une avocate à la dernière minute. L'audition a lieu en fin d'après-midi et le juge rend son ordonnance le jour même. Il confie X à Mme A... et ordonne que les droits d'accès de M. L... soient organisés par la DPJ et exercés conformément au jugement de la Cour supérieure. S'ensuivent plusieurs autres ordonnances d'usage pour un cas semblable et la cause est fixée pro forma au 13 décembre 2005, tel qu'il appert du procès-verbal, pièce D-8.
[28] M. L... est furieux d'entendre tout ça et crie au juge que c'est parce qu'elle est une femme que Mme A... obtient la garde de son gars, et il quitte précipitamment la salle d'audience avec fracas.
[29] Le 20 novembre 2005, un dimanche, en début de soirée après le bain des enfants, Mme A... est assise au salon, face à la fenêtre de son appartement situé au rez-de-chaussée, pour faire la lecture d'une histoire aux enfants. Y est assis juste à côté d'elle et X suit tout près. Elle tourne la tête vers Y et, soudainement, elle entend deux détonations. Elle pense que les ballons gonflés à l'hélium, donnés l'après-midi par le Père Noël, ont éclaté.
[30] Rapidement, elle réalise qu'elle saigne abondamment au menton, et que ce sont des coups de feu la visant qu'elle a entendus. Elle téléphone à son avocate, qui habite tout près, qui lui dit d'appeler la police immédiatement. Peu de temps après, les enfants sont pris en charge et Mme A... est conduite à l'hôpital. Si les coups de feu avaient été dirigés quelques centimètres plus à la droite de Mme A..., sa tête aurait éclaté devant ses deux enfants. Heureusement pour elle, seul le bout de son menton est touché par l'un des deux projectiles et les traitements subis depuis ont fait disparaître toute trace apparente de blessure. L'autre balle est passée juste au-dessus de sa tête, pièces D-9, D-10 et P-10.
[31] M. Richard Morin, policier-enquêteur à la ville de Mascouche, entre en action rapidement. L'avocate de Mme A... de l'époque lui rapporte les menaces de mort proférées par M. L... à l'endroit de Mme A... le 20 octobre précédent. Le 24 novembre 2005, jour de son anniversaire, M. L... est arrêté par la Sûreté du Québec et incarcéré. Il est accusé d'avoir proféré des menaces de mort à l'endroit de Mme A.... Il subit son procès le 8 mars 2006, reçoit son verdict de culpabilité le 17 mars suivant et son incarcération se prolonge jusqu'au 14 juillet 2006.
[32] Le 16 février 2006, Mme A... est prise en charge par le service de la Sûreté du Québec responsable de la protection des témoins qui lui trouve un endroit, secret, où elle habite avec ses enfants, sans qu'elle ne puisse communiquer avec sa propre famille. Elle est visitée une fois par mois par le policier responsable de sa protection.
[33] Le 17 août 2006, M. L... fait signifier à Mme A..., aux soins de M. Yves Joyal de la Sûreté du Québec, une requête pour droits d'accès présentable dans le district judiciaire de Terrebonne, pièce D-4, laquelle se vit opposer quelques semaines plus tard la requête en déchéance de l'autorité parentale sous étude.
DISCUSSION
[34] Le Tribunal, en vertu de l'article 606 du Code civil du Québec, doit décider, d'une part, s'il y a des motifs graves pour prononcer la déchéance de l'autorité parentale de M. L... et, d'autre part, si c'est dans l'intérêt de X de le faire.
[35] Mme A... soutient que M. L... est très dangereux pour elle, qu'il ne doit pas savoir où elle habite et que, par conséquent, il est impossible que des droits d'accès valables puissent être aménagés. Elle ajoute que M. L..., étant donné son passé criminel, n'est pas digne de continuer à exercer son autorité parentale et que, surtout, ce n'est pas dans l'intérêt de X de séjourner chez un homme qui veut la tuer, et qui n'aura de cesse de la dénigrer gravement et de la rechercher.
[36] M. L... soutient d'abord qu'il s'est toujours bien occupé de X jusqu'au mois de novembre 2005 lorsqu'il l'avait, ce qui n'est pas nié. Ensuite, il soutient avoir appris de son passé, ne plus en vouloir à Mme A..., et que tout ce qu'il veut est de voir grandir son fils à qui il veut donner le meilleur de lui-même.
[37] Traitons en premier lieu de la question des motifs graves.
[38] Au cours de la période antérieure au mois de novembre 2005, la relation est très souvent difficile et orageuse entre Mme A... et M. L... car ils ont des caractères qui s'opposent et parce qu'ils prennent souvent des drogues de toutes sortes.
[39] Ils vivent par ailleurs des événements malheureux. Avec M. L..., Mme A... tombe enceinte une première fois. Elle décide, seule, de mettre fin à la grossesse. M. L... le prend très mal et traite Mme A... de tous les noms en lui disant, par exemple, «tu as tué mon bébé, maudite vache».
[40] Entre eux, aux dires de Mme A..., la violence est souvent au rendez-vous lors de leurs rapports intimes, parfois de façon volontaire, mais la plupart du temps de façon involontaire pour elle.
[41] Lorsqu'elle est enceinte de X, M. L... lui dit souvent, selon Mme A..., « qu'elle est l'incubateur de son bébé et la mère porteuse de son enfant ». Il la surveille de près pour que, cette fois-ci, elle ne se fasse pas avorter, ce qui n'était pas son intention dit-elle.
[42] Selon Mme A..., toujours lorsqu'elle est enceinte de X, M. L... lui pose une arme à feu sur la temple, la menaçant si jamais elle le quittait avec l'enfant après sa naissance, fait qui est nié par M. L... qui décrit l'événement autrement.
[43] Après la naissance de X, lors d'une autre chicane, selon Mme A..., M. L..., qui a pratiqué le judo plusieurs années durant son enfance, la cloue au sol avec une clé de jambes et lui met la doudou dans la bouche pour qu'elle arrête de crier. M. L... dit qu'elle faisait, encore une fois, une crise de nerfs et qu'il a voulu la calmer, niant avoir mis la doudou dans sa bouche. M. L... a témoigné qu'il a voulu se protéger de Mme A... qui voulait le frapper.
[44] Après leur rupture en juillet 2003, Mme A... a plusieurs amants qui viennent parfois chez elle, le soir, même quand elle a les enfants. Cette réalité est très difficile à supporter pour M. L... dont l'enfant est sous la garde de Mme A.... Cela l'enrage et est la source de nombreuses engueulades entre eux.
[45] Puis ont lieu les menaces de mort lancées le 20 octobre 2005 au palais de justice de Joliette. Pour cet événement, M. L... est déclaré coupable, le 17 mars 2006, d'avoir sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Mme A..., pièce P-7, et il fut incarcéré plusieurs mois.
[46] Pour cerner davantage la nature des menaces de M. L... à l'endroit de Mme A... et ce qu'il pense d'elle, le Tribunal juge approprié de citer les extraits suivants des déclarations statutaires de l'avocate de l'époque de Mme A... recueillies les 21 et 29 novembre 2005, lesquelles furent réitérées par elle lors de son témoignage devant le Tribunal :
« (…) Le 20 octobre 2005, il y avait une audition au palais de justice de Joliette à la salle 2.25 dans le dossier de la DPJ. J'ai rencontré l'ex-conjoint de ma cliente qui est S... L... dans un cubicule à côté de la salle 2.25. Je lui ai demandé ses coordonnées pour poursuivre le dossier de pension et garde, il n'a pas voulu me les donner, il était arrogant. Il disait "pourquoi tu veux ça, tu veux me rendre visite en pleine nuit". Je lui ai dit que c'était pour le dossier de garde et pension. Il m'a demandé si elle lui laissait la garde de l'enfant, je lui ai dis que non. Il s'est levé et a dit "je vais l'avoir la garde de mon gars d'une façon ou d'une autre, s'il faut que je la tue, je m'en câlisse, je vais le faire, m'a la passer la tabarnac". Il est sorti du cubicule en poussant violemment la porte. Il a regardé son ex-conjointe qui était assis tout près. Il a dit "c'est quoi tu veux ma tabarnac". Je n'ai pas tout compris ce qu'il a dit, j'étais encore dans le cubicule à ce moment. Il lui a sauté dessus peu de temps après, 3 agents de sécurité l'ont maîtrisé, il s'est calmé un peu par la suite. Elle n'a pas porté plainte à ce moment; c'était (…) par rapport à ce qu'il lui avait déjà faites, il a déjà essayé de l'étrangler. Il a une haine intense envers son ex-conjointe, tout ce qui importe pour lui c'est d'avoir la garde de son gars (…) ».
(déposition statutaire du 21 novembre 2005, reproduite sans modifications, pièce P-5)
« (…). Au moment où monsieur S... L... a haussé le ton, madame L... lui a fait discrètement signe de se calmer. Elle semblait nerveuse, mais à chaque fois que S... L... disait un propos injurieux à l'égard de madame N... A..., madame L... rétorquait "cet enfant là (en parlant de X) serait ben (sic) mieux avec nous". Au moment où monsieur S... L... a dit que si Madame A... ne consentait pas à une garde partagée, il allait la tuer…la passer, Madame L... a dit à son fils " Dis pas ça…chut ! chut ! chut ! tu vas te mettre dans le trouble là ! " S... L... avait rétorqué qu'il s'en crissait. »
(déposition statutaire du 29 novembre 2005, reproduite sans modifications, pièce P-6)
(Notre soulignement)
[47] L'on peut constater que M. L... ne faisait pas dans la dentelle et que, pour lui, la garde partagée de X était une chose primordiale, soutenu en cela par sa mère qui l'accompagnait, et que l'opposition de Mme A... sur cette question le rendait hors de lui et très dangereux pour elle.
[48] Dans le cadre du présent dossier et pour obtenir gain de cause, Mme A... demande au Tribunal d'établir, qu'en plus d'avoir proféré des menaces de mort contre elle pour lesquelles il fut condamné, M. L... aurait également commis la tentative de meurtre sur sa personne le 20 novembre 2005. Elle soutient que si ce fait est établi il n'en faut pas plus pour déchoir M. L... de son autorité parentale.
[49] En matière civile, la preuve d'un fait s'établit conformément à l'article 2804 du Code civil du Québec qui se lit comme suit :
Art. 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[50] Dans la présente cause, M. Richard Morin, 52 ans, policier-enquêteur à la ville de Mascouche, est venu témoigner. Il a exposé toutes les étapes de son enquête relative à la tentative de meurtre du 20 novembre 2005 sur la personne de Mme A..., décrit toutes les personnes rencontrées, expliqué toutes les analyses qui ont été faites et tous les moyens déployés afin d'identifier le responsable du crime.
[51] Au terme de son enquête, quelques suspects potentiels identifiés au départ furent rayés de la liste et il ne reste plus que M. L... comme principal suspect, et cela, principalement à cause des événements déjà décrits par le Tribunal survenus au cours des mois d'octobre et novembre 2005.
[52] L'enquête est toujours en cours et aucune accusation criminelle n'a encore été portée contre M. L....
[53] M. L... a nié toute participation à la tentative de meurtre et a fourni un alibi, à l'époque de l'enquête, le localisant dans sa ville de résidence [dans la région A] le soir du crime.
[54] Mme A... affirme, elle, qu'elle est convaincue que c'est M. L... qui a attenté à ses jours car il est son seul ennemi sur la terre parce qu'elle s'est opposée à la garde partagée de X, provoquant ainsi une très grande colère chez M. L... qui possédait à l'époque visée une arme à feu de 9 mm, qu'elle a déjà vue, le Tribunal rappelant que les deux douilles retrouvées sur les lieux du crime, près d'un arbre, correspondent à une arme à feu de 9 mm.
[55] Par ailleurs, elle ajoute qu'elle n'avait aucune dette de drogues le 20 novembre 2005 parce qu'elle avait arrêté de consommer, et qu'elle ne connaissait personne par ailleurs qui lui en voulait un tant soit peu.
[56] Le Tribunal peut-il conclure, sur le plan civil, selon la balance des probabilités, que M. L... est l'auteur de la tentative de meurtre à l'endroit de Mme A... perpétrée le 20 novembre 2005 ?
[57] Le Tribunal ne peut en arriver à une telle conclusion. Certes, M. Richard Morin a bien décrit l'enquête qu'il a menée, mais il n'a jamais mis en preuve, de façon détaillée, chacun des éléments auxquels il a référé.
[58] Par ailleurs, la conviction viscérale de Mme A... est compréhensible, mais à elle seule, sans preuve tangible, cette conviction ne peut faire basculer les probabilités de façon suffisante pour établir l'identité de l'auteur d'un acte criminel grave. De plus, il est important de souligner que Mme A... elle-même n'avait pas une vie tout à fait rangée à l'époque, mais une vie qui l'a fait côtoyer beaucoup de personnes peu recommandables.
[59] Le Tribunal, dans le cadre du présent dossier, et aux fins de la décision qu'il a à rendre, ne se prononce donc pas sur le fait que M. L... ait pu, ou non, avoir commis une tentative de meurtre contre Mme A....
[60] Tout ce que le Tribunal retient est que M. L... est encore le principal suspect et que l'enquête criminelle est toujours ouverte, faits qui sont pris en considération en relation avec les éléments de preuve complémentaires traités ci-après qui découlent des différentes expertises qui ont été faites au fil des ans.
[61] Le 28 juin 2004, soit un peu plus d'un an avant les événements de l'automne 2005, Mme Carole Beauchamp-Leroux, alors âgée de 55 ans, psychologue et psychoéducatrice, a fait une expertise relativement aux capacités parentales des deux parents afin d'établir quels devraient être les droits d'accès de M. L... et les modalités appropriées. Son rapport a 20 pages, pièce P-8. Elle conclut alors que M. L... devrait en avoir mais qu'il faudrait trouver « un endroit neutre pour le passage d'un parent à l'autre parent» .
[62] Pour faire état de la progression de la violence qui existait entre Mme A... et M. L..., il est nécessaire de rappeler ce que Mme Beauchamp-Leroux écrivit à cette époque, soit bien avant la séquence des événements de l'automne 2005. Le Tribunal rapporte certains extraits ci-après :
p. 10 « (…) Sauf qu'actuellement, il lui est difficile d'avoir un contact avec Madame: la dernière fois qu'ils se sont vus, elle aurait refusé de lui ouvrir. Il aurait passé le bras au travers la fenêtre pour se sectionner des nerfs, des tendons et des veines. Il serait encore en traitement de physiothérapie. Monsieur L... éprouve une haine intense à l'égard de madame A.... Il dit d'ailleurs qu'il la tuerait. Il lui attribue tous les blâmes au niveau d'une relation difficile, où elle aurait fait preuve d'hypocrisie et de mensonge, entre autres (…) ».
p. 15 « (…) Monsieur L... affirme que la dernière fois, qu'il l'aurait vue, fut la fin de semaine du 19 au 22 mars 2004.
Interpellé là-dessus, ce père nous dira: 'Ça fait un mois et demi, que je pense à abandonner mon fils. Je ne suis plus capable de vivre cela. Me faire crier après, je ne suis pas capable. Je ne suis pas capable de la voir, de la sentir. Je vais la tuer' nous interrogeant sur sa capacité de se distancier du conflit avec madame A..., ce qui interfère sur l'exercice de ses capacités parentales, nous interrogeant sur l'image qu'il entretiendra de cette mère auprès de X, nous interrogeant sur la possibilité d'un autre geste agressif (…) ».
p. 18 « (…) Notons, que Monsieur affirme éprouver une haine intense à l'égard de Madame et nous a même dit qu'il la tuerait.
[…]
(…) Quant à monsieur L..., il s'avère une personne qui possède des ressources, mais chez qui on retrouve des éléments de psychopathologie. Monsieur fait preuve de comportements et d'attitudes paranoïdes, accompagnés de rigidité, d'entêtement, de suspicion et d'hostilité (…) ».
(Notre soulignement)
[63] L'on constate à la lecture de ces extraits, reconfirmés par Mme Beauchamp-Leroux devant le Tribunal, que Mme A... et M. L... avaient une relation très explosive. De plus, l'on remarque que M. L... ne se gênait même pas pour dire à la professionnelle qui allait faire une recommandation relative à ses droits d'accès tout ce qu'il pensait de Mme A..., et jusqu'où il était prêt à aller. Ces propos, tenus librement par M. L..., viennent appuyer la thèse que déjà, en 2004, M. L... n'avait aucun respect pour la vie de Mme A....
[64] Le 11 juin 2007, soit près d'un an et demi après l'automne 2005, M. Richard Langevin, alors âgé de 54 ans, psychologue, a fait une expertise dont l'objet est de « déterminer le profil de personnalité de monsieur L... et de déterminer le degré de dangerosité à l'encontre de son fils X ainsi qu'à l'égard de son ex-conjointe ». Son rapport a 15 pages, pièce D-6.
[65] Devant le Tribunal, M. Langevin a précisé que, lors de cette première expertise, il n'avait pas été informé et ne savait pas que Mme A... avait été victime d'une tentative de meurtre le 20 novembre 2005, dont M. L... était le principal suspect.
[66] M. Langevin conclut, à la fin de son rapport, que M. L... ne représente pas un danger pour la sécurité de son fils. Il en va autrement pour Mme A.... Il s'exprime comme suit à son sujet, à la page 14 :
« Étant donné que l'évaluation retient les éléments suivants concernant la dangerosité de monsieur :
Le passé criminel et le profil de personnalité de monsieur L... confirment que celui-ci représente un danger pour la personne de madame A....
Le danger de monsieur L... envers madame A... est présent à certaines conditions soient que les accès de monsieur à son fils sont déterminés de façon arbitraire, erratique, la conséquence de conflits entre monsieur et madame ne concernant pas l'enfant et lorsqu'ils le concernent apparaissent injustes aux yeux de monsieur, dans le cadre d'arrestations policières.
Monsieur est souffrant.
Il devrait profiter d'une intervention psychologique cognitivo comportementale afin d'outiller monsieur à s'affirmer adéquatement au lieu de passer à la violence et aux menaces ».
(Notre soulignement)
[67] Le 25 mars 2009, M. Langevin a fait un complément d'expertise de 6 pages, pièce D-7.
[68] Il s'agit donc d'un rapport de suivi dans lequel M. Langevin termine en écrivant ce qui suit, à la page 5 :
« […]
Ce potentiel de dangerosité est imprévisible. Il s'agit alors de trouver les conditions afin d'écarter le danger. Ceci en évitant les situations et ou les personnes pouvant exacerber son hypersensibilité au rejet et à l'humiliation, à condition de demeurer sobre et ne pas fréquenter le milieu criminel. De sorte que dans le cadre de ces conditions, monsieur L... est en mesure de se comporter de façon responsable envers quiconque. Enfin, il est avisé que monsieur maintienne son suivi psychothérapie et consulte un psychiatre afin de mieux contrôler son syndrome d'anxiété
[…] ».
(Notre soulignement)
[69] M. Langevin a expliqué au Tribunal que M. L... a un profil problématique rendant difficile son auto-contrôle, qu'il est habité par une anxiété importante, qu'il est toujours tendu et que son estime de soi est basse, faisant en sorte qu'il doit prouver qu'il est quelqu'un d'acceptable.
[70] Il réaffirme que M. L... est dangereux pour Mme A... car leurs rapports, toujours orageux, provoquent chez lui une agressivité irrationnelle du fait que M. L... s'exprime peu. Il agit.
[71] Quant aux valeurs, M. Langevin indique que M. L... a beaucoup d'intérêt pour son fils, qu'il peut avoir certaines valeurs, mais qu'il a, par ailleurs, un discours de quelqu'un qui ne respecte aucunement les règles.
[72] C'est toujours lors du procès que M. Langevin apprend aussi, pour la première fois, que Mme A... est sous la protection continue de la Sûreté du Québec depuis le 16 février 2006 et qu'elle habite un lieu tenu secret.
[73] M. Langevin, compte tenu de cette nouvelle donne, indique au Tribunal que des droits d'accès seraient très difficiles à établir dans les circonstances, que l'enfant serait placé dans une situation impossible et qu'il serait toujours sous tension, tout cela dépassant largement ses capacités, de telle sorte que ce n'est pas dans son intérêt de vivre une telle réalité, à court, moyen et long terme au niveau de son développement.
[74] Il ajoute qu'il a appris, au procès également, que M. L... est fier de travailler régulièrement au noir dans le domaine de la rénovation et de la construction, tout en recevant des prestations de l'Aide sociale. De plus, il a appris l'arrestation rocambolesque de M. L... de septembre 2005. M. Langevin en conclut que les tendances de M. L... à la délinquance et au mauvais exemple pour son fils sont très élevées.
[75] Un dernier expert a témoigné, soit M. Charles-Yves Lachance, âgé de 59 ans, psychologue. Il a fait un rapport d'évaluation psychologique de M. L... le 3 septembre 2009. Le document a 10 pages, pièce P-9. À la page 6 de son rapport, M. Lachance écrit « vouloir (…) s'attarder dans la présente expertise sur les capacités parentales et psychologiques de Monsieur et du risque qu'il représente pour la mère de son fils mais aussi pour son fils également, ce que le psychologue Langevin semble avoir écarté dans son expertise ».
[76] Dans son rapport, M. Lachance s'exprime comme suit aux pages 8 et 10 :
p. 8 « (…) Nous retrouvons ainsi chez Monsieur L... le profil d'un individu avec un profil type de dépendance à la consommation avec des traits anti-sociaux; ce qui correspond aux comportements rapportés par ce dernier. De plus, nous retrouvons aussi des indices d'immaturité affective et d'impulsivité réactive, à saveur antisociale dans les autres tests; ce qui jumelé avec le profil type de dépendance à la consommation indique un potentiel de dangerosité chez Monsieur qui peut se manifester peu importe qu'il soit en relation avec son ex-conjointe, son fils ou toute autre personne qui le conteste ».
p. 10 « 7. CONCLUSIONS
À notre avis, en raison de tout ce que nous venons d'énoncer, nous supportons comme le psychologue Langevin la conclusion que Monsieur représente toujours un risque pour Mme A.... Et de plus, Monsieur L... ne semble pas avoir beaucoup suivi les recommandations/conditions de ce psychologue pour prévenir les répercussions de ce risque et conséquemment diminuer les chances d'un impact sur son fils.
Par contre, nous estimons que juste en soi cela est un risque sérieux qui aurait des répercussions sur la vie de son fils si quelque chose de grave se produisait sur la mère de son fils» .
(Notre soulignement)
[77] M. Lachance est venu témoigner et il a réitéré les observations et les conclusions de son rapport. De plus, M. Lachance a assisté à la majeure partie du procès qui s'est tenu à l'automne 2009.
[78] Il a fait état au Tribunal d'un événement qu'il a pu observer durant le témoignage de M. L... concernant Mme A... et son avocate, Me Guillet.
[79] En effet, lors de certaines questions de Me Guillet qui lui étaient adressées, M. L... lui a lancé des regards très menaçants, ainsi qu'à Mme A..., lesquels regards ont provoqué des réactions hyper-émotives chez ces deux personnes, occasionnant ainsi une suspension d'audience décidée par le Tribunal.
[80] M. Lachance a remarqué, également, que M. L... n'exprima aucune peine lorsque Mme A... décrivit la tentative de meurtre dont elle a été l'objet, alors que son propre fils était tout près d'elle et qu'il aurait pu être gravement blessé, mais qu'il pleura lorsqu'il a évoqué la prostitution de Mme A..., ce qui l'affectait beaucoup étant donné qu'elle avait la garde de son fils, a-t-il dit.
[81] Rien n'est encore réglé et M. L... est toujours un homme très dangereux pour son ex-conjointe selon M. Lachance.
[82] Il conclut en disant que la protection doit l'emporter sur le risque d'exposition au danger.
[83] Le Tribunal a pris soin de revoir tous les éléments mis en preuve et, au terme de cette revue, le Tribunal conclut que M. L... a été, et qu'il est toujours extrêmement dangereux pour Mme A.... Il la déteste et cela était encore palpable à la Cour.
[84] Les probabilités sont donc élevées que M. L... veuille encore s'en prendre à la personne de Mme A....
[85] Advenant que Mme A... subisse des blessures graves de la main de M. L..., ou que le pire arrive, nulle démonstration n'est requise pour comprendre que cela aurait un effet dévastateur, la vie durant, chez X qui aurait conscience, chaque jour, que son propre père a attenté aux jours de sa mère, ou mis fin à ceux-ci.
[86] Par conséquent, le Tribunal conclut que la dangerosité de M. L... à l'endroit de Mme A... constitue un motif grave au sens de l'article 606 du Code civil du Québec.
[87] Passons maintenant à l'intérêt de X qui aura bientôt 7 ans.
[88] À ce sujet, le Tribunal rappelle qu'un enfant est une personne, un adulte en devenir, qui n'appartient pas aux parents ultimement mais qui s'appartient à lui-même, de telle sorte que chaque jour, chaque mois et chaque année qui passent doivent être remplis d'expériences qui permettent son bon développement pour qu'il devienne, justement, un adulte complet et équilibré si possible, et non l'inverse.
[89] Dans le présent dossier, le Tribunal perçoit trop d'éléments graves qui vont à l'encontre de l'intérêt de l'enfant, intérêt que l'article 606 précité pose également comme critère à analyser.
[90] Certes, le Tribunal s'explique bien la souffrance vécue par M. L... qui n'a pas vu son fils depuis le mois de novembre 2005 et qui désire ardemment le revoir.
[91] Cependant, ce que le Tribunal doit traiter n'est pas l'intérêt de M. L..., mais bien l'intérêt de X qui doit être analysé en tenant compte de la réalité qu'il est appelé à vivre. Quelle sera cette réalité ?
[92] Actuellement, Mme A... est sous la protection du service de la Sûreté du Québec responsable de la protection des témoins menacés qui lui a trouvé un lieu d'habitation tenu secret. Des policiers veillent donc sur elle dans le cadre d'un programme organisé.
[93] Le policier Yves Joyal de la Surêté du Québec a indiqué, qu'à sa connaissance, il y avait peu de cas semblables à celui de Mme A.... De plus, il a ajouté, quant à la durée de la protection mise en place, que celle-ci durerait tant que M. L... serait vivant, le but étant d'assurer la sécurité de Mme A... de façon permanente.
[94] D'ailleurs, devant le Tribunal, M. Joyal était assis à côté de l'avocate de Mme A.... Il était impassible, mais dès que Mme A... était sur le point de révéler, par inadvertance, quelque indice que ce soit quant à sa localisation, un regard de la part de M. Joyal dirigé vers Mme A... lui rappelait immédiatement qu'elle devait se taire, ce qu'elle fit à plusieurs occasions.
[95] Le système mis en place pour protéger Mme A... ne fut pas contesté comme tel par M. L... devant le Tribunal. Il est donc tenu pour acquis aux fins de discussion et constitue un fait dont le Tribunal doit tenir compte dans son analyse de l'ensemble de la problématique.
[96] Qu'arrivera-t-il lors de l'exercice des droits d'accès, le cas échéant ? Outre le fait que leur organisation serait très complexe et coûteuse, ce ne serait certainement pas Mme A... qui irait conduire X dans un endroit neutre de transition. Non, du côté de Mme A..., ce serait toujours des policiers, en civil ou en uniforme, qui le feraient.
[97] Il faut imaginer l'impact sur X. Des policiers qui assurent le transport ! Pourquoi ? Inévitablement, des explications lui seraient données par sa mère et par les policiers et il connaîtrait, ainsi, la dangerosité de son père envers sa mère, ce qui serait déjà très déstabilisant pour un enfant qui devrait, normalement, aller voir son père dans la sérénité, et non dans la peur.
[98] Ensuite, rendu chez son père, X devrait être sur ses gardes à chaque instant pour ne jamais révéler son lieu de résidence, ou quelque indication à son sujet. Pour X, cet exercice est, à toutes fins utiles, impossible à réaliser. M. L... pourrait facilement, au fil du temps, lui tirer les vers du nez pour, finalement, avoir suffisamment d'information sur la localisation de Mme A....
[99] X subirait donc une pression constante de ne jamais se tromper, générant ainsi un stress insupportable puisqu'il saurait que, si son père trouvait sa mère, le pire pourrait arriver. Et si jamais un événement malheureux arrivait justement, X s'en attribuerait toute la responsabilité. Ce serait de sa faute, penserait-il.
[100] En conclusion quant à cet aspect des choses, si la mère de X en venait à subir des blessures de la part de son père, ou pis encore, cela aurait un impact incommensurable sur X, sur son développement, sur son état mental, enfin sur toute sa structure interne, et cela, pendant toute sa vie.
[101] Venons-en maintenant au dénigrement, soit ce comportement de quelqu'un, face aux tiers, qui consiste à vouloir noircir et faire mépriser quelqu'un d'autre en l'attaquant et en niant ses qualités, soit par calomnie, critiques incessantes ou dépréciation constante de ce que cette personne est.
[102] Dans le présent cas, les probabilités sont très élevées que M. L..., s'il avait des droits d'accès, aurait une forte tendance, devant son fils, à dénigrer, avec vigueur, Mme A..., lui rappelant souvent ce qu'elle lui a fait, ses nombreux amants, le fait qu'elle fut escorte, le fait qu'elle prenait de la drogue et le fait qu'elle faisait des crises de nerfs, pour ne mentionner que ces éléments, tout en omettant, sûrement, de lui décrire tout ce que lui a pu faire.
[103] Pour se rapprocher de X, et dans l'espoir d'en avoir la garde un jour peut-être, il chercherait sans doute par le biais du dénigrement à briser le lien fort qui s'est établi entre X et Mme A... qui maintenant, selon la preuve, a une vie saine et rangée. Ce dénigrement, à court, moyen et long terme aurait des effets dévastateurs chez X qui verrait, ainsi, sa mère passer de sainte à moins que rien, et cela, à l'aube de sa préadolescence.
[104] Il s'ensuivrait donc des tiraillements majeurs chez lui qui lui feraient perdre tous ses repères.
[105] Au fil des années qui passeraient, X serait donc déstabilisé. Une fracture interne majeure pourrait ainsi se produire, faisant en sorte que cela aurait un impact grave sur sa relation avec sa mère, sur ses relations avec ses amis et avec les filles, sur ses études, enfin sur tout son développement personnel.
[106] Rien de cela n'est dans l'intérêt de l'enfant, adulte en devenir, qu'est X.
[107] Le Tribunal ajoute que si X était en contact avec M. L..., il serait en présence d'une personne au passé fort criminalisé et au présent empreint de fausseté puisqu'il retire des prestations de l'Aide sociale, sans honte, tout en travaillant au noir régulièrement. À court terme, M. L... enseignerait tous ses trucs à X, ce qui, encore une fois, ne serait pas dans son intérêt.
CONCLUSION
[108] Il ne s'agit jamais d'un sujet facile à traiter lorsqu'il est question de la déchéance de l'autorité parentale et le Tribunal a pris soin de faire une analyse sérieuse.
[109] Bien que sensible aux impacts de sa décision sur M. L..., le Tribunal conclut cependant que les deux critères énoncés à l'article 606 du Code civil du Québec sont satisfaits, de telle sorte que la déchéance de son autorité parentale à l'égard de X doit être prononcée afin que la vie de celui-ci ne soit pas gravement perturbée, et pour qu'il évolue normalement.
[110] Compte tenu de la nature de la cause, le Tribunal n'accorde aucun frais.
[111] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[112] PRONONCE la déchéance totale de l'autorité parentale de M. S... L... à l'égard de l'enfant X, né le [...] 2003;
[113] LE TOUT, sans frais.
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__________________________________ JEAN-PIERRE CHRÉTIEN, J.C.S. |
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Me Suzanne Guillet |
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PELLETIER GUILLET HAMEL |
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Procureure de la requérante |
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Me Claude St-Laurent |
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LACOSTE, SAINT-LAURENT, BRIND'AMOUR, BIANCHI ET VARIN |
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Procureur de l'intimé |
[1] T.V.- F. et D.F. Appelants c. G.C. Intimé, 1987 (2) RCS 244, p. 261-62.
[2] P.L. Appelant - défendeur c. N.D. Intimée - demanderesse et X. (enfant mineure) Mise en cause et le Directeur de l'État civil Mis en cause, Droit de la famille - 083013, [2009] R.D.F. 70 (C.A.), par. 16 et 17
[3] C.S. Terrebonne no. 700-04-011744-031, pièce D-1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.