Décision

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Droit de la famille — 07967

Droit de la famille — 07967

2007 QCCS 1996

JB3299

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-04-013734-056

 

 

 

DATE :

 5 avril 2007

______________________________________________________________________

 

EN PRÉSENCE DE : L’HONORABLE RITA BÉDARD, J.C.S.

 

 

______________________________________________________________________

 

 

A, domiciliée et résidant au [...], ville A (Québec) [...],

Demanderesse

c.

B, domicilié et résidant au [...], ville B (Québec) [...],

Défendeur

et

DIRECTEUR DE L’ÉTAT CIVIL, 2535, boulevard Laurier, Sainte-Foy (Québec) G1V 4M3,

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Le Tribunal est saisi d’une requête en déchéance d’autorité parentale présentée par madame que monsieur conteste. À l’audience, un amendement à la requête a été accordé, soit « subsidiairement, retirer à monsieur B le droit et le devoir de garde à l’égard des enfants X et Y ».

[2]                Les parties sont également en instance de divorce, action prise par monsieur antérieurement à la requête de madame. Il demande des droits d’accès aux enfants (dossier 200-12-072144-059).

[3]                Il y eut une enquête commune dans les deux dossiers.

Les faits

[4]                Monsieur et madame sont chacun âgés de 39 ans. Ils se connaissent depuis le début de l’école primaire. Ils se retrouvent lors de leur cours secondaire, se fréquentent et se marient environ deux ans après le CEGEP, soit en juin 1990. Madame est enceinte en 1992 et se fait avorter. En 1997, madame commence un emploi pour le Groupe A où elle travaille toujours. Elle est vice-présidente à l’informatique.

[5]                Monsieur, qui travaillait pour l’entreprise familiale de ses parents depuis 1990, devient enseignant au CEGEP B. Peu avant l’accouchement, monsieur remplace madame à son travail chez [Groupe A], à temps partiel, tout en diminuant sa tâche d’enseignement. X, leur premier enfant né le [...] 1998, est atteint de « trisomie 21 ». La naissance d’un enfant handicapé est un choc pour les parents et selon madame, monsieur n’accepte pas cet état de fait. En juin, un incident se produit, madame relatant que monsieur défonce un mur en s’y cognant la tête et lui déclare vouloir mettre le feu à la maison. Elle s’enfuit chez ses parents avec X. Le couple reprend sa vie commune et madame retourne au travail chez [Groupe A]. En novembre 1998, un nouvel incident survient et monsieur est arrêté par les policiers. Monsieur signe un engagement de garder la paix, assorti de différentes conditions (remise de ses armes à son père et consultation auprès d’un psychologue pour six mois). À partir de novembre, monsieur travaille chez [Groupe A], au développement des services à la clientèle, poste qui relève de l’autorité de madame. La vie du couple est difficile et en janvier 1999, monsieur quitte la maison à la demande de madame. Il va en voyage avec ses parents et au retour, il rencontre madame qui accepte qu’il revienne à la maison, sujet à respecter certaines conditions. La vie commune reprend en mars, non sans difficultés. Monsieur mettant en cause sa paternité, madame lui demande de quitter la maison, ce qu’il fait le 12 mai 1999. Peu après, madame l’informe qu’elle est enceinte et selon elle, monsieur lui demande de se faire avorter, ce qu’elle refuse. Après son départ, monsieur arrête à la maison, régulièrement selon lui, selon madame aux trois semaines. Elle lui demande par la suite de la prévenir pour fixer les visites. En août 1999, monsieur entre dans la maison, la nuit et madame le trouve à la porte de la chambre de X. Depuis juillet 1999, monsieur ne verse plus d’argent au compte conjoint des parties.

[6]                Y naît le [...] 2000 et monsieur assiste à l’accouchement. Il reste quelques jours chez madame. À partir de 2000, monsieur continue de voir les enfants, régulièrement aux deux semaines selon lui, à quatre reprises dans l’année selon madame. Au début 2001, monsieur se retrouve sans emploi et il dit voir les enfants aux quatre à cinq semaines, à seulement quatre reprises selon madame. En 2002, monsieur retourne travailler dans l’entreprise de ses parents. Il dit voir les enfants de huit à douze fois durant l’année, mais seulement quatre fois selon madame. En 2003, il dit les avoir vus à trois occasions, mais seulement à deux reprises selon madame. En 2004, aucune rencontre n’a lieu et à l’automne, monsieur requiert un test d’ADN, ce que madame refuse.

[7]                Monsieur intente une action en divorce en janvier 2005 et madame intente une requête en déchéance d’autorité parentale en mars 2005. Une ordonnance d’expertise psychosociale est rendue en avril 2005 et une réunion d’actions a été accordée.

Le droit

[8]                La déchéance de l’autorité parentale constitue une mesure exceptionnelle, selon la doctrine et la jurisprudence[1]. Le législateur en précise le cadre comme suit à l’article 606 C.c.Q. :

« La déchéance de l’autorité parentale peut être prononcée par le tribunal, à la demande de tout intéressé, à l’égard des père et mère, de l’un d’eux ou du tiers à qui elle aurait été attribuée, si des motifs graves et l’intérêt de l’enfant justifient une telle mesure.

 

Si la situation ne requiert pas l’application d’une telle mesure, mais requiert néanmoins une intervention, le tribunal peut plutôt prononcer le retrait d’un attribut de l’autorité  parentale ou de son exercice. Il peut aussi être saisi directement d’une demande de retrait. »

[9]                Le premier alinéa énonce les deux critères dont il faut faire la preuve pour permettre que la déchéance soit prononcée : l’existence de motifs graves et l’intérêt de l’enfant.

[10]            Les motifs graves ne sont pas définis par la loi, mais la jurisprudence a analysé plusieurs situations de manquements pouvant constituer des motifs graves.

[11]            Les parents ont, en vertu de l’article 599 C.c.Q., des droits et devoirs à l’égard de leur enfant. Ainsi, ils doivent assurer la garde, la surveillance et l’éducation de leurs enfants. À ce titre, ils sont nécessairement responsables de les nourrir et de les entretenir. C’est donc en regard des devoirs reliés à la relation de filiation que doit s’apprécier la notion de motifs graves, comme l’a indiqué le juge Lebel, alors à la Cour d’appel et dissident, dans l’affaire Droit de la famille - 1738[2].

[12]            Le manquement doit être injustifié[3], puisqu’il ne faut pas perdre de vue que la conséquence de la déchéance de l’autorité parentale est de déclarer un parent inapte à l’exercice de ses droits parentaux, ce qui lui confère un caractère infamant[4]. L’aspect fautif, donc injustifié, du manquement constitue d’ailleurs le critère prioritaire pour déterminer si les motifs sont graves[5].

[13]            La jurisprudence a ainsi déterminé plusieurs agissements qui constituent des motifs graves. À ce titre, on peut affirmer que « la violence sur la personne de l’enfant, les mauvais traitements, les abus sexuels, les injures, l’indignité et les manquements graves aux devoirs parentaux tels l’abandon, la non-assumation du devoir de garde, de surveillance et d’éducation, le fait de ne pas fournir les aliments et l’entretien stipulés par la loi et l’absence totale d’intérêt vis-à-vis son enfant »[6] sont des motifs graves pouvant, si l’intérêt de l’enfant le justifie, mener à la déchéance de l’autorité parentale.

[14]            En l’espèce, madame invoque absence d’intérêt et abandon des enfants, manquement à l’obligation d’entretien, violence et menaces de la part de monsieur.

[15]            Madame fait valoir que monsieur n’a jamais accepté la maladie de X, a mis en doute sa paternité, même envers Y, allant même jusqu’à demander, à l’automne 2004, qu’elle et les enfants passent des test d’ADN. Selon elle, il y a eu désintéressement total de monsieur envers les deux enfants.

[16]            Madame a longuement témoigné sur sa relation avec monsieur jusqu’à la naissance de X. Elle relate des événements où monsieur a fait preuve de violence à son égard et elle le décrit comme un être pouvant être impulsif et colérique à l’occasion.

[17]            À la naissance de l’enfant, elle affirme avoir eu une crainte que ce dernier soit atteint de trisomie, ce qui est confirmé aux parents quelques jours plus tard. Monsieur lui dit alors de n’en parler à personne. Elle informera ses propres parents de la situation mais non ceux de monsieur. Selon elle, monsieur est en colère et refuse la situation. Il parle de s’en aller dans l’Ouest et quelques jours après la naissance, alors qu’il a l’enfant dans les bras, il lui dit : « j’ai juste le goût de l’échapper ». Il s’absente souvent et voit une amie, C avec qui il est très lié.

[18]            Le 22 mai 1998, lors de la rencontre chez le médecin traitant, docteur Norma Bélanger, à laquelle participe aussi madame Rioux, travailleuse sociale, madame s’informe des soins requis pour l’enfant. Elle témoigne que monsieur est toujours en colère et refuse qu’elle demande l’aide disponible pour l’enfant.

[19]            Selon elle, monsieur :

-         lui a dit à plusieurs reprises qu’il voulait placer X ou le donner en adoption;

-         lui a dit qu’il ne ferait pas sa vie avec un enfant handicapé;

-         lui a dit qu’il ne voulait pas payer pour un enfant handicapé;

-         lui répète souvent qu’il a le goût d’échapper l’enfant à terre;

-         refuse d’informer ses parents du handicap de l’enfant;

-         a honte de l’enfant;

-         demande à madame de choisir entre lui et l’enfant;

-         parle de suicide;

-         menace de la tuer si elle le quitte.

[20]            En juin 1998, une crise survient durant la nuit et madame veut quitter la maison avec l’enfant. Monsieur a l’enfant dans les bras et dit à madame que si elle ne s’en allait pas, il le tirerait à terre, lui tordrait le cou. Il veut mettre le feu à la maison. Madame réussit à partir avec l’enfant et s’en va chez ses parents. Elle relate les événements à docteur Bélanger qui lui conseille de porter plainte mais madame refuse, craignant que ça envenime la situation.

[21]            La vie commune se poursuit mais selon madame, monsieur n’a aucune préoccupation envers X. Il continue de voir C, s’absente souvent, couche dans le cabanon, consomme de l’alcool.

[22]            En octobre 1998, monsieur tient des propos suicidaires. « Il lui dit avoir regardé le plafond du garage et ça ferait bien pour se pendre. ». Le couple rencontre une psychologue; monsieur rédige un testament suicidaire le 18 octobre 1998.

[23]            Madame retourne au travail. Monsieur lui demande d’inscrire l’enfant dans une garderie ordinaire, sans dénoncer son état. Considérant les soins requis, madame le fait garder par sa mère et trouve une garderie spécialisée. Monsieur lui reproche de vouloir en faire un chien savant.

[24]            En novembre, au retour du magasinage, alors que madame conduit la voiture, il ouvre la portière comme s’il allait se jeter à l’extérieur.

[25]            Le couple se dispute à plusieurs reprises, monsieur casse des verres, menace madame de la tuer ainsi que X, lui rentre la tête dans un mur pendant qu’elle met ses bottes. Monsieur appelle le service 9-1-1 et les policiers l’amènent au poste. Durant la nuit, ils lui font voir un psychiatre. Le lendemain, monsieur signe un engagement de garder la paix.

[26]            Le 24 décembre, monsieur consomme plusieurs bières. Madame téléphone à la mère de monsieur et il s’en va chez ses parents. En janvier, il fera un voyage avec eux.

[27]            Le couple se revoit en février et madame accepte qu’il revienne, sujet particulièrement à ce qu’il fréquente moins C. En avril, monsieur lui dit qu’il pense ne pas être le père de X et pour madame, c’est un affront et une perte de confiance. Finalement, la vie commune cesse en mai 1999.

[28]            À la même période, madame découvre qu’elle est enceinte. Elle relate que monsieur rit d’elle, la traite de folle, lui demande à quelques reprises de se faire avorter.

[29]            Durant l’été, il arrête à la maison régulièrement, tond le gazon, fait son lavage. Une nuit, en août, madame le surprendra à la porte de la chambre de X.

[30]            À cette même période, il cesse de verser de l’argent au compte conjoint, comme chacun le faisait depuis le mariage.

[31]            Y naît le [...] 2000. Madame ne veut pas être seule et monsieur assiste à l’accouchement. II passe quelques jours à la maison et selon madame, il fait des repas, sans s’occuper des enfants. Durant cette année, madame indique que monsieur s’est présenté chez elle à quatre reprises. Selon elle, il s’occupe peu de Y, ne s’informe ni ne s’inquiète du développement de X, se contentant de jouer avec lui. Il ne se présente pas comme son père.

[32]            C’est à peu près la même situation en 2001 et en 2002. En 2003, il se présente à deux reprises. En juin, devant le refus de madame qu’il amène X pour une promenade dans le bois, il se fâche, crie et part en faisant crisser les pneus. Y gardera souvenir d’un « monsieur méchant ».

[33]            Les parties se reverront à deux occasions (crèmerie et poste d’essence) et aucun contact n’est fait en 2004. Quand madame reçoit la demande de tests d’ADN, elle refuse.

[34]            Madame conclut qu’elle a aimé cet homme mais en avait peur. Elle a été manipulée et enfermée dans un cycle de violence. Elle craint toujours pour la vie de X, monsieur n’ayant jamais accepté sa maladie. Selon elle, monsieur a délaissé les enfants, allant jusqu’à nier sa paternité, n’a aucun lien avec eux et les enfants, qui sont jeunes et vulnérables, doivent évoluer en paix.

[35]            Monsieur B nie la plupart des affirmations de madame et lui reproche d’avoir empêché les contacts avec les enfants. Expliquant ignorer ce que signifiait le mot « trisomie », il témoigne qu’il était normal, à la naissance de X, qu’il s’interroge sur les conséquences à venir, sur le fait de garder l’enfant ou le placer. Il a ressenti beaucoup de tristesse en apprenant le diagnostic et lorsque madame est revenue à la maison avec l’enfant et que madame Roy, l’éducatrice spécialisée qui s’est occupée de X, leur eut indiqué les exercices à faire, il s’y est employé. Alors que madame Roy lui disait qu’il agissait correctement, madame n’acceptait pas ce qu’il faisait et lui demandait de vaquer aux tâches domestiques. Il le faisait pour avoir la paix.

[36]            Il explique qu’à cette époque, Groupe A lui a offert le poste de madame, ce qu’il a refusé, mais que madame a été choquée qu’il puisse prendre son poste. Elle n’était jamais satisfaite de ce qu’il faisait et madame l’accusait d’être responsable de la maladie de X.

[37]            Par rapport à l’événement de novembre, il explique avoir appelé le service 9-1-1 parce que madame voulait partir avec l’enfant. Il revient à la maison après l’arrestation mais sa situation familiale empire, madame devenant de plus en plus exigeante et méprisante. Finalement, elle le met à la porte le 1er janvier. Il consulte une psychologue et revoit madame en février; elle lui pose de nombreuses conditions restrictives pour son retour à la maison, lequel s’effectue en mars. Il explique s’être occupé de X, mais devant toujours respecter ce que madame disait. Durant cette période, il poursuit sa thérapie et fait part à la psychologue que la présence régulière d’un ami de madame chez eux, D, l’amène à avoir des doutes sur la paternité de X. Il en parle à madame qui se choque et le met dehors. Mi-mai, il s’installe à la cabane à sucre de ses parents, craignant de se faire détruire par madame. Comme la résidence familiale est dans le même secteur, il s’y arrête régulièrement. En juillet, madame lui demande de prévenir avant d’y aller et il doit alors fixer des rendez-vous. Il lui est arrivé d’avoir un trouble mécanique avec sa voiture une fois, ce qui l’a empêché d’y aller. Selon lui, ses visites étaient assez longues au début et à un moment donné, madame a fixé des moments plus courts.

[38]            Au printemps 1999, il est surpris que madame lui annonce qu’elle est enceinte puisqu’ils avaient eu des relations protégées. Mais il se rend disponible et supporte madame, assistant même à l’accouchement. Il va chez elle quelques jours, s’occupe des enfants, prépare les repas et des mets congelés pour un mois. Il voit les enfants par la suite régulièrement et a une très bonne relation avec X : l’enfant l’aime, lui tend les bras, l’appelle papa. À l’été 2000, madame commence à distancer les visites à une fois par mois. Il patiente, croyant que le temps va arranger les choses. Il ne peut parler des visites à madame, même s’ils travaillent au même endroit, indiquant que cette dernière lui a interdit de parler de la maison au bureau.

[39]            Début 2001, c’est la fin de son emploi chez [Groupe A]. Il laisse des messages à madame qui tarde de plus en plus à le rappeler. C’est ainsi qu’il déclare voir les enfants aux quatre-cinq semaines. En 2002, il travaille à l’entreprise familiale. Les communications avec madame sont toujours difficiles et il évalue avoir vu les enfants huit à douze fois. En 2003, il ne réussit à les voir que trois fois et en 2004, madame lui interdit d’y aller. Il rencontrera madame et les enfants de façon fortuite à deux occasions.

[40]            Il nie avoir eu des tendances suicidaires. Le testament du 16 octobre 1998 (P-4) a été fait dans un contexte où madame le traitait d’irresponsable et lui faisait subir de la violence psychologique.

[41]            Il réfute avoir développé une relation autre qu’amicale, à cette époque, avec C. Elle était une de ses étudiantes et il la considérait comme les autres. Il nie que madame lui ait demandé de moins la voir en février 1999.

[42]            Il explique avoir attendu pour réclamer des droits d’accès à X à cause de son état. Selon les informations qu’il avait eues, il était recommandé de ne pas déplacer l’enfant de son milieu avant qu’il commence l’école et il a donc attendu jusqu’en 2005. S’il n’en a pas demandé pour Y, c’est qu’il espérait s’entendre avec madame, ce qu’elle n’a jamais voulu.

[43]            Monsieur vit maintenant avec C. Celle-ci, âgée de 37 ans, est enseignante en informatique. Elle assume une garde partagée de ses deux enfants, nés d’une autre union qui s’est terminée en 1999. Elle ne nie pas avoir développé une relation d’amitié avec monsieur, de 1998 à 2002 et que madame ait pu, à l’occasion, être en désaccord avec cette relation. Par contre, il est aussi arrivé que madame lui demande son aide pour intervenir auprès de monsieur, Les courriels déposés sous D-3 et D-4 sont révélateurs à cet égard. Madame C explique que c’est à l’automne 2002 que sa relation avec monsieur a évolué. Ils font vie commune depuis. Elle appuie monsieur dans sa démarche.

[44]            Peut-on conclure à abandon des enfants?

[45]            Selon la jurisprudence, pour constater un abandon ou un désintéressement, il faut notamment évaluer la durée de l’absence et les circonstances afférentes à celles-ci.

[46]            Les auteurs Castelli et Goubeau le définissent comme un « désintérêt total à l’égard de l’enfant sur le plan matériel, aussi bien qu’affectif. »[7] L’abandon ne doit pas s’évaluer selon le modèle théorique du « bon parent » mais plutôt de façon concrète en considérant toute la situation factuelle et les possibilités qui s’offraient aux parents[8]. Quant à la durée de l’abandon, chaque cas est un cas d’espèce mais il faut, un délai significatif. De plus, l’abandon doit être volontaire et inexcusable[9].

[47]            Il est indéniable que monsieur a très mal réagi au diagnostic de trisomie comme en a témoigné madame, même si lui-même nie tous les éléments rapportés par madame et qui ont suivi la naissance de l’enfant. Ce déni d’ailleurs ressort du témoignage de monsieur et a aussi été constaté par madame Doris Rowley, psychologue, qui a rédigé le rapport d’expertise psychosociale.

[48]            Monsieur reproche à madame de l’avoir traité avec mépris et arrogance, le jugeant incompétent dans les soins à donner à l’enfant. Madame reproche à monsieur de ne pas s’intéresser à X.

[49]            Après la naissance de X, le couple traverse une grave crise et les conflits augmentent, en nombre et en gravité. Monsieur se réfugie de plus en plus dans sa relation d’amitié avec C.

[50]            Lorsque madame apprend qu’elle est de nouveau enceinte, elle en informe monsieur et ce dernier assistera même à l’accouchement. On réalise là toute l’ambivalence de leur relation.

[51]            Par la suite, les contacts avec les enfants s’exerceront avec régularité en 2000 mais en s’espaçant de plus en plus. Monsieur dit que madame ne retournait pas ses appels et qu’elle l’a ainsi empêché de voir les enfants. Madame s’en tient à dire que monsieur a peu exercé ses droits.

[52]            La vérité se situe quelque part dans ces extrêmes : le couple est défait, chacun a ses ressentiments envers l’autre. Il est probable que madame ait voulu restreindre les contacts de monsieur et n’ait pas facilité les communications, comme monsieur l’a expliqué. Par contre, ce dernier a-t-il posé les gestes pertinents pour garder contacts avec les enfants?

[53]            Il est aussi fort possible que madame, en demandant à monsieur de s’en aller, ait décidé de s’occuper seule des enfants. Selon monsieur, elle lui aurait dit : « Tu t’en vas, je m’occupe des enfants, je gagne le double de ton salaire. ». On ne peut que s’interroger sur l’absence de toute demande de madame après que monsieur eut cessé de verser sa part dans le compte conjoint. Cette décision de monsieur, par contre, n’aillait pas permettre d’améliorer les relations dans le couple.

[54]            La psychologue Doris Rowley a, selon la soussignée, très bien évalué la situation des parties et leurs difficultés respectives.

[55]            Elle s’exprime comme suit, dans son rapport, au chapitre VII :

« ANALYSE PSYCHOSOCIALE DE LA SITUATION

 

M. et Mme se présentent comme des personnes articulées ayant des versions très contradictoires de leur passé familial. Leur relation conjugale déjà fragile avant la naissance de X n’a pas survécu à la crise qu’ils ont traversée après avoir appris qu’il était atteint de trisomie 21. M. a eu beaucoup de difficulté à accepter cette situation, qui à notre avis a ébranlé profondément son estime de soi et provoqué une grande détresse psychologique. Il est probable que l’histoire familiale de M. (préjugés de son grand-père maternel envers les handicapés, handicapé dans sa famille décédé à la naissance) ait contribué, à ce que M. craigne d’en informer ses proches et en ait honte. Toutefois, les parents de M. nous paraissent bien accepter X et aussi Y, et être attachés à eux de même que les autres membres de la famille de M. qui accompagnent régulièrement ceux-ci lors des visites en général annuelles que Mme leur accorde.

 

Nous considérons à partir de l’ensemble des informations que nous avons recueillies qu’il est crédible que M. ait manifesté des idées suicidaires et par moment eu des propos et des comportements inquiétants à l’égard de son ex-conjointe et de X envers qui il vivait beaucoup d’ambivalence. Le déni que M. en fait encore aujourd’hui témoigne selon nous que cette épreuve a laissé une blessure psychologique profonde en lui qu’il a refoulée et vis-à-vis laquelle il aurait intérêt à reprendre une démarche psychothérapeutique. Ce, afin de mieux assumer son vécu émotif et sa part de responsabilité face à sa faible implication jusqu’à ce jour dans son rôle de père et afin d’être conseillé quant à la façon de reprendre contact avec eux et s’y investir sérieusement malgré les difficultés qu’il peut rencontrer.

 

Concernant Mme, il est aussi possible que comme il est parfois observé chez certaines mères à la naissance de leur enfant trisomique qu’elle ait laissé peu de place à M. pour s’y impliquer amplifiant ainsi son sentiment d’incompétence et son exclusion. Il est normal qu’elle ait cherché à protéger X des conflits conjugaux et de la violence qu’elle appréhendait de M. Néanmoins, il s’avère que M. n’a pas posé de gestes concrets mettant en danger la sécurité et la vie de leur fils et d’elle-même. Les craintes que Mme a toujours envers lui à cet effet sont compréhensibles mais ne nous paraissent plus fondées maintenant même si elle le prétend en alléguant son comportement en juin 2003 et qu’il aurait suivi la mère de Mme en automobile au cours des derniers mois.

 

La perception que Mme a de M. est donc négative et celle de ses contacts avec les enfants incohérente. En effet, elle prétend que les enfants n’ont pas de lien avec M. car il ne les a jamais vus. Puis, elle confie ne pas comprendre pourquoi il voyait les enfants dans le passé, sinon que pour la contrôler alors qu’il se soumettait aux conditions qu’elle exigeait soit de les voir en sa présence, chez elle, ce qu’elle ne semblait pas craindre. Paradoxalement, elle lui reproche de ne pas avoir eu de contacts  réguliers avec eux et demandé de voir les enfants depuis l’été 2003 mais exprime qu’elle ne sait pas si elle l’aurait accepté s’il l’avait fait. Nous constatons aussi que Mme, n’a jamais identifié M. auprès des enfants comme étant leur père, affirmant que M. ne le ferait pas lui-même. Elle a aussi adopté cette attitude en cour d’expertise et a critiqué que nous les informions que M. B est leur père prétendant que nous nous étions engagée à ne pas le dire.

 

(…)

 

Concernant les contacts des enfants avec les grands-parents paternels Mme exprime aussi une forte réticence mais dit ne pas pouvoir les refuser. Elle a tendance à critiquer leur attitude, prétend qu’ils ne s’identifiaient pas comme les grands-parents et qu’elle fait de même car les enfants n’ont pas de lien avec eux et qu’elle ne veut pas en créer sous prétexte qu’ils sont souvent partis en voyage, soit environ trois mois par année.

 

Mme nous semble donc être une personne assez rigide qui apprécie gérer seule la vie de ses enfants avec le support de ses parents qui sont très impliqués auprès d’elle et partagent sa position quant à M.

 

La vie de Mme est totalement centrée sur ses enfants auxquels en dehors de son travail elle consacre tout son temps. Mme aime ses enfants, se dévoue pour eux et il ne fait aucun doute qu’elle veut leur bien-être. Elle est très structurée, organisée et fait tout en pouvoir pour que X ait les meilleurs soins possibles. Depuis sa naissance, Mme s’est entièrement dévouée à son fils et collabore étroitement avec les services disponibles afin de le stimuler et maximiser son développement (physique, psychomoteur, intellectuel, social et du langage). Tous les professionnels que nous avons contactés nous ont affirmé qu’elle le fait de façon exemplaire et que c’est ce qui aurait permis à X de faire des acquis supérieurs à ce qu’on s’attend généralement d’un enfant trisomique ce dont Mme, avec raison, est très fière.

 

(…) » (p. 10 à 12)                                                                                                     

[56]            Madame Rowley recommande alors une prise de contacts graduelle et elle souligne que chaque parent devrait s’engager à consulter individuellement au plan psychosocial afin de faciliter la reprise de contacts de monsieur avec les enfants.

[57]            Madame A, à la suite de cette expertise psychosociale, a fait faire une autre expertise par Dr Serge Gauthier, pédopsychiatre. Monsieur B a refusé d’y participer. Son rapport, daté du 22 septembre 2005, a été déposé et il a témoigné à l’audience.

[58]            Dr Gauthier souligne que madame n’a pas de ressentiment marqué à l’égard de monsieur mais plutôt un désir de protéger ses enfants, compte tenu de la perception qu’elle a développée face à monsieur B au cours de leur période de vie commune. Il s’exprime ainsi :

« (…)

 

Mme A m’a fait part de la chronologie des événements de sa vie et de l’évolution de sa relation avec M. B, père de X et de Y. Elle m’a fait part notamment des comportements inquiétants, des violences, des menaces, de l’imprévisibilité et de l’instabilité de M. B durant le moment et même avant son mariage jusqu’à son départ définitif de sa vie et de celle des enfants en juin 2003. Mme A a vécu, durant les années de vie commune avec M. B, une situation traumatique, qui l’a rendue craintive et méfiante face aux agissements de M. B, non seulement à son endroit, mais également à l’égard de ses enfants, notamment par ses menaces de suicide et de mort. Aussi, Mme A est consciente de la fragilité et des besoins de ses enfants, dont elle s’est occupée sans faille depuis leur naissance. En raison de la condition trisomique de X, ce dernier reçoit des services réguliers en orthophonie, en ergothérapie, en physiothérapie et en éducation spécialisée. (…) » p. 8

[59]            Ses conclusions sont à l’effet qu’il n’est pas dans l’intérêt des enfants que monsieur B :

« (…) reprenne contact avec eux dans un proche avenir, en raison de la fragilité des enfants et en raison des conduites et des verbalisations de M. B dans le passé, qui ont entraîné un impact traumatique chez Mme A, mère de X et de Y.

 

(…)

 

Mme A a dans le passé, à plusieurs reprises, fait confiance à M. B et elle a pu constater également à plusieurs reprises des inconsistances et de l’instabilité au niveau de son fonctionnement. D’après sa perception, elle n’a jamais constaté de véritable attachement de M. B à l’égard de Y et de X et elle a conservé le souvenir traumatique des pressions pour qu’elle se fasse avorter, que X soit confié en adoption, ainsi que des menaces suicidaires à plusieurs reprises.

 

(…) » p.10

[60]            Il souligne enfin le déni que monsieur fait encore de la situation aujourd’hui, lequel demanderait une démarche psychothérapeutique selon la psychologue Rowley.

[61]            À l’audience, il a repris les éléments de son rapport et a insisté sur le fait que la situation des parties, et ce dans l’intérêt des enfants, commande de ne pas permettre de contacts entre monsieur et les enfants.

[62]            Reconnaissant qu’il est dans l’intérêt des enfants d’avoir des contacts avec leurs deux parents comme l’affirme la psychologue Rowley, il a précisé que ceux-ci requièrent :

§         un lien d’attachement

§         une qualité au niveau de la relation

§         la santé psychique et physique du parent

§         une capacité matérielle

[63]            Selon lui, il importe que monsieur fasse la preuve que son déni de réalité est disparu et que son implication auprès des enfants est réelle. Madame a des inquiétudes et elle doit être rassurée. La soussignée considère que cette recommandation est majeure.

[64]            Or, le déni de monsieur est toujours présent. Cela ressort de l’interrogatoire et de l’expertise et s’est manifesté tout au long de son témoignage. Monsieur, à la fin de l’audience, a pris l’engagement de consulter un psychiatre. Il a témoigné avoir parlé à madame Rowley et avoir été référé à un spécialiste mais aucune démarche précise n’avait encore été faite. On ne peut se contenter d’un simple engagement.

[65]            Dr Gauthier ne voit aucune faisabilité dans les recommandations faites par madame Rowley. Il est dans l’ignorance du suivi psychologique de monsieur, a mesuré l’inquiétude de madame et la perception des enfants fait en sorte que Y est craintive face à ce « monsieur méchant ». Pour X, considérant son état trisomique, il conclut que l’exercice de droits d’accès demande, pour protéger l’enfant, une complicité entre parents quasi intime.

[66]            La preuve faite amène la soussignée, non à prononcer la déchéance d’autorité parentale, mais à retirer le droit et le devoir de garde à monsieur et à interdire les droits d’accès.

[67]            Malgré toutes les difficultés relatées, on ne peut conclure à abandon des enfants de la part de monsieur. Il a subi un choc à la naissance de X, a mal assumé la maladie de l’enfant mais malgré tous ses écarts de conduite, il a maintenu un lien avec eux.

[68]            La soussignée n’a aucun doute des difficultés qu’a vécues madame depuis la naissance de X. Mais comme l’enseigne la jurisprudence, la déchéance de l’autorité parentale n’est pas une sanction à l’égard des parents mais doit être analysée sous l’angle de la protection de l’enfant[10].

[69]            Comme le souligne madame Rowley, la situation actuelle ne démontre pas que monsieur constitue une menace pour la vie de X, plus particulièrement.

[70]            Par contre, la preuve faite ne permet pas une reprise de contacts, même de façon graduelle comme le propose madame Rowley. Même si monsieur, avec sa nouvelle conjointe, paraît avoir trouvé un bon équilibre psychologique et souhaite s’impliquer auprès des enfants, il lui faut rassurer madame.

[71]            Il importe de rappeler les propos de madame Rowley qui indique que le déni que monsieur fait de la situation (idées suicidaires, comportements inquiétants) témoigne que la naissance de X a laissé une blessure psychologique profonde qu’il a refoulée. Elle souligne la nécessité d’une démarche psychothérapeutique et elle aussi mentionne l’importance de rassurer madame.

[72]            Madame a reçu des menaces de mort, contre elle et X et a conclu, non sans raison, que monsieur ne voulait pas de cet enfant. Elle a par la suite constaté un manque d’intérêt de monsieur et a décidé, à un moment donné, qu’il valait mieux se débrouiller seule et qu’elle ne pouvait compter sur cet homme. Il est évident que dans ce contexte, elle ne peut accepter de droits d’accès.

[73]            Il faut donc, avant de permettre tout droit d’accès, que monsieur s’implique dans une démarche psychothérapeutique, en vue de rassurer madame. Celle-ci devait également consulter au plan psychosocial afin d’évaluer une reprise éventuelle des contacts.

[74]            Il appartient aux parties de faire les démarches appropriées. En attendant quelque résultat à cet égard, monsieur ne pourra avoir accès aux enfants.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[75]            REJETTE la demande de déchéance de l’autorité parentale à l’égard de monsieur B.

[76]            RETIRE à monsieur B le droit et le devoir de garde à l’égard de X et Y.

[77]            RECOMMANDE aux parties d’obtenir l’aide psychosociale nécessaire à une reprise de contacts éventuelle de monsieur avec ses enfants.

[78]            Le tout sans frais, vu la nature du litige.

 

 

 

__________________________________

               RITA BÉDARD, J.C.S.

 

St-Jean & Associés - casier 161

(Me Frédéric St-Jean)

Procureurs de la demanderesse

 

Beaumont, Provençal & Al - casier 88

(Me André Jacques)

Procureurs du défendeur

 

Date de délibéré :

13 juin 2006

 



[1]     C. (G.) c. V.-F. (T.), [1987] 2 R.C.S. 244 ; TÉTRAULT Michel, Droit de la famille, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 761

[2]     [1995] R.J.Q. 2328

[3]     J.C. c. V.C., [2004] R.D.F. 957 (C.S.)

[4]     Droit de la famille - 1738, précité, note 2, p. 2333

[5]     C.C. c. F.D., J.E. 2005-1846 (C.S.)

[6]     Droit de la famille - 2137, [1995] R.J.Q. 583 (C.S.)

[7]     D. CASTELLI Mireille & GOUBEAU Dominique, Le droit de la famille au Québec, 5e éd., Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, p. 359

[8]     M.C. c. C.B. [2001] R.J.Q. 356 (C.A.), par. 16

[9]     J.S. c. D.D. [2001] R.J.Q. 329 (C.A.)

[10]    C.C. c. F.D., précité, note 5

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