Décision

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98011053 C A N A D A Cour d'appel
Province de Québec  
Greffe de Montréal  


No.  500-09-002472-967   Le 10 décembre 1997
     (500-11-001196-951)
               CORAM :

          
Les honorables VALLERAND

                    MAILHOT
                    ROBERT, JJ.C.A.
               


DANS L'AFFAIRE DE LA FAILLITE DE:

               
               RESTAURANT OCEAN DRIVE INC.,

Débitrice

               et

     
CANPRO INVESTMENTS INC.,


APPELANTE - requérante

                    c.

SAM LEVY & ASSOCIÉS INC.,


INTIMÉE - Syndic


               
               
LA COUR ; - Statuant sur le pourvoi de 1'appelante contre un jugement de la Cour supérieure (Montréal, 17 avril 1996, le juge Paul Chaput ) qui a rejeté l'appel du rejet de la preuve de réclamation de l'appelante par le syndic Sam Levy & Associés Inc., dans la faillite de la débitrice;

Après étude du dossier, audition et délibéré;

Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du juge Robert, dont un exemplaire est déposé avec le présent arrêt, et auxquels souscrivent les juges Vallerand et Mailhot,

REJETTE 1'appel, avec dépens.


               _____________________________
               CLAUDE VALLERAND, J.C.A.

               _____________________________
               LOUISE MAILHOT, J.C.A.

               _____________________________
               MICHEL ROBERT, J.C.A.


Me Abraham A. Hamerman
WISEMAN, HAMERMAN
Procureur de l'appelante

Me Jean-Philippe Gervais
GERVAIS & ASSOCIÉS
Procureur de l'intimée

Date de l'audience: 11 juin 1997

C A N A D A Cour d'appel
Province de Québec  
Greffe de Montréal  


No.  500-09-002472-967   Le 10 décembre 1997
     (500-11-001196-951)
               CORAM :

          
Les honorables VALLERAND

                    MAILHOT
                    ROBERT, JJ.C.A.
               


DANS L'AFFAIRE DE LA FAILLITE DE:

               
               RESTAURANT OCEAN DRIVE INC.,

Débitrice

               et

     
CANPRO INVESTMENTS INC.,


APPELANTE - requérante

                    c.

SAM LEVY & ASSOCIÉS INC.,


INTIMÉE - Syndic


               




OPINION DU JUGE ROBERT



L'appelante Canpro Investments Inc. ( Canpro ) se pourvoit en appel contre un jugement de la Cour supérieure du district de Montréal (l'honorable Paul Chaput, le 17 avril 1996) rejetant l'appel du rejet de la preuve de réclamation de Canpro par le syndic Sam Levy & Associés Inc. ( Levy ), dans la faillite de la débitrice Restaurant Ocean Drive Inc. ( Ocean Drive ).

Cet appel soulève une seule question de droit: le locateur, détenteur d'une hypothèque mobilière pour garantir les obligations découlant du bail ( selon les nouvelles dispositions du Code civil ), est-il un « créancier garanti » au sens des articles 2 et 136(1) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ( L.F.I.)(1)() et peut-il ainsi se soustraire à 1'ordre de collocation prévu à l'article 136(1)f L.F.I.

I-   LES FAITS ET LES PROCÉDURES

La preuve au dossier n'est pas contestée et repose essentiellement sur les pièces produites par l'appelante devant le premier juge du consentement de l'intimée, aucun témoin n'ayant été entendu à l'enquête.

Le 24 mars 1994, Canpro a conclu un bail commercial avec la débitrice Ocean Drive par lequel elle louait à cette dernière un espace dans un édifice situé au 1155, rue Sherbrooke Ouest, à Montréal.

Le bail prévoyait la constitution d'une hypothèque mobilière pour garantir le paiement du loyer. La clause 16 du bail se lit ainsi:

16.  MOVEABLE HYPOTHEC


(a)  As continuing and collateral security for the due and collatera1 payment of Rent ("Rent" means Minimum Rent, Percentage Rent and all additional rentals) and all other amounts now owing or which may hereafter become owing to the Landlord by the Tenant under this offer, as same may be amended, renewed, extended or supplemented, and as continuing and collateral security for the due and punctual performance and fulfilment of all other obligations covenants and agreements of the Tenant contained in this Offer, as same may be amended, renewed, extended or supplemented, the Tenant hereby hypothecates in favour of the Landlord, with effect as of and from this date, for the sum of One Hundred Thousand Dollars ($100,000.00) and interest thereon at the Stipulated Rate ("Stipulated Rate of Interest" is defined in this Offer as the rate which is equal to the greater of Two Percent (2%) per month compounded monthly or Six Percent (6%) per annum above the prevailing prime rate charged by the Royal Bank from time to time to its most preferred borrowers), calculated semi-annually, not in advance, all of the rights, title and interests of the Tenant in and to the following universalities (hereinafter referred to as the "Universalities"):


i)   the universality of all moveable improvements, equipment, machinery, furniture and trade fixtures of every kind, or used directly or indirectly in connection « with the business of the Tenant carried on at the Leased Premises, including all indemnities or proceeds paid under insurance contracts or policies pertaining to or covering such moveables; and


ii)  the universality of all property in stock, raw material, work in progress and inventory, present and future, situated on or upon the Lessed Premises or used directly or indirectly in connection with the business of the Tenant carried on at the Leased Premises, including all indemnities or proceeds paid under insurance contracts or policies pertaining to or covering such moveables.


(...)


Le 27 septembre 1994, l'hypothèque mobilière a été dûment inscrite au registre.

Le 12 juin 1995, Ocean Drive fait une cession volontaire de ses biens conformément à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Au 1er juin 1995, elle devait la somme de 66 740,84 $ à Canpro.

Le 13 juillet 1995, Canpro produit sa preuve de réclamation à titre de créancière garantie pour un montant de 60 000 $.

À la fin septembre et au début octobre 1995, Canpro fait signifier et inscrire un préavis d'exercice du recours hypothécaire de prise en paiement.

Le 27 octobre 1995, le syndic intimé rejette la preuve de réclamation de Canpro au motif que 1'hypothèque mobilière du locateur lui était inopposable.

Canpro a porté la décision du syndic en appel devant la Cour supérieure qui a rejeté l'appel de Canpro(2)().

II-  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Les dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité utiles à la solution du présent litige sont les suivantes:

2.[Définitions] Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.(...)


[«créancier garanti» "secured"]  «créancier garanti» Personne détenant une hypothèque, un nantissement, une charge, un gage ou un privilège sur ou contre les biens du débiteur ou sur une partie de ses biens, à titre de garantie d'une dette échue ou à échoir, ou personne dont la réclamation est fondée sur un effet de commerce ou garantie par ce dernier, lequel effet de commerce est détenu comme garantie subsidiaire et dont le débiteur n'est responsable qu'indirectement ou secondairement.


136. (1) [Priorité des créances] Sous réserve des droits des créanciers garantis, les montants réalisés provenant des biens d'un failli sont distribués d'après l'ordre de priorité de paiement suivant:


(. . .)


f) le propriétaire quant aux arriérés de loyer durant une période de trois mois précédant la faillite, et pour loyer perçu par anticipation pour une période ne dépassant pas trois mois après la faillite, s'il y a droit en vertu du bail, mais le montant total ainsi payable ne peut dépasser la somme réalisée sur les biens se trouvant sur les lieux sous bail, mais tout paiement fait pour loyer perçu par anticipation est porté au compte du montant payable par le syndic pour loyer d'occupation; (...)


(3) [Solde de réclamation] Tout créancier dont le présent article restreint les droits prend rang comme créancier non garanti, quant à tout solde de réclamation qui lui est dû.


146. [Application de la loi provinciale aux droits des propriétaires d'immeubles] Sauf quant à la priorité de rang que couvre l'article 136 et sous réserve du paragraphe 73(4), les droits des propriétaires sont déterminés conformément au droit de la province où sont situés les lieux sous bail.


III- LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

L'appelante reconnaît que sous 1'égide du Code civil du Bas-Canada, l'ancien privilège du locateur ne conférait pas à son titulaire le statut de créancier garanti au sens de la L.F.I. et qu'en matière de faillite, le locateur n'avait droit qu'aux préférences énoncées à l'article 136(1) L.F.I.(3)().

Elle prétend cependant qu'il en va autrement en vertu des dispositions du Code civil du Québec alors que l'abolition du privilège du locateur, au profit de la possibilité pour les parties de convenir d'une hypothèque mobilière, ferait en sorte que le locateur s'étant fait consentir une telle sûreté par son locataire pourrait désormais être considéré comme un créancier garanti au sens de la L.F.I. et se prévaloir de l'exception prévue à l'article 136(1) in limine, selon laquelle 1'ordre de distribution énoncé à cette disposition s' applique  «sous réserve des droits des créanciers garantis».

Elle soutient que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada(4)() ayant statué que les législatures provinciales ne peuvent contrevenir à l'ordre des priorités énoncé à l'article 136(1) L.F.I., n'est pas concluante dans la solution du présent litige dans la mesure où il s'agissait d'affaires mettant en cause des sûretés légales prévues par des lois provinciales particulières alors qu'en l'espèce, l'hypothèque mobilière dont il s'agit est de nature purement conventionnelle, ayant été constituée par les parties au bail.

À son avis, il est faux d'affirmer que dès qu'un créancier est mentionné à l'article 136(1) L.F.I., il ne peut en aucun cas bénéficier du statut de créancier garanti au sens de la loi, sans quoi les termes «sous réserve des droits des créanciers garantis» seraient inutiles.

Le syndic intimé soutient pour sa part que les énoncés de la Cour suprême dans les arrêts précités(5)() ont tranché définitivement tout débat sur la question et que dès qu'un créancier est visé par l'article 136(1) L.F.I., il ne peut en aucune circonstance bénéficier du statut de créancier garanti.

En effet, selon le syndic, les créanciers énumérés à l'article 136(1) L.F.I. constituent des exceptions à la définition d'un « créancier garanti » prévue à l'article 2 L.F.I. et une restriction intrinsèque au pouvoir même des provinces de créer des garanties applicables en matière de faillite. La législation fédérale, en conférant une préférence à certaines classes de créanciers, leur nie du même souffle le statut de créancier garanti auquel ils pourraient par ailleurs aspirer.

Le syndic affirme que les propos de la Cour suprême sont à ce point clairs qu'ils ne laissent aucunement place à la distinction faite par 1'appelante voulant que 1'on puisse déroger à l'ordre de collocation de l'article 136(1) L.F.I. en constituant une sûreté conventionnelle plutôt que légale.

De plus, bien que 1'hypothèque mobilière conventionnelle détenue par l'appelante lui confère des droits réels dans les biens grevés qui n'existaient pas en vertu de 1'ancien privilège du locateur, le syndic soutient que le statut de créancier hypothécaire ne modifie en rien les principes dégagés par la Cour suprême à cet égard. Selon lui, toute disposition législative provinciale ayant pour effet de conférer à un créancier visé par l'article 136(1) un statut de créancier garanti modifiant l'ordre de collocation prévu à cet article doit être déclarée inapplicable en matière de faillite.

IV-  LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

Le premier juge a donné raison au syndic. Selon le juge Chaput, l'élément déterminant des préceptes énoncés par la Cour suprême n'est pas l'origine « légale » des sûretés en cause, par opposition à celles constituées en vertu des règles de droit commun comme c'est le cas en 1'espèce, mais plutôt le fait que la loi qui la crée établit un ordre de priorité qui déroge à celui prévu par l'article 336(1) L.F.I.

Dans cette optique, dès qu'un créancier est mentionné à l'article 136(1) L.F.I., une loi provinciale ne pourrait d'aucune façon lui accorder une sûreté susceptible de lui conférer le statut de créancier garanti et ainsi lui permettre de se prévaloir de l'exception prévue par l'alinéa introductif de l'article 136(l). En cas de faillite, le locateur ne pourrait sous aucun prétexte échapper à l'effet de l'article 136(1) L.F.I.

V-   ANALYSE

A) Le contexte

Sous l'emprise du Code civil du Bas-Canada, il était depuis longtemps établi que l'ancien privilège du locateur, prévu aux articles 1637 et suivants C.c.B.-C., était inopposable au syndic dans un contexte de faillite et que son titulaire ne pouvait être qualifié de  « créancier garanti » et bénéficier d'une préférence autre que celle que lui accorde l'article 136(1)f) L.F.I. Dans l'arrêt In re Ginqras Automobile Ltée; Produits de caoutchouc Marquis Inc. c. Trottier déjà cité, la Cour suprême a en effet conclu que le privilège du locateur, en cas de faillite, cédait le pas à l'ordre de collocation de l'article 136(1) L.F.I. Le juge Abbott avait mentionné ce qui suit au nom de la Cour ( p. 680 ):
Subject to priority of ranking under s. 95* (and to s. 42(4) which has no relevance here) in virtue of s. 105 the nature and extent of the landlord's claim for rent or damages and any other rights he may have arising out of the contract of lease are determined by the law of the province in which the leased premises are situated.


In my opinion however, in the event of bankruptcy, the right of the landlord to be collocated and paid by preference, and the extent of that preference, are clearly provided for in s. 95. Shortly stated, such preference ranks sixth in order of priority. It is limited to three months' arrears of rent prior to the bankruptcy and to accelerated rent for a period not exceeding three months following the bankruptcy. Any amount payable by preference is limited to the amount realized from property on the lease premises, and any payment on account of accelerated rent must be credited against any amount due by the Trustee for occupation rent.


* Maintenant devenu 136.


Cela étant, comme le privilège du locateur a été aboli avec l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, la question se pose donc de savoir si la même règle s'applique au locateur qui,
conformément aux nouvelles dispositions du Code, s'est fait consentir par son locataire une hypothèque conventionnelle sur les biens de ce dernier pour garantir le paiement du loyer.

On peut s'interroger sérieusement, et c'est un euphémisme, à savoir pourquoi le locateur créancier hypothécaire devrait bénéficier d'un traitement nettement défavorable par rapport à tout autre créancier hypothécaire lorsque survient la faillite. En effet, il est clair que les créanciers hypothécaires non expressément visés par l'un des alinéas de l'article 136(1) peuvent valablement se réclamer de l'exception prévue pour les « créanciers garantis », et que leur réclamation échappera à l'ordre des priorités de la Loi sur la faillite. Pourtant, l'hypothèque du locateur, sauf en ce qui a trait à la nature de l'obligation qu'elle garantit (loyer), ressemble en tous points à celle que pourrait obtenir tout autre créancier du locataire: la méthode de publication est la même, les critères d'opposabilité sont les mêmes et les recours offerts sont identiques.

Ceci dit, je vois difficilement, au plan des principes, comment l'on pourrait s'écarter de la position maintes fois réitérée par la Cour suprême.

En effet, dans une série d'arrêts subséquents à l'arrêt Ginqras, qu'il est désormais convenu d'appeler le  «quintet» d'arrêts sur la question, il fut décidé que les lois provinciales ne pouvaient créer des priorités ayant pour effet de modifier le plan de répartition établi à l'article 136(1) L.F.I. et que l'expression « créancier garanti » utilisée dans la Loi sur la faillite devait s'interpréter selon la définition du législateur fédéral et non selon celle des législatures provinciales: Husky Oil Operations Ltd c. M.R.N., [1995] 3 R.C.S. 453 ; Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Bélair Ltd. [1989] 2 R.C.S. 24 ; Banque fédérale de développement c. C.S.S.T., [1988] 1 R.C.S. 1061 ; Deloitte Haskins & Sells c. Workers' Comp. Board, [1985] 1 R.C.S. 785 ; Sous-ministre du revenu c. Rainville, [1981] 1 R.C.S. 35.

Dans ces affaires, tout comme dans l'arrêt Gingras qui portait sur le privilège du locateur, il s'agissait cependant de sûretés légales, d'où l'argument de l'appelante voulant qu'une règle différente doit s'appliquer dans le cas de sûretés comme l'hypothèque conventionnelle. À priori, on aurait également pu croire que l'appelante insisterait sur les droits réels que confère l'hypothèque en regard de l'ancien privilège du locateur: article 2660 C.c.Q. l'appelante n'a cependant pas fait de cet élément un fondement déterminant de son argumentation. Je crois toutefois qu'il est approprié d'en dire quelques mots pour conclure le débat sur la question.

B) La pertinence des droits réels conférés par l'hypothèque du locateur

Les propos de la Cour suprême ne distinguent pas selon que la sûreté créée par le droit provincial soit ou non attributive de droits réels, tout au contraire. En fait, on a plutôt décidé que cette considération n'avait aucune pertinence dans le débat.

Dans le second arrêt déjà cité de la série de décisions de la Cour suprême, l'arrêt Deloitte, la Commission détenait, selon les termes de la loi provinciale, une charge « grevant les biens ou le produit des biens de l'employeur ». Confirmant le principe selon lequel la loi provinciale doit céder le pas à la loi fédérale en cas de faillite, la juge Wilson citait avec approbation les propos du juge en chef Cowan dans Re Black Forest Restaurant Ltd.(6)() qui laissent clairement voir que l'application de ce principe n'est pas limitée aux seuls privilèges ou aux sûretés ne conférant pas de droits réels dans les biens visés:

(TRADUCTION) Il en résulte, à mon avis, que tant qu'il n'y a pas eu de faillite, il faut donner toute leur portée aux dispositions comme celles que comporte le Labour Standards Code de la province et la Workers' Corpensation Act de la province, qui créent des privilèges et des charges sur la propriété, qui prennent rang avant les droits préexistants comme les droits créés en vertu d'hypothèques ou de cessions de dettes actives grevant la propriété assujettie aux privilèges et charges prévus dans la loi. Toutefois, lorsqu'il y a faillite, les dispositions de l'art. 107 de la Loi sur la faillite s'appliquent et le plan de distribution des biens du failli remis au syndic doit être suivi. Les privilèges et charges prévus dans la loi cessent de s'appligner dans la mesure où ils sont visés par les dispositions de l'art. 107. Les droits des créanciers garantis dont la sûreté ne découle pas de ces lois, sont protégés et peuvent être exercés contre les biens grevés de sûretés. Les créanciers au profit desquels la loi crée des privilèges et charges n'ont plus droit de faire valoir ces privilèges et charges, sauf dans la mesure permise par l'art. 107, et leurs réclamations se règlent selon la priorité énoncée à l'art 107.


                    (mes soulignements)

Un peu plus loin dans ses motifs, la juge Wilson écarte tout doute à cet égard alors qu'elle mentionne expressément que l'ordre de priorité établi par l'article 136(1) L.F.I. doit prévaloir alors même que la sûreté créée par le droit provincial confère un droit de propriété à son titulaire:

Avec égards, dans les arrêts Re Bourgault et Re Black Forest Restaurant Ltd., le litige n'était pas de savoir s'il y avait eu création d'un droit de propriété en vertu des lois provinciales applicables. Il s'agissait de savoir si, même si elle créait un droit de propriété, la loi provinciale pouvait aller à l'encontre du plan de distribution prévu au par. 107(1) de la Loi sur la faillite. Ces arrêts ont décidé qu'elle ne le pouvait pas et que, même si la loi provinciale pouvait validement créer une sûreté pour des dettes sur les biens du débiteur en dehors de la faillite, dès qu'il y avait faillite, le par. 107(1) déterminait le statut et la priorité des réclamations expressément mentionnées dans cet article. Il n'était pas loisible au créancier de la faillite de dire: en vertu de la loi provinciale applicable, je suis un créancier garanti au sens des premiers mots du par. 107(1) de la Loi sur la faillite et en conséquence la priorité que l'alinéa pertinent du par. 107(1) accorde à ma réclamation ne s'applique pas à moi. En réalité, c'est la position adoptée par la Cour d'appel et plaidée devant nous par l'intimée. Cette position n'est pas étayée par l'interprétation législative du par. 107(1) puisque, si on interprétait l'article dans ce sens, il aurait pour effet de permettre aux provinces de déterminer les priorités en cas de faillite, ce qui relève de la compétence fédérale exclusive.


                         (mes soulignements)

Dans l'arrêt Husky Oil déjà cité, le juge Gonthier, pour la majorité, reprenait ces propos de la juge Wilson en les qualifiant d'«importants commentaires» pour ensuite les appliquer aux
faits du litige:

Pour paraphraser le juge Wilson dans l'arrêt Deloitte Haskins, à la p. 806..., la question en l'espèce n'est pas de savoir si la loi provinciale pertinente a créé un droit de propriété en conjuguant les instruments de la dette réputée et de la compensation. Il s'agit plutôt de savoir si, même si elle a créé un droit de propriété, la loi provinciale peut contrecarrer le plan de répartition établi à l'art. 136 de la Loi sur la faillite.


                          (mes soulignements)

Il est donc clair que le principe énoncé par la Cour selon lequel la loi provinciale ne peut déroger à l'ordre des priorités prévu à l'article 136(1) L.F.I. reçoit application « même si (la loi provinciale) cré(e) un droit de propriété » et, a fortiori, l'un de ses démembrements comme dans le cas d'une hypothèque conventionnelle.

En outre, on peut rappeler que notre Cour avait déjà rejeté 1'argument selon lequel les droits réels qui sont conférés par une hypothèque, contrairement à un privilège, permettraient de déroger à l'ordre des priorités énoncé à l'article 136(l): Re Reed; Sous-ministre du revenu du Québec c. Franco(7)(). Il s'agissait dans cet arrêt de déterminer l'effet de l'amendement du législateur québécois qui, à la suite de l'arrêt déjà cité Sous-ministre du revenu c. Rainville(8)() ( ci-après Re Bourgault ) de la Cour suprême, avait modifié la Loi sur le ministère du Revenu en transformant l'ancien privilège de l'État pour les sommes dues en vertu des lois fiscales en une hypothèque légale, dans le but de contrer les effets de cette dernière décision. La Couronne prétendait que les droits réels dont elle bénéficiait désormais lui permettaient d'accéder au statut de « créancier garanti » au sens de la L.F.I.

Le juge Kaufman, au nom de la Cour, a rejeté cette prétention en affirmant ce qui suit:

The amendment created a hypothec, and in the civil law that means a real right. But it did not change the nature of the Crown's claim, and neither did it change, of course, the scheme of distribution set out in s. 107 (maintenant devenu 136)... (I)t matters not whether the statutory preference which the legislature sought to confer was simply a privilege, as it was before the amendment, or a legal hypothec, as it became thereafter... .


If we substitute "legal hypothec" for "privilege", the result is the same: the legislature, by unilateral act, would have overcome a provision which gave it only a loser priority.


Bien que la décision de la Cour dans cette affaire était tout comme dans l'arrêt Re Bourqault appuyée par la présence de l'expression « nonobstant tout privilège prévu par une loi à l'effet contraire » que l'on retrouve à l'article 136(1)j) et non pas à l'article 136(1)f), la Cour suprême est à préciser dans l'arrêt Deloitte que la présence de la clause « nonobstant » n'avait pas été déterminante dans l'arrêt Re Bourgault et qu'elle ne faisait que confirmer le principe énoncé dans l'arrêt Gingras Automobile Ltée selon lequel la loi provinciale doit céder le pas à la loi fédérale en cas de faillite:

Avec égards, il me semble que la clause  «nonobstant» de l'al.j) était une deuxième corde à l'arc de la Cour dans l'arrêt Re Bourgault. Je crois que c'est là le sens du commentaire du juge Pigeon à la p. 43 de ses motifs:

À cause du  «nonobstant» il me paraît encore plus clair que le législateur fédéral a entendu déterminer par l'al. 107(1)j) les droits privilégiés du fisc fédéral et provincial, tout comme il a entendu régler par les al. 107(1)e) et f) ceux des municipalités et des bailleurs.


Il en résulte que la conclusion de notre Cour dans cet arrêt Re Reed s'applique tout autant à l'hypothèque que possède le locateur visé par l'alinéa 136(1)f) L.F.I.

Cela étant, comme je l'ai souligné, la prétention de l'appelante n'est pas tant fondée sur les droits réels que peut conférer l'hypothèque que sur le caractère conventionnel de la sûreté dont il bénéficie qui, soutient-il, devrait nous amener à nous écarter de la conclusion à laquelle la Cour suprême en est arrivée à au moins six reprises. J'examinerai maintenant cette question.

C) La distinction fondée sur le caractère conventionnel de la sûreté

Avec égards, je ne vois aucune raison, et l'appelante n'en expose d'ailleurs aucune dans son mémoire, qui justifierait, au plan des principes juridiques, que l'on adopte une approche différente lorsque la sûreté n'est pas créée par l'effet de la loi mais plutôt par le consentement des parties, l'hypothèque mobilière conventionnelle. À mon avis, c'est avec raison que le premier juge mentionnait ce qui suit à ce sujet:

Il est exact que la Cour suprême a statué « l'effet de sûretés légales créées par des lois particulières et non pas de sûretés constituées en vertu du droit Commun. Mais cela n'avalise pas pour autant la proposition de Canpro. Dans ces arrêts, ce qui est déterminant ce n'est pas l'origine légale de la sûreté en cause, mais le fait que la loi qui la crée établit un ordre de priorité de la sûreté qui déroge à celui établi par l'article 136 LFI pour les créances y énumérées.


***

Ainsi, peu importe qu'une créance énumérée à l'article 136 LFI soit garantie par une sûreté légale ou conventionnelle, l'ordre de priorité créé pour cette sûreté ne permet pas de déroger à celui établi à cet article.


Dans l'arrêt Husky Oil, le juge Gonthier a fait la synthèse de la jurisprudence de la Cour et des principes portant sur l'interaction entre les sûretés créées par le droit provincial, et la liste des préférences énumérées à l'article 136(1) L.F.I. dans un contexte de faillite. Cette affaire mettait en cause les dispositions de la Workers' Compensation Act de la Saskatchewan qui
rendaient personnellement responsable un entrepreneur général ( le commettant ) pour les versements à la caisse des accidents du travail de la Commission que n'aurait pas effectués son sous-traitant ( l'entrepreneur ), en l'autorisant cependant à compenser les sommes versées par lui à la Commission au nom d'un sous-traitant et celles qu'il doit à ce même sous- traitant. l'effet conjugué des dispositions législatives en cause était de conférer à la Commission, dont la créance était visée par l'alinéa 136(1)h) L.F.I., un statut de créancier garanti entrant en conflit avec cette dernière disposition.

La lecture attentive des enseignements fournis par la Cour Suprême ne laisse aucunement place à la distinction que nous invite à faire l'appelante. Sans qu'il soit nécessaire aux fins des présentes de refaire l'exégèse de toute la jurisprudence de la Cour Suprême sur la question et de reprendre en détail l'excellente analyse à laquelle s'est livrée le juge Gonthier dans cet arrêt Husky Oil, je me permettrai toutefois d'en rappeler les passages et les principes pertinents pour la solution du présent litige.

Tout d'abord, la généralité des propos du juge Lamer dans l'arrêt déjà cité Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail)(9)(), que rappelait le juge Gonthier dans Husky Oil et selon lesquels dès qu'une catégorie de créanciers est mentionnée à l'article 136(l) L.F.I., ceux-ci seront nécessairement colloqués au rang prévu par cette disposition, me paraît pour le moins incompatible avec la thèse de l'appelante:

En cas de faillite, c'est la Loi sur la faillite qui doit recevoir application. S'il y a faillite, l'ordre de collocation est établi selon les priorités prévues à l'art. 107 (maintenant 136) de la Loi, et toute créance mentionnée à cette disposition doit donc être colloquée selon le rang prescrit.


***

Dès la survenance de la faillite, la Loi sur la faillite reçoit application; la seule mention d'un créancier à l'art. 107 de la Loi suffit pour que celui-ci soit colloqué à titre de créancier privilégié et au rang prévu à cette disposition. Comme les lois provinciales ne peuvent porter atteinte aux priorités créées par la loi fédérale, l'ordre de collocation bénéficie donc, en cas de faillite, d'une certaine uniformité d'une province à l'autre(10)().

(Souligné dans l'original)


De même, après avoir passé en revue le quatuor d'arrêts de la Cour, le juge Gonthier énonçait en ces termes la  «restriction cruciale» que constitue l'ordre de priorité établi par la L.F.I. au pouvoir des provinces de définir le contenu des priorités en matière de faillite:


Le droit provincial ne définit pas ni ne peut définir sans restriction le contenu des priorités ou des catégories en matière de faillite. En fait, l'ordre de priorité établi dans la Loi sur la faillite elle-même constitue une restriction cruciale. Ainsi, bien que chaque province puisse définir et colloquer à ses propres fins des catégories comme celles des  «créanciers garantis» et des  «fiducies», les lois provinciales qui entrent en conflit avec les dispositions de la Loi sur la faillite sont tout simplement inapplicables en matière de faillite. En fait, c'est la conclusion à laquelle notre Cour est clairement arrivée quant aux  «Créanciers garantis» dans les arrêts Re Bourgault, Deloitte Haskins et BFD, et quant aux  «Fiducies» dans l'arrêt Henfrey Samson(11)() .


Le juge Gonthier résumait par ailleurs en six propositions les principes se dégageant du quatuor d'arrêts de la Cour et qui, à mon humble avis, répondent à l'argument formulé par l'appelante:

(TRADUCTION)


(1) les provinces ne peuvent ni créer des priorités entre les créanciers ni modifier le plan de répartition en matière de faillite, prévu au par. 136(1) de la Loi sur la faillite;


(2) bien qu'une loi provinciale puisse validement modifier 1'ordre de priorité dans un contexte autre que celui d'une faillite, dès qu'il y a faillite, c'est le par. 136(1) de la Loi sur la faillite qui détermine le statut et 1'ordre de priorité des réclamations qui y sont visées expressément;


(3) si les provinces pouvaient créér leur propre ordre de priorité ou modifier celui établi en vertu de la Loi sur la faillite, cela aurait pour effet d'inciter à l'établissement, en matière de faillite, d'un plan de répartition différent d'une province à l'autre, ce qui est inacceptable;


(4) en matière de faillite, des expressions comme  «créancier garanti», lorsqu'elles sont définies dans la Loi sur la faillite, doivent être interprétées selon la définition que leur donne le législateur fédéral et non celle que leur donne les législatures provinciales. Les provinces ne peuvent modifier la façon dont ces expressions sont définies aux fins de la Loi sur la faillite.


(5) pour déterminer le lien qui existe entre une loi provinciale et la Loi sur la faillite, il ne faut pas que la forme du droit créé par la province l'emporte sur le fond. Les provinces n'ont pas le droit de faire indirectement ce qui leur est interdit de faire directement;


(6) pour que la loi provinciale soit inapplicable, il n'est pas nécessaire que la province ait eu l'intention d'empiéter sur la compétence fédérale exclusive en matière de faillite et d'être en conflit avec la Loi sur la faillite. Il suffit que la loi provinciale ait cet effet.(12)()


Si l'on devait conclure de la manière que propose l'appelante, l'ensemble des propositions du juge Gonthier, et en particulier les propositions (3), (4), (5) et (6), n'auraient aucun sens.

l'objectif de la troisième proposition, qui consiste en la recherche d'un plan de répartition uniforme d'une province à l'autre, serait tout autant dénaturé si l'on permettait aux législatures provinciales d'esquiver 1'ordre de collocation de la Loi sur la faillite en autorisant la création de sûretés conventionnelles dans leur régime de droit commun, que si la loi provinciale elle-même avait pour effet d'y déroger.

En 1'espèce, même si 1'hypothèque mobilière a été formée par le contrat de bail passé entre les parties, c'est le Code civil du Québec qui prévoit ses conditions de formation, d'opposabilité, son rang, ses attributs, les droits qu'elle confère, ses effets, les recours qu'elle offre, etc. La constitution d'une « hypothèque » dans un contrat de bail ne produirait aucun effet en droit si le Code civil n'avait pas établi un régime juridique à cet égard. Parce que chaque province est habilitée à élaborer son propre régime juridique de droit commun, on conçoit aisément que la nature conventionnelle ou légale de la sûreté est de moindre importance par rapport au souci d'uniformité entre les provinces qui est au coeur des objectifs de la Loi sur la faillite ( Voir Husky Oil, aux pages 471, 484 et 485 ). À ce sujet, le juge Gonthier s'exprimait ainsi:

De plus, comme mon aperçu du quatuor d'arrêts l'indique, je l'espère, notre Cour s'est, avec raison, constamment intéressée à l'objectif du maintien d'un ordre de priorité homogène à l'échelle nationale en matière de faillite. Si ce n'était pas le cas, (TRADUCTION)  «Le Canada [aurait] un régime de faillite balkanisé qui diminue[rait] l'importance de la compétence fédérale exclusive en matière de faillite et d'insolvabilité [...] Il pourrait exister un régime différent dans chaque province; l'existence de dix régimes différents en matière de faillite rendrait les activités commerciales courantes extrêmement complexes, lourdes et coûteuses, non seulement pour les Canadiens mais aussi pour nos partenaires commerciaux internationaux» (Roman et Sweatman, loc. cit., aux pp. 80 et 104). C'est une possibilité dont notre Cour a été fort consciente dans le passé, et c'est grâce à sa vigilance que la législation canadienne en matière de faillite conserve toute sa vitalité. À mon avis, sa vigilance passée est encore de mise aujourd'hui et le sera dans l'avenir, à moins d'une modification du par. 91(21) de la Loi constitutionnelle de 1867.


Le présent litige est un bon exemple d'un cas visé par, la cinquième proposition du juge Gonthier selon laquelle la province ne peut faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement, et que la forme du droit créé par la province ne doit pas l'emporter sur le fond. Dans le même esprit qui animait la décision de notre Cour dans l'arrêt Re Reed, où l'on a conclu que le législateur provincial ne pouvait pas davantage contourner l'ordre de préférence de la loi fédérale en créant une hypothèque légale plutôt qu'un simple privilège, il ne saurait non plus le faire en abrogeant le privilège du locateur pour laisser aux parties le soin de convenir d'une hypothèque mobilière sans dépossession.

Sans égard à l'objet visé par la modification apportée par le Code civil du Québec, qui n'est pas déterminant dans l'analyse ( proposition 6 ) ( quoiqu'il soit certes moins flagrant que dans 1'arrêt Re Reed déjà cité ), accepter la thèse de l'appelante contreviendrait directement aux propositions 5 et 6 car cela reviendrait à dire que les provinces peuvent valablement adopter des lois, en l'espèce le Code civil, ayant pour effet de modifier l'ordre de collocation de l'article 136(1) L.F.I.

Au surplus, la position de 1'appelante impliquerait qu'un changement à la loi d'une province puisse légitimement élargir la définition d'un « créancier garanti », ce qui est contraire à la quatrième proposition du juge Gonthier. Celle-ci prévoit que la notion de « créancier garanti » doit s'interpréter selon la définition qu'en donne la loi fédérale sur la faillite et non selon celle que lui donnent les législatures provinciales. Cette règle ne porte pas exception lorsque la sûreté en cause est de nature conventionnelle plutôt que légale. C'est entre autres ce qui ressort de l'arrêt de notre Cour dans 176871 Canada Inc. (Syndic de)(13)(). Dans cette affaire, il s'agissait de déterminer si un créancier, détenteur d'un nantissement commercial ( une sûreté conventionnelle) et qui n'était pas visé par l'un des alinéas de l'article 136(1), perdait le statut de « créancier garanti » dont il aurait bénéficié au sens de la Loi sur la faillite du fait qu'il ne se soit pas conformé à la règle d'opposabilité prévue à l'article 1979h C.c.B.-C. qui exigeait qu'il dénonce son nantissement à l'autre créancier impliqué, en l'occurence le bailleur du débiteur failli.

Le juge Vallerand a rejeté 1'argument du bailleur intimé ( pour sa part visé par l'alinéa 136(1)f) L.F.I. ) qui prétendait que le créancier nanti ne pouvait dès lors lui opposer sa réclamation dans la faillite à titre de « créancier garanti » selon la définition qu'en donne l'article 2 de la L.F.I. Il écrivait ce qui suit à ce sujet:

Hypothèque, nantissement, charge, gage, privilège, à titre de garantie et effet de commerce sont des mots d'usage juridique courant qui transcendent, le cas échéant, les particularités de toute autre loi. Point n'est besoin de s'en remettre au dictionnaire non plus qu'aux lois des provinces pour définir la définition. On y greffe sans doute, chacune à son gré, des exigences de forme, des conditions de validité, des contraintes de publicité qui ne sont qu'accessoires à l'essentiel.


Le Code civil du Bas Canada définit, il est vrai, le nantissement (art. 1966) tandis que la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ne le définit pas. Il n'est pas inconcevable que la loi s'en remette implicitement aux définitions des juridictions civiles, ne serait-ce que parce qu'il lui serait inutile de redire ce qui est évident. Mais de là à en importer chacun des accessoires, il y a une marge. l'étendue du privilèce du code civil est - on l'a sans doute remarqué - bien différente de celle de l'art. 136(1)f) de la loi. Ira-t-on piger dans le code civil la définition pour ensuite en laisser de côté l'étendue puis y revenir pour les conditions de validité?


Le privilège du code civil et l'ordre de priorité de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité sont deux choses; on ne peut mélanger apples and oranges dans une compote, de prime abord délicieuse mais qui risque de s'avérer indigeste. S'y laisser aller modifierait le rang, l'ordre de priorité des créanciers et  «balkaniserait» la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.


Retenir la proposition de notre bailleur revient à modifier la définition du créancier garanti (supra) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité pour y ajouter, donnant ainsi préséance au Code civil du Québec,  «Sauf au Québec en ce qui a trait au créancier garanti qui n'a pas dénoncé sa garantie au bailleur des lieux où se trouvent les biens; sauf en [...]; sauf au [...], etc.».


C'est là déroger à toutes et chacune des six propositions de l'arrêt Husky Oil Operations Ltd.

                         (mes soulignements)

Cet arrêt illustre bien le caractère autonome de la notion de « créancier garanti » prévue dans la Loi sur la faillite et, qui existe indépendamment de l'origine légale ou conventionnelle de la sûreté. Bien que le contexte de cette dernière affaire soit différent de celui en l'espèce, la logique qui sous-tend le raisonnement du juge Vallerand s'y applique à mon avis mutatis mutandis. Autant le défaut du créancier nanti de se conformer à la règle d'opposabilité exigée par le droit provincial ne pouvait faire perdre à ce créancier son statut de « créancier garanti » dans la faillite, autant un changement à une loi provinciale ne peut corrélativement conférer au locateur un statut de « créancier garanti » qu'il ne possédait pas selon le droit antérieur: In re Gingras Automobile Ltée.

Cela rejoint les propos du juge Gonthier dans l'arrêt Husky Oil qui mentionnait qu'il existe une restriction constitutionnelle intrinsèque à 1'application du droit commun provincial lorsqu'on cherche à définir la notion de créanciers garantis:

De fait, on a aussi conclu qu'il existait, dans le contexte de la définition des créanciers garantis, une telle restriction constitutionnelle intrinsèque à l'application du droit provinciaL relatif à la propriété et aux droits civils. La Loi sur la faillite définit l'expression  «créancier garanti » à l'art. 2, mais s'en remet au droit provincial pour ce qui est de créer des réclamations garanties. Dans le quatuor d'arrêts, notre Cour a décidé que les provinces ont le droit de définir à leurs propres fins, comme elles l'entendent, l'expression  «créanciers garantis»; cependant, dans un contexte de faillite, les définitions qui ont pour effet de modifier l'ordre de priorité établi dans la Loi sur la faillite ne s'appliquent tout simplement pas.(...) Le respect dont le fédéral doit faire preuve envers les lois provinciales est nécessairement limité par l'ordre de priorité établi dans la Loi sur la faillite(14)().


l'appelante a également tort de prétendre que les termes « sous réserve des droits des créanciers garantis » de 1'alinéa introductif du paragraphe 136(1) L.F.I. deviennent pour autant inutiles. Seront des créanciers garantis au sens de cette exception les créanciers prioritaires ou hypothécaires qui répondent à la définition de l'article 2 de la loi mais qui ne sont pas visés par l'article 136(1). Le créancier qui bénéficiait d'un nantissement commercial dans l'affaire précitée de 176871 Canada Inc. (Syndic de) en est un bon exemple.

À la lumière de ce qui précède, force est de conclure que le statut de créancier garanti que revendique le locateur en vertu de son hypothèque mobilière conventionnelle modifierait directement l'ordre de collocation prévu à l'article 136(1) L.F.I. en bonifiant le rang d'une créance prioritaire expressément visée par l'alinéa 136(1)f) de la Loi sur la faillite. Il s'ensuit que les dispositions du Code civil en matière de priorités et d'hypothèques ayant pour effet de modifier l'ordre des priorités de la Loi sur la faillite en conférant au locateur un statut de «créancier garanti » sont inapplicables en matière de faillite.

Comme je 1'ai mentionné en début d'analyse, on peut s'interroger sur le choix du législateur fédéral d'avoir, en édictant l'alinéa 136(1)f) L.F.I., conféré à tout propriétaire une créance prioritaire dans la faillite jusqu'à concurrence de trois mois de loyer. Vraisemblablement, le législateur a voulu protéger de façon générale la créance des propriétaires chirographaires dans la faillite afin qu'ils puissent bénéficier d'une expectative raisonnable de récupérer une partie de leur créance. Ce choix s'inscrit dans l'esprit du premier objectif de la Loi sur la faillite qui est d'assurer un partage équitable de l'actif du débiteur ( voir Husky Oil, à la p. 471 ).
Bien qu'à priori l'objectif du législateur soit louable, on constate, à la lumière du présent litige, qu'il a l'effet pervers de restreindre pour ne pas dire d'annihiler sans raison apparente les droits du locateur créancier hypothécaire, ce qui n'est pas le cas pour tous les autres créanciers hypothécaires du locataire qui conservent leur statut de créanciers garantis leur
permettant d'être payés avant les créances expressément visées par l'article 136(1) L.F.I. Tel est cependant l'effet de la loi.

VI- Conclusion

Je conclus donc qu'un locateur, titulaire d'une hypothèque dûment publiée en vertu des dispositions du Code civil, ne peut revendiquer le statut de créancier garanti au sens de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et qu'il ne bénéficie en cas de faillite, tout comme dans le droit antérieur, que de la priorité que lui accorde l'alinéa 136(1)f) L.F.I.

Pour tous ces motifs, je suis d'opinion de rejeter l'appel, avec dépens.

                    

                    Michel ROBERT, J.C.A.

1. () L.R.C. [1985] c. B-3.
2. () [1996] R.J.Q. 1253 (C.S.).
3. ()  In re Gingras Automobile Ltée; Produits de caoutchouc Marquis Inc. c. Trottier, [1962] R.C.S. 676.
4. ()  Husky Oil Operations Ltd c. M.R.N. [1995] 3 R.C.S. 453 ; Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Bélair Ltd, [1989] 2 R.C.S. 24 ; Banque fédérale de développement c. C.S.S.T. [1988] 1 R.C.S. 1061 ; Deloitte Haskins & Sells c. Workers' Comp. Board [1985] 1 R.C.S. 785 ; Sous-ministre du revenu c. Rainville, [1981] 1 R.C.S. 35.
5. ()  Voir les notes 2 et 3.
6. ()  [1981] 37 C.B.R. (n.s.) 176 (C.S.N.-E.) conf. à sub. nom. Director of Labour Standards of Nova Scotia and Workers' Compensation Board of Nova Scotia c. Trustee in Bankruptcy [1981] 38 C.B.R. (n.s.) 253 (C.A.N.-É.).
7. () [1983] 49 C.B.R. (n.s.) 21 (C.A.Q.).
8. () Note 3 précitée.
9. () Note 3, aux pages 1071, 1072.
10. () Note 3 à la page 478.
11. () Note 3 à la page 485.
12. ()  Note 3 aux pages 481, 482, 485, 486. Il faut souligner que les quatre premières propositions sont tirées d'un article de Andrew J. Roman et Jasmine Sweatman dans [1992], 71 R. du B. Can. 77, pages 78 et 79.
13. ()   [1996] R.J.Q. 2865 (C.A.) perm. d'appel à la C.S.C. refusée le 19 juin 1997.
14. ()   Note 3 aux pages 496, 497.

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