[1] L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 19 janvier 2012 par la Cour supérieure, district de Québec (l'honorable Denis Jacques), qui a accueilli pour partie la requête introductive d'instance en injonction permanente et en dommages de l'intimée et rejeté la demande reconventionnelle de l'appelante.
[2] Pour les motifs du juge Rochette, auxquels souscrivent les juges Dutil et Soldevila (ad hoc).
LA COUR :
[3] REJETTE le pourvoi, avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE ROCHETTE |
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[4] Ce litige porte sur le caractère distinctif ou non de la pastille « sans gras sans sucre » utilisée par l'intimée sur l'emballage de certains de ses produits santé [la pastille][1].
[5] Le juge de première instance relate de façon exhaustive la trame factuelle de cette affaire. Il est inutile de reproduire ici son exposé et je renvoie plutôt le lecteur à cette décision[2]. Lorsque nécessaire, certains faits seront rappelés dans le développement de mes motifs.
[6] Après avoir tracé le cadre juridique applicable et résumé les positions respectives des parties, le juge écrit :
[69] Le Tribunal retient des règles découlant tant de la Loi que de la jurisprudence que, bien que la liberté de commerce demeure l’un des fondements de notre droit, le copiage systématique d’un signe distinctif d’une entreprise ne saurait être toléré lorsqu’il est susceptible d’entraîner une confusion auprès des consommateurs et des dommages possibles pour le commerce copié.
[7] Au sujet de la concurrence déloyale, le juge rappelle, par référence interposée, qu'un concurrent ne doit pas chercher « à s’approprier, par la tromperie, l’avantage de la réputation bien établie du commerce ou du produit de son adversaire »[3]. Ensuite, le juge regarde si les critères établis par les tribunaux sont satisfaits pour que puisse réussir un recours en passing-off, c'est-à-dire pour commercialisation trompeuse.
[8] Pour ce qui concerne le critère de l'existence d'un achalandage, le juge préconise une interprétation large et adopte un test à deux volets :
[70] D’abord, le Tribunal doit examiner les facteurs qui permettent de déterminer si l’entreprise du demandeur comporte un achalandage, une réputation ou une notoriété propre. Il peut s’agir de la durée d’utilisation d’une marque, de la publicité faite de façon régulière et des dépenses en activités de promotion, du nombre de points de service, de l’omniprésence du produit sur le
marché, des prix d’excellence, etc. Le Tribunal doit ensuite déterminer si le demandeur a établi que le public reconnaît son produit d’après l’élément imité.
[Références omises]
[9] Le juge retient de la preuve qu'il « est incontestable que l’entreprise de la demanderesse possède une réputation et une notoriété qui lui est propre sur le marché des pains santé au Québec »[4]. Le juge décide ensuite, au regard du caractère distinctif de la pastille :
[94] Bien qu’elle soit descriptive, la pastille qui paraît à plusieurs endroits sur les emballages de pains sans gras sans sucre ajoutés de la demanderesse est distinctive de la marque St-Méthode.
[95] Il est vrai que la pastille a aussi pour fonction de décrire le pain contenu dans l’emballage précisant qu’il ne contient ni gras ni sucre ajoutés. Mais le format de la pastille et sa présentation pour l’œil du consommateur sont tout à fait distinctifs selon l’opinion du Tribunal, et ce, avec égards pour l’opinion émise par la docteure Ruth Corbin, présentée comme experte par la défenderesse.
[96] À l’audience, à la demande de la défenderesse, la docteure Corbin a déposé un rapport étoffé établissant, selon quatre sources différentes et indépendantes, que la pastille St-Méthode se veut descriptive et non distinctive.
[97] La demanderesse s’est objectée au rapport et au témoignage de la docteure Corbin soutenant que la question qu’elle vise à résoudre est du ressort du Tribunal.
[98] Malgré l’objection de la demanderesse, le Tribunal a accepté d’entendre l’experte Corbin, sous réserve de la force probante de son témoignage.
[99] Or, après avoir entendu la docteure Corbin, le Tribunal estime que son expertise est peu utile en l’espèce.
[…]
[101] Bien que la défenderesse présente le témoignage de la docteure Corbin davantage sur le critère achalandage que celui de la confusion, la réalité demeure la même.
[102] En effet, l’expertise produite vise à faire valoir la perception d’un consommateur ordinaire. Or, il s’agit d’une question qu’il appartient au Tribunal de résoudre.
[103] On ne saurait alors faire grief à la demanderesse de ne pas avoir demandé la confection d’une contre-expertise.
[10] Puis le juge expose les motifs pour lesquels il rejette l'opinion de l'experte Corbin ainsi que la preuve par sondage. J'y reviendrai dans le corps de l'analyse. Il conclut de la preuve :
[127] Dans les faits, Canada Bread a copié la pastille St-Méthode, et ce, afin de l’aider à regagner l’achalandage de St-Méthode.
[128] Rappelons que dans un échange du 2 mars 2011, Emily Liang de Canada Bread transmet un courriel à la firme Commix chargée de la campagne de publicité de Bon Matin devant débuter en juin 2011. Ce document a été découvert par la demanderesse à la suite d’engagements contractés lors d’un interrogatoire effectué au préalable d’un représentant de la défenderesse.
[129] Dans ce document du 2 mars 2011 (P-19), sous le titre « PROJECT SITUATION », la responsable de Canada Bread décrit la stratégie afin de reprendre ses parts et « voler » le marché à St-Méthode :
Since 1979, the Bon Matin brand has always been identified as the grain brand in Quebec. The last significant change to the portfolio was in 2005, when the recipe was modified to use whole wheat flour and to add Omega-3. The opportunity is to update and reformulate the Bon Matin portfolio to stop declines versus St. Methode in the highly profitable grain segment.
To regain share of the grains segment in Quebec and steal share from the competition, the strategy is to :
1. RENOVATE the base Bon Matin business by adding germ to make a whole grain claim while retaining smooth texture;
2. DEFEND share against St. Methode by adding new Bon Matin No Fat No Sugar Multigrain to compete against biggest St. Methode sellers in Commercial bread section;
3. REFRESH packaging to communicate updated nutrition.
[130] La stratégie de Canada Bread vise donc directement à compétitionner la demanderesse sur son terrain.
[131] Le 10 mars 2011, Margaret Fong de Canada Bread répond à Commix lui demandant de créer une pastille similaire à celle de St-Méthode (P-21) :
We want to explore different options on the « sans gras sans sucre ajoutés » call out. Right now it seems to be standing out on it’s own. Although it does match the packaging, perhaps we can try a different option much like what St. Methode has. It’s impactful in the sense that it’s a strong “no” message. I.e. has NO fat, NO sugar added. Can your team try to create a similar button ?
[Soulignement du juge] [Logo non reproduit]
[11] Le juge ajoute que l'intimée utilise sa pastille « de façon continue et constante et qu'elle est mise à l'avant pour le marketing ainsi que sa mise en marché »[5]. Aussi :
[133] Il est utile de rappeler que la pastille apparaît de façon prééminente sur l’emballage de chacun des pains, tant sur les côtés et sur le dessus que sur le gousset. Elle figure également dans tout le matériel publicitaire, sur les camions de livraison, sur les présentoirs en magasin ainsi que dans une campagne de publicité télévisée.
[134] Il est tout à fait probable que la clientèle qui achète du pain santé sans sucre sans gras ajoutés associe la pastille de St-Méthode à ses pains.
[135] On peut également facilement penser que le public qui désire un tel pain sans sucre sans gras ajoutés recherchera cette pastille particulière au moment de procéder à son achat.
[136] C’est sans aucun doute cette même analyse qu’a faite la défenderesse.
[Soulignement ajouté]
[12] En somme, l'appelante a littéralement copié la pastille pour reprendre des parts de marché à l'intimée[6]. Et le juge de conclure :
[139] Sans aller aussi loin que d’établir une présomption à cet égard, le Tribunal retient que le calque intentionnel d’un élément aussi important de l’habillage d’un produit constitue certes un indice de son caractère distinctif.
[…]
[141] Le Tribunal retient, comme le plaide la demanderesse, que les courriels du 2 et 10 mars 2011 émanant de la défenderesse (P-19 et P-21), étudiés dans le contexte, amènent à dégager les conclusions suivantes :
1) Une admission que la campagne publicitaire survient dans un contexte où les ventes de pains santé St-Méthode sont en augmentation soutenue alors que celles de Canada Bread sont en diminution importante;
2) La seule cible de cette campagne publicitaire est St-Méthode et le seul objectif de lui soutirer des parts de marché;
3) Le résultat obtenu par la firme Commix, à savoir une pastille sans gras sans sucre ajoutés identique à celle de St-Méthode est le résultat d’une demande expresse et spécifique de la part de Canada Bread. Somme toute, il s’agit d’une copie intentionnelle et volontaire;
4) Cette demande expresse de Canada Bread a donné lieu au matériel publicitaire et à la pastille copiée figurant aux pièces P-8 et P-8.1;
5) Par ailleurs, il est admis par Canada Bread qu’aucune autre boulangerie n’utilise la pastille apparaissant sous la pièce P-5 que St-Méthode.
[Soulignement ajouté]
[13] Le juge aborde ensuite le critère de la confusion.
[14] Se référant à l'arrêt Kisber[7] le juge énonce ainsi le test applicable :
[146] En l’espèce, le Tribunal doit donc déterminer si le consommateur ordinaire arrivant dans un commerce devant l’étalage de pains aurait l’impression, en voyant la pastille St-Méthode se retrouver sur la publicité Bon Matin, que les produits sont les mêmes.
[15] Le juge se réfère également aux arrêts Montréal Auto-prix inc.[8] et T-Rex[9] de notre Cour et conclut :
[149] Le consommateur qui procède à l’achat d’un bien courant comme un pain n’a pas à aller au bureau d’enregistrement des entreprises (CIDREQ) pour vérifier si St-Méthode et Canada Bread sont des compagnies affiliées. En voyant l’utilisation de la même pastille distinctive de St-Méthode, le consommateur est amené à penser que Bon Matin est aussi un pain de la même famille que celle de St-Méthode.
[150] Le Tribunal retient de la preuve que la copie délibérée par Canada Bread de la pastille St-Méthode vise à confondre le consommateur.
[151] Rappelons que même si Canada Bread plaide le caractère descriptif de la pastille, elle avait des milliers de possibilités pour annoncer aux consommateurs la description de son pain sans copier littéralement St-Méthode.
[…]
[155] Il existe un risque réel que le consommateur en voyant la pastille achète le pain Bon Matin sans vérifier s’il est distinct de celui de St-Méthode.
[156] Il y a lieu de rappeler que le consommateur accordera moins d’attention à des achats effectués pour la vie de tous les jours qu’à des achats d’articles de luxe et, qu’à ce titre, le risque de confusion entre les produits de St-Méthode et ceux de Canada Bread, qui affiche dans ses promotions la même pastille, existe[10].
[157] Il est évident que le consommateur ordinaire, plutôt pressé et qui identifie le produit de la demanderesse par la pastille sera induit en erreur par les publicités figurant sur les présentoirs de la défenderesse et qui comporte une pastille pratiquement identique à celle employée par la demanderesse depuis quinze ans.
[158] Dans les circonstances, le Tribunal retient de ce qui précède que le fait pour la défenderesse d’utiliser la pastille distinctive de St-Méthode amène certainement un risque réel et probable de confusion.
[16] Sur l'existence de dommages possibles, le juge souligne que l'objectif de l'appelante est de reprendre des parts de marché à l'intimée. Dès lors, il faut conclure à des dommages probables. Le juge ouvre par ailleurs une fenêtre sur les conséquences du rejet du recours de l'intimée :
[161] Il faut se rappeler que Canada Bread a un chiffre d’affaires largement plus important que celui de St-Méthode et que si le Tribunal avalise la concurrence déloyale à laquelle elle s’est livrée, il permettrait à Canada Bread de mettre en œuvre des campagnes de publicité trompeuses beaucoup plus importantes à l’encontre de St-Méthode.
[162] Dans l’arrêt Montréal Auto Prix, la Cour d’appel en venait au même constat en affirmant ce qui suit :
[44] La preuve permet en effet de conclure de façon prépondérante que le risque de préjudice, en raison de la confusion, est bien réel. Il est vrai que l’intimée, au moment où elle intente son action en injonction, n’a pas encore subi de préjudice pécuniaire quantifiable (ses affaires sont même florissantes), mais l’on comprend que ce ne sera plus le cas si on laisse les appelantes usurper son nom ou continuer de profiter de la confusion engendrée par l’identité du nom sous lequel elles commercialisent toutes trois leurs services.
[Soulignement du juge]
[163] Eu égard à ce qui précède, le Tribunal estime que la demanderesse s’est acquittée de son fardeau de démontrer de façon prépondérante que les éléments nécessaires à une action en « passing-off » sont ici réunis.
[17] Une fois cela fait, le juge se penche sur des arguments subsidiaires avancés par l'appelante. Il rappelle qu'un signe distinctif peut faire l'objet d'une protection même sans enregistrement[11] et ajoute que l'intimée a l'intérêt requis pour plaider son recours. Il conclut sur le recours en imitation trompeuse :
[180] St-Méthode a réussi à prouver l’existence d’une concurrence déloyale de la part de la défenderesse, en ce qu’elle a démontré de manière convaincante, d’une part l’achalandage en relation avec la pastille et son caractère distinctif et, d’autre part, le risque de confusion entre ses produits et ceux de la défenderesse. La démonstration d’une probabilité de dommages est suffisante, et celle-ci découle en l’espèce de la preuve présentée par St-Méthode.
[18] En conséquence, le juge prononce l'ordonnance d'injonction permanente réclamée par l'intimée, après avoir souligné sa vocation préventive. Le juge est sévère au sujet de la demande reconventionnelle de l'appelante qui qualifiait d'abusif le recours de l'intimée. Il écrit :
[205] En raison d’un recours de St-Méthode qu’elle qualifie d’abusif, outre des dommages et intérêts de 35 000 $, Canada Bread demande le remboursement à Multi-Marques de tous les honoraires facturés par ses procureurs entre le 14 juin et le 21 novembre 2011, les frais d’expertise ainsi que les dépens, le tout totalisant un montant de près d’un million de dollars.
[206] Ainsi, non satisfaite d’avoir copié et utilisé la pastille distinctive de St-Méthode, Canada Bread lui réclame en plus près d’un million de dollars.
[207] Or, tel qu’établi précédemment, le recours de St-Méthode non seulement n’est pas abusif, mais au contraire, est tout à fait bien fondé.
[208] Dans les circonstances, le Tribunal est plutôt d’avis que c’est la demande reconventionnelle de la défenderesse qui est abusive.
[19] La demande reconventionnelle est donc rejetée, avec dépens.
* * *
[20] L'appelante avance neuf moyens d'appel à l'encontre du jugement de première instance. Je les aborde d'emblée.
Le sens second (secondary meaning) de la pastille
[21] L'appelante plaide que la pastille étant, a priori, descriptive, le fardeau de prouver l'achalandage lié à cette pastille ou son élément descriptif est lourd, selon l'analyse qu'elle fait de l'arrêt Ciba-Geigy Ltd. c. Apotex Inc.[12]. De son point de vue, l'intimée devait démontrer que la pastille a acquis, aux yeux des consommateurs, un sens second. Les éléments requis pour faire la preuve de ce sens second seraient différents de ceux qui suffisent pour démontrer l'achalandage d'une marque « intrinsèquement distinctive ».
[22] Le juge ne disposant pas d'une expertise, après avoir écarté celle du témoin Corbin, non plus que d'un sondage, il aurait erronément substitué son opinion à celle des consommateurs de pain en l'absence de preuve. Il s'agirait d'une erreur de droit.
*
[23] D'abord, l'appelante ne remet pas en cause la détermination du juge selon laquelle l'intimée possède une réputation ou une notoriété propre dans le marché des pains santé au Québec[13]. Le débat porte sur le caractère distinctif de la pastille, soit sur le fait que le public reconnaît ou non le produit de l'intimée « d'après l'élément imité ».
[24] Tous en conviennent, le caractère distinctif d'un produit doit être démontré pour que l'action en imitation trompeuse réussisse, un fardeau qui reposait sur les épaules de l'intimée. L'arrêt Ciba-Geigy, rendu en 1992 par la Cour suprême, constitue encore la pierre angulaire du recours en imitation trompeuse. Au regard de l'aspect distinctif d'un produit, le juge Gonthier souligne, pour la Cour, l'importance de l'habillage d'un produit de consommation :
[…] Dans l'esprit de la clientèle, l'apparence n'est pas toujours liée à la marque de commerce, c'est-à-dire que le consommateur peut faire référence à l'apparence plutôt qu'à la marque de commerce pour indiquer la fonction du produit. Par exemple, quand il aura besoin de feuillets adhésifs amovibles, il cherchera des petits blocs de papier jaune. Le nom du produit et du fabricant lui sont peut-être inconnus mais il n'en a pas besoin pour reconnaître ce qu'il veut se procurer. Ce qui l'a frappé et ce qu'il a retenu, c'est la couleur spécifique de cette marchandise. Ou encore, il sait que tel produit contenu dans une boîte dont le couvercle est orné d'un oiseau exotique est un cirage, sans forcément en connaître le nom commercial ou la marque et quand il désire acheter ce cirage, c'est l'image de l'oiseau sur l'emballage qu'il recherche pour reconnaître le produit. Les caractéristiques extérieures du produit ne sont pas recherchées pour elles-mêmes, sauf exceptions, mais parce qu'elles sont le moyen de reconnaître le produit qui a apporté satisfaction, par exemple. […][14]
[Soulignement du juge Gonthier non reproduit, mon soulignement ajouté]
[25] Dans le même ordre d'idées, je suis d'accord avec les auteurs Gervais et Judge lorsqu'ils suggèrent que « Generally, it is harder to establish reputation based on the appareace of the good itself rather than the appearance of the packaging »[15]. La preuve de l'aspect distinctif d'un habillage sera donc, généralement, plus facile à faire que la preuve de l'aspect distinctif du produit.
[26] Or, la pastille utilisée par l'intimée et seulement par elle, fait partie intégrante de l'habillage de ses pains sans gras sans sucre ajoutés, sur lequel elle occupe une place de choix, et est bien présente dans sa publicité. Le juge constate qu'elle a un caractère descriptif, mais retient qu'elle est également distinctive de la marque de l'intimée. Elle présente un logo ayant un design et des caractéristiques particulières. Elle est utilisée depuis 18 ans par l'intimée qui vend plusieurs millions de sacs de pains annuellement.
[27] La détermination du caractère distinctif ou non de la pastille est du ressort du juge de première instance, cela n'est pas davantage contesté. Or, il s'agit intrinsèquement d'une détermination de fait. Pour ce qui concerne la nature et l'étendue de la preuve qui doit être administrée, cela dépend des circonstances de chaque affaire[16]. Mais le juge devait nécessairement combiner son opinion à celle du consommateur en analysant le recours en imitation trompeuse[17], ce qu'il s'est appliqué à faire. Le reproche formulé par l'appelante ne tient pas.
[28] Le juge conclut que, selon toute probabilité, la « clientèle qui achète du pain santé sans sucre sans gras ajoutés associe la pastille de St-Méthode à ses pains »[18]. L'appelante ne fait pas voir en quoi cette détermination est affectée d'une erreur manifeste et déterminante.
[29] Mais il y a plus.
[30] La copie intentionnelle de la pastille ne fait pas de doute, dans le contexte d'une décroissance importante, dans le marché québécois, des ventes du pain Bon Matin, fabriqué par l'appelante[19]. Cela étant, le juge retient, à bon droit, qu'il s'agit là d'un « indice de son caractère distinctif »[20]. Les auteurs Gill, Kelly et Jollife écrivent, à ce sujet :
In get-up actions, as with other types of trade indicia passing-off cases, where the defendant intentionnaly copies the plaintiff's get-up the court may rightly draw inference that the get-up has the necessary element of reputation or secondary meaning. This is similar to the rule in the United States with respect to get-up actions where "evidence of intentional, direct copying establishes a prima facie case of secondary meaning, sufficient to shift the burden of persuasion to the defendant on that issue". The Ontario Court of Appeal has quoted this U.S. rule approvingly. The Court characterized the result of intentional copying as being the foundation for the inference it drew as to the existence of reputation or secondary meaning in the get-up.[21]
[Références omises] [Soulignement ajouté]
[31] Une telle inférence a d'ailleurs été tirée par notre Cour dans l'arrêt T-Rex[22].
[32] Enfin, comme le souligne le juge, il est paradoxal de constater que l'appelante conteste avec la dernière énergie et à grands frais le recours de l'intimée[23] pour obtenir le droit d'utiliser une pastille sans caractère distinctif à laquelle ne serait rattaché aucun achalandage !
[33] L'appelante plaide que Madame Corbin [Corbin] a témoigné du caractère non distinctif de la pastille en s'appuyant sur quatre sources différentes. Elle aurait démontré, par une preuve non contredite, que la pastille n'est pas distinctive et ne peut fonder un recours en concurrence déloyale. Le juge aurait commis une erreur de droit en écartant ce témoignage sur la foi de l'arrêt Masterpiece[24].
[34] Le fardeau de la preuve du caractère distinctif d'une marque serait bien « différent de celui de la confusion », applicable dans l'arrêt Masterpiece, où il est suffisant de faire la démonstration d'une « probabilité de confusion chez le consommateur ». Dans notre affaire, l'intimée devait démontrer, de l'avis de l'appelante, par plus qu'une simple probabilité « que dans les faits, les consommateurs associent exclusivement un élément à une seule source »[25].
[35] L'appelante défend, par ailleurs, les sondages effectués par Corbin et ajoute qu'un semblable exercice aurait dû être fait par l'intimée pour démontrer le caractère distinctif de sa pastille auprès du consommateur moyen. Tout en réitérant que la signification première d'un symbole ne peut, en droit, être à la fois descriptive et distinctive « pour un même produit », l'appelante ajoute que le juge aurait commis une erreur manifeste et dominante en concluant au peu de force probante de ces sondages. Le juge aurait également erré en mentionnant que Corbin a reconnu que la pastille pouvait être à la fois distinctive et descriptive.
*
[36] Le juge n'a pas retenu le témoignage de Corbin et s'en explique :
[105] Dans un premier temps, la docteure Corbin analyse la pastille en isolant ses caractéristiques.
[106] Or, il est bien évident que pris isolément, les mots sans gras sans sucre ajoutés sont descriptifs.
[107] Le signe prohibitif, la couleur utilisée, ou encore les mots « sans gras sans sucre ajoutés » ne peuvent revêtir un caractère distinctif lorsqu’employés séparément; c’est l’ensemble de ces éléments, le tout que constitue la pastille, qui devient un signe distinctif.
[108] C’est d’ailleurs cette pastille dans son ensemble que revendique St-Méthode, et non le signe prohibitif ou les termes utilisés.
[109] Dans l’arrêt Masterpiece, la Cour suprême rappelle aussi que la marque de commerce doit être analysée dans son ensemble :
[83] Dans l’analyse d’une marque de commerce, ni l’expert, ni le tribunal ne doit considérer chaque partie de celle-ci séparément des autres éléments. Il convient plutôt d’examiner la marque telle que le consommateur la voit, à savoir comme un tout, et sur la base d’une première impression.
[110] Contre-interrogée, la docteure Corbin a dû admettre qu’un symbole peut être distinctif tout en étant descriptif.
[111] Dans un deuxième temps, la docteure Corbin fait état d’une recherche sur internet qui démontre que le signe prohibitif est utilisé fréquemment et qu’il ne saurait appartenir à personne.
[112] Or, la demanderesse ne conteste pas que la défenderesse puisse utiliser sur ses emballages ou dans sa publicité le signe prohibitif. Ce qu’elle conteste c’est que la défenderesse copie sa pastille en l’intégrant à sa publicité entraînant, comme nous le verrons, la confusion chez les consommateurs.
[113] Dans un troisième temps, la docteure Corbin s’appuie sur les résultats d’un sondage par internet administré par la firme Léger Léger demandant aux répondants si la pastille St-Méthode leur apparaît descriptive ou distinctive.
[114] De la même façon, le quatrième volet de son expertise se base sur un sondage effectué en personne où les répondants étaient également invités à indiquer si la pastille leur apparaissait descriptive ou distinctive.
[115] Or, encore là, les questions du sondage telles que posées ne méritaient pas de l’être, puisque les résultats étaient nettement prévisibles.
[116] Le Tribunal est peu surpris que les résultats du sondage montrent que 98 ou 99 % des répondants pensent que la pastille est descriptive.
[117] Il y a lieu de constater que les répondants n’avaient pas la possibilité d’indiquer que bien que descriptive, la pastille peut aussi être distinctive.
[118] Confrontée en contre-interrogatoire, la docteure Corbin explique que les répondants pouvaient répondre « je ne sais pas ».
[119] Or, cette option de réponse diffère nettement de celle où les répondants auraient pu affirmer aussi le caractère distinctif de la pastille.
[120] Dans l’arrêt Mattel, la Cour suprême identifie deux conditions à l’admissibilité d’un sondage, soit la fiabilité et la validité.
[121] La fiabilité réfère au fait que les mêmes résultats seraient obtenus si le sondage était repris. Quant à la validité, il s’agit de vérifier si les bonnes questions ont été posées au bon bassin de répondants, de la bonne façon et dans des circonstances qui permettent d’obtenir les renseignements recherchés.
[122] Eu égard à ce qui précède, les résultats du sondage sont peu probants en raison du fait que les bonnes questions n’ont pas été posées.
[Références omises]
[37] Contrairement à ce que soutient l'appelante, le juge n'a pas rejeté d'emblée le témoignage de l'experte. D'abord, le juge a rejeté une objection de l'intimée au témoignage de Corbin pour motif de non-qualification et de non-pertinence, au terme d'une preuve de plus de deux heures et l'a reconnue témoin experte « en recherche marketing perception des consommateurs et en évaluation de propriété intellectuelle ». Le juge a ensuite écouté ce témoignage pendant une journée et demie. L'évaluation de la force probante du témoignage et de son poids relatif a été complétée à l'étape du délibéré.
[38] Il est vrai que l'arrêt Masterpiece[26] a été rendu dans un litige s'intéressant à la confusion, mais le reproche formulé par l'appelante est sans fondement. Le juge n'a pas importé erronément dans notre affaire les principes exposés dans l'arrêt Masterpiece. Il a décidé que le test élaboré en matière de confusion était utile pour déterminer la perception d'un consommateur ordinaire :
[100] D’ailleurs, dans l’arrêt Masterpiece inc. c. Alavida Lifestyles inc., la Cour suprême du Canada met en doute la pertinence d’un rapport et du témoignage d’une experte qui se prononce sur la question de la confusion pour un « consommateur ordinaire » :
[79] De toute évidence, les preuves d’expert produites par l’une et l’autre partie n’ont pas été très utiles. En effet, de larges pans de leurs preuves respectives avaient un caractère contradictoire et acrimonieux. D’ailleurs, ces preuves, loin d’être utiles au tribunal, ont semblé avoir détourné son attention de l’analyse relative à la confusion.
[80] Le premier problème que posait une bonne partie du témoignage d’expert est le fait qu’il ne répondait pas à la deuxième exigence énoncée dans Mohan, c’est-à-dire la nécessité. Dans un cas comme celui qui nous occupe, où le « consommateur ordinaire » n’est pas censé posséder des compétences ou des connaissances particulières et où il existe une ressemblance entre les marques, il n’est généralement pas nécessaire de soumettre une preuve d’expert qui ne fournit qu’une simple appréciation de cette ressemblance. Par surcroît, une telle preuve sera carrément inutile si l’expert se livre à une analyse qui éloigne le tribunal de la question hypothétique qui est au cœur de l’analyse, à savoir s’il est probable que les marques créent de la confusion.
[101] Bien que la défenderesse présente le témoignage de la docteure Corbin davantage sur le critère achalandage que celui de la confusion, la réalité demeure la même.
[102] En effet, l’expertise produite vise à faire valoir la perception d’un consommateur ordinaire. Or, il s’agit d’une question qu’il appartient au Tribunal de résoudre.
[Soulignement du juge] [Références omises]
[39] Je suis d'accord avec cette proposition.
[40] Dans l'arrêt Ciba-Geigy, le juge Gonthier avait exprimé des propos semblables à ceux tenus par le juge Rothstein dans Masterpiece :
Les moyens frauduleux, dolosifs ou simplement trompeurs ne manquent pas. Pensons, par exemple, à la similitude d'apparences extérieures entre produits, l'utilisation d'étiquettes semblables, l'usage d'un nom commercial identique, la contrefaçon, l'imitation d'un emballage. Autant de moyens possibles pour tenter, volontairement ou non, d'égarer le public. La jurisprudence et la doctrine sont unanimes pour considérer que les faits doivent s'évaluer en fonction d'un public «ordinaire», d'une clientèle «moyenne» :
[traduction] ... il faut évaluer les faits par rapport à l'homme et à la femme ordinaires qui feraient preuve de diligence normale en achetant les produits dont ils ont besoin, et qui, s'ils veulent une marque particulière, prendraient des précautions normales pour s'assurer de l'obtenir.
(Le juge Neville dans Henry Thorne & Co. c. Sandow (1912), 29 R.P.C. 440 (Ch. D.), à la p. 453.)
Cependant, pour différents produits, la clientèle moyenne ne sera pas la même et n'aura pas la même attitude lors de l'achat. De plus, l'attention et les précautions d'une même personne peuvent varier en fonction du produit qu'elle achète; quelqu'un ne prendra vraisemblablement pas le même soin à choisir une marchandise sur les rayons d'un supermarché et à sélectionner un article de
luxe. Dans le premier cas, la représentation trompeuse risque de « prendre » plus facilement.[27]
[Soulignement ajouté]
[41] Ces principes valent également ici. L'aspect distinctif d'un produit donné, de son emballage, doit être évalué selon la perception d'un consommateur ordinaire, d'une clientèle moyenne, sans qu'intervienne nécessairement un expert. Celui-ci ne peut pas, quoi qu'il arrive, avoir le dernier mot sur une détermination qui est du ressort du juge qui, après avoir soupesé la preuve, y compris la preuve par expert, décide la question selon la balance des probabilités.
[42] D'ailleurs, la documentation juridique foisonne d'information sur l'aspect distinctif d'une marque de commerce. Il ne s'agit pas là d'un domaine hautement technique et inconnu du juge[28]. Plusieurs critères permettent de conclure qu'un symbole est distinctif malgré une apparence descriptive. Mentionnons par exemple la durée d'utilisation du symbole, la preuve par sondage, le niveau des ventes, la publicité et la copie intentionnelle du symbole[29]. La plupart de ces éléments ne requièrent pas d'expertise. De surcroît, bien qu'une expertise puisse éclairer le tribunal, le juge « reste l'arbitre final et n'est pas lié par le témoignage des experts »[30].
[43] Dans un litige portant sur le droit d'auteur, notre Cour rappelait, dernièrement, que « le critère de nécessité[31] doit être examiné au regard des circonstances de l'espèce tout en s'assurant que ce témoignage ne détourne pas l'attention du tribunal de l'analyse à laquelle il doit procéder »[32].
[44] En somme, le juge n'a pas erré en décidant du caractère distinctif de la pastille sans une preuve par expert valable, vu le rejet de l'expertise Corbin. Une telle expertise ne répondait pas au critère de la nécessité d'aider le juge des faits[33] dans son examen de la perception d'un consommateur ordinaire. Le juge n'a pas erré davantage quant au fardeau de la preuve et la distinction que tente d'apporter l'appelante à ce sujet ne tient pas la route.
[45] Dans un autre ordre d'idées, la détermination du juge selon laquelle les résultats du sondage « étaient nettement prévisibles » compte tenu des questions posées n'est pas ébranlée par l'appelante. Les répondants n'avaient pas la possibilité de qualifier la pastille de descriptive et distinctive, ce qui en discrédite les résultats[34]. L'information donnée aux répondants était orientée pour obtenir les réponses recherchées par Canada Bread.
[46] Corbin semble bien avoir épousé la cause de sa cliente. Le fait de comparer la pastille au code-barre permettant de numériser les aliments à la caisse laisse songeur. Par ailleurs, l'experte a ignoré le principe fondamental selon lequel l'habillage du produit doit être évalué comme un tout et non séparément[35].
[47] Pour un exemple donné, rappelons que le slogan de St-Méthode a été scindé en deux formules distinctes, soit « no fat food » et « no sugar food » aux fins de la recherche sur Internet. Alors que l'intimée vend ses produits en majorité à des francophones, la recherche a été faite en anglais. Corbin n'a pas été en mesure d'expliquer cette décision, répondant simplement que les résultats étaient les mêmes !
[48] Enfin, les résultats obtenus par l'experte montrent que le signe prohibitif est largement utilisé dans l'industrie alimentaire tout comme l'inscription sans gras ou sans sucre. Or, la revendication de l'appelante ne porte pas sur le monopole du signe prohibitif ni sur l'inscription sans gras ou sans sucre, mais sur la pastille qu'elle utilise. Le juge a bien saisi la nuance.
[49] Ce moyen doit être rejeté.
[50] L'appelante argue que la couleur de fond de la pastille peut varier, à l'examen des publicités et des sacs d'emballage de pain. Elle serait tantôt blanche, tantôt jaune pâle et parfois jaune vif. Il y aurait même eu une autre version de la pastille, soit « une pastille blanche dont la circonférence n'est pas entrecoupée ». L'intimée n'aurait pas démontré un emploi continu et uniforme de la pastille dans le marché. L'appelante se réfère au témoignage de Corbin selon laquelle « ce traitement n'est pas compatible avec celui qu'on fait d'une marque de commerce distinctive ».
[51] Le juge aurait erré en considérant qu'il n'existe qu'une variante de la pastille et que l'intimée en fait un usage continu et constant. Le caractère distinctif de celle-ci en serait affecté.
*
[52] La pastille est utilisée depuis 1995 et n'a pas été modifiée depuis 8 à 10 ans, selon le témoignage de Benoît Faucher. Les différentes photographies produites au dossier ne permettent pas de tirer de conclusions nettes. Les variantes de la pastille, relativement mineures, seraient observables dans des publicités et sur les camions de l'intimée. En revanche, la pastille serait demeurée la même sur les emballages de pain.
[53] L'experte mentionne qu'une modification de la pastille a pour effet d'en diluer l'impact. La preuve administrée ne permet pas de tirer une conclusion défavorable à l'intimée.
[54] Ce moyen doit également échouer.
[55] De l'avis de l'appelante, le juge devait considérer « tout le contexte apparaissant aux yeux du consommateur lors de son achat ». La pastille qu'elle a utilisée n'était pas apposée sur les emballages de ses pains, mais plutôt sur les commères d'étagères, en association avec la marque Bon Matin de grande notoriété. Le public ne pouvait donc confondre ses produits avec ceux de l'intimée. Il serait donc impensable que la pastille ait pu créer une confusion chez le consommateur. Le juge aurait erré en droit « en ne procédant pas à cette analyse ».
*
[56] Il n'est pas contesté que la marque Bon Matin possède une notoriété sur le marché et que la pastille a été reproduite sans que les emballages de pain soient modifiés. Mais la pastille occupait un endroit névralgique, sur les commères d'étagères. Il était bien difficile de la rater !
[57] Au-delà de ces considérations, l'appelante erre en qualifiant la détermination du juge d'erreur de droit. La détermination sur « le risque réel et probable de confusion » dans les circonstances de notre affaire est éminemment factuelle. Le juge se trouvait dans une position privilégiée pour en décider et l'appelante ne montre pas du doigt une erreur manifeste et déterminante, un fardeau qui reposait sur ses épaules.
[58] D'autre part, le critère pertinent est celui du « risque de confusion » ou, comme le précisait la juge Rousseau-Houle, d'une représentation trompeuse qui amène le public « ou est susceptible de l'amener à croire »[36] que les produits imités sont ceux du commerçant ayant la marque de commerce établie. Et il faut garder à l'esprit que l'exercice évalue la situation du consommateur pressé ayant un vague souvenir de la marque de commerce[37]. Le juge doit donc se demander « si ces consommateurs occasionnels ordinaires plutôt pressés sont susceptibles de se méprendre sur l’origine des marchandises ou des services »[38].
[59] Il s'agit précisément du test appliqué par le juge de première instance. Ce moyen est sans mérite.
[60] L'appelante rappelle que l'intimée devait faire la démonstration du préjudice subi, ce que le juge ne pouvait présumer. La preuve d'un préjudice actuel ou potentiel serait absente. Les ventes de l'intimée dans la catégorie « sans gras sans sucre ajoutés » auraient même « augmenté considérablement de 2010 à 2011 », particulièrement durant la période de lancement du nouveau produit de l'intimée et durant les deux mois qui ont suivi.
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[61] L'intimée plaide que malgré la croissance constante de ses ventes, celle-ci a ralenti pendant la campagne de l'appelante[39]. Indépendamment de cela, la preuve d'un dommage actuel et quantifiable ne constituait pas un préalable à la réussite du recours de l'intimée. Notre Cour a été très claire à ce sujet :
[42] Dans Ciba-Geigy, précité, la Cour suprême parle de « dommages actuels ou possibles pour le demandeur », citation qui est reprise dans Kirkbi AG. Dans Kisber & Co., précité, la majorité, sous la plume de la juge Rousseau-Houle, écrit que le demandeur, aux fins de son action en imitation trompeuse, doit établir qu’« il subit ou est susceptible de subir des dommages à cause de la croyance erronée engendrée par la représentation trompeuse du défendeur ».
[43] Le juge de première instance a conclu à l’existence d’un préjudice probable.
[44] La preuve permet en effet de conclure de façon prépondérante que le risque de préjudice, en raison de la confusion, est bien réel. Il est vrai que l’intimée, au moment où elle intente son action en injonction, n’a pas encore subi de préjudice pécuniaire quantifiable (ses affaires sont même florissantes), mais l’on comprend que ce ne sera plus le cas si on laisse les appelantes usurper son nom ou continuer de profiter de la confusion engendrée par l’identité du nom sous lequel elles commercialisent toutes trois leurs services.[40]
[Soulignement ajouté] [Rréférences omises]
[62] Le risque de préjudice est tout aussi présent dans notre affaire.
Le juge a erré en assimilant la copie intentionnelle à une faute
[63] L'appelante souligne que dans un marché de libre concurrence, abstraction faite de la connotation morale péjorative, la copie d'un élément non protégé est légale. Or, le juge conclut erronément que la copie de la pastille constitue une faute[41].
[64] Il en résulte que l'intention de copier ne fait pas naître une présomption du caractère distinctif d'une marque, contrairement à ce que soutient l'intimée, présomption dont elle conteste l'existence chez nous. Au surplus, les sondages et le témoignage de Corbin ont renversé telle présomption, s'il en est.
*
[65] Ce moyen porte à faux.
[66] Le recours déclaratoire et en injonction entrepris contre l'appelante est accueilli parce que :
[179] Les éléments nécessaires pour une action en commercialisation trompeuse ont été démontrés de façon prépondérante par la demanderesse.
[180] St-Méthode a réussi à prouver l’existence d’une concurrence déloyale de la part de la défenderesse, en ce qu’elle a démontré de manière convaincante, d’une part l’achalandage en relation avec la pastille et son caractère distinctif et, d’autre part, le risque de confusion entre ses produits et ceux de la défenderesse. La démonstration d’une probabilité de dommages est suffisante, et celle-ci découle en l’espèce de la preuve présentée par St-Méthode.[42]
[181] Les pièces P-19 et P-21 constituent par ailleurs rien de moins qu’un aveu de la réputation de St-Méthode et de l’avantage concurrentiel conféré par la pastille. Ces documents démontrent non seulement la volonté de la défenderesse de concurrencer la demanderesse en raison de sa croissance sur le marché, mais également de copier littéralement la pastille.
[Soulignement ajouté]
[67] C'est dans ce contexte précis que la copie intentionnelle a été prise en compte par le juge. Il n'y a pas, ici, d'erreur révisable. Par ailleurs, il va de soi que la violation d'une norme élémentaire de comportement édictée par une loi est assimilée à une faute civile, le Code civil l'énonce expressément[43]. Mais il faut ajouter que le juge refuse d'octroyer les dommages punitifs réclamés par l'intimée. Il écrit :
[198] Or, ici, bien que la conduite de la défenderesse s’est avérée fautive, malgré les apparences, le Tribunal ne peut se convaincre que celle-ci, de façon délibérée, a agi dans l’illégalité de manière à nuire à la demanderesse St-Méthode.
[199] En effet, Canada Bread estimait que la concurrence à laquelle elle s’est livrée était légale et que la pastille qu’elle a copiée n’appartenait pas à St-Méthode.
[Soulignement ajouté]
[68] Somme toute, le juge a bien compris la position de l'appelante.
[69] Enfin, tel qu'exposé ci-haut, l'expertise Corbin a été écartée, à bon droit, par le juge de première instance.
[70] L'appelante soutient que l'intimée n'est pas propriétaire de la pastille et ne détient pas l'achalandage, « n'étant qu'un licencié ». L'achalandage serait dorénavant propriété de Groupe BSM inc. [BSM], acquéreur des immobilisations et de l'entreprise de l'intimée. Cette dernière plaiderait pour autrui.
*
[71] Le juge constate qu'à la suite d'une réorganisation corporative, les droits sur la pastille sont détenus par BSM. Mais en vertu de la convention de licence accordée à l'intimée par BSM, l'intimée obtient le droit d'exploiter la clientèle, l'achalandage et le réseau de distribution de l'entreprise[44]. Elle obtient aussi le droit d'utiliser les éléments de propriété intellectuelle servant à l'exploitation de l'entreprise[45]. Le juge de poursuivre :
[170] Par ailleurs, la Convention prévoit aussi la possibilité tant pour le concédant que pour le licencié d’entreprendre un recours judiciaire, en cas d’usurpation :
10.3 USURPATION
Si le Licencié a connaissance ou est informé d’un acte d’usurpation de la propriété intellectuelle ou de la propriété industrielle, c’est-à-dire de toute l’utilisation concurrentielle, de tout acte de contrefaçon, de fausse représentation (passing off) ou de concurrence déloyale sur le territoire, il doit aviser le Concédant dans les dix (10) jours de sa connaissance de ladite usurpation.
Si le Concédant décide d’entreprendre seul un recours contre un usurpateur, le Licencié s’engage, sur demande et aux frais de ce dernier, à coopérer avec le Concédant à cette fin et à exécuter toute démarche raisonnable sous ce rapport dans toute procédure visant à mettre fin à cette usurpation et à dédommager les personnes lésées par cette violation.
Si les parties décident d’intenter ensemble des poursuites pour usurpation, la répartition des frais et des sommes accordées le cas échéant par le tribunal est effectuée selon l’entente entre les parties.
Si le Licencié agit seul, il s’acquitte alors de tous les frais, en plus de conserver la totalité des dommages accordés le cas échéant par le tribunal.[46]
(Nos soulignements)
[…]
[172] Canada Bread soutient aussi que puisque Groupe BSM n’a pas d’employés, elle n’exerce pas de contrôle de qualité des produits et marchandises au sens de l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce, et qu’ainsi, la protection ne peut exister.
[173] Le Tribunal ne partage pas son opinion.
[174] En outre, les administrateurs de Boulangerie St-Méthode inc. sont les mêmes que ceux de Groupe BSM inc.
[175] Monsieur Benoît Faucher est administrateur, secrétaire du « holding » Groupe BSM inc., mais il est également secrétaire trésorier, directeur général de Boulangerie St-Méthode inc.
[176] Or, il est au coeur du contrôle de la qualité des produits BSM - Boulangerie St-Méthode inc.
[72] J'estime qu'il n'y a pas davantage matière à intervention sous ce rapport.
Les frais d'expertise
[73] De l'avis de l'appelante, le juge aurait commis une erreur manifeste et déterminante en ne lui accordant pas ses frais d'expertise. Elle les réclame dans le cas où la Cour retiendrait sa position sur le fond.
[74] Comme ce n'est pas le cas, cette demande est caduque.
La demande reconventionnelle de l'appelante
[75] Enfin, contre toute attente, l'appelante continue de soutenir que le recours introductif de l'intimée était abusif et réclame, en application de l'article 54.4 C.p.c., le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires.
[76] Il est consternant que ce moyen soit encore débattu devant nous alors qu'il coule de la source même qu'est l'article 54.1 C.p.c. qu'une procédure victorieuse en première instance ne peut être qualifiée d'abusive en appel. Non seulement n'y a-t-il pas ici une demande en justice manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire, ou qui résulte de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou en vue de nuire à autrui, mais c'est plutôt la demande reconventionnelle de l'appelante qui fait problème, comme l'a décidé le juge de première instance[47].
[77] Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
[78] Pour ces motifs, je conclus au rejet du pourvoi, avec dépens.
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LOUIS ROCHETTE, J.C.A. |
[1] Elle est représentée au paragr. 4 du jugement dont appel.
[2] Aux paragr. 2 à 32.
[3] Au paragr. 64.
[4] Au paragr. 79.
[5] Au paragr. 132.
[6] Au paragr. 137.
[7] Kisber & Co. Ltd c. Ray Kisber & Associates Inc., 1998 CanLII 12807, [1998] RJQ 1342 (C.A.) [Kisber].
[8] 9055-6473 Québec inc. c. Montréal Auto Prix inc., 2006 QCCA 627 [Montréal Auto Prix].
[9] T-Rex Véhicules inc. c. 6155235 Canada inc., 2008 QCCA 947 [T-Rex].
[10] Voir par exemple à ce sujet Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex inc,[1992] 3 R.C.S. 120 [Ciba-Geigy].
[11] Au paragr. 165.
[12] Ciba-Ceigy, Supra, note 10.
[13] Voir les paragr. 71 à 79 du jugement.
[14] Ciba-Geigy, supra, note 10.
[15] Daniel J. Gervais et Elizabeth F. Judge, Intellectual Property : The law in Canada, 2e édition, Toronto, Carswell, 2011, p .556.
[16] Gill, Kelly and R. Scott Jollife, Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, 4e édition, édition sur feuille mobile, Toronto, Carswell, 2002, 4-79 [Fox].
[17] Ciba-Geigy, supra, note 10, 137. Voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 RCS 772, 2006 CSC 22, paragr. 56 [Mattel] pour une explication récente en rapport à la confusion.
[18] Au paragr. 134.
[19] Voir à ce sujet la pièce D-31 sur les unités nettes vendues de 2006 à 2011.
[20] Au paragr. 139. Voir à ce sujet T-Rex, supra, note 9.
[21] Fox, supra, note 16, 4-81.
[22] T-Rex, supra, note 9, paragr. 55.
[23] Au paragr. 183.
[24] Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyle Inc., [2011] 2 R.C.S. 387, 2011 CSC 27 [Masterpiece].
[25] Au paragr. 46 de l'exposé de l'appelante.
[26] Masterpiece, supra, note 24.
[27] Ciba-Geigy, supra, note 10, 137.
[28] P.L. c. R., 2008 QCCA 1286, paragr. 54. Voir également R. c. Abbey, [1982] 2 RCS 24, 42.
[29] Fox, supra, note 16, 4-78 à 4-81.
[30] Roberge c. Bolduc, [1991] 1 RCS 374, 430. Voir également St-Adolphe-d'Howard (Municipalité de) c. Chalets St-Adolphe inc., 2007 QCCA 1421, paragr. 12-13.
[31] Du témoignage d'un expert.
[32] France Animation, s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361, paragr. 74.
[33] R. c. Mohan, [1994] 2 RCS 9, 23 et suivantes.
[34] Voir à ce sujet Montréal Auto Prix, supra, note 8, paragr. 16.
[35] Masterpiece, supra, note 24, paragr. 83.
[36] Kisber, supra, note 7, 1351.
[37] Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 RCS 824, 2006 CSC 23, paragr. 20.
[38] Mattel, supra, note 17, paragr. 58.
[39] Voir le suivi des ventes, pièce P-39.
[40] Montréal Auto Prix, supra, note 8.
[41] Paragr. 211-212 du jugement.
[42] Ce paragraphe est reproduit de nouveau, par commodité.
[43] Art. 1457 C.c.Q.
[44] Au paragr. 169 du jugement.
[45] Ibid.
[46] Le juge cite ensuite avec approbation la décision T-Rex, note 37 du jugement qui donne plein effet à une semblable clause.
[47] Voir les paragr. 205 à 208 du jugement.
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