Chevrier c. Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2014 QCCFP 9 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER N°: |
1301168 |
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DATE : |
11 avril 2014 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Me Denise Cardinal |
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NICOLE CHEVRIER
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Appelante
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Et
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
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Intimée |
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DÉCISION |
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(Article |
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[1] Madame Nicole Chevrier, directrice des ressources matérielles à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après appelée la « CSST »), considère que la création d’une direction de la gestion immobilière au sein de cet organisme a entraîné une modification unilatérale et substantielle de ses conditions de travail. Le nombre et les catégories d’effectifs ainsi que les budgets sous sa responsabilité ont diminué. Sous le couvert de la nouvelle structure, elle allègue qu’il s’agit à son endroit d’une mesure disciplinaire déguisée voire un congédiement.
[2] Pour sa part, la CSST soutient que cette réorganisation administrative échappe à la compétence de la Commission. L’appel de Mme Chevrier est en application de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (ci-après appelée la « Loi »). Or, cette disposition ne confère pas une compétence à la Commission d’examiner une telle décision administrative. C’est pourquoi elle soulève un moyen préliminaire au regard de sa compétence à trancher cet appel. De surcroît, elle est d’avis que Mme Chevrier n’a subi aucun dommage.
[3] La Commission prend cette objection sous réserve d’entendre la preuve afin de déterminer si la réorganisation administrative constitue une mesure disciplinaire déguisée à l’endroit de Mme Chevrier.
[4] Afin de mieux cerner les éléments mis en preuve, la Commission les regroupe sous les rubriques suivantes :
· Mme Chevrier et la Direction des ressources matérielles avant la réorganisation;
· le contexte de la réorganisation;
· la décision de la réorganisation et son annonce à Mme Chevrier;
· l’impact de la Direction de la gestion immobilière sur la Direction des ressources matérielles et sur Mme Chevrier.
[5] Mme Chevrier, bachelière en psychologie, travaille à la CSST depuis environ 30 ans. Elle œuvre d’abord à titre de professionnelle, pour devenir, en 1997, cadre de niveau 4. À partir de ce moment, elle occupe différents postes de gestionnaire. En 2004, elle devient directrice des ressources matérielles, un emploi de cadre, niveau 2. C’est un poste important puisque, parmi les 200 cadres œuvrant à la CSST, seule une vingtaine d’entre eux occupent des emplois de ce niveau.
[6] Depuis la dizaine d’années qu’elle occupe ce poste, la CSST se montre satisfaite de son travail puisqu’elle obtient des cotes d’évaluation du rendement qui dépassent les attentes signifiées.
[7] Au cours de cette même période, la Direction des ressources matérielles ne subit pas réellement de transformation. Bien que durant trois ans la direction comporte un service de la gestion contractuelle, elle demeure toujours composée de deux services, celui du soutien et celui de la gestion des locaux et de l’approvisionnement.
[8] Mme Chevrier insiste sur l’importance inégale de ces deux services. Elle présente le Service du soutien, qui regroupe les activités liées aux archives, au courrier, à la messagerie et à l’imprimerie, comme étant avant tout un service opérationnel, dont les employés sont de niveau technique ou de soutien. Quant au Service de la gestion des locaux et de l’approvisionnement, il s’occupe de la gestion des baux pour tous les bureaux de la CSST situés à Québec, à Montréal et dans diverses régions administratives. Il est également chargé des activités liées à la sécurité, à l’entretien, à l’approvisionnement, ainsi qu’au service de génie et d’ergonomie. Une centaine de personnes y travaillent, dont des cadres de niveaux 3, 4 et 5.
[9] Avec la création de la Direction de la gestion immobilière, la Direction des ressources matérielles a été amputée du Service de la gestion des locaux et de l’approvisionnement, pour ne conserver que le Service du soutien.
Le contexte de la réorganisation
[10] En février 2013, le communiqué[2] de la CSST annonçant la création de la Direction de la gestion immobilière explique cette décision en raison de l’importance grandissante qu’a prise la gestion immobilière au sein de l’organisation au cours des dernières années. Les projets et les dossiers liés à la gestion immobilière sont de plus en plus nombreux et certains d’entre eux présentent une importance capitale et comportent des enjeux financiers majeurs. Le projet d’agrandissement et de rénovation du siège social de la CSST sur la rue Bourdage, à Québec, est identifié à ce titre.
[11] M. Sylvain Gagnon, qui occupait le poste de directeur des ressources humaines au moment de cette annonce, et qui devient une quinzaine de jours plus tard vice-président à l’administration, de qui relève cette nouvelle direction, explique au cours de son témoignage le nombre et l’importance de ces projets immobiliers.
[12] Au regard plus particulièrement du projet d’agrandissement et de rénovation du siège social, il faut noter que deux ans avant la création de la Direction de la gestion immobilière, le dossier d’affaires de ce projet avait été retiré de la Direction des ressources matérielles par le président de cette époque, M. Luc Meunier, pour être confié à la Direction des projets corporatifs relevant directement de son autorité. M. Pierre Saint-Michel, qui dirigeait cette direction, apporte les précisions suivantes sur ce transfert de responsabilité.
[13] Sa direction était chargée des projets corporatifs de grande envergure. Le projet concernant le siège social s’inscrit dans cette catégorie en raison de l’ampleur du budget qui y est consacré, environ 100 à 120 millions de dollars. À cela s’ajoutent les risques élevés de dépassement de coûts dans ce type de projet. Enfin, il présente un impact important sur le personnel qui continue de travailler sur les lieux au cours des travaux. Par ailleurs, la Direction des ressources matérielles n’avait pas développé d’expertise en matière de construction puisqu’elle se consacrait principalement à la gestion de baux et à l’entretien d’immeubles. C’est la présence de ces éléments qui ont amené le président à lui confier ce projet.
[14] Mme Chevrier exprime avoir difficilement vécu ce transfert de dossier. Son mécontentement aurait duré de deux à trois semaines. Par contre, le président à ce moment-là l’avait rencontrée pour lui expliquer tous les tenants et les aboutissants de sa décision. Il lui avait aussi donné le temps nécessaire pour expliquer aux employés sous sa responsabilité les motifs de cette décision. Toutefois, elle insiste sur le fait que ce transfert de responsabilités n’avait pas eu d’impact sur sa direction à ce moment-là au regard du budget et du nombre d’employés sous sa responsabilité.
[15] Au sujet de la réaction de Mme Chevrier, M. Saint-Michel la comprend puisqu’il a assisté à des comportements semblables lorsque d’autres projets lui ont été confiés. Malgré cela, il reconnaît avoir eu une bonne collaboration de Mme Chevrier dans la gestion du projet bien que leurs contacts étaient plutôt rares. Il avait en effet recruté dans son équipe M. Marcel Renaud, un architecte, qui avait auparavant piloté un projet de cette nature à la Régie de l’assurance maladie du Québec. Étant donné l’expertise de ce dernier, l’implication de M. Saint-Michel dans la gestion du projet est devenue plutôt limitée. Jusqu’à son départ de la CSST, en 2012, c’est essentiellement M. Renaud qui a pris en charge ce dossier.
[16] En outre de ce projet d’envergure, que Mme Chevrier reconnaît sans précédent pour la CSST, la preuve révèle que plusieurs autres projets en matière immobilière sont alors en cours lorsque la décision est prise de créer la Direction de la gestion immobilière. Mme Chevrier reconnaît également qu’il s’agissait d’une période particulièrement occupée pour sa direction. Mais, à l’exception du projet concernant le siège social, elle suggère que tous les projets immobiliers faisaient partie de la mission normale de sa direction. Au nombre de ces projets, la Commission note l’échéance imminente du bail de la CSST au complexe Desjardins à Montréal et le projet de regroupement des employés qui occupent des locaux sur les rues Bleury et Metcalfe, entraînant ainsi le déménagement d’environ 1 500 personnes.
La décision de la réorganisation et son annonce à Mme Chevrier
[17] Après son arrivée en octobre 2011, le nouveau président de la CSST, M. Michel Després, ne modifie pas la décision prise quelque six mois plus tôt par son prédécesseur de confier la gestion du projet concernant le siège social à une entité relevant directement de son autorité. Il maintient cette décision, malgré le départ de M. Saint-Michel, en février 2012. C’est M. Renaud qui continue alors de gérer le projet.
[18] Vers la fin de l’année 2012, M. Gagnon raconte que M. Després lui fait part de son intention de regrouper tous les dossiers reliés à la gestion immobilière au sein d’une seule direction dédiée à ces questions. Cette idée lui provient essentiellement des changements apportés en 2011 au regard du transfert du dossier concernant le siège social, des enjeux financiers importants de ce projet, de la gestion des baux dans la région de Montréal et de certains autres projets immobiliers. Le but de la création d’une nouvelle direction serait d’assurer une certaine cohérence dans la gestion de tous les projets immobiliers et de canaliser tous les efforts à cet égard au sein d’une même équipe. M. Després et lui-même conviennent de se revoir au début de l’année 2013 pour poursuivre leur réflexion sur cette piste et sur la manière de procéder.
[19] Au début de l’année 2013, M. Gagnon perçoit que les préoccupations du président au regard des questions immobilières se précisent de plus en plus. En février, il lui demande d’établir un plan préliminaire d’implantation d’une direction de la gestion immobilière afin de mesurer les incidences administratives de cette décision. Quant au moment de sa mise en place, le président l’informe qu’il voudrait la faire coïncider avec la fin du contrat, le 2 mars 2013, de Mme Carole Théberge, vice-présidente à l’administration à ce moment-là, de qui relevait la Direction des ressources matérielles. Il était en effet connu que le contrat de Mme Théberge ne serait pas renouvelé.
[20] Pour la préparation de son plan préliminaire, M. Gagnon discute avec cinq ou six personnes au sein de la CSST, selon leurs compétences respectives. Toutefois, il n’informe pas Mme Chevrier de l’imminence de cette réorganisation. Il reconnaît avoir indiqué au président qu’il serait préférable de lui en parler, mais ce dernier lui indique qu’il le ferait le moment venu.
[21] Le 28 février 2013, l’annonce de la création de la Direction de la gestion immobilière est faite à l’ensemble du personnel par la diffusion d’un communiqué. On annonce par la même occasion que c’est M. Renaud qui prendra la tête de cette nouvelle direction.
[22] De son côté, Mme Chevrier l’apprend deux jours plus tôt à l’occasion d’une rencontre avec Mme Théberge, à laquelle est également invité M. Gagnon. L’avis de convocation à cette rencontre qu’elle reçoit la veille n’en précise pas l’objet. Mme Chevrier s’en étonne puisque c’est contraire aux habitudes de sa vice-présidente avec qui elle a des échanges fréquents. Elle vérifie par courriel avec M. Gagnon s’il connaît le sujet qui sera traité. Bien qu’il le sache, il lui répond qu’il l’ignore. Mme Théberge avait insisté pour lui faire connaître la nouvelle elle-même, à titre de supérieure immédiate. M. Gagnon reconnaît que cette situation lui crée un sentiment de tiraillement entre l’amitié qu’il entretient à l’endroit de Mme Chevrier et son devoir de loyauté envers sa supérieure immédiate, Mme Théberge, en ne court-circuitant pas son annonce. Sur cet aspect, la preuve révèle enfin que Mme Théberge venait elle aussi tout juste d’apprendre cette décision de la part du président. Ce dernier aurait d’ailleurs voulu en informer Mme Chevrier, mais pour la même raison, Mme Théberge désirait s’en charger personnellement.
[23] Quant au déroulement de cette rencontre, Mme Chevrier raconte avec emphase son état de choc, qu’elle attribue à la surprise et à l’incompréhension, en apprenant la nouvelle. Elle considère en outre qu’une réorganisation administrative doit se faire avec la collaboration des personnes directement concernées. Elle ressent également le malaise de M. Gagnon et la déception de Mme Théberge face à cette décision.
[24] Au cours de la rencontre, selon le témoignage de Mme Chevrier, ou le lendemain, selon M. Gagnon, deux documents lui sont remis pour illustrer des responsabilités entre la nouvelle direction et celles de la Direction des ressources matérielles. Il apparaît sur l’un de ces documents que le poste de Mme Chevrier en serait un de cadre, niveau 3, alors que le poste qu’elle occupe est un de niveau 2. M. Gagnon indique qu’il s’agissait uniquement d’un document de travail.
[25] Pour terminer sur cet aspect, Mme Chevrier insiste sur le fait que le communiqué annonçant la nouvelle devait être diffusé dès le lendemain de leur rencontre, soit le 27 février 2013. Ce serait à la suite de ses représentations que les autorités auraient accepté de reporter sa diffusion d’une journée pour lui donner le temps de l’annoncer d’abord aux employés directement concernés. De son côté, M. Gagnon croit que l’annonce préliminaire aux employés directement concernés était de toute manière déjà prévue.
Impact de la Direction de la gestion immobilière sur la Direction des ressources matérielles et sur Mme Chevrier
[26] En guise d’introduction sur ce point, il importe de souligner que tous reconnaissent que les changements organisationnels à la CSST sont fréquents. D’ailleurs, depuis l’arrivée de l’actuel président, la preuve révèle qu’il a procédé à une quinzaine de changements de cette nature, qui sont toutefois d’importance inégale, comme tient à le préciser Mme Chevrier.
[27] Au sujet de l’impact de la création de la Direction de la gestion immobilière sur la Direction des ressources matérielles, M. Gagnon, qui est maintenant vice-président à l’administration, et de qui relèvent ces deux directions, reconnaît qu’il s’est surtout fait sentir auprès des gestionnaires. À son avis, la nouvelle direction n’apporte pas de changements significatifs au travail quotidien du personnel affecté aux services relevant maintenant de ces deux directions.
[28] De plus, M. Gagnon évalue que son travail de supervision de la Direction de la gestion immobilière occupe 50 % de son temps. Étant donné l’ampleur des mandats réalisés par cette direction, il va même jusqu’à dire que cette direction aurait pu faire l’objet de la création d’une vice-présidence.
[29] De son côté, Mme Chevrier fait ressortir la distinction importante qu’elle fait entre la création de la Direction de la gestion immobilière et le transfert du dossier concernant le siège social survenu en 2011. Avec la création de la Direction de la gestion immobilière, la Direction des ressources matérielles n’a conservé que les dossiers relatifs au Service de soutien qui sont à caractère opérationnel, sans enjeux corporatifs. Le seul mandat corporatif qu’elle ait conservé porte sur le développement durable. De plus, sa direction a perdu environ 90 effectifs et près du 2/3 de son budget de 60 millions. Elle gère maintenant environ 85 personnes composées principalement d’agents de bureau. Elle reconnaît par ailleurs que tous les dossiers transférés à la Direction de la gestion immobilière sont en lien avec la mission de cette direction.
[30] Somme toute, Mme Chevrier considère que les mandats qu’elle assume depuis la réorganisation ne correspondent pas à un emploi de cadre, niveau 2. Toutefois, elle siège encore à certains comités et elle continue d’être la représentante de la CSST au forum des gestionnaires en ressources matérielles.
[31] Au plan personnel, les reproches de Mme Chevrier s’adressent surtout à la manière dont la décision a été prise, plus particulièrement l’absence de consultation et de participation de la principale intéressée. Elle ne comprend toujours pas pourquoi cette décision a été prise et ce qu’elle aurait pu faire pour que la CSST agisse de cette manière. Elle cherche encore à donner un sens à cette décision. Elle reconnaît toutefois lors de son contre-interrogatoire qu’elle ne perçoit pas que cette décision aurait été prise pour la punir.
[32] Elle explique le sentiment de trahison qu’elle entretient en raison de l’absence de consultation. Elle dit également avoir honte, ce qui fait en sorte qu’elle aurait mis trois semaines avant d’annoncer la nouvelle à sa fille. Après toutes ces années à titre de gestionnaire, il s’agit encore pour elle d’un coup dur à encaisser. Elle a bénéficié du programme d’aide aux employés pour l’aider à traverser ces évènements. Elle a également souffert d’insomnie. Elle sent qu’on voudrait la pousser à la retraite alors que cette décision lui appartient.
[33] Au sujet de la consultation des personnes concernées lors d’une réorganisation, M. Gagnon reconnaît que cela est souhaitable, mais il ne s’agit pas « d’un absolu ».
[34] Au regard des conséquences de la réorganisation sur les conditions de travail de Mme Chevrier, elle est demeurée cadre, niveau 2. M. Gagnon indique qu’il n’a jamais été question de les modifier, malgré la mention apparaissant dans un document de travail.
[35] M. Gagnon souligne que la compétence de Mme Chevrier n’a jamais été mise en doute dans toutes ses discussions avec le président au sujet de la réorganisation.
[36] Mme Chevrier réfère à son avis d’appel déposé à la Commission qui constitue essentiellement sa théorie de cause. Selon ce qui est énoncé dans ce document, la création de la Direction de la gestion immobilière entraîne une diminution substantielle de ses responsabilités. Sous le couvert d’une nouvelle structure, cette décision constitue à son endroit une mesure disciplinaire déguisée, voire un congédiement.
[37] Au regard de la diminution de ses responsabilités, Mme Chevrier résume les divers éléments mis en preuve qui démontrent un changement drastique. Le transfert du dossier concernant le siège social deux ans avant la réorganisation administrative n’est pas du même ordre. Il n’a pas eu pour effet de démembrer la Direction des ressources matérielles, comme cela s’est produit avec la création de la Direction de la gestion immobilière.
[38] Mme Chevrier s’en prend surtout à la façon dont la réorganisation a été faite par les autorités de la CSST qu’elle considère être en marge de la culture de l’organisation et de ce qu’elle-même fait lorsqu’elle effectue une réorganisation. Elle affirme que la manière de procéder en l’isolant et en l’écartant constitue le point important de sa théorie de cause.
[39] Elle soutient qu’il s’agit d’un exercice abusif du droit de gérance de la CSST, qui porte atteinte à son droit d’être traitée équitablement, qu’elle assimile à une mesure disciplinaire déguisée. Ce type de mesure peut en effet prendre diverses formes.
[40] Au regard des conclusions recherchées, Mme Chevrier laisse à la Commission le soin d’exercer sa discrétion pour évaluer les dommages et déterminer les réparations requises. Elle demeure toutefois consciente qu’elle ne peut pas demander à la Commission de refaire l’organigramme de la CSST. C’est pourquoi ses conclusions sont plutôt de l’ordre des dommages.
[41]
Pour appuyer cette argumentation, Mme Chevrier cite trois
décisions[3].
La première, l’affaire Barcelo, qui est régulièrement mentionnée pour illustrer
la compétence très vaste reconnue à la Commission en application des articles
[42]
Selon la CSST, les principes juridiques applicables sont les suivants.
La Commission possède la compétence en vertu de l’article
[43] Quant à la réorganisation, la CSST est d’avis que la preuve fait ressortir que les motifs de cette décision avaient pour seul objectif une saine gestion immobilière et qu’ils s’inscrivent dans la continuité du transfert en 2011 du dossier concernant le siège social.
[44] Au regard des reproches de Mme Chevrier sur la manière de procéder à cette réorganisation, la CSST reconnaît, par le biais du témoignage de M. Gagnon, qu’idéalement il aurait été préférable qu’elle soit impliquée. Mais les évènements ont fait que cela ne s’est pas produit ainsi. Il ne s’agit pas pour autant d’une démonstration que la réorganisation avait pour but de la punir.
[45] La CSST indique qu’il n’appartient pas à la Commission de juger de la pertinence des changements administratifs et de la façon de procéder.
[46] Par ailleurs, les conditions de travail de Mme Chevrier comme cadre, niveau 2, sont demeurées les mêmes. C’est pourquoi elle n’a subi aucun dommage. La CSST exprime être perplexe au regard de la demande de Mme Chevrier de laisser à la Commission la discrétion de les quantifier, sans les prouver. À son avis, tout ce que recherche Mme Chevrier est une déclaration de blâme à l’endroit de la CSST.
[47] En terminant, elle cite certaines décisions où la Commission fait la distinction entre les mesures administratives et les mesures disciplinaires et dans lesquelles elle indique qu’elle ne peut intervenir qu’en présence d’une mesure disciplinaire[4].
[48] La CSST conclut que la preuve ne permet pas d’établir que la réorganisation avait un objectif de répression puisqu’on ne peut pas punir une personne lorsqu’aucun reproche ne lui est adressé.
[49] Pour soutenir sa contestation de la décision de la CSST de créer la Direction de la gestion immobilière, Mme Chevrier propose lors de son argumentation une nouvelle approche qui l’amène à ajouter le concept juridique du droit d’être traité équitablement, et à le fusionner avec celui des mesures disciplinaires déguisées. Elle suggère en effet que cette réorganisation s’assimile à une mesure disciplinaire déguisée puisqu’elle porte atteinte à son droit d’être traitée équitablement. C’est pourquoi la Commission aurait la compétence d’intervenir pour assurer le respect de ce droit. Elle situe l’assise du pouvoir d’intervention de la Commission à cet égard en référant à une décision de la Cour d’appel, l’affaire Syndicat de l’enseignement de la région de Québec[5]. Elle cite en outre une décision de la Commission dans laquelle elle a examiné le processus suivi lors d’une rétrogradation[6].
[50] De son côté, la CSST aborde le litige uniquement sous l’angle de la mesure disciplinaire déguisée en raison vraisemblablement du fait que c’est ce seul aspect qui était soulevé dans l’avis d’appel de Mme Chevrier déposé à la Commission.
[51] Afin de cerner la compétence de la Commission au regard des concepts juridiques mis en cause à la lumière des faits illustrés par la preuve et de l’argumentation des parties, il est utile d’examiner tout d’abord l’aspect portant sur le droit de Mme Chevrier d’être traitée équitablement. La Commission comprend que ce droit est soulevé au regard de la façon de procéder de la CSST pour effectuer la réorganisation, notamment sur l’absence de participation et de consultation de Mme Chevrier à ce processus.
[52]
Mme Chevrier soutient que le pouvoir d’intervention de la
Commission sur le droit d’être traitée équitablement provient des propos
exprimés dans une décision de 2005 de la Cour d’appel. Dans cette affaire, la Cour
examinait la compétence de l’arbitre du travail de statuer sur le caractère abusif
ou déraisonnable d’une décision discrétionnaire d’une commission scolaire
portant sur l’ajout du nom d’un enseignant légalement qualifié sur une liste de
priorité d’emploi. Les articles
[53] Pour déterminer si l’arbitre pouvait statuer sur le respect des obligations à cet égard par l’employeur, la Cour indique que l’arbitre doit d’abord se demander si le débat découle implicitement ou explicitement de l’application de dispositions de la convention collective. Dans le cas contraire, il appartiendrait à la Cour supérieure de statuer.
[54] La convention collective qui s’appliquait à l’enseignant prévoyait des dispositions en matière de listes de priorité d’emploi. Comme la question soumise à l’arbitre pouvait se rattacher explicitement ou implicitement à ces dispositions, l’arbitre pouvait donc examiner son droit d’être traité équitablement à l’occasion de leur application. Ce cheminement pour déterminer la compétence de l’arbitre d’examiner certaines questions, dans des contextes toutefois différents, a été repris ultérieurement par la Cour d’appel et la Cour suprême[7].
[55]
Dans les circonstances présentes, la Commission doit ainsi établir en
premier lieu si les conditions de travail de Mme Chevrier, prévues
dans la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres[8],
prévoient des dispositions en matière de réorganisation administrative, puisque
cette matière est à l’origine du litige. Ajoutons par ailleurs que la
Commission possède la compétence d’examiner les décisions prises en vertu de
cette Directive, conformément à l’article
[56] Or, cette Directive ne contient pas de disposition concernant les réorganisations administratives. Ainsi, la Commission ne peut emprunter la voie suggérée par Mme Chevrier de statuer sur son droit d’être traitée équitablement à l’occasion d’une réorganisation administrative, puisqu’il n’est pas possible de rattacher cette matière implicitement ou explicitement à des dispositions de la Directive.
[57]
Pour compléter sur cet aspect, Mme Chevrier a en outre cité
une décision, l’affaire S-Louis[10],
pour appuyer ses prétentions sur la compétence de la Commission d’examiner son
droit d’être traitée de façon équitable. La Commission avait effectivement
examiné dans le cadre de cette affaire le processus suivi par l’employeur à
l’occasion d’une rétrogradation. Cependant, cet aspect pouvait être pris en
considération dans le contexte d’une rétrogradation puisque la Commission peut
intervenir en cette matière, conformément à l’article
[58]
Le deuxième volet du fondement juridique de l’appel de Mme Chevrier
provient de ses prétentions selon lesquelles la réorganisation constitue une
mesure disciplinaire déguisée à son endroit. La Commission possède
effectivement la compétence d’examiner les mesures disciplinaires en vertu de
l’article
[59] Dans l’examen de cette question, contrairement au cas d’une mesure disciplinaire simple, le fardeau de la preuve appartient à la partie qui prétend que la mesure prise à son droit est de caractère disciplinaire déguisé. Quant à la preuve, elle est appréciée selon la règle de la balance des probabilités.
[60] Avant d’aborder la preuve administrée par Mme Chevrier, la Commission se doit de référer à la distinction qui est généralement faite entre les mesures disciplinaires et les mesures administratives puisqu’elle constitue le cadre d’analyse. Les auteurs[11] et la jurisprudence de la Commission conviennent généralement de retenir le caractère volontaire ou non du manquement reproché à l’employé pour reconnaître le type de mesure qui doit être appliqué. De plus, l’objectif d’une mesure disciplinaire vise à punir et à empêcher qu’un comportement fautif ne se reproduise. Lorsqu’il s’agit d’un comportement involontaire et impossible à corriger, l’employeur doit imposer une mesure non disciplinaire. Globalement, il faut ainsi considérer les gestes ou les comportements reprochés à l’employé et l’objectif recherché par l’employeur dans ses décisions.
[61] La preuve de Mme Chevrier comporte essentiellement deux aspects. Le premier concerne la perte importante de ses responsabilités causée par le transfert de celles-ci à la Direction de la gestion immobilière. Elle a en effet démontré que la Direction des ressources matérielles, qu’elle continue de diriger, s’est ainsi vue privée de ses dossiers majeurs au profit de la nouvelle direction. Le second volet de sa preuve concerne le caractère, perçu par Mme Chevrier comme précipité, de la réorganisation, en raison principalement du fait qu’elle n’a pas été associée au processus de création de la nouvelle direction.
[62] À l’exception du caractère précipité de la réorganisation, cette preuve n’est pas contredite par celle de la CSST. Au sujet du moment choisi pour procéder à cette réorganisation, il ressort de la preuve de la CSST qu’un ensemble de circonstances l’expliquait, dont l’accroissement des dossiers immobiliers et leur ampleur ainsi que l’arrivée d’un nouveau vice-président à l’administration de qui relève la nouvelle direction.
[63] De l’avis de la Commission, ces deux aspects de la preuve administrée par Mme Chevrier comportent un vice fondamental. Ils ne présentent pas de lien avec les éléments constitutifs permettant de démontrer la présence d’une mesure disciplinaire déguisée.
[64] Au sujet des tâches occupées à présent par Mme Chevrier, la Commission constate, à l’évidence, que la réorganisation a causé une diminution importante de ses responsabilités, bien qu’elle demeure directrice des ressources matérielles avec les mêmes conditions de travail. Son poste a toutefois perdu de son lustre au profit de celui occupé par le nouveau directeur de la gestion immobilière. Cela étant dit, à aucun moment, Mme Chevrier n’a tenté de convaincre la Commission que la décision de la CSST était dictée par des considérations ayant pour objectif de la punir de certains gestes ou de son comportement. Elle-même exprime d’ailleurs, au cours de son témoignage, ne pas croire que la décision de la CSST visait à la punir. La déception qu’entretient Mme Chevrier, que la Commission peut aisément comprendre, ne peut être synonyme de punition.
[65] Quant à l’aspect de la preuve de Mme Chevrier concernant son absence de participation au processus ayant conduit à la réorganisation, la Commission reconnaît, à l’instar de la CSST, qu’il aurait été préférable de l’associer. Cela relève toutefois des bonnes pratiques en matière de gestion des ressources humaines et non d’un élément permettant de conclure à la présence d’une mesure disciplinaire déguisée.
[66] Enfin, Mme Chevrier invite la Commission à faire preuve d’ouverture dans ce qu’elle peut considérer comme une mesure disciplinaire déguisée. Il est vrai que de telles mesures peuvent prendre diverses formes, mais il n’en demeure pas moins que la preuve doit démontrer la présence de gestes ou de comportements fautifs de l’employé et une volonté de punir de l’employeur. Or, dans le cas présent, aucun geste ou comportement n’est reproché à Mme Chevrier. De plus, la preuve ne permet pas d’établir que la création de la Direction de la gestion immobilière visait à la punir. Au contraire, la preuve convainc la Commission que cette décision est de nature administrative.
[67] POUR CES MOTIFS, la Commission accueille l’objection préliminaire de la CSST et rejette l’appel de Mme Chevrier.
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_____________________________ Me Denise Cardinal, Commissaire |
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Me Pascale Racicot |
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Procureure pour l’appelante |
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Me Dominique L’Heureux |
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Procureur pour l’intimée |
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Lieu de l’audience : |
Québec |
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Dates de l’audience : |
11 et 12 décembre 2013 |
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[1] RLRQ, c. F-3.1.1.
[2] Communiqué adressé à tout le personnel par le président du conseil d’administration et chef de la direction, M. Michel Després, A-7.
[3]
Barcelo c. Commission de la santé et de la sécurité de travail, 1997 CanLII
10709 (QC CA); St-Louis c. Sûreté du Québec, 2011 CanLII 63333 (QC CFP);
Syndicat de l'enseignement de la région de Québec c. Ménard,
[4]
Bérubé c. Ministère de la Sécurité publique,
[5] Précitée, note 3.
[6] Précitée, note 3.
[7]
Syndicat des métallos, section locale 2843 (Métallurgistes unis d'Amérique,
section locale 2843) c. 3539491 Canada inc.,
[8] C.T. 208914 du 20 avril 2010 et ses modifications.
[9] RLRQ, c. F-3.1.1, r.5. L’article 2 de ce règlement exclut certaines dispositions de cette directive.
[10] Précitée, note 3.
[11] BERNIER, Linda et autres. Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. I / 1-1-I /1-4.
AVIS :
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