SENTENCE ARBITRALE

SUR UNE OBJECTION PRÉLIMINAIRE

 

                                                                             

 

 

                                                                         ARBITRAGE EN VERTU DU

                                                                         RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE

                                                                         DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

                                                                         (décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

 

 

                                                                         Organisme d’arbitrage autorisé par la

                                                                         Régie du bâtiment : Le Groupe d’arbitrage

                                                                         et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

                                                                         M. Georges Laferrière, représentant

                                                                         des copropriétaires,

                                                                        

                                                                                                      bénéficiaires;

 

                                                                         - et -

 

                                                                         Le Groupe Trigone Construction inc.,

                                                                        

                                                                                                      entrepreneur;

 

                                                                         - et -

 

                                                                         La Garantie des bâtiments

                                                                         résidentiels neufs de l’APCHQ inc.,

                                                                        

                                                                                                      administrateur.

 

                                                                             

 

 

                                  Rapports de conciliation nos B-20722c et B-21163c

Rapports d’inspection nos 018486, 018493, 018500 et 018507

 

 

                                                  M. Claude Dupuis, ing., arbitre

 

                        Audiences tenues à La Prairie les 15 janvier et 11 février 2004

                                                  Sentence rendue le 9 mars 2004


I :         LE LITIGE

 

[1]        M. Georges Laferrière représente des propriétaires d’unités de logement détenues en copropriété divise.

[2]        En date du 29 octobre 2003, M. Laferrière, dans une demande d’arbitrage adressée au GAMM, contestait les six décisions rendues par l’administrateur en octobre 2003 suite aux réclamations des bénéficiaires ayant trait à des parties communes des immeubles portant les numéros 520, 550, 560, 570, 580 et 590 de la rue Notre-Dame à La Prairie.

[3]        Suite au décret 841-98, le 1er janvier 1999 entraient en vigueur les dispositions du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après appelé nouveau plan); il s’agit d’un plan obligatoire. Avant ce décret, l’APCHQ offrait toutefois en option un plan de garantie appelé La Garantie des maisons neuves (ci-après appelé ancien plan); ce dernier, non prévu par une loi, était conventionnel et optionnel entre le bénéficiaire et l’entrepreneur.

[4]        Les dispositions relatives à la couverture de la garantie seraient plus avantageuses pour les bénéficiaires dans le nouveau plan.

[5]        Dans ses décisions, l’administrateur a traité les réclamations relatives aux immeubles portant les numéros 520 et 550 en vertu des dispositions de l’ancien plan; il maintient sa position à cet égard devant le présent tribunal.

[6]        Les bénéficiaires s’objectent et prétendent que les deux immeubles à ces adresses devraient être couverts par le nouveau plan.

[7]        Ce litige n’existe pas en ce qui concerne les immeubles en copropriété divise portant les numéros 560, 570, 580 et 590, et les parties s’entendent sur le fait que ceux-ci sont couverts par le nouveau plan.

[8]        Dans la présente décision, il s’agit donc uniquement de déterminer si les immeubles portant les numéros 520 et 550 doivent être assujettis aux dispositions du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs ou à celles de La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ.

[9]        Dans le présent dossier, M. Georges Laferrière représente les bénéficiaires, M. Patrice St-Pierre représente l’entrepreneur et Me Jacinthe Savoie représente l’administrateur.

[10]      En cours d’enquête, les parties ont déposé huit pièces et ont fait entendre les témoins suivants :

   M. Jean-René Rioux, directeur, Service accréditation à La Garantie des immeubles neufs de l’APCHQ

   M. Jocelyn Dubuc, inspecteur-conciliateur

   M. René Vincent, ingénieur civil, spécialiste en bâtiment

 

II :        POSITION DE L’ADMINISTRATEUR

 

[11]      En juin 1999, les immeubles portant les numéros 520 et 550 ont été accrédités auprès de l’APCHQ. À ce moment-là, les dispositions du nouveau plan étaient en vigueur depuis janvier 1999; toutefois, les services techniques de l’administrateur ont déterminé qu’il s’agissait de bâtiments de quatre étages et qu’ils étaient par le fait même exclus du nouveau plan en vertu des dispositions de l’article 2.2° b) du décret 841-98.

[12]      Ces deux immeubles ont donc été accrédités par l’administrateur sous l’ancien plan de garantie.

[13]      Pour cette décision, l’administrateur s’est référé à l’article 2.3° deuxième paragraphe du nouveau plan :

Pour l’application du présent règlement, les expressions « étage », « hauteur de bâtiment » et « premier étage » ont le sens que leur donne le Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs en construction et des constructeurs-propriétaires (Décret 876-92 du 10 juin 1992).

[14]      Le décret 876-92 définit comme suit la notion de « premier étage » :

« premier étage » : l’étage dont le plancher est le plus rapproché du sol adjacent à l’entrée principale et dont le plafond est à plus de 2 mètres de ce sol; lorsqu’un bâtiment est pourvu de plusieurs entrées principales, celle située au niveau le plus bas détermine le premier étage.

[15]      Selon l’administrateur, il lui fallait observer les dispositions du nouveau plan et ainsi enregistrer les bâtiments portant les numéros 520 et 550 comme ayant quatre étages; ces immeubles étant pourvus de plusieurs entrées, l’administrateur a considéré l’entrée la plus basse.

[16]      L’administrateur admet que cette notion de premier étage portait à confusion, car la définition de premier étage est tout à fait différente dans le Code national du bâtiment du Canada - 1990 :

Premier étage (first storey) : étage le plus élevé dont le plancher se trouve à 2 m au plus au-dessus du niveau moyen du sol.

[17]      Par ailleurs, les municipalités interprètent ces définitions de façon différente, certaines considérant ce genre de bâtiment comme ayant trois étages et d’autres comme ayant quatre étages.

[18]      L’administrateur a donc, à l’époque, avisé la Régie du bâtiment afin de clarifier cette situation.

[19]      En août 1999, l’administrateur a modifié son interprétation concernant la notion de « premier étage » dans le but de favoriser l’admissibilité de certains immeubles. À partir de ce moment, si un bâtiment était pourvu de plusieurs entrées principales, l’entrée la plus achalandée servait alors à la détermination du premier étage.

[20]      Ainsi, en juin 1999, les immeubles portant les numéros 520 et 550 avaient été accrédités sous l’ancien plan par l’APCHQ; en août 1999, l’administrateur a accrédité les immeubles portant les numéros 530 et 540 du même projet résidentiel sous le nouveau plan; en février 2001, l’administrateur a accrédité les immeubles portant les numéros 560, 570, 580 et 590 du même projet résidentiel sous le nouveau plan.

[21]      En octobre 2000, il y a eu un projet de règlement et, en août 2001, est entré en vigueur le Règlement modifiant le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs dans lequel la notion de « premier étage » est disparue et dans lequel il est indiqué que le règlement s’applique, dans le cas de bâtiments détenus en copropriété divise, à des constructions comprenant au plus quatre parties privatives superposées.

[22]      Selon la procureure, tout le débat se situe autour de la notion d’entrée principale.

[23]      Le nouveau plan, avant modification, indiquait que la nouvelle garantie s’appliquait s’il s’agissait d’un édifice de moins de quatre étages, mais la notion d’étage était complexe dans ce nouveau plan.

[24]      Avant août 1999, l’administrateur se basait sur l’entrée la plus basse pour déterminer le nombre d’étages; après août 1999, il se basait sur l’entrée où il y avait le plus d’achalandage.

[25]      L’interprétation de l’administrateur, poursuit la procureure, n’était pas déraisonnable; il appliquait le règlement, la définition d’entrée principale étant absente. Il s’agissait d’une notion complexe et il en résultait des interprétations différentes. Par la suite, l’administrateur a modifié son interprétation afin de permettre à plus de bénéficiaires de participer.

[26]      Suite à la modification de son interprétation, l’administrateur ne pouvait rétroagir et changer ses décisions.

III :       POSITION DES BÉNÉFICIAIRES

[27]      À l’aide d’un croquis, l’expert des bénéficiaires nous démontre que quelle que soit la définition de « premier étage » que l’on utilise (Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs en construction et des constructeurs-propriétaires ou Code national du bâtiment du Canada - 1990), les immeubles portant les numéros 520 et 550 constituent des édifices de trois étages, l’étage inférieur étant un sous-sol.

[28]      Les bâtiments portant les numéros 520 et 550 abritent chacun six unités de logement; en façade, il y a une porte d’entrée pour chaque unité; en façade, il y a un escalier extérieur montant qui donne accès à un balcon, lequel donne accès à quatre portes d’entrée; dans sa détermination du nombre d’étages selon les dispositions du Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs en construction et des constructeurs-propriétaires, l’expert des bénéficiaires utilise ce dernier endroit comme « entrée principale » pour établir que l’édifice comporte trois étages.

[29]      De chaque côté de l’escalier montant, il y a un escalier extérieur descendant donnant accès aux deux autres portes d’entrée; avant août 1999, l’administrateur utilisait ce dernier endroit (niveau le plus bas) pour déterminer que l’édifice comportait quatre étages.

[30]      Dès avril 1999, la Ville de La Prairie considérait ces bâtiments comme faisant partie de la zone H-49, soit une zone où la hauteur permise des bâtiments ne peut excéder trois étages.

[31]      Les bénéficiaires font également référence à des documents émis par l’administrateur à l’époque et ils allèguent que les différents logos et appellations d’organisme figurant dans les en-têtes peuvent prêter à confusion pour le consommateur.

[32]      En conclusion, les bénéficiaires soumettent que les deux bâtiments portant les numéros 520 et 550 devraient être enregistrés comme étant des immeubles à trois étages, sinon certains clients auront acheté des unités d’habitation dont la garantie est inférieure à celle des autres unités.

IV :      POSITION DE L’ENTREPRENEUR

[33]      L’entrepreneur endosse en grande partie la position de l’administrateur. Il explique qu’il a lui-même, en cours de construction, subi le changement d’interprétation de l’administrateur sur la notion du nombre d’étages.

[34]      En tant que président du syndic au début de la construction, l’entrepreneur estime qu’il ne lui incombait pas d’éduquer les futurs clients relativement aux différents plans de garantie.

V :       DÉCISION ET MOTIFS

[35]      En accord avec la procureure de l’administrateur, le soussigné est d’avis que le présent débat se situe autour de la notion d’« entrée principale ». Le tribunal cite à nouveau la définition de « premier étage » contenue dans le Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs en construction et des constructeurs-propriétaires et à laquelle se référait le nouveau plan en janvier 1999 :

Premier étage (first storey) : étage le plus élevé dont le plancher se trouve à 2 m au plus au-dessus du niveau moyen du sol.

[36]      De l’entrée en vigueur des dispositions du nouveau plan en janvier 1999 jusqu’en août 1999, l’administrateur considère que les bâtiments de ce type (numéros 520 et 550), pourvus de six portes d’entrée distinctes en façade, ne possèdent pas d’entrée principale proprement dite; appliquant la deuxième règle de la définition, il détermine alors que ces deux immeubles comportent  quatre étages et les inscrit sous l’ancien plan de garantie.

[37]      Très tôt, l’administrateur s’aperçoit que cette notion de « premier étage » est très ambiguë et que le Code national du bâtiment du Canada - 1990, par sa définition de « premier étage », considère ces bâtiments comme ayant trois étages.

[38]      L’administrateur fait donc des représentations auprès de la Régie du bâtiment afin que cette dernière modifie son Règlement et élimine cette ambiguïté; la modification au Règlement à cet effet ne sera émise qu’en août 2001.

[39]      Entre-temps, en août 1999, l’administrateur modifie son interprétation de la notion de « premier étage » contenue dans le Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs en construction et des constructeurs-propriétaires et estime que dorénavant, l’entrée principale est celle où il y a le plus d’achalandage.

[40]      Dans le cas qui nous concerne, le palier de l’escalier montant qui donne accès à quatre portes d’entrée d’unités de logement serait donc considéré comme entrée principale et, par le fait même, les immeubles portant les numéros 520 et 550 seraient reconnus comme ayant trois étages au lieu de quatre s’ils avaient été enregistrés après août 1999.

[41]      En tout respect envers l’administrateur, le tribunal considère que le changement d’interprétation de sa part survenu en août 1999 n’en est pas un.

[42]      La notion d’entrée principale n’étant pas définie dans le Règlement, l’entrée principale a toujours été celle où il y a le plus d’achalandage, et ce, avant et après août 1999.

[43]      Considérant que l’immeuble est pourvu de six entrées distinctes en façade, le palier du balcon où se trouvent quatre portes d’entrée sur six constitue indéniablement l’endroit d’entrée principale; c’est de cette façon que le Règlement aurait dû être interprété avant et après août 1999.

[44]      Le tribunal ne connaît point les motifs pour lesquels l’administrateur a agi autrement.

[45]      Par ailleurs, la Ville de La Prairie reconnaît ces bâtiments comme ayant trois étages.

[46]      Si la décision de l’administrateur était maintenue, la situation serait la suivante dans le cas des bâtiments concernés dans le présent dossier :

   la Ville de La Prairie reconnaît tous ces bâtiments détenus en copropriété divise comme ayant trois étages;

   l’administrateur reconnaît un certain nombre de ces bâtiments détenus en copropriété divise comme ayant quatre étages;

   l’administrateur reconnaît les autres bâtiments détenus en copropriété divise dans le même projet résidentiel comme ayant trois étages;

   les propriétaires d’unités de logement de certains bâtiments en copropriété divise bénéficieraient d’une garantie différente de celle des propriétaires d’unités de logement des autres bâtiments en copropriété divise dans le même projet résidentiel.

[47]      Il existe une preuve prépondérante selon laquelle les bénéficiaires ignoraient cette modification d’interprétation de la notion d’entrée principale; de toute façon, cette notion était ambiguë, même pour les initiés.

[48]      En accord avec l’entrepreneur, le tribunal est d’avis que ce dernier n’a pas pour mission d’éduquer les futurs bénéficiaires sur les différents plans; toutefois, il a été mis en preuve que même les documents émis par l’administrateur à l’époque pouvaient prêter à confusion; en cours d’enquête, l’explication donnée par l’administrateur sur les différents logos et appellations apparaissant dans les en-têtes a été relativement ardue.

[49]      Appuyer cette décision de l’administrateur équivaudrait à maintenir une iniquité entre les bénéficiaires propriétaires d’unités de logement détenues en copropriété divise à l’intérieur du même projet résidentiel, puisqu’une des deux garanties est inférieure à l’autre.

[50]      La présente demande d’arbitrage des bénéficiaires a vraisemblablement été faite sous l’égide du nouveau plan, soit le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, puisqu’elle a été adressée au Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM), organisme autorisé par la Régie du bâtiment pour organiser l’arbitrage prévu dans ce règlement. Les parties reconnaissent donc l’autorité du tribunal pour statuer sur le plan de garantie des immeubles portant les numéros 520 et 550.

[51]      L’article 116 du règlement précité se lit comme suit :

            Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient.

[52]      Pour les motifs ci-devant énoncés, le tribunal ACCUEILLE favorablement l’objection des bénéficiaires et ORDONNE à l’administrateur de prendre les dispositions nécessaires pour que les immeubles portant les numéros 520 et 550 de la rue Notre-Dame à La Prairie soient couverts par la garantie que procure le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

[53]      Conséquemment, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l’administrateur.

[54]      Dans les 30 prochains jours, le tribunal convoquera les parties pour la tenue de l’audience sur le fond.

SENTENCE rendue à Beloeil, ce 9e jour de mars 2004.

 

 

 

 

 

                                                                              Claude Dupuis, ing., arbitre