ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec : SORECONI
ENTRE : SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES QUARTIER URBAIN 3
(ci-après le « Bénéficiaire »)
ET : LES HABITATIONS BELLAGIO INC.
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE QUALITÉ HABITATION
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier SORECONI : 182510002
DÉCISION INTERLOCUTOIRE
SUR LA DEMANDE DE RÉCUSATION DE L’ARBITRE
Arbitre : Me Jacinthe Savoie
Pour les Bénéficiaires : Me Clément Lucas
Pour l’Entrepreneur : Me Rémi Bourget
Pour l’Administrateur : Me François-Olivier Godin
Demande écrite : 12 décembre 2018
Date de la Décision : 19 décembre 2018
Identification complète des parties
Bénéficiaire : Syndicat des copropriétaires Quartier Urbain 3
300-177, rue du Campagnol
Terrebonne (Québec) J6V 0E7
Et son procureur :
Me Clément Lucas
Entrepreneur: Les Habitations Bellagio inc.
210-8822, boulevard Langelier
Montréal (Québec) H1P 3H2
Et son procureur :
Me Rémi Bourget
Administrateur : La Garantie Qualité Habitation
9200, boul. Métropolitain Est
Anjou (Québec) H1K 4L2
Et son procureur :
Me François-Olivier Godin
Mandat
L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 15 novembre 2018.
Demande de récusation de l’Arbitre
[1] En date du 25 octobre 2018, le Bénéficiaire a porté en arbitrage la décision rendue le 27 septembre 2018 par l’Administrateur, sous la plume du conciliateur Yvan Gadbois.
[2] En date du 12 décembre 2018, les parties ont participé à une conférence téléphonique tenant lieu d’audience préliminaire.
[3] Lors de cette conférence, par souci de transparence, l’Arbitre a souligné, qu’ayant œuvré au sein du contentieux de l’APCHQ, elle a déjà travaillé avec monsieur Gadbois. Toutefois, elle a quitté ses fonctions il y a plus de cinq ans.
[4] Le procureur de l’Administrateur souligne que, en apprenant la nomination de l’Arbitre, monsieur Gadbois lui a mentionné avoir un malaise à procéder devant cette dernière. En conséquence, le procureur de l’Administrateur a demandé la récusation de l’Arbitre.
[5] L’Administrateur a été invité à préciser, par écrit, les motifs de sa demande. Les autres parties ont également été conviées à faire part de leurs commentaires relativement à la demande de récusation.
[6] Seul le procureur de l’Administrateur a transmis une correspondance à cet effet, qui se lit comme suit:
« Madame l’arbitre,
Tel que convenu lors de notre récente conversation téléphonique, le présent courriel vise à préciser notre demande de récusation.
À cet effet, l’administrateur expose éprouver un certain malaise à ce que vous présidiez l’audition d’arbitrage. Ce malaise découle du fait que, dès que le conciliateur au dossier, Monsieur Yvan Gadbois, a été informé que le dossier sera traité par vous, celui-ci a soulevé que « Maître Savoie est une bonne connaissance » en précisant son inconfort à devoir témoigner devant vous. Nous comprenons que de plus que Monsieur Gadbois et vous avez été anciennement des collègues de travail.
Dans ces circonstances, notre cliente estime préférable qu’un autre arbitre entende la cause. Notre cliente demande donc votre récusation à titre d’arbitre dans le cadre du présent dossier.
Nous comprenons que nos confrères vous soumettront leurs commentaires sur cette question, après quoi vous rendrez une décision.
Espérant le tout conforme, veuillez agréer, Madame l’arbitre, l’expression de nos sentiments les meilleurs.»
ANALYSE ET DÉCISION
[7] Afin de se prononcer sur cette question, la soussignée doit statuer conformément aux règles de droit[1].
[8] Les principes fondamentaux applicables à la récusation des décideurs sont les mêmes pour les juges et les arbitres.[2]
[9] En vertu de l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[3], « toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle ».
[10] Dans le même ordre d’idée, l’alinéa 3 de l’article 9 du Code de procédure civile (C.p.c.) prévoit que les tribunaux doivent être impartiaux.
[11] Les articles 201 à 205 C.p.c. établissent le cadre juridique de la récusation. Le décideur doit donc se récuser lorsqu’une des parties peut avoir des motifs sérieux de douter de son impartialité[4].
[12] L’article 202 C.p.c. énumère des situations pouvant être considérés comme des motifs sérieux permettant de douter de l’impartialité d’un juge et de justifier sa récusation soit :
« 1° le juge est le conjoint d’une partie ou de son avocat, ou lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l’une ou l’autre des parties ou de leurs avocats, jusqu’au quatrième degré inclusivement;
2° le juge est lui-même partie à une instance portant sur une question semblable à celle qu’il est appelé à décider;
3° le juge a déjà donné un conseil ou un avis sur le différend ou il en a précédemment connu comme arbitre ou médiateur;
4° le juge a agi comme représentant pour l’une des parties;
5° le juge est actionnaire ou dirigeant d’une personne morale ou membre d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique, partie au litige;
6° il existe un conflit grave entre le juge et l’une des parties ou son avocat ou des menaces ou des injures ont été exprimées entre eux pendant l’instance ou dans l’année qui a précédé la demande de récusation. »
[13] Le critère de la crainte raisonnable de partialité doit être analysé[5].
[14] Nous reprenons les propos de l’honorable Jacques Delisle de la Cour d’appel sur les principes relatifs à la notion de crainte de partialité[6] :
« Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc :
a) être raisonnable, en ce sens qu’il doit s’agir d’une crainte, à la fois, logique, c’est-à-dire qui s’infère de motifs sérieux, et objective, c’est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d’une crainte légère, frivole ou isolée;
b) provenir d’une personne :
1° sensée, non tatillonne, qui n’est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;
2° bien informée, parce que ayant étudié la question, à la fois, à fond et d’une façon réaliste, c’est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et
c) reposer sur des motifs sérieux; dans l’analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu’il y aura ou non enregistrement des débats et existence d’un droit d’appel. »
[15] La demande de récusation est donc un recours sérieux puisqu’il met en cause l’intégrité même de l’arbitre, mais également celle du processus arbitral[7].
[16] De plus, il existe une présomption d’impartialité du décideur et le fardeau de la preuve appartient à celui qui soulève la violation réelle ou appréhendée de l’obligation de partialité.[8]
[17] Dans la présente affaire, l’Administrateur invoque, au soutien de sa demande, un « certain malaise » et un « inconfort » de monsieur Gadbois à procéder devant l’Arbitre.
[18] En l’espèce, le Tribunal est d’opinion que l’Administrateur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve.
[19] L’Administrateur n’a pas prouvé de motifs sérieux amenant à la conclusion qu’il y ait une crainte d’impartialité de l’Arbitre.
[20] Le Tribunal est d’avis qu’un « certain malaise » ou un « inconfort » ne sont pas des motifs sérieux amenant à la récusation d’un arbitre.
Conclusions
[21] Après avoir pris connaissance de la correspondance de l’Administrateur, des commentaires formulés lors de la conférence téléphonique ainsi que de la compréhension du Règlement et de la jurisprudence connue, le Tribunal rend les conclusions suivantes :
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande de récusation formulée par l’Administrateur;
CONSERVE sa juridiction concernant la demande d’arbitrage formulée par le Bénéficiaire en date du 15 novembre 2018;
CONVOQUE les parties à une conférence téléphonique qui se tiendra le 2 avril 2019 à 10 h.
LE TOUT avec les frais à suivre.
Boucherville, le 19 décembre 2018
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Me Jacinthe Savoie
Arbitre / Soreconi
[1] Article 116 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (RLRQ c. B-1.1, r.8) (Règlement)
[2] Charlier c. Les constructions Tradition inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., GAMM, 12 juillet 2005, monsieur Claude Dupuis, arbitre; Luc CHAMBERLAND (dir.), Code de procédure civile- commentaires et annotations, Grand Collectif, vol. I, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 1100 (commentaires de Me Bernard Synott); Denis FERLAND et Benoit EMERY, Précis de procédure civile du Québec, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 603; Articles 201 à 205 et 226 C.p.c.
[3] RLRQ, c. C-12
[4] Article 201 C.p.c.
[5] Luc CHAMBERLAND, op.cit., p. 1099 (commentaires de Me Bernard Synnott)
[6] Droit de la famille - 1559, [1993] R.J.Q. 625 (C.A.), p. 633 et 634
[7] Gauthier c. Charlebois, EYB 2005-97717 (C.S), p. 11 à 15
[8] Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 91