_____________________________________________________________________
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec :
LA SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DE CONFLITS INC. (SORECONI)
_____________________________________________________________________
ENTRE : CLAUDE DION ENTREPRISE INC.
(ci-après désignée « l’Entrepreneur »)
SDC DU 2587-2593, BOUL. BASTIEN
(ci-après désigné « les Bénéficiaires »)
LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)
(ci-après désignée « l'Administrateur »)
No dossier SORECONI : 162511002
_____________________________________________________________________
DÉCISION ARBITRALE
_____________________________________________________________________
Arbitre : Me Luc Chamberland
Pour l’Entrepreneur : Me Alexandre Dufresne
Pour les Bénéficiaires : M. Jean-Philippe Roy
M. Simplice Djadja
Mme Renée-Maude Rioux
M. Jean Lapointe
Pour l'Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Dates de l'audition au fond : Les 3 et 4 mai 2017
|
Date de la décision : Le 1er juin 2017
|
Identification complète des parties
Arbitre : Me Luc Chamberland 79, boul. René-Lévesque Est, bureau 200 Québec (Québec) G1R 5N5
|
Entrepreneur : Claude Dion entreprise inc. 5100, rue des Tourterelles, bureau 250 Québec (Québec) G2J 1E4 Et son avocat : Me Alexandre Dufresne
|
Bénéficiaires : [...] : Jean-Philippe Roy, René-Pierre Roy, René Roy, Hélène Drouin [...] : Jean Lapointe, Claudia Pouliot [...] : René-Maude Rioux [...] : Simplice Djadja, Mêlé Abbey SDC du 2587-2593, boulevard Bastien Québec (Québec) G2B 1A8
|
Administrateur : Garantie de construction résidentielle (GCR) 7171, rue Jean-Talon Est, bureau 200 Anjou (Québec) H1M 3N2 Et son avocat : Me Pierre-Marc Boyer
|
DÉCISION ARBITRALE
[1] Les Bénéficiaires ont signé avec l’Entrepreneur des contrats de construction (E-3), des contrats préliminaires (E-2) et des contrats notariés (E-6) afin d’acquérir des maisons de ville en copropriété.
[2] Le 13 septembre 2016, les Bénéficiaires, Simplice Djadja et Jean-Philippe Roy complétaient le formulaire de réclamation, parties communes (A-6). Sur le seul point encore en litige, ils écrivaient :
- Nous croyons avoir été victimes de publicité trompeuse de la part de CDE, car la photo de l’extérieur de l’immeuble qui nous a été présentée et envoyée par courriel avant la signature du contrat de vente ne correspond pas au produit fini après livraison. Plus précisément les portes de garage, les poutres aux entrées de chaque unité sont supposées être en partie en brique au lieu d’être uniquement en tôle. Les délimitations entre les unités sont supposées être en brique. (voir photos annexées)
- Étant donné que la photo présentée par M. Baron, directeur des ventes chez CDE ne comportait pas la mention **Photos à titre indicatives** (sic), nous nous attendions à un résultat identique à la photo de vente. Tout ceci a largement influencé notre décision d’achat. C’est seulement après la livraison que CDE nous a informé (sic) que c’était à titre indicative (sic) et qu’elle n’accepte aucune réclamation à cet égard.
[3] Le 27 octobre 2016, l’Administrateur, M. Jocelyn Dubuc, T.P., rendait une décision accueillant la réclamation du syndicat sur le point encore en litige, le point 4. Il écrivait aux pages 8 et 9 :
Ainsi donc, l’administrateur est d’avis que la photo en question fait partie intégrante des contrats intervenus entre les copropriétaires et l’entrepreneur, raison pour laquelle ce dernier avait l’obligation de livrer le bâtiment tel que convenu.
Compte tenu des éléments de finition qui sont manquants (colonnes de maçonnerie et fenêtres pour portes de garage), l’administrateur considère que les travaux de finition extérieurs sont inachevés.
[4] Le 25 novembre 2016, l’Entrepreneur formulait une demande d’arbitrage contestant la décision de l’Administrateur. Le 14 décembre 2016, la Société pour la résolution des conflits inc. (SORECONI) nommait le soussigné à titre d’arbitre dans le présent dossier.
[5] Le 24 février 2017, le tribunal rendait une décision interlocutoire portant sur la communication de la preuve entre les parties.
[6] Dans un premier temps, je résumerai les principaux éléments de preuve pertinents présentés par les parties.
La preuve de l’Entrepreneur
[7] À l’époque des événements, M. Frédéric Audet travaillait pour l’Entrepreneur, Claude Dion Entreprise inc., depuis six ou sept années. À titre de directeur, il indique que la demande de permis pour la constitution d’un bâtiment assujetti à un Plan d’implantation et d’intégration architectural (PIIA) est beaucoup plus compliquée que les demandes usuelles.
[8] Une première esquisse est transmise à la Ville de Québec pour la demande de permis. Il affirme qu’il est de pratique courante de commencer les ventes sans avoir une esquisse finale approuvée par la Ville. Il ajoute que le client doit accepter l’esquisse finale.
[9] Le 23 décembre 2014, l’Entrepreneur formule la première demande de permis pour le bâtiment en litige (E-1). Le 8 janvier 2015, cette demande est refusée, notamment parce que le pourcentage de matériaux nobles n’atteint pas 75 %. La Ville cite, à titre d’exemples de matériaux nobles, la brique, la pierre, etc.
[10] Après avoir fait des corrections, la demande de permis est acceptée le 10 février 2015 (E-1). Le témoin précise que dès la première demande de permis le 23 décembre 2014, l’esquisse ne contenait ni colonnes de pierre ni fenêtres aux portes de garage de la façade.
[11] Le témoin déclare avoir dessiné la première esquisse en s’inspirant de la photo (A-6) d’un jumelé d’un compétiteur à Ste-Brigitte-de-Laval. Cette photo contenait des colonnes en brique et des fenêtres aux portes de garage.
[12] Il a rencontré la famille Roy (C-101) avant la signature des contrats. Il nie avoir présenté le projet comme des maisons de ville qui ne seraient pas en copropriété. Il maintient que la mention « à titre indicatif » accompagnait la photo sur le site web de l’entreprise.
[13] En contre-interrogatoire, le témoin reconnaît n’avoir jamais téléphoné ou écrit aux Bénéficiaires pour les informer que le bâtiment ne serait pas comme sur la photo. Il admet ne pas avoir fait une esquisse en trois dimensions, conforme à l’esquisse finale, parce que toutes les unités ont été vendues.
[14] M. Patrick Baron était directeur des ventes pour l’Entrepreneur depuis cinq années au moment des événements. Il nous dit que ces unités se sont vendues très rapidement.
[15] M. Baron a signé tous les contrats de construction (E-3) avec les Bénéficiaires à l’exception de l’unité C-102 signée par M. Frédéric Audet. Il a aussi signé tous les contrats préliminaires (E-2) avec les Bénéficiaires.
[16] Il témoigne à l’effet qu’il a signé les contrats préliminaires (E-2) simultanément avec l’approbation des plans du bâtiment (E-4). Ces plans ne contiennent ni colonnes en brique ni fenêtres aux portes de garage de la façade. M. Baron discute avec les Bénéficiaires des modifications qu’ils peuvent obtenir concernant l’intérieur des unités. Aucun des Bénéficiaires n’a posé ses initiales sur le plan de la façade du bâtiment, sauf pour l’unité C-102. Toutefois, des extras sont mentionnés sur cette page.
[17] M. Baron affirme que pour vendre les unités, il se sert de la photo (A-6) c’est la « seule chose qu’on avait ». Cependant, pour la vente de l’unité C-102 à M. Jean Lapointe, il avait le plan (E-8). Il déclare que l’inscription « Plan invalide pour la vente et la publication » était inscrite sur le plan. Je souligne que des colonnes de brique étaient présentes sur le plan (E-8).
[18] En contre-interrogatoire, le témoin admet que les Bénéficiaires n’ont jamais vu le plan final avant de signer les contrats de construction (E-3). Il ne se souvient pas si le plan E-8 a été montré à M. Djadja. Il reconnaît ne pas avoir informé directement les Bénéficiaires qu’il n’y aurait pas de colonnes de brique ou de fenêtres aux portes de garage.
[19] M. Richard Latulippe est directeur du service après-vente depuis 2010. Il corrobore principalement le témoignage de Patrick Baron concernant la signature des contrats préliminaires (E-2) et « l’approbation des plans » (E-4) par les Bénéficiaires. Il ne peut fournir d’explications sur la raison pour laquelle un seul plan (E-4, C-102) porte les initiales des Bénéficiaires sur la page montrant la façade du bâtiment.
[20] M. Latulippe a procédé à la signature de tous les formulaires d’inspection préréception, partie privative (E-5), à l’exception de celui pour l’unité C-104 qui a été signé par son adjointe, Sylvie Larouche, pour l’Entrepreneur.
[21] Il admet ne pas avoir informé directement les Bénéficiaires qu’il n’y aurait pas de colonnes de brique ou de fenêtres aux portes du garage.
[22] Frédéric Audet a témoigné une seconde fois devant l’arbitre. Il explique que le plan E-8 a été confectionné avant le plan E-9 avec son application « Photoshop ». Seul le plan E-9 a été transmis à la Ville.
[23] Il nous explique qu’au début du projet, il y a eu une rencontre avec le copropriétaire, M. Barré avec le plan E-8. C’est à ce moment que M. Barré a demandé d’éliminer les colonnes de brique. Je souligne que tant sur le plan E-8 que E-9, aucune fenêtre n’apparaît aux portes du garage.
[24] Il nous dit que c’est lui qui a placé l’inscription « Plan invalide pour la vente et la publication » pour « être sûr que les vendeurs ne se trompent pas ».
[25] En contre-interrogatoire, le témoin ne se souvient pas s’il a remis le plan E-8 à des Bénéficiaires.
La preuve des Bénéficiaires
[26] M. Jean Lapointe témoigne que lui et sa conjointe désiraient acheter une maison. Il a vu la photo (A-6) sur le site web des courtiers (Centris). Il a remarqué que la photo contenait le logo de l’Entrepreneur constitué d’un petit castor. Il n’a jamais vu la mention que la photo était à titre indicatif.
[27] Le 3 ou 4 décembre 2014, il a rencontré M. Patrick Baron. Il affirme catégoriquement que le plan E-8 ne contenait aucune inscription sur son caractère invalide. Le lendemain de son témoignage, M. Lapointe a produit le plan B-1 que M. Baron lui a remis, lequel ne porte aucune inscription. L’arbitre remarque que le plan B-1 contient des colonnes en brique, mais qu’il n’y a pas de fenêtres aux portes de garage.
[28] M. Lapointe affirme avoir demandé aux représentants de l’Entrepreneur ce qui pouvait changer sur le plan. On lui aurait répondu que cela dépend des approbations de la Ville, que de petits détails peuvent changer comme la couleur.
[29] Plus particulièrement lors de la rencontre avec M. Latulippe le 18 février 2015, il lui a demandé pourquoi les colonnes de brique n’étaient plus présentes sur les plans E-4. M. Latulippe lui aurait répondu que cela peut arriver avec les approbations de la Ville. En état de panique, il lui souligne que ce n’est plus le même modèle de bâtiment. Il lui répond de ne pas s’en faire, car ce ne sont pas des plans officiels.
[30] Lors de cette rencontre, on l’informe que celle-ci a pour but d’approuver les changements à l’intérieur des unités et non pour l’extérieur. C’est la raison pour laquelle ils ont mis leurs initiales sur les plans (E-4).
[31] Le 26 février 2015, lors de la livraison du bâtiment et de la signature du formulaire d’inscription préréception, partie privative (E-5), la bâtisse n’est pas encore terminée. Il demande à M. Latulippe s’il va y avoir des colonnes de brique sur la façade; ce dernier lui répond qu’il n’y en avait pas sur les plans (E-4). Il ajoute que les plans ne sont pas officiels et qu’il est présent sur les lieux pour l’intérieur. Il lui demande de communiquer avec lui lorsque les travaux seront terminés.
[32] À une question de l’avocat de l’Administrateur, il déclare qu’on ne lui a « jamais dit que cela ne changerait pas, on n’a pas fermé la porte ». M. Lapointe n’a pas été contre interrogé.
[33] Mme René-Maude Rioux témoigne qu’elle a vu la photo du bâtiment (A-6) sans la mention à titre indicatif. Elle déclare que lorsqu’elle a acheté, elle n’était pas préoccupée par les colonnes extérieures sur les pans (E-4), c’était surtout l’intérieur qui l’intéressait.
[34] En contre-interrogatoire, le témoin confirme avoir écrit un résumé de témoignage (B-8) et qu’il n’y avait ni colonnes de brique ni fenêtres aux portes de garage sur ses plans.
[35] M. Simplice Djadja témoigne de sa rencontre avec Patrick Baron le 16 février 2015 lors de la signature du contrat de construction (E-3) en présence de sa conjointe. Il voit la photo du bâtiment sur l’écran de l’ordinateur de M. Baron. Il lui demande de lui transmettre par courriel (B-2). La photo transmise est identique à celle de la pièce (A-6).
[36] Il déclare avoir signé le contrat de construction (E-3) en se fiant à la photo (B-2), laquelle ne portait pas, selon lui, de mention « à titre indicatif ». Il affirme n’avoir jamais vu les plans avant de signer le 16 février 2015.
[37] Lors de la livraison de l’unité le 6 juillet 2015, il affirme que la représentante de l’Entrepreneur, Sylvie Larouche, à l’item « Extérieur » n’a coché aucune case et elle a inscrit « Parties communes », tel qu’il appert du document (E-5). Celle-ci lui a alors expliqué qu’il s’agissait de partie commune qui devait faire l’objet d’une inspection par un professionnel du bâtiment engagé par le syndicat de copropriété. Le copropriétaire de l’Entrepreneur, M. Claude Dion, lui aurait aussi donné une réponse semblable.
[38] Le 14 juillet 2015, soit huit jours plus tard, M. Djadja adresse le courriel suivant à M. Patrick Baron (B-3) :
Bonjour M. Baron,
Lors de la livraison de notre unité, j’ai remarqué que les deux piliers à l’entrée n’étaient pas conformes à la photo que vous nous aviez présenté (sic).
À la question de savoir si les pierres vont être ajoutées ou pas, Sylvie m’a suggérée (sic) d’en discuter directement avec vous.
Pourriez-vous SVP me clarifier la situation?
[39] Le 24 mai 2016, le témoin relate que lors de l’inspection des parties communes (A-6) avec Mme Nancy Nantel, T.P., engagée par le syndicat, l’Entrepreneur était absent de la visite. Il lui était donc difficile de lui faire part de ses doléances concernant l’absence de colonnes de brique.
[40] En contre-interrogatoire, il indique avoir vu les plans E-4 pour la première fois avec M. Latulippe. Ce dernier lui aurait dit que l’extérieur ne peut faire l’objet de discussion, en l’absence des autres copropriétaires. La rencontre devait porter sur l’intérieur des unités.
[41] M. Jean Philippe Roy témoigne qu’il travaille dans l’« image » et que l’aspect extérieur d’un bâtiment est important pour lui. Il a acheté la maison de ville en se fondant sur la photo A-6. Il ajoute qu’il n’a pas observé de mention « à titre indicatif ». Il a visité, avec son frère, le jumelé à Ste-Brigitte-de-Laval.
[42] Le 29 janvier 2015, lors de la rencontre avec Férédric Audet pour la signature des contrats de construction (E-3), ce dernier lui aurait confirmé que son unité serait « comme sur la photo ».
[43] À l’aide des documents B-5 à B-7, le témoin explique qu’il croyait acheter une maison de ville qui n’était pas en copropriété, c’est pourquoi la mention « annulée » apparaît au document B-7. Il ne voulait pas « être en copropriété » et des discussions sont intervenues avec le propriétaire, M. Drouin. Il soutient qu’à la suite des menaces de procédures judiciaires, il a dû accepter d’acheter son unité en copropriété (E-2).
[44] Le 8 juillet 2015, lors de la signature du formulaire d’inspection, préréception, partie privative (E-5), il dit ne pas avoir remarqué l’absence de colonnes de brique sur la façade qui n’était pas encore terminée. Il était alors davantage préoccupé par le nivellement du terrain.
[45] Le 10 juillet 2015, il revient sur les lieux et remarque l’absence de colonnes de brique et de fenêtres aux portes du garage. Il écrit un courriel, le même jour, à M. Richard Latulippe :
2. Nous avons aussi remarqué une grosse différence dans les photos de la devanture proposée lors de la vente de la maison et celle délivrée mercredi; voir les photos en pièces jointes.
Quand nous avons acheté sur plan, c’est ce qu,il (sic) nous avait été proposé et vendu,
Alors j’imagine que les modifications seront faites aussi comme la sortie d’eau extérieure!!
[46] En contre-interrogatoire, le témoin a reconnu que la rencontre avec les plans E-4 portait sur l’intérieur et non l’extérieur de leur unité.
[47] Mme Hélène Drouin, la mère de Jean-Philippe Roy, témoigne avoir été présente lors de la rencontre du 29 janvier 2015 pour la signature du contrat de construction (E-3). À cette occasion, Patrick Baron lui montre la photo (A-6) et l’informe qu’il n’y aura pas de changement, sauf que la couleur pourrait être plus foncée ou plus pâle.
La preuve de l’Administrateur
[48] M. Jocelyn Dubuc témoigne, principalement, sur la décision qu’il a rendue le 27 octobre 2016 (A-14) et il ajoute que celle-ci serait identique, s’il avait entendu toute la preuve présentée devant le tribunal.
Contre-preuve de l’Entrepreneur
[49] M. Fédéric Audet témoigne, principalement, sur le fait que le plan B-1 a été reçu du courtier du compétiteur le 7 août 2014, tel qu’il appert du courriel (E-11). Il lui aurait retourné le plan avec la mention invalide le 3 octobre 2014 (E-12).
[50] Richard Latulippe reprend l’essentiel du témoignage qu’il avait déjà fait et ajoute qu’il n’avait pas tous ses documents lorsqu’il a rencontré l’Administrateur.
Le droit
[51] Les dispositions plus pertinentes du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ c B-1.1, r 8 (ci-après le « Règlement »), se lisent comme suit :
CONTENU DE LA GARANTIE
7. Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévues par la présente section.
[…]
I. Couverture de la garantie
25. Pour l’application de la présente sous-section, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par:
[…]
«parachèvement des travaux»: le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment et prévus au contrat original conclu entre le bénéficiaire et l’entrepreneur et celui des travaux supplémentaires convenus par écrit entre les parties;
[…]
«réception des parties communes»: l’acte dont copie a été transmise à chaque bénéficiaire connu, au syndicat et à l’entrepreneur, par lequel un professionnel du bâtiment choisi par le syndicat de copropriétaires déclare la date de la fin des travaux des parties communes sous réserve, le cas échéant, de menus travaux à parachever qu’il indique. Cette déclaration s’effectue à la suite de la réception d’un avis de fin des travaux expédié par l’entrepreneur à chaque bénéficiaire connu et au syndicat de copropriétaires, lorsque celui-ci est formé et qu’il n’est plus sous le contrôle de l’entrepreneur. La réception et cette déclaration se font à la fin des travaux de chacun des bâtiments qui font l’objet d’une copropriété par phases.
[…]
27. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
1° le parachèvement des travaux dénoncés, par écrit:
a) par le bénéficiaire, au moment de la réception de la partie privative ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;
b) par le professionnel du bâtiment, au moment de la réception des parties communes. Pour la mise en oeuvre de la garantie de parachèvement des travaux du bâtiment, le bénéficiaire transmet par écrit sa réclamation à l’entrepreneur et en transmet copie à l’administrateur dans un délai raisonnable suivant la date de fin des travaux convenue lors de la réception;
[…]
33. Chaque partie privative visée par la garantie doit être inspectée avant la réception. Cette inspection doit être effectuée conjointement par l’entrepreneur et le bénéficiaire à partir d’une liste préétablie d’éléments à vérifier fournie par l’administrateur. Le bénéficiaire peut être assisté par une personne de son choix.
S’il n’y a pas de bénéficiaire connu lors de la fin des travaux d’une partie privative, l’inspection de cette partie privative doit être différée.
Les parties communes visées par la garantie doivent être inspectées avant leur réception. Cette inspection doit être effectuée conjointement par l’entrepreneur, le professionnel du bâtiment choisi par le syndicat de copropriétaires et ce dernier à partir d’une liste préétablie d’éléments à vérifier fournie par l’administrateur.
[…]
35.1. Le non-respect d’un délai de recours ou de mise en œuvre de la garantie par le bénéficiaire ne peut lui être opposé lorsque l’entrepreneur ou l’administrateur manque à ses obligations prévues aux articles 33, 33.1, 34, 66, 69.1,132 à 137 et aux paragraphes 12, 13, 14 et 18 de l’annexe II, à moins que ces derniers ne démontrent que ce manquement n’a eu aucune incidence sur le non-respect du délai ou, à moins que le délai de recours ou de mise en œuvre de la garantie ne soit échu depuis plus d’un an.
Le non-respect d’un délai ne peut non plus être opposé au bénéficiaire, lorsque les circonstances permettent d’établir que le bénéficiaire a été amené à outrepasser ce délai suite aux représentations de l’entrepreneur ou de l’administrateur.
[nos soulignés]
[52] Le Code civil du Québec prévoit :
Art. 2100. L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu’ils sont tenus au résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure.
[nos soulignés]
L’analyse et les motifs
[53] Quelle est la portée du contrat original conclu entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur? La preuve n’est pas contredite à l’effet que tous les Bénéficiaires ont acheté leur unité en se fondant sur la photo A-6 avec le logo de l’Entrepreneur. Seul Jean-Lapointe a eu en sa possession le plan B-1 sans la mention invalide (plan avec colonnes, mais sans les fenêtres aux portes du garage). Tous les Bénéficiaires ont d’abord signé le contrat de construction (E-3) sans voir les plans de leur unité. Ce n’est qu’au moment de la signature du second contrat, soit le contrat préliminaire (E-2), que les représentants de l’Entrepreneur ont montré les plans (E-4) de leur unité aux Bénéficiaires.
[54] Le tribunal est d’avis que ces circonstances démontrent que la photo A-6 faisait donc partie du contrat original conclu avec les Bénéficiaires. L’arbitre, comme toute personne, est à même de constater les deux grandes différences entre la photo A-6 et celle du bâtiment final (A-6, en bas) ou avec les plans (E-4). L’absence des colonnes de brique et des fenêtres aux portes du garage confère au bâtiment un aspect plus ordinaire, plus simple. Même si les goûts ne se discutent pas, je suis d’avis que la richesse des ornementations contribuait à la beauté du bâtiment que voulaient acheter les Bénéficiaires.
[55] L’avocat de l’Entrepreneur a plaidé un grand nombre d’arguments, le tribunal disposera des principaux. Ce dernier soutient que l’Entrepreneur ne s’est jamais engagé à vendre un bâtiment conforme à la photo (A-6) pour plusieurs raisons. Il souligne que la photo (A-6) est celle d’un jumelé et les Bénéficiaires ont acheté un quadruplex. Il explique que la demande d’un permis à la Ville, assujettie à un PIIA, est évolutive et que des changements importants peuvent être apportés par les autorités municipales.
[56] Le tribunal en convient, mais Frédéric Audet a admis que la première esquisse comme tous les plans soumis à la Ville n’ont jamais comporté des colonnes de brique et des fenêtres aux portes du garage. C’est le copropriétaire, M. Barré, qui lui a demandé, dès le début, de retirer ces éléments.
[57] L’arbitre est d’opinion qu’il aurait été très simple pour les représentants de l’Entrepreneur d’informer les Bénéficiaires que leur unité ne comprendrait jamais de colonnes de brique et de fenêtres aux portes de garage.
[58] La preuve révèle clairement que l’Entrepreneur n’a jamais informé directement et clairement les Bénéficiaires que les deux éléments précités ne feraient pas partie de la façade de leur bâtiment. À l’exception de Mme Rioux, tous les autres Bénéficiaires se sont fait dire que l’approbation des plans portait principalement sur l’intérieur, que les plans n’étaient pas encore « officiels ».
[59] Dans la mesure où il s’agit de partie commune et que chaque Bénéficiaire a le droit d’avoir la façade pour laquelle il a donné son consentement, il appartenait à l’Entrepreneur de démontrer que tous les Bénéficiaires ou le syndicat de copropriété avaient accepté, en toute connaissance de cause, une façade différente de celle apparaissant à la photo A-6.
[60] Le procureur de l’Entrepreneur invoque le libellé des contrats E-2, E-3 et E-6. Pour le contrat de construction E-3, il est vrai que les paragraphes 14 et 39 sont conditionnels à l’acception des plans et devis. Cependant, à ce moment, les Bénéficiaires n’ont pas encore pu voir les plans et devis. Quant au paragraphe 17, la simple mention « aucun » à l’item colonne extérieure nous semble trop vague et générale pour être concluante. Il aurait été très facile d’indiquer à ce contrat que les deux éléments apparaissant à la photo A-6 ne faisaient plus partie de la façade.
[61] Au surplus, la preuve ne démontre pas que les plans ont été formellement acceptés ou ratifiés par les Bénéficiaires. Seuls les plans de l’unité C-102 (E-4) portent les initiales des Bénéficiaires, Jean Lapointe et Claudia Pouliot.
[62] Les contrats préliminaires (E-2) ayant été signés en même temps que les plans (E-4) étaient montrés aux Bénéficiaires, il aurait été facile d’indiquer, au contrat, les deux éléments manquants. Même en prenant pour acquis que le contrat est complet, le point B de la page 1 énonce que les initiales des parties devraient apparaître sur les plans, ce qui n’est pas le cas pour la majorité des Bénéficiaires.
[63] Quant aux contrats notariés (E-6) signés par les Bénéficiaires, portant la mention que la vente est faite en exécution de l’avant-contrat (E-3) et que l’immeuble est pris dans l’état où il se trouve, selon moi, cela ne constitue pas une ratification ou une renonciation suffisante. De plus, on doit garder à l’esprit que le Règlement est d’ordre public. Celui-ci contient plusieurs dispositions à cet effet, le tribunal ne mentionnera que l’art. 140 qui édicte qu’un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère le Règlement.
[64] L’objet et le but du Règlement cherchent à garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur résultant d’un contrat de vente ou de construction d’un bâtiment résidentiel neuf (art. 2). Il vise, en outre, à protéger l’acheteur et à inciter les entrepreneurs à construire des bâtiments neufs de qualité.
[65] L’article 2100 du C.c.Q. impose à l’entrepreneur l’obligation d’agir au mieux des intérêts du client et de s’assurer que l’ouvrage réalisé est conforme au contrat. Cela implique qu’il assume complètement son rôle d’information auprès du client et qu’il évite de se placer en situation de conflit entre ses propres intérêts et ceux de son client.
[66] Dans Plaisirs gastronomiques inc. c. Canards du lac Brome ltée[1], la Cour supérieure écrit :
Dans Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec la Cour supérieure écrit :
« [460] Quant aux règles du contrat d’entreprise ou de service, l’article 2100 prévoit que «l’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence».
[461] Cette règle est très importante et même fondamentale. Le Pr Karim indique qu’elle est même d’ordre public, du moins quand il s’agit de la protection du client (p. 42).
[462] Il écrit : " Les intérêts du client se résument aux revendications expressément stipulées au contrat et aux efforts déployés en vue du résultat escompté " (p. 43). C’est ainsi que l’entrepreneur doit choisir " des moyens et des méthodes d’exécution conformes aux usages et aux règles de l’art, et ce, en considération de la nature de l’ouvrage à exécuter " (art. 2100 C.c.Q. ; Karim, précité, p.42). Le Pr Karim donne d’autres exemples :
" À titre d’exemple, l’entrepreneur et le prestataire de services doivent, lors de la préparation ou de la révision d’un calendrier, placer les intérêts du client avant les leurs, et éviter les conflits d’intérêt. Ils sont tenus, en tout temps, d’informer le client des coûts supplémentaires et de l’aviser des conséquences possibles découlant du choix d’un mode d’exécution, après avoir pris note des particularités de l’ouvrage. Au cours de l’exécution de l’ouvrage, ils doivent s’assurer de la surveillance et de la sécurité des lieux contre le vol ou les risques de vol.
De plus, l’intérêt du client ne sera pas servi en cas de fausses représentations faites par l’entrepreneur ou le prestataire de services. Ils doivent lui communiquer toute l’information susceptible de l’intéresser en rapport avec l’ouvrage à réaliser ou des prestations de services à fournir. Ainsi, en faisant le suivi des divers dossiers relatifs à l’ouvrage, ils doivent informer le client de toute évolution ou développement qui se produit sur le chantier. " (Karim, précité, pp. 43 et 44)
[463] Le Tribunal n’a aucun doute qu’«agir au mieux des intérêts du client», c’est, entre autres, pour l’entrepreneur, assumer pleinement son rôle de conseil et d’information auprès du client et éviter de se placer dans une situation de conflit entre ses propres intérêts et ceux de son client. L’entrepreneur est normalement le mieux placé pour juger des prix des sous-traitants et être critique de ces prix. Il est aussi le mieux placé pour vérifier la productivité, le nombre d’heures et d’hommes qu’il faut pour réaliser un travail, connaître les règles et usages dans l’industrie de la construction et s’assurer qu’ils soient appliqués, indiquer au maître de l’ouvrage ce qui est correct et ce qui ne l’est pas, etc. Ce rôle peut être quelque peu atténué dans un cas, comme ici, où le maître de l’ouvrage est assisté et représenté par des professionnels de haut niveau, qualifiés et nombreux, du moins à l’égard de certaines facettes des devoirs et responsabilités de l'entrepreneur. Mais ceux-ci ne disparaissent pas alors pour autant, tout comme l’article 2100 C.c.Q. ne cesse pas dès lors de s’appliquer.
[464] La Cour suprême a par ailleurs reconnu que nonobstant que les règles spécifiques du mandat ou que d’autres règles du Code civil soient applicables, l’obligation d’agir avec honnêteté et bonne foi dans l’exécution des contrats est toujours valable et applicable.
[465] Dans Hodgkinson c. Simms, 1994 CanLII 70 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 377, la Cour suprême parle des " obligations fondamentales immanentes " qui peuvent exister dans une relation contractuelle (p. 395).
[les caractères gras sont du juge]
[67] En l’espèce, l’arbitre est d’avis que cette information importante concernant la façade devait être communiquée clairement aux Bénéficiaires, même si cela pouvait impliquer que des ventes pourraient être annulées.
[68] La signature du formulaire d’inspection préréception, partie privative (E-5) par les Bénéficiaires, n’est d’aucun secours à l’Entrepreneur. En effet, comme son titre l’indique, ce formulaire ne porte pas sur les parties communes. De plus, les articles 25, 27 et 33 du Règlement prévoient que la réception des parties communes ne se fait pas par les bénéficiaires, mais par un « professionnel du bâtiment » désigné par le syndicat des copropriétaires.
[69] Enfin, à titre de dernier argument, on plaide au tribunal que le délai de dénonciation tant par les Bénéficiaires que par le professionnel du bâtiment (A-16) est tardif et n’a pas été fait dans un délai raisonnable.
[70] Il n’a pas été contesté que le litige porte sur des parties communes. Or, l’art. 35.1 du Règlement prévoit que le non-respect d’un délai ne peut être apposé au bénéficiaire lorsque l’entrepreneur manque à ses obligations, notamment celle prévue à l’art. 33. Or, cette dernière disposition prévoit expressément que l’inspection doit être faite conjointement avec l’entrepreneur et le professionnel du bâtiment (voir la pièce A-6 et l’espace permettant la signature de l’entrepreneur au formulaire obligatoire). L’Entrepreneur n’était pas présent lors de cette inspection.
[71] En terminant, l’arbitre partage l’opinion de l’avocat de l’Administrateur selon laquelle le Règlement vise à protéger les acheteurs dans un contexte où l’on veut rétablir un équilibre entre les constructeurs professionnels et les acheteurs qui ne possèdent habituellement pas le même niveau de connaissances ou d’expérience en la matière. Bon nombre d’acheteurs acquièrent une première résidence, laquelle constitue habituellement le plus gros investissement qu’ils auront fait au cours de leur vie. En somme, on recherche à rétablir un déséquilibre informationnel en cette matière.
[72] En donnant gain de cause aux Bénéficiaires, l’arbitre est bien conscient que l’ajout des colonnes de brique et des fenêtres au garage de la façade pourrait être refusé par la Ville dans le cadre du PIIA. Toutefois, il ne peut s’agit d’un motif suffisant pour ne pas faire droit à la demande de parachever les travaux. D’autant plus que lors du premier refus de permis (A-1), la Ville exigeait davantage de matériaux nobles, comme la brique, pour accepter la demande de permis.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[73] REJETTE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur;
[74] CONFIRME la décision de l’Administrateur du 27 octobre 2016;
[75] ORDONNE à l’Entrepreneur de prendre toutes les dispositions, y compris les demandes de permis, le cas échéant, pour parachever les travaux, plus particulièrement en ajoutant des colonnes de brique à la façade et remplacer les portes de garage par des portes avec des fenêtres, conformément à la photo (A-6);
[76] RÉSERVE à la Garantie de construction résidentielle (GCR) ses droits à être indemnisée par l’Entrepreneur, pour tous les travaux, toute(s) action(s) et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieu et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement;
[77] LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage à la charge de la Garantie de construction résidentielle (GCR) conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal, majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
Québec, le 1er juin 2017
____________________________________
Luc Chamberland, avocat
Arbitre / Société pour la Résolution de Conflits inc. (SORECONI)
[1]. 2013 QCCS 5832, par 54 ss. Voir aussi Développement Tanaka inc. c. Corporation d'hébergement du Québec, 2009 QCCS 3659 (CanLII) (Jean-Pierre Sénéchal, j.c.s.) (appel rejeté : 2011 QCCA 730 (CanLII)).