Arbitrage en vertu du règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs
No de dossier : Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC) S06-0702-NP
ENTRE : Francis Plourde et Raymond Labrecque
ci-après « les bénéficiaires »
ET Les habitations M. G, inc
ci-après « l’entrepreneur »
ET La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ
Ci-après « l’administrateur »
Arbitre : Me Jean Moisan
Pour les bénéficiaires M. Francis Plourde
Pour l’administrateur Me Stéphane Paquette
Pour l’entrepreneur M. Marcel Gilbert
Étapes importantes du dossier
Contrat préliminaire de construction 20 mai 2005
Fin des travaux et réception du bâtiment 26 août 2005
Plainte concernant l’implantation du bâtiment 22 février 2006
Autres plaintes mai, juillet, septembre 2006
Première décision de l’administrateur 19 juin 2006
Première demande d’arbitrage 19 juillet 2006
Date d’audition 24 et 25 novembre 2008
Lien d’audition Lévis
Demande des bénéficiaires (frais d’expertise) 27 novembre
Remarques écrites des parties 5 et 8 décembre
Sentence arbitrale
Bref historique du dossier
1 La première demande d’arbitrage a été confiée à M Claude Desmeules à la fin de juillet 2006
Elle a été ajournée sine die vu les demandes subséquentes ajoutant des plaintes au dossier.
L’arbitre Desmeules est décédé en février 2008 sans avoir pu fixer une date pour l’audition au fond du litige, le dossier n’étant pas encore en état.
Le 27 février 2008, le soussigné a été désigné en remplacement.
Tout au long de son cheminement, le dossier a été ponctué de demandes additionnelles d’inspection qui ont occasionné de nombreuses visites des lieux et plusieurs décisions de l’administrateur.
Remarques préliminaires
2 Aucune objection préliminaire n’a été soulevée devant l’arbitre. Les objections du procureur de l’administrateur ont porté sur le retard à porter plainte ou sur le défaut de porter en arbitrage certaines des décisions de l’administrateur. Si nécessaire l’arbitre en disposera dans cette sentence.
3 Les intéressés, les experts et l’arbitre ont effectué une visite de la maison située au 2785, rue des Ursulines, Lévis, avant de procéder dans un autre lieu à l’audition au fond.
4 L’arbitre rappelle qu’il a compétence exclusive et que sa décision lie les parties, et qu’elle est finale et sans appel[1]. Il doit statuer « conformément aux règles de droit », et il fait appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient[2].
5 Le nombre de sujets de plaintes qui ont été soumises à l’administrateur est considérable. Il a rendu pas moins de dix décisions après de très nombreuses visites des lieux.
6 À la demande de l’arbitre, le procureur des bénéficiaires, puis les bénéficiaires eux-mêmes, ont dressé des listes des griefs demeurant en litige et sur lesquels l’arbitre devrait se prononcer.
7 L’un d’entre eux, portant sur niveau d’implantation du bâtiment, est le plus important et il a fait l’objet de presque toute l’audition. Les autres ont aussi fait l’objet de discussion, de report, de suspension ou de règlement.
La preuve
8 Lorsque les bénéficiaires ont signé leur contrat de construction avec l’entrepreneur, la rue des Ursulines où était situé le terrain choisi était en développement. Les terrains immédiatement voisins n’étaient pas encore construits. Le deuxième terrain, à droite[3] du terrain des bénéficiaires, montrait une fondation mais pas encore de construction.
9 À l’endroit de la construction projetée, la rue des Ursulines est en pente descendante assez prononcée. Les terrains bordant la rue du même côté sont aussi en pente prononcées de l’arrière vers l’avant. Il s’agit donc d’un site qui présente une configuration particulière.
10 Les bénéficiaires déclarent avoir fait visiter le terrain à l’entrepreneur et avoir obtenu l’assurance que le modèle de maison choisi pouvait s’implanter sur un tel terrain.
11 Personne devant l’arbitre n’a dit que la maison devait avoir une fondation élevée, plaçant la maison quelques pieds au-dessus du sol environnant, avec escalier conduisant du sol à la porte d’entrée. Au contraire on a choisi une implantation qui situe à maison près du sol avec un escalier massif de béton de quatre marches construit en même temps que la maison. Aucune plainte n’a été logée à l’effet qu.il y avait erreur de conception ou de construction en rapport avec la demande d’une maison sise à un niveau rapproché du sol et non à quelques pieds au dessus.
12 Le 15 mai 2006, soit environ 10 mois après la réception, l’ingénieur Lacombe a précédé à une inspection complète de la maison. En annexe à son rapport[4] il a produit un abondant jeu de photographies. À la page 1 de 8 de ce jeu on voit plusieurs photos de la maison sous différents angles et à différentes distances. Il est frappant de constater que la maison, qui est alors seule dans l’environnement immédiat, ne paraît pas incorrectement implantée quant à sa hauteur.
13 Les maisons immédiatement voisines ont été construites à l’été 2006 comme on peut le constater aux photos annexées à l’expertise de l’architecte Nolet, celle de droite étant en état d’avancement un peu plus accentué que celle de gauche.
14 Il paraît évident que ces voisins n’ont pas tenu compte du principe que leur immeuble devait s’harmoniser avec l’environnement, entre autre de façon à former un décalage en escalier avec celle des bénéficiaires. L’explication de l’entrepreneur nous paraît plausible. Il s’agissait dans les deux cas d’auto-constructeurs qui ont choisi par économie de se construire sur le tuf du terrain au lieu de creuser en profondeur.
15 Quoi qu’il en soit de la valeur de cette hypothèse, l’architecte Nolet nous dit que ce choix lui paraissait légal, puisque les villes règlementent rarement la hauteur des fondations des bâtiments, se contentant d’en fixer la distance par rapport à la rue. M. Plourde confirme cette affirmation, ayant demandé à la Ville d’examiner la situation et avoir été informé qu’aucune réglementation municipale ne concernait l’implantation comme telle des bâtiments.
16 Le résultat net de la situation est évident : par rapport à son voisinage immédiat, la maison des bénéficiaires paraît enfoncée, « dans un trou » selon l’expression de l’architecte Nolet.
17 Au début des travaux, l’entrepreneur ne pouvait savoir à quel niveau les éventuels voisins construiraient ou feraient construire leurs propres résidences. Eut-il connu ce fait futur qu’on pourrait peut-être le tenir responsable de quelque chose en rapport avec le niveau d’implantation. Il était fondé à présumer que les voisins implanteraient leurs résidences en tenant compte de celle qui existait et à des niveaux compatibles et acceptables.
18 Le code du bâtiment exige que le dégagement entre le sol tel qu’il sera au final et le dessus du mur de fondation et du revêtement extérieur soit d’au moins 8 pouces. L’expert Serge Pelletier a déposé un rapport et a témoigné devant l’arbitre. Il en ressort clairement que l’exigence du Code du bâtiment[5] n’est pas respectée. Tout au long de la devanture de la maison, le niveau du sol se situe presque au niveau de la première planche du revêtement de Canaxel qui, elle, est presque au niveau du sommet de la fondation.
19 C’est dire que le niveau du terrain au moment de la livraison aurait dû être d’au moins 16 pouces inférieur au sommet de la fondation et du revêtement. En effet il est en preuve que l’aménagement du terrain (gazonnement, etc) est en moyenne de huit pouces, ce qui laisse un dégagement de huit pouces additionnels.
19 L’entrepreneur soumet que ce sont les bénéficiaires qui ont fait ou fait faire du remplissage à cet endroit, ce qui a exhaussé le sol au niveau montré sur les photos et constaté lors de notre visite des lieux. Les bénéficiaires nient. Ils ont fait apporté sur le terrain un demi voyage de concassé pour combler une dénivellation en face de l’escalier. Tout au plus ont-ils étendu un peu de concassé ailleurs sur la devanture pour égaliser un peu le terrain.
20 Pour ajouter foi au témoignage de l’entrepreneur, il faudrait que le terrain ait eu une dénivellation d’au moins 16 pouces au moment de la livraison fin août 2005. Il aurait fallu qu’ensuite les bénéficiaires effectuent un important et couteux terrassement pour que le terrain tel que nous l’avons vu soit aussi proche du sommet de la fondation. L’arbitre conclut qu’au moment de la livraison le terrain était à quelques détails près dans l’état où nous l’avons vu.
21 Pour parer aux inconvénients résultant de la situation et pour se conformer aux exigences du Code du bâtiment, les bénéficiaires demandent que la fondation de la maison soit exhaussée de 30 pouces et produisent une soumission de plus de 54 000 $ pour la réalisation du travail.
22 L’administrateur a de son côté présenté une expertise de l’ingénieure Véronique Roberge qui suggère plutôt le creusage du sol devant la maison pour l’abaisser au niveau requis par le Code, et un aménagement du bassin versant du terrain, de manière à diriger et éloigner les eaux de ruissellement du périmètre de la maison et les diriger vers la rue. Son rapport contient les indications précises et pertinentes à cet effet, ainsi qu’un plan de l’aménagement extérieur proposé.
23 Elle assure que si les travaux sont réalisés exactement selon ses indications et son plan, les bénéficiaires n’éprouveront plus de problèmes d’infiltration d’eau en raison des aménagements extérieurs du terrain.
24 L’arbitre reçoit favorablement ce projet de solution et entend ordonner sa mise en exécution, mais sous la supervision de l’ingénieure Roberge, de manière à ce que sa proposition soit respectée intégralement.
25 Les autres questions qui demeuraient en litige ont fait l’objet d’une première liste sous la plume de Me Bélanger le 25 avril 2008. Les parties et l’arbitre l’ont examinée. L’item de l’étanchéité de la lisse de fondation a été reconnu par l’administrateur. Il n’y a pas lieu d’y revenir. Les autres items mentionnés ont été retirés par les bénéficiaires, quitte à porter de nouvelles plaintes s’ils le jugent à propos.
26 La seconde liste a été produite le 16 septembre 2008 par M. Plourde lui-même, vu le désistement du procureur Bélanger. Le premier item est le niveau d’implantation. Le suivant porte sur une question de structure. Les parties on convenu de le tenir en suspens. S’il n’y a as règlement, il sera portée en audition. Le grief portant sur les marches du perron a été retiré par les bénéficiaires. La plainte sur les infiltrations d’air au bas des murs n’est pas en état. L’administrateur fera une étude du cas dans le cours des mois d’hiver et rendra une décision. Si les bénéficiaires n’en sont pas satisfaits, ils demanderont l’arbitrage. Enfin le grief portant sur le recouvrement des corniches a fait l’objet d’une entente signé à l’audition. L’arbitre l’entérinera dans ses conclusions.
27 Quelques jours après l’audition, les bénéficiaires ont demandé que leurs frais d’expertise soient supportés par l’administrateur. L’arbitre a sollicité les commentaires des parties sur cette demande. Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[6], et le Règlement d’arbitrage[7] prévoient le remboursement de ces frais dans des limites raisonnables si les bénéficiaires ont gain de cause.
28 En regard des quatre expertise, le procureur de l’administrateur soumet que ces frais ne peuvent être octroyés que si les experts ont déposé un rapport et témoigné et que si ces rapports et témoignages ont été utiles pour la solution du litige.
29 Il importe de constater que les griefs des bénéficiaires ont été très nombreux et se sont appuyés sur les expertises en question. Il n’est que de relire les rapports et les décisions de l’administrateur pour le réaliser. Cela dit, il importe de revoir les rapports sous cet angle.
30 Le rapport de Ing Inspection immobilière sous la signature de l’ingénieur Robert Lacombe a souligné divers défauts dont le mauvais étaiement de la structure du plancher et les malfaçons concernant les corniches. Les bénéficiaires ont porté ces mentions à la connaissance de l’administrateur et en ont fait grief au constructeur. Bien qu’il n’ait pas témoigné sur son rapport, il nous paraît clair que ce rapport était pertinent et qu’il était nécessaire ou au moins utile à la correction des défectuosités. Dans la présente décision, l’arbitre se réfère aux photos prise par cet expert[8]
31 Au surplus, le procureur de l’administrateur a déposé ce rapport au dossier transmis à l’arbitre et il a interrogé le bénéficiaire Plourde sur son contenu et sur les photographies qui apparaissent en annexe.
32 Les honoraires demandés par Les Inspection de la Rive-Sud concernent l’implantation du bâtiment. L’inspecteur Serge pelletier a témoigné. Tant le rapport que le témoignage ont été utiles à l’arbitre[9].
33 L’architecte Nolet a produit un rapport et témoigné. Le tout portait sur l’implantation du bâtiment. Il est évident que les frais doivent en être accordés.
34 Les frais de Hénault & Gosselin au montant de 398,83 $ posent un problème. Il ne s’agit pas d’une expertise technique mais d’une évaluation. En effet, aucune opinion n’y apparaît en regard de l’implantation du bâtiment. Lors de la rencontre des bénéficiaires avec le représentant de la firme, on a discuté « des travaux de soulèvement d’un bâtiment avec ses fondations, à être exécutés à l’adresse… ». Suit une description des travaux et le coût de « l’investissement »
35 Même si le terme investissement a été utilisé à la page 3 du document, la page 4 montre clairement qu’il s’agit d’une proposition qui doit être acceptée dans un délai de 30 jours. Nous en concluons qu’il s’agit purement et simplement d’une soumission. Aucun représentant de cette firme n’a été entendu.
36 La soumission pouvait être de quelque utilité pour apprécier l’ampleur et le coût de la solution proposée par les bénéficiaires, mais elle n’est pas une expertise à son soutien. En général, les entrepreneurs ne demandent pas de paiement pour présenter une soumission. Leur travail et leur déplacement font partie des dépenses faites dans le but d’obtenir éventuellement le contrat. Il n’y a pas lieu d’accorder aux bénéficiaires le remboursement du montant déboursé en faveur de Hénault & Gosselin.
37 Conformément à l’article 63 b) du Règlement, les frais d’arbitrage doivent être supportés par l’administrateur, les bénéficiaires ayant eu gain de cause sur plusieurs des « aspects de leur réclamation ».
Conclusions
L’arbitre :
Accueille la plainte portant sur le niveau de la maison dans les limites et selon les modalités qui suivent :
La demande d’exhaussement de la fondation n’est pas accueillie;
Par contre, le niveau actuel du remblai de la fondation de même que bassin versant du terrain devront être corrigés, conformément aux exigences du Code national du bâtiment, du Code National de construction des maisons (CNCM), et aux indications et plans apparaissant dans le rapport d’expertise de l’ingénieure Véronique Roberge;
Les travaux de corrections devront être exécutés sous la supervision, au sens de la pratique du génie civil, de l’ingénieure Roberge, et réalisés dans les meilleurs délais compte tenu de la température et de la saison.
Prend acte du désistement de la demande d’arbitrage portant sur les marches du perron;
Prend acte du retrait des demandes d’arbitrage concernant les items apparaissant au paragraphe b) de la lettre de Me Michel Bélanger du 25 avril 2008, avec réserve de déposer de nouvelles plaintes si de nouveaux problèmes surgissent et si les délais le permettent;
Donne acte de la suspension, en attendant la décision de l’administrateur, de la demande portant sur le problème de structure;
Déclare que la plainte portant sur l’infiltration d’air au bas des murs fera éventuellement l’objet d’une décision de l’administrateur, suivie s’il y a lieu d’une demande d’arbitrage;
Entérine l’entente survenue entre les parties le 25 novembre 2008 concernant le recouvrement des corniches et la déclare exécutoire;
Ordonne le remboursement aux bénéficiaires des frais d’expertise de Ing inspection immobilière, de Les inspections de la Rive-Sud, et de l’architecte Paul Nolet.
Met à la charge de l’administrateur le paiement des frais d’arbitrage.
Québec, le 9 décembre 2008
Jean Moisan
Arbitre