ARBITRAGE

En vertu du Règlement sur le plan de garantie
des bâtiments résidentiels neufs

(Décret 841-98 du 17 juin 1998, tel qu’amendé, c. B-1.1, r.0.2, Loi sur le bâtiment, Lois refondues du Québec (L.R.Q.), c. B-1.1, Canada)

 

Groupe d’arbitrage Juste Décision - GAJD

 

 

Entre

         NORMAND PAINCHAUD

                   Bénéficiaire

Et

         9216-6784 QUÉBEC INC.

                   Entrepreneur

Et

         LA GARANTIE ABRITAT INC.

                   Administrateur

 

No dossier / Garantie   :   514666-1

No dossier / GAJD       :   2014122

No dossier / Arbitre     :   6938-1

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

Arbitre                      :      Me Pierre Brossoit

 

Pour le Bénéficiaire     :      Me Annie-Claude Lafond

 

Pour l’Entrepreneur     :      Absent

 

Pour l’Administrateur  :      Me Marc Baillargeon

 

Date d’audience          :      2 avril 2015

 

Lieu                          :      Hôtel Delta, Montréal

 

Date de la décision      :      Le 15 mai 2015

 


PRÉLIMINAIRES

 

[1] Les parties ont admis et convenu de ma nomination et juridiction à rendre une décision au présent dossier. Elles ont aussi accepté que ma décision soit rendue plus de 30 jours suivant l’audition si cela s’avérait le cas.

 

LA DEMANDE D’ARBITRAGE

 

[2] Le Tribunal d’arbitrage est saisi d’une demande d’arbitrage provenant du Bénéficiaire datée du 16 décembre 2014 et amendée le 31 mars 2015, concernant une décision de l’Administrateur (signée par Monsieur Jacques Laliberté) datée du 2 décembre 2014 (la « Décision ») (Pièce B-12).

 

LA DÉCISION

 

[3] La Décision énonce huit (8) motifs qui ont justifié le rejet de la demande de remboursement d’acomptes versés par le Bénéficiaire à l’Entrepreneur en lien avec l’acquisition d’une unité d’habitation située au […], à Montréal (l’« Unité ») et faisant partie de la Phase II d’un projet immobilier connu comme étant la Copropriété Abondance Montréal (le « Projet »).

 

LES PIÈCES

 

[4] Les pièces produites par le Bénéficiaire sont les suivantes :

 

      B-1   :      Promesse d’achat intervenue le 21 juin 2009 entre les parties et qui prévoie l’acquisition par le Bénéficiaire de l’unité 305 au Projet
(la « Promesse d’achat »);

 

      B-2   :      Appendix 2, amendments to preliminary contract (l’« Amendement »), intervenu le 24 novembre 2010 entre le Bénéficiaire et l’Entrepreneur;

 

      B-3   :      Contrat de garantie - Condominium, la garantie des maîtres bâtisseurs, reçu par le Bénéficiaire le 7 avril 2011;

 

      B-4   :      En liasse, lettre de Desjardins, Caisse Populaire de Verdun, et copie de trois chèques, chacun au montant de 13 200 $, émis par le Bénéficiaire à l’ordre des notaires Millowitz Hodes Bergeron In Trust et datés respectivement du 14 juillet 2009, 28 mai 2010 et 5 octobre 2011;

 

      B-5   :      En liasse, divers plans des architectes Zaraté Lavigne en rapport au Projet;

 

      B-6   :      Acte de vente de l’Unité intervenu le 6 décembre 2013 entre l’Entrepreneur et 8672270 Canada inc.;

 

      B-7   :      Acte d’hypothèque daté du 5 décembre 2013 par Entreprises Desumo inc. en faveur de 8672270 Canada inc. et Corporation Activos 3030 inc.;

 

      B-8   :      Index aux immeubles de l’Unité;

 

      B-9   :      Renseignements de l’Entrepreneur au Registraire des entreprises du Québec;

 

      B-10 :      Lettre datée du 19 juin 2014 du Bénéficiaire, réclamant à l’Entrepreneur l’acompte versé de 39 600 $;

 

      B-11 :      Demande de remboursement d’acompte du Bénéficiaire datée du 17 juillet 2014 et adressée à l’Administrateur;

 

      B-12 :      Décision de l’Administrateur datée du 2 décembre 2014;

 

      B-13 :      Échange de courriels entre l’Entrepreneur et le Bénéficiaire;

 

      B-14 :      Échange de courriels entre l’Entrepreneur et le Bénéficiaire;

 

[5] Le contenu de chacune des pièces a été admis par l’Administrateur.

 

LES TÉMOINS

 

[6] Le Bénéficiaire a été le seul témoin entendu.

 

LA PREUVE

 

[7] Le paragraphe 3.2 de la Promesse d’achat (Pièce B-1) prévoit que le prix de vente de l’Unité au montant de 264 000 $ est payable comme suit :

 

« 3.2    SI L’APPARTEMENT EST DANS LA PHASE 2 : Dépôt à l’ordre de Millowitz Hodes Bergeron en fidéicommis de 15 % du Prix Total de Vente sur le calendrier ci-après;

 

3.2.1  5% du prix de vente d’achat à compter de l’acceptation par le Vendeur du contrat préliminaire. L’Acquéreur autorise irrévocablement Millowitz Hodes Bergeron à débourser à même ledit dépôt au Vendeur douze (12) jours à compter de l’acceptation par le Vendeur du contrat préliminaire.

                                                                              13 200 $

 

3.2.2  5% du prix d’achat dès qu’une confirmation écrite est reçue de l’architecte au projet (« l’Architecte ») que l’excavation a été substantiellement complétée. L’Acquéreur autorise irrévocablement Millowitz Hodes Bergeron à débourser 1/3 à même ledit dépôt au Vendeur.

                                                                              13 200 $

 

3.2.3  5% du prix d’achat dès la réception d’un avis écrit de l’Architecte à l’effet que l’enveloppe de la bâtisse est fermée. L’Acquéreur autorise irrévocablement Millowitz Hodes Bergeron à débourser à même ledit dépôt au Vendeur.

                                                                              13 200 $

 

3.4     Chèque visé ou Traite Bancaire à l’ordre de Millowitz Hodes Bergeron en fidéicommis à la signature de l’Acte de Vente (la « Clôture »);

                                                                                  224 400 $ ».

 

[8] Le paragraphe 4 de la Promesse de vente (Pièce B-1) mentionne que la date approximative de la signature de l’Acte de vente est prévue pour le mois de juin 2010.

 

[9] Le 24 novembre 2010, en raison du retard de l’Entrepreneur dans la réalisation du Projet, les parties ont convenu de reporter au 1er juillet 2011 la date d’occupation (l’Amendement, Pièce B-2).

 

[10] L’Amendement (Pièce B-2) mentionne aussi que la Promesse de vente est transférée au nouveau développeur du Projet, 9216-6784 Québec inc., lequel accuse réception de la somme de 26 400 $, soit les deux (2) premiers dépôts versés par le Bénéficiaire à cette date.

 

[11] Le 5 octobre 2011, le Bénéficiaire a remis au notaire de l’Entrepreneur le 3e et dernier dépôt au montant de 13 200 $.

 

[12] De l’aveu de l’Entrepreneur (courriel du 25 septembre 2013, Pièce B-13), ce n’est toutefois qu’au printemps 2013 que l’Unité du Bénéficiaire est prête pour occupation.

 

[13] Le Bénéficiaire a cependant refusé de prendre possession de son Unité, puisque plusieurs travaux étaient non terminés, dont notamment l’absence d’ascenseur, d’un stationnement et de l’abandon par l’Entrepreneur de livrer un projet « LEED Platine ».

 

[14] D’autre part, il appert que la conception originale de l’espace de stationnement du Projet, soit un système de carrousel pouvant desservir seize (16) voitures (plans, Pièce B-5), n’a jamais pu être réalisée, et les travaux résultant des plans modifiés ont eu pour conséquence d’obstruer en partie la vue extérieure de l’Unité du Bénéficiaire.

 

[15] Devant une telle situation, le Bénéficiaire a tenté, mais sans succès, de négocier diverses solutions avec l’Entrepreneur, dont notamment une réduction du prix de vente ou la revente par l’Entrepreneur de l’Unité du Bénéficiaire.

 

[16] D’autres discussions ont eu cours en septembre et octobre 2013, mais sans toutefois que les parties en arrivent à un compromis.

 

[17] Au cours du mois de février 2014, le Bénéficiaire, en consultant le Registre foncier (Pièce B-8), a constaté que l’Entrepreneur avait vendu son Unité à la compagnie 8672270 Canada inc.

 

[18] Le 19 juin 2014, le Bénéficiaire a mis en demeure (Pièce B-10) par huissier l’Entrepreneur de lui rembourser les acomptes versés, mais sans résultat. L’Administrateur a reçu copie conforme de cette lettre.

 

[19] Le 14 juillet 2014, le Bénéficiaire a présenté une demande de remboursement à l’Administrateur (Pièce B-11).

 

[20] Le 2 décembre 2014, sans préalablement s’informer auprès du Bénéficiaire des faits relatifs à sa demande, l’Administrateur a rejeté la demande de remboursement du Bénéficiaire (la Décision, Pièce B-12).

 

ANALYSE ET MOTIFS

 

[21]  L’Administrateur allègue huit (8) motifs au soutien de sa Décision, lesquels sont tous, de l’avis du Tribunal, mal fondés, pour les motifs ci-après exposés :

 

1.     Le montant maximum par unité garantie pour les acomptes d’un bâtiment détenu en copropriété divise est de 39 000 $; le montant que vous réclamez excède cette limite;

 

[22]  L’article 1.2.1.1 du contrat de garantie (Pièce B-3), prévoit en effet que pour les acomptes, la somme limite réclamable est de 39 000 $. La décision est cependant mal-fondée, le cas échéant la demande du Bénéficiaire aurait pu être accueillie jusqu’à la somme limite de 39 000 $.

 

2.     Malgré le fait que la date de livraison prévue était le 1er juillet 2011, ce n’est que le 19 juin 2014 que vous avez transmis une mise en demeure, avec copie à La Garantie Abrita inc.;

 

[23]  Il est vrai que l’article 14 de la Promesse de vente (Pièce B-1), prévoit une date d’occupation au 1er juillet 2011. Cependant, de l’aveu même de l’Entrepreneur (courriel, Pièce B-13), l’Unité du Bénéficiaire n’a pas été prête pour livraison avant le printemps 2013.

 

[24]  À tout événement, ce motif ne repose sur aucune assise légale et n’est donc pas une raison de rejeter la demande du Bénéficiaire.

 

[25]  Le Tribunal emprunte à ce sujet les commentaires de l’arbitre Jean Morissette :

 

« L’examen du règlement me confirme qu’il n’existe pas d’article qui me permet de qualifier les gestes de l’une des parties comme dommageables envers l’autre. Le plan de garantie a été conçu de manière à protéger un bénéficiaire pour des situations qui sont décrites au Règlement. Les seuls cas relevant de la responsabilité d’un bénéficiaire qui me sont permis d’analyser sont décrits à l’article 12(1) (en cas de défaut dans les matériaux de l’équipement qu’il fournit) et 12(3) (lors d’un défaut d’entretien ou mauvais usage du bâtiment)[1]

 

3.     Le promoteur à qui Millowitz Hodes Bergeron (MHB) Notaires, a transmis les chèques nous est inconnu;

 

[26]  Un tel fardeau qu’impose l’Administrateur au Bénéficiaire n’a aucune assise juridique. En vertu de la couverture de garantie (article 1.1, Pièce B-3), l’obligation du Bénéficiaire est de démontrer qu’il a versé les acomptes réclamés, ce qui a été fait (Pièce B-4). D’autre part, l’Administrateur est subrogé dans les droits du Bénéficiaire pour récupérer la somme qu’il aurait à payer au Bénéficiaire (article 1.6.4, Pièce B-3).

 

4.     Deux des trois chèques ont été encaissés il y a plus de trois (3) ans, à cet égard, il n’est pas sans savoir qu’il y a prescription extinctive au sens de l’article 2925 du Code civil du Québec;

5.     Votre formulaire de réclamation et le chèque de 100 $ l’accompagnant sont datés du 17 juillet 2014, soit plus de trois (3) ans après la date prévue de réception (1er juillet 2011);

 

[27]  L’Auteure Céline Gervais s’exprime comme suit au sujet du point de départ de la prescription :

 

« Le principe fondamental en la matière, tel qu’il a été expliqué par la Cour suprême, veut que la prescription ne puisse commencer à courir avant que ne soit né le droit de recourir à l’action. C’est pourquoi on peut facilement conclure que la prescription ne peut débuter avant le premier moment où la victime avait la possibilité d’agir. Ce moment survient lorsque la partie demanderesse a connaissance des trois éléments de la responsabilité, soit la faute, le dommage et le lien de causalité.[2] »

 

[28]  Dans le cas sous étude, ce n’est qu’en février 2014 que le Bénéficiaire a eu connaissance de la vente le 6 décembre 2013 son Unité à un tiers, de telle sorte que la demande du Bénéficiaire n’est point prescrite. Quant à la date prévue de réception de l’Unité du Bénéficiaire (1er juillet 2011), la preuve a démontré qu’en raison du retard de l’exécution des travaux de l’Entrepreneur, l’Unité du Bénéficiaire n’a été prête pour réception qu’au printemps 2013.

 

6.     L’Unité 305 serait actuellement la propriété d’une société par actions liée à l’un des actionnaires de la société fusionnée 9303-3306 Québec inc.; il n’y a pas de Bénéficiaire pour cette Unité au sens du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

 

[29]  Le Bénéficiaire est celui visé au contrat de garantie (Pièce B-3). L’identité du nouvel acquéreur de l’Unité n’a aucune incidence sur les droits du Bénéficiaire à réclamer de l’Administrateur le remboursement des acomptes versés à l’Entrepreneur.

 

7.     L’article 1.10 de l’Annexe F, en page 34 du contrat préliminaire, sous la rubrique « Contrat de garantie obligatoire de condominium » fait référence à « Qualité Habitation » à titre d’administrateur autorisé par la Régie du bâtiment du Québec pour le projet connu comme étant « Copropriété Abondance Montréal ».

 

[30]  Lors de l’audition, l’Administrateur a reconnu cet argument comme étant mal fondé, Qualité Habitation étant la raison sociale utilisée par la Garantie Habitation Québec inc., aujourd’hui connue sous le nom de La Garantie Abritat inc.

 

[31]  La demande d’arbitrage du Bénéficiaire est donc bien fondée et le Tribunal cite à ce sujet un passage de la décision précitée de l’arbitre Jean Morissette et dont les faits sont similaires au présent dossier :

 

« [12]   Il n’est pas contesté que :

 

·               Un acompte de 5 000$ a été versé et reçu par l’Entrepreneur;

·               Le bâtiment résidentiel neuf sujet du contrat A-1 a été vendu à     un tiers et que cette vente est publiée au bureau de la publicité    foncière le 3 juin 2013;

 

[13] Je suis d’avis que la considération au dépôt de l’acompte est liée à la livraison d’un bâtiment résidentiel neuf soumis au Règlement. Ce transfert de droit de propriété étant impossible, l’obligation de payer le prix d’achat qui en découle est nulle. Dans les circonstances je n’ai d’autre alternative que d’en ordonner le remboursement au sens des articles 9 et 17.1(2) du Règlement. »

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

ACCUEILLE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire;

 

ORDONNE à La Garantie Abritat inc. de rembourser au Bénéficiaire, la somme de 39 000 $, avec un intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 17 juillet 2014, date de la demande de remboursement d’acompte du Bénéficiaire;

 

LE TOUT aux frais de La Garantie Abritat inc. conformément à l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

 

À Montréal, le 15 mai 2015

 

 

 

_______________________________

Me Pierre Brossoit, arbitre

 

 



[1] Gendron c. Habitation K. B. inc., 19 juin 2014, GAMM 2013-15-013, Jean Morissette, arbitre.

[2] GERVAIS, C., La prescription, Montréal, Les Éditions Yvon Blais, 2009, p. 2.