TRIBUNAL D’ARBITRAGE
Sous l’égide de
SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DES CONFLITS inc.
(SORECONI)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Canada
Province de Québec
Dossier Soreconi no: 200101001
M. Alexandre Biron
Demandeur
c.
9317-3938 Québec inc.
(f/a/s Développement Apara)
Défenderesse
et
La Garantie Construction Résidentielle
(« GCR »)
Administrateur
________________________________________________________________
DÉCISION ARBITRALE
________________________________________________________________
Arbitre : Me Jean Philippe Ewart
Pour le Bénéficiaire : M. Alexandre Biron
Pour l’Entrepreneur : M. Nicolas Corpart
Pour l’Administrateur : Me Éric Provençal
Garantie Construction Résidentielle
Date de la décision arbitrale : 2021.08.11
Identification des Parties
BÉNÉFICIAIRE : M. Alexandre Biron
Attention : M. Marc-André Viger, Président
5, rue Louis-Marteau
Sainte-Thérèse (Québec)
J7E 5V3
(« Bénéficiaire»)
entrepreneur : 9317-3938 Québec inc.
Développement Apara
Attention: M. Nicolas Corpart, Président
172, rue Dorion
Saint-Eustache (Québec)
J7P 2J9
(« Entrepreneur »)
Le Bénéficiaire et l’Entrepreneur (« Parties »)
ADMINISTRATEUR : LA GARANTIE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE
Attention: Me Éric Provençal
contentieux garantie construction résidentielle
4101, rue Molson 3e étage
Montréal (Québec)
H1Y 3L1
(« Administrateur »)
Introduction
[1] La propriété du Bénéficiaire est un triplex résidentiel (« Bâtiment ») dont unités aux adresses civiques respectives 9915, 9917 et 9919 [...], Mirabel, Québec. Le Bâtiment fait partie d’un projet immobilier développé par l’Entrepreneur.
[2] Le litige concerne des défauts allégués au perron de béton de l’entrée de l’unité 9915 et à la dalle de béton arrière du Bâtiment.
Mandat et Juridiction
[3] Le Tribunal est saisi du dossier par nomination du soussigné le 4 mars 2020.
Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n’a été soulevée et la juridiction du Tribunal a été alors confirmée.
Arbitrage
[4] Le litige est un recours sous demande d’arbitrage par le Bénéficiaire en date du 1er janvier 2020 (« Demande d’arbitrage »), sous l’égide du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B -1.1, r.8) (« Règlement ») et adopté en conformité de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1), qui découle d'une décision de La Garantie Construction Résidentielle (« Administrateur») datée du 2 décembre 2019 (dossier no 133946-2904) (la « Décision Adm »).
Pièces
[5] Les Pièces contenues aux Cahiers de l’Administrateur sont identifiées comme A- avec sous-numérotation équivalente à l’onglet applicable au Cahier visé; les Pièces déposées par le Bénéficiaire sont identifiées comme B- sous numérotation dans l’ordre de dépôt, puis les Pièces déposées par l’Entrepreneur sont identifiées comme E-, également sous numérotation dans l’ordre de dépôt. Les photographies prises par le Tribunal lors de la visite des lieux sont sous cote T-1, en liasse.
[6] Lors de l’audience, une objection quant à l’incapacité d’identifier l’objet de la preuve photographique déposée par le Bénéficiaire le 22 mai 2020 a été soulevée par l’Entrepreneur. Le Tribunal a maintenu l’objection et jugé que la preuve était inadmissible. Mise à part l’élément mentionné ci-dessus, aucune autre objection quant à l’origine de la preuve documentaire ou de l’intégrité de l’information qu’elle porte n’a été soulevée.
Le Règlement
[7] Le Tribunal s’appuie pour les présentes que le Règlement est d’ordre public[1] et prévoit que toute disposition d’un plan de garantie qui est inconciliable avec le Règlement est nulle[2]. Conséquemment, le Tribunal se réfère aux articles du Règlement lorsque requis sans rechercher la clause correspondante au contrat de garantie, s’il en est.
[8] La décision arbitrale est finale et sans appel et lie les parties dès qu’elle est rendue[3].
[9] Sommaire de la chronologie du présent arbitrage :
2017.05.21 Contrat de garantie signé
2017.07.20 Formulaire d’inspection préréception signé et réception du bâtiment
2017.07.21 Acte de vente du Bâtiment
2017.11.01 Date convenue de fin des travaux
2019.07.15 Dénonciation (date réception)
2019.08.27 Formulaire de réclamation (réception par l’Administrateur)
2019.10.18 Visite des lieux par l’inspecteur-conciliateur
2019.12.02 Décision Administrateur
2020.01.01 Demande d’arbitrage
2020.03.04 Nomination de l’arbitre soussigné
2020.05.25 Appel-conférence préparatoire de gestion de l’instance
2020.06.17 Visite des lieux par l’arbitre soussigné
2020.06.19 Instruction
Faits pertinents
[10] L’Entrepreneur est une société par actions constituée en 2015 qui s’identifie dans l’État des renseignements d’une personne morale au Registre des entreprises (Québec) sous la dénomination de 9317-3938 Québec inc. (f/a/s Développement Apara), dont le président est N. Corpart, représentant de l’Entrepreneur.
[11] Lors de l’appel-conférence préparatoire de gestion de l’instance du 25 mai 2020, le Bénéficiaire a confirmé que les points de la Décision Adm (« Points ») en arbitrage sont les Points 2 et 3, identifiés comme suit :
- Point 2 : Unité 9915 – Fissure et effritement du perron de béton de l’entrée;
- Point 3 : Fissure de la dalle de béton arrière du bâtiment.
[12] À noter, les deux Points de réclamation ci-dessus ont été découverts lors de la visite de l’inspecteur-conciliateur du 18 octobre 2019 et les Parties et l’Administrateur ont consentis à traiter alors de ces éléments (Pièce A-7).
[13] Suite à un appel-conférence préparatoire de gestion de l’instance, le Tribunal a informé les Parties qu’une visite des lieux s’avérait nécessaire; celle-ci s’est déroulée le 17 juin 2020 en présence des Parties et d’un représentant de l’Administrateur et son procureur.
[14] Le Bénéficiaire avait initialement informé le Tribunal de son intention de déposer un rapport d’expertise, mais ne s’en est pas prévalu.
Litige, Prétentions et plaidoiries des parties
Administrateur
[15] L’Administrateur prétend que les Points 2 et 3 rencontrent les critères de la malfaçon non apparente, mais qu’ils n’ont pas été découverts dans l’année qui suit la réception, de sorte que la réclamation du Bénéficiaire se doit d’être rejetée conformément au délai prévu au Règlement.
[16] L’inspecteur-conciliateur B. Pelletier, auteur de la Décision Adm, justifie cette position lors de l’audience en témoignant que les défauts allégués ne peuvent être identifiés comme des vices cachés à cause de la tardivité de la date de découverte (plus de deux (2) ans suivant la réception du Bâtiment) et du manque de « gravité » nécessaire à la caractérisation de vice.
Entrepreneur
[17] L’Entrepreneur s’en remet aux prétentions faites par l’Administrateur et pour les mêmes motifs.
Bénéficiaire
[18] Le Bénéficiaire conteste la Décision Adm et prétend que le Point 2 est un défaut plus sévère qu’une simple malfaçon, et que le Point 3 rencontre les critères du vice de conception (dit « structural » dans son témoignage) en vertu de l’article 2118 C.c.Q.
[19] Quant au Point 3, le Bénéficiaire avance l’idée que le plan d’architecture (Pièce B-1) démontre que le poids des deux balcons arrière du Bâtiment repose sur deux colonnes rattachées à la dalle de béton arrière. Il souscrit également à l’idée que les fissures observées proviennent de l’utilisation de béton d’une piètre qualité, d’une mise en place inadéquate de l’armature et/ou d’une défaillance au niveau de celle-ci.
Analyse et Motifs
[20] Tout d’abord, le Tribunal tient à rappeler que puisque le Bénéficiaire conteste la Décision Adm, le fardeau de la preuve repose sur celui-ci. L’article 2803 du C.c.Q. énonce :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
[21] D’autant plus, le seuil à franchir pour rencontrer ce fardeau est celui de la prépondérance de la preuve, soit tel que l’article 2804 du C.c.Q. le définit :
« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
[22] Le rôle du Tribunal est ainsi d’évaluer les prétentions des Parties selon la preuve fournie[4] et il incombe aux Parties de supporter le bien-fondé de leur position par balance des probabilités.
Droit applicable en l’espèce
[23] Dans le cadre de l’analyse du présent litige, la preuve est silencieuse sur la qualification particulière de l’enregistrement du Bâtiment auprès de l’Administrateur et conséquemment il est traité du Bâtiment aux dispositions du Plan couvrant la Garantie relative aux bâtiments non détenus en copropriété divise et de rechercher les dispositions législatives du Règlement qui s’appliquent, soit inter alia [tenant compte que dans l’éventualité d’un enregistrement de copropriété divise les dispositions pour nos fins particulières dans les circonstances sont d’application mutatis mutandis]:
« 10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
[…]
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation significative;
[…]
12. Sont exclus de la garantie:
1° la réparation des défauts dans les matériaux et l’équipement fournis et installés par le bénéficiaire;
2° les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements;
3° les réparations rendues nécessaires par une faute du bénéficiaire tels l’entretien inadéquat, la mauvaise utilisation du bâtiment ainsi que celles qui résultent de suppressions, modifications ou ajouts réalisés par le bénéficiaire;
4° les dégradations résultant de l’usure normale du bâtiment;
[…] »
(nos soulignés)
[24] Notons d’autre part l’effet d’une dénonciation :
18. La procédure suivante s’applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l’article 10:
1° le bénéficiaire dénonce par écrit à l’entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l’administrateur en vue d’interrompre la prescription;
(nos soulignés)
[25] De par la structure de la couverture de la Garantie dans le cas de manquements de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après réception du Bâtiment, le Tribunal se doit de procéder par analyse de la nature des défauts allégués, soit possiblement ou non une malfaçon (art. 2020 C.c.Q.), un vice caché (art. 1726 C.c.Q.), un vice de construction ou conception (au sens de l’art. 2118 C.c.Q.), cette caractérisation ayant une incidence sur les délais applicables en matière de dénonciation et les modalités de couverture.
[27] Conséquemment, si les déficiences sont caractérisées de malfaçons non apparentes et ne rencontrent donc pas les critères soit de vice caché ou de vice au sens de 2118 C.c.Q., les réclamations du Bénéficiaire à ce titre ne seront pas sous couverture du Plan.
Les malfaçons
[28] Dans l’affaire récente (2019) Construction Léa inc. c. Skilling[5], l’honorable juge Poirier cite les auteurs Edwards (maintenant de notre Cour Supérieure) et Rodrigue sur leur appréciation de la malfaçon :
« Comme son nom l’indique, une « malfaçon » est un travail mal fait ou mal exécuté. Or, un travail donné est considéré « bien » ou « mal » fait selon les normes qui lui sont applicables. Deux types de normes sont couramment employées pour établir l’existence d’une malfaçon. Premièrement, ce sont les conditions contractuelles fixées, que celles-ci soient écrites ou verbales, entre les parties. Deuxièmement, en l’absence de conditions précises expressément arrêtées, recours est fait aux « règles de l’art » qui sont suivies par chaque corps de métier ou secteur pertinent. Les règles de l’art sont considérées comme intégrées par renvoi dans le contrat. Signalons aussi que le travail non fait, ou incomplet, constitue également, de manière implicite, une malfaçon, car il est tout autant contraire aux règles de l’art et non conforme aux stipulations contractuelles. [6]
(nos soulignés)
[29] De nouveau la doctrine nous enseigne, entre autre sous La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale contre les malfaçons (des auteurs Edwards et Rodrigue) :
« Il est important de souligner que la malfaçon, aux termes de l’article 2120 C.c.Q., n’est subordonnée à aucune condition par rapport à l’effet qu’elle peut produire. Ainsi, contrairement à la responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage de l’article 2118 C.c.Q., il n’est pas nécessaire que le vice ou la malfaçon mette en péril, de manière immédiate ou de manière plus ou moins éloignée, l’intégrité de l’ouvrage. De même, contrairement au vice interdit aux termes de la garantie de qualité du vendeur énoncée par l’article 1726 C.c.Q., il ne paraît pas nécessaire que la malfaçon entraîne une diminution de l’usage de l’immeuble. »[7]
Vices cachés
[30] En effet, l’article 10 (3) du Règlement fait référence à l’article 1726 C.c.Q. qui régit la garantie de qualité, la garantie légale contre les vices cachés:
« 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »
[31] Une jurisprudence abondante[8] traite des conditions nécessaires pour engager la garantie de qualité du vendeur pour vice caché. Notre Cour d’appel les résume dans l’affaire Leroux c. Gravano[9] :
« Pour se prévaloir de la garantie légale contre les vices cachés, quatre conditions doivent donc être respectées :
(i) que le bien soit affecté d’un vice grave, l’intensité de cette gravité ayant été définie par la jurisprudence à partir des expressions « impropre à l’usage » et « diminuent tellement son utilité »;
(ii) que le vice existait au moment de la vente;
(iii) que le vice soit caché, qualité qui s’évalue objectivement et qui est accompagnée d’une obligation de s’informer; et
(iv) que le vice soit inconnu de l’acheteur, qualité qui s’évalue subjectivement et dont le fardeau de preuve appartient au vendeur. »
(nos soulignés)
[32] La Cour Suprême précise dans ABB Inc. c. Domtar Inc.[10] l’évaluation à appliquer au caractère grave du déficit d’usage :
« [52] La simple présence d’un déficit d’usage ne suffit pas en elle-même pour justifier la qualification de vice caché. Encore faut-il que ce déficit d’usage soit grave, c’est-à-dire qu’il rende le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ou en diminue tellement l’utilité que son acheteur ne l’aurait pas acheté à ce prix. Ce deuxième critère, celui de la gravité du vice, découle du texte de l’art. 1522 C.c.B.C. [a. 1726 C.c.Q.]. Cela dit, il n’est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien, mais simplement qu’il en réduise l’utilité de façon importante, en regard des attentes légitimes d’un acheteur prudent et diligent. »
[33] De plus, aucune preuve dénonçant un manque de qualité du béton n’a été soulevée.
[34] Au contraire, les Parties ainsi que le Tribunal ont pu consulter les bons de livraisons des bétonnières (Pièces E-1 et E-2) et discuter de leur contenu lors de l’audience; concluant que les «quantités et descriptions du produit» correspondaient avec la nature de l’ouvrage en question, soit du béton ayant une résistance appropriée.
[35] Le Tribunal note aussi que les méthodes de coulée ou de murissement n’ont pas été abordées.
Point 2 : Unité 9915 – Fissure et effritement du perron de béton de l’entrée
[36] Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que le défaut allégué rencontre effectivement les critères de la malfaçon non apparente selon les art. 10 du Règlement et art. 2120 C.c.Q., tel que la doctrine et la jurisprudence le supporte.
[37] La preuve non-contredite indique que les fissures et défauts ont été découverts le jour de la visite de l’inspecteur-conciliateur (18 octobre 2019) de sorte qu’il était impossible pour le Bénéficiaire de les identifier et/ou les dénoncer à la réception du fait de leur manifestation ultérieure, confirmant leur caractère non apparent.
[38] Enfin, la preuve photographique au dossier ainsi que les constatations visuelles du soussigné lors de la visite des lieux sont à l’appui que les défauts observables (effritement apparent, fissure minime et espacement entre le perron et le mur de la fondation du Bâtiment) découlent de travaux mal exécutés, soit des anomalies qui ne respectent pas l’obligation de résultat à laquelle l’Entrepreneur est soumis mais cependant, n’engendrent aucun « déficit d’usage » ni risque actuel ou éventuel quant à l’intégrité structurelle du perron de béton (e. g. dalle hors niveau, accumulation d’eau, affaissement) ou la solidité de l’immeuble.
[39] En l’espèce, le Tribunal est de l’avis qu’aucun déficit d’usage d’une gravité qui rend le bien impropre à l’usage destiné n’a été démontré.
[40] Conséquemment, la caractérisation de malfaçon non apparente est appropriée mais la dénonciation du Bénéficiaire a été faite hors délais et la Décision Adm sur ce Point est maintenue.
Vice au sens de l’article 2118 C.c.Q
[41] L’article 10 (5) du Règlement réfère à l’article 2118 C.c.Q qui se lit :
« 2118. À moins qu'ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l'ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d'un vice de conception, de construction ou de réalisation de l'ouvrage, ou, encore, d'un vice du sol. »
(nos soulignés)
[42] Les tribunaux[11] et les auteurs doctrinaux[12] ont, à de mainte reprises, confirmé que cette disposition est d’ordre public et a comme objectif d’assurer la protection des immeubles, des propriétaires et du public en général.
[43] Néanmoins, la mise en œuvre de cette garantie et de la présomption de responsabilité est contingente au respect de certaines conditions, tel qu’identifiées entre autre dans l’affaire Deguise c. Montminy[13] et ensuite confirmé
[44] par notre Cour d’appel dans l’affaire Tetratech [14] :
« [791] Quatre éléments sont essentiels pour que la présomption de responsabilité s’applique, soit :
a. ouvrage immobilier;
b. la présence d’une perte totale ou partielle d’ouvrage ou à tout le moins une menace de perte;
c. La perte doit être due, soit :
1. vice de conception;
2. vice de construction;
3. vice de réalisation;
4. vice du sol.
d. la perte doit survenir dans les cinq ans. »
[45] Dans les circonstances, les balcons des étages supérieurs sont rattachés structurellement au Bâtiment et la preuve ne démontre pas que les colonnes entre les balcons et la dalle de béton arrière constituent le seul support intégré des balcons.
[46] Par ailleurs, en ce qui concerne le critère fondamental de la perte d’ouvrage, les courants jurisprudentiels et doctrinaux majoritaires confirment qu’une interprétation large s’applique à la notion de « perte ». Le soussigné s’exprime à ce sujet dans Provencher-Kernisan[15] en se fondant sur les auteurs Edwards et Rodrigue qui s’expriment ainsi :
La notion de « perte » au sens de l’article 2118 C.c.Q. doit donc, tout comme la notion analogue de ce terme au sens de l’article 1688 C.c.B.C., recevoir une interprétation large et s’étendre notamment à tout dommage sérieux subi par l’ouvrage immobilier. »
[…]
En revanche, il est important de ne pas perdre de vue que le dommage subi, qu’il soit actuel, ou à venir, doit être majeur afin d’être qualifié de perte. En particulier, la responsabilité prévue à l’article 2118 C.c.Q. ne trouve pas application à l’égard de simples malfaçons ou de vices de faible importance qui ne nuisent pas à la solidité ou à l’intégrité de l’ouvrage. »[16]
[47] De plus, ces auteurs ajoutent :
« Il est également possible que la simple perte de l’usage normal des lieux tombe sous le coup de cette disposition. De fait, certains tribunaux ont décidé, en vertu des règles de l’ancien Code, que la présence de troubles graves, nuisant à l’utilisation de l’immeuble, constituait une perte. La responsabilité quinquennale a notamment été retenue lorsque les vices empêchaient l’ouvrage de servir à sa destination normale ou limitaient, de manière importante, l’usage normal de l’ouvrage. »[17]
(nos soulignés)
[48] Dans le cadre d’un vice de 1726, en plus de son caractère occulte, le texte spécifie la condition de gravité, son intensité, pour donner ouverture à l’application de la garantie, soit un vice qui entraîne un déficit d’usage au point que ‘l’acheteur ne l’aurait pas acheté ou n’aurait pas donné si haut prix’ alors que dans le cas d’un vice de 2118, on recherche plutôt la perte de l’ouvrage, dans sa définition législative et jurisprudentielle, liée à la solidité et viabilité de la construction visée.
Point 3 : Fissure de la dalle de béton arrière
[49] Le Bénéficiaire a soutenu que les plans d’architecture démontrent que le poids des deux balcons arrière du Bâtiment repose sur deux colonnes rattachées à la dalle de béton arrière.
[50] Ces colonnes s’appuient plutôt selon les plans (Pièce B-1) (plus particulièrement les planches A04 et A05) sur un empattement vertical distinct s’appuyant sur une semelle de fondation distincte. Selon ceux-ci ce n’est donc pas la dalle de béton externe en plancher qui supporte seule cette portion de poids des balcons qui n’est pas soutenue par l’attache des balcons au Bâtiment.
[51] D’autre part, et d’importance, les plans comportent une ‘Note de structure’ qui se lit :
« Toute la structure indiquée sur les plans doit être validé par un ingénieur compétent (fondations, poutres, colonnes, […] Les éléments inscrits sur les plans ne sont qu’à titre indicatif. »
[52] La preuve est silencieuse à ce sujet de validation.
[53] Le Tribunal souhaite souligner l’existence de certaines dispositions du Guide de performance de l’APCHQ qui suggèrent des tolérances en ce qui a trait aux fissures d’une dalle de béton au chapitre « 1-23 Site et fondation – Fissuration de la dalle en béton coulé sur place » sous le sous-titre « Performance minimale attendue »:
« Les fissures d’un rétrécissement normal sont acceptables, à moins que leur largeur ne dépasse 1/8 po (3 mm). »
[54] Quoique cette approche n’est qu’indicative, et qu’il faut prendre en considération la source, et quant aux photographies dont objection à la preuve a été maintenue, même si le Tribunal avait analysé les photographies transmises (en juin 2020) par le Bénéficiaire indiquant une prise le 22 mai 2020 [avec un mètre – ruban de mesure] et tenant compte de celles transmises (en juin 2020) par l’Administrateur indiquant une prise le 18 octobre 2019 [tant sur fissures que sur nivellement de la dalle de béton] le Tribunal s’est principalement appuyé sur ses constats et les photographies prises par le Tribunal lors de sa visite des lieux.
[55] La preuve photographique au dossier ainsi que les constatations visuelles du soussigné lors de la visite des lieux sont à l’appui que les défauts observables, soit principalement une fissure d’une largeur oscillant entre 1,5 et 3 mm et traversant diagonalement les trois-quarts de la dalle arrière entre les points d’appui des colonnes supportant les balcons, ne peuvent être caractérisés de majeurs.
[56] Le Tribunal n’y voit, selon la preuve, aucune potentialité ni caractère graduel pouvant affecter l’appréciation des défauts allégués.
[57] Le Tribunal est conscient de l’état évolutif de la jurisprudence sur les paramètres applicables à une caractérisation de vice dit majeur (2118 C.c.Q.). La perte de l’ouvrage peut être partielle, demeurant non réalisée ou concrétisée, mais se doit d’être à tout le moins prévisible, éventuelle, sinon probable,
[58] Deux décisions récentes de notre Cour d’appel sont entre autres d’intérêt.
[1] Dans l’affaire Dompat c. Société des vétérans polonais[18], la Cour d’appel dans un cas de mur de brique extérieur du bâtiment (où avis de dangerosité ont été reçus pour les autres murs, mais pas celui sous étude) :
[97] En ce qui concerne la preuve de perte de l’ouvrage, elle est généralement définie par la jurisprudence comme une défectuosité grave entraînant des inconvénients sérieux et rendant l’ouvrage impropre à son usage[49]. Il n’est pas nécessaire que la perte se soit concrétisée et que « le pire se soit produit avant d'agir »[50]. La menace de destruction éventuelle peut suffire à la démonstration d’une perte dans la mesure où elle aura pour conséquence de rendre l’immeuble impropre à l’usage auquel on le destine et à entraîner une diminution importante de sa valeur marchande[51]. Cela étant, il faut tout de même « démontrer que l’état de l’ouvrage permet de croire que celle-ci se produira dans l’avenir, si aucun remède n’est apporté »[52].
(nos soulignés)
[59] Dans cette affaire Dompat , la Cour rejette la qualification de 2118 C.c.Q. donnée par le juge de première instance.
[60] D’autre part, l’arrêt Construction GMR [19] - cité dans l’arrêt Dompat précité résume :
[6] Il est bien établi, et la Cour l’a rappelé à quelques occasions, qu’une défectuosité grave entraînant des inconvénients sérieux et rendant l’ouvrage impropre à son usage constitue une perte.
[7] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore font un rapprochement entre la notion de perte et celle de vice et enseignent :
[…] que le défaut reproché, pour constituer une perte, doit être un défaut sérieux qui compromette la solidité de l’ouvrage et entraîne le risque de le voir s’écrouler, s’affaisser, s’enfoncer ou tomber en tout ou en partie.
[9] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore, quant à eux, apportent les distinctions suivantes entre la notion de « perte » prévue à l’article 2118 C.c.Q. et celle de « malfaçon » prévue à l’article 2120 C.c.Q.:
2-323 – Distinction – Le législateur, reprenant l’acquis jurisprudentiel, sépare donc tout d’abord clairement les vices de construction graves de l’article 2118 C.c. et les simples malfaçons, défauts ne mettant pas en jeu la perte partielle ou totale de l’ouvrage. […]. Cette garantie contre les malfaçons ne revêt pas un caractère d’ordre public, comme c’est le cas pour les vices graves. Celles-ci, en effet, ne sont pas, en principe, susceptibles de créer un danger sérieux pour la sécurité publique. Les Commentaires du ministre révèlent d’ailleurs que la règle de l’article 2120 C.c. a plutôt pour objet d’assurer la conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles liant les parties et l’absence de défauts affectant l’ouvrage en général. La responsabilité qui en découle apparaît donc comme la sanction d’une mauvaise exécution des travaux, exécution qui ne revêt cependant pas un caractère de gravité permettant d’entraîner une responsabilité plus lourde sous l’article 2118 C.c.
(citations omises)
[61] Enfin, comprenant que c’est un ensemble des faits et constats qui sont distincts donc pour chaque situation, on doit noter l’auteur l’Hon. Jean-Louis Baudouin (par la suite de notre Cour d’appel) [20] autrement cité dans diverses causes sur le sujet, commentant sur le concept de perte au sens de 2118 C.c.Q. :
« 2-272 Vice – La notion de perte est intimement liée à celle de vice […] Est suffisante une menace sérieuse et réelle d’effondrement, par exemple, lorsqu’il y a apparition de fissures ou de lézardes importantes, d’infiltrations d’eau, etc. (p.257 et 258).
[62] De même, et tel que précité, aucune preuve dénonçant un manque de qualité du béton n’a été présentée, alors que la preuve non-contredite est à l’effet que les bons de commande indiquent que du béton ayant une résistance de 32 MPA a été utilisé pour la dalle arrière.
[63] Les méthodes de coulée et murissement n’ont pas été abordées.
[64] Le Bénéficiaire affirme qu’un danger d’infiltration d’eau et d’instabilité structurelle milite en faveur d’une caractérisation de vice majeur, mais la preuve ne supporte pas cette conjecture.
[65] Les constats du Tribunal, l’analyse des plans du Bâtiment et la prépondérance de la preuve au dossier ne supportent pas une perte quelconque au sens de 2118 C.c.Q. (et si requis de le spécifier, ne rencontrent d’ailleurs pas les critères de vice caché pour la garantie de qualité).
[66] Le Tribunal considère que les défectuosités avancées au Point 3 ne sont pas des vices cachés, ni des vices au sens de l’art. 2118 C.c.Q., et, pour des motifs différents de l’Administrateur, sont donc pour les présentes fins hors la couverture du Plan.
Conclusions
[67] Pour l’ensemble des motifs ci-dessus, le Tribunal rejette la demande d’arbitrage du Bénéficiaire, soit en confirmant la Décision Adm quant au Point 2 et pour des motifs différents à l’égard du Point 3, le tout sans préjudice et sous toutes réserves du droit du Bénéficiaire de porter devant les tribunaux de droit commun ses prétentions et réclamations, si admissibles.
Coûts d’arbitrage
[68] Le Tribunal, en conformité de l'article 123 du Règlement, confirme que les coûts de l'arbitrage sont à la charge du Bénéficiaire pour 50 $, et le solde à la charge de l’Administrateur.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[69] REJETTE la demande du Bénéficiaire quant aux Points 2 et 3 et MAINTIENT les conséquences de la Décision Adm datée du 2 décembre 2019 quant à ces Points.
[70] ORDONNE en conformité du Règlement que l'Administrateur assume les coûts du présent arbitrage, sauf à distraire 50$ à la charge du Bénéficiaire, LE TOUT, avec les coûts de l’arbitrage à la charge de La Garantie Construction Résidentielle avec les intérêts au taux légal majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de facturation émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de trente (30) jours.
[71] RÉSERVE à La Garantie Construction Résidentielle ses droit à être indemnisé par l’Entrepreneur pour toute somme versée, incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (paragr.19 de l’Annexe II du Règlement) en ses lieux et place et ce, conformément à la convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
DATE: 11 août 2021
_______________________
Me Jean Philippe Ewart
Arbitre
[1]Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et al AZ-50285725 (C.A.) 15 décembre 2004 ainsi que Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal 2013 QCCA 1211.
[2] Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.02), article 5.
[3] Ibid., articles 20 et 120 du Règlement.
[4] Masson c. Telus Mobilité, [2019] JQ no 5316, 2019 QCCA 1106, para. 40.
[5] Construction Léa inc. c. Skilling, 2019 QCCS 5141, para. 90.
[6] EDWARDS, Jeffrey et RODRIGUE, Sylvie, La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale contre les malfaçons, para. 2.2.2 dans le cadre de La construction au Québec : perspectives juridiques, sous la direction de Me Olivier F. Kott - Me Claudine Roy, Éd. Wilson Lafleur, 1998, pp. 454-455.
[7] Idem.
[8] Voir notamment : Lapointe c. Latorella, 2004 QCCQ 19069; Marcoux c. Picard, 2008 QCCA 259; Cistellini c. Jinchereau, 2012 QCCS 1776; Beaulieu c. Payette, 2017 QCCS 5559.
[9] Leroux c. Gravano, 2016 QCCA 79, para. 40.
[10] ABB Inc c. Domtar Inc., [2007] 3 R.C.S. 461, para. 52.
[11] Voir notamment : Gagnon c. Roger Bisson Inc., 2004 QCCS 12729; Syndicat de Beaucours c. Leahy, 2009 QCCA 454; Bélanger c. Gauthier (Belle-Vue Paysagement), 2016 QCCQ 10178; Lafrenière et 9140-2347 Québec inc., Me Yves Fournier, arbitre, Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC : S19-071502-NP) (O.A.G.B.R.N.), 31/01/2020.
[12] Voir notamment : KARIM, Vincent, Contrats d’entreprise (Ouvrage mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, para. 1292; BAUDOIN, Jean-Louis et DESLAURIERS, Patrice, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, n°2-226, p. 222.; DESLAURIERS, Jacques, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, para. 2477.
[13] Deguise c. Montminy, 2014 QCCS 2672, para. 791.
[14] SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise 2020 QCCA 495.
[15] Provencher et 9182-0050 (Construction Rouville), Me Jean Philippe Ewart, arbitre, Société pour la résolution des conflits inc. (SORECONI) (O.A.G.B.R.N.), 27/06/2016, para. 37.
[17] Ibid., p.434.
[18] Construction Dompat inc. c. Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc. 2019 QCCA 926
Citations du para 97, Ibid Construction Dompat inc. :
[49] Construction GMR inc. c. Syndicat des copropriétaires du 521 de Cannes à Gatineau, 2018 QCCA 129, paragr. 6 [Construction GMR inc.].
[50] Gestion G.M. inc. c. Construction Daniel Dumont & Fils inc., 1997 CanLII 10573, EYB 1997-00644. Repris dans Entrepôt International Québec, s.e.c. c. Protection incendie de la Capitale inc., 2014 QCCA 617, paragr. 3.
[51] Construction GMR inc., supra, note 49, paragr. 10, citant : Vincent Karim, Contrats d’entreprise, contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 3e éd., Wilson & Lafleur, 2015, p. 533.
[52] Ibid.
[19] Construction GMR inc. c. Syndicat des copropriétaires du 521 de Cannes à Gatineau, 2018 QCCA 129 (CanLII)
[20] Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2007, Volume II-La Responsabilité professionnelle.