ARBITRAGE EN VERTU DU
RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)
Dossier no : GAMM : 2015-16-001
Abritat : A210883, 211391, 211393
ENTRE :
GROUPE IMMOBILIER JAD INC., 9229-8926
QUÉBEC INC. ET
9206-0516 QUÉBEC INC.
(ci-après appelés l’« Entrepreneur »)
ET
LA GARANTIE ABRITAT INC.
(ci-après appelé l’« Administrateur »)
DEVANT L’ARBITRE : Me Karine Poulin
Pour l’Entrepreneur : Me Martin Janson
Pour l’Administrateur : Me Marc Baillargeon
Date d’audience : 26 mai 2016
Date de la sentence : 25 juillet 2016
SENTENCE ARBITRALE RELATIVE À UN MOYEN DÉCLINATOIRE (RECTIFIÉE)
I
LE RECOURS
[1] L’Entrepreneur conteste en vertu des articles 106 et suivants du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] la décision de l’Administrateur rendue le 13 janvier 2016 lui refusant le remboursement de son cautionnement au montant de 90 000 $ et qui se lit comme suit :
Monsieur,
Après la ré analyse de vos dossiers et à la suite de la réunion qui a eu lieu avec les membres du Comité de direction, nous tenons à vous informer que nous maintenons notre décision du 1er juin 2015 qui consistait à conserver votre dépôt de sûreté, et ce, jusqu’à la prochaine date de révision, soit le 16 octobre 2017, pour les raisons suivantes :
(…)
Tel que prévu dans «L’engagement de dépôt de sûreté» et considérant les énoncés ci-dessus, nous sommes en droit de garder votre dépôt de sûreté et nous communiquerons avec vous quand la date de révision viendra à échéance.
Veuillez accepter, Monsieur, nos meilleures salutations.
RECOURS
La décision de l’administrateur a été rendue suivant les termes et conditions figurant au contrat de garantie, adopté conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, L.R.Q., c. B-1.1, r. 0.2 et approuvé par la Régie du bâtiment du Québec.
Le promettant acheteur ou l’entrepreneur, insatisfait de la décision, peut exercer des recours, soit l’arbitrage ou la médiation.
Arbitrage :
Dans le cas de l’arbitrage, la demande doit être soumise par la partie requérante, dans les trente (30) jours suivant la réception par poste certifiée de la décision de l’administrateur, ou, s’il y a eu médiation, dans les trente (30) jours suivant la réception de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation.
Dans tous les cas d’arbitrage, la demande doit être soumise directement
À l’un des organismes suivants :
(…)
[2] Dans le cadre d’une conférence préparatoire, l’Administrateur soulève l’absence de compétence du Tribunal d’arbitrage à décider de cette question ne s’agissant ni d’une réclamation d’un bénéficiaire, ni d’un refus ou d’une annulation d’adhésion. La présente sentence dispose donc de ce moyen préliminaire uniquement.
II
LES FAITS
[3] Le 21 août 2012, l’Entrepreneur a signé trois (3) conventions d’adhésion générale distinctes (ci-après appelée la « Convention d’adhésion ») auprès de l’Administrateur auxquelles sont joints trois (3) contrats de cautionnement illimité distincts (ci-après appelé le « Cautionnement ») signés le même jour. La Convention d’adhésion et le Cautionnement ont été reçus par l’Administrateur le 23 août 2012. Par ailleurs, la Convention d’adhésion est signée par ce dernier le 23 octobre 2012 en ce qui concerne Groupe immobilier JAD inc., le 24 octobre 2012 en ce qui concerne 9229-8926 Québec inc. et, enfin, ladite Convention d’adhésion est signée mais non datée en ce qui concerne 9206-0516 Québec inc.
[4] Par la suite, le 16 octobre 2012, l’Entrepreneur a signé, en faveur de l’Administrateur, une (1) seule convention de garantie irrévocable (ci-après appelée la « Convention de garantie ») et celle-ci est signée par les représentants des trois (3) entreprises désignées aux présentes comme étant l’Entrepreneur. Conformément aux termes de la Convention de garantie, l’Entrepreneur a remis à l’Administrateur la somme de 90 000 $ sous forme de traite bancaire. Cette garantie fait office de cautionnement pour les trois (3) entreprises.
[5] Selon le Registre des détenteurs de licence de la Régie du bâtiment du Québec (ci-après appelée la « RBQ »), 9229-8926 Québec inc. est détenteur d’une licence d’entrepreneur auprès de la RBQ depuis le 23 octobre 2012 alors que 9206-0516 Québec inc. détient sa licence RBQ depuis le 18 novembre 2014. Quant à Groupe immobilier JAD, cette information n’est pas disponible, cette dernière ne détenant plus de licence RBQ en date des présentes.
[6] Suite à la signature de la Convention d’adhésion, l’Administrateur a renouvelé d’année en année l’adhésion de l’Entrepreneur.
[7] Le 1er janvier 2015, à la suite d’une refonte majeure, est entré en vigueur le nouveau Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après appelé le « Règlement »)[2].
[8] Depuis cette date, la gestion des plans de garantie est confiée à un administrateur unique, soit la Garantie de construction résidentielle (ci-après appelée la « GCR »).
[9] Dès lors, depuis cette date, les autres administrateurs de plans de garantie dont l’Administrateur en l’instance n’émettent plus de certificat d’accréditation aux Entrepreneurs œuvrant dans la construction de maisons neuves, lesdites accréditations devant désormais être émises par la GCR. De plus, aucune demande de renouvellement d’une accréditation ne peut être présentée aux anciens administrateurs de plan de garantie.
[10] À une date inconnue, l’Entrepreneur formule une demande de remboursement de son dépôt de sûreté et, le 1er juin 2015, l’Administrateur rend une décision refusant de libérer ledit dépôt de sûreté. Cette décision n’a pas été contestée mais des discussions ont eu lieu par la suite entre l’Entrepreneur et l’Administrateur.
[11] Le 13 janvier 2016, faisant suite aux discussions mentionnées ci-devant, l’Administrateur procède à la ré analyse de la demande de remboursement de l’Entrepreneur et maintient son refus.
[12] L’Entrepreneur a porté la décision du 13 janvier 2016 en appel conformément à la procédure prévue et l’arbitre soussignée a été désignée pour entendre l’affaire et en décider.
III
PLAIDOIRIES
Administrateur
[13] Me Baillargeon, procureur de l’Administrateur, soulève l’absence de compétence du Tribunal d’arbitrage au motif que l’article 106 du Règlement prévoit que l’arbitre a compétence exclusive pour entendre les différends portant sur une décision de l'administrateur concernant une réclamation ou le refus ou l'annulation de l'adhésion d'un entrepreneur.
[14] En l’espèce, la décision de l’Administrateur refusant de libérer la somme déposée à titre de cautionnement ne constitue pas une décision refusant ou annulant l’adhésion de l’Entrepreneur. Il soutient donc que le présent Tribunal n’a pas compétence pour entendre la contestation de l’Entrepreneur et indique que le présent litige relève de la compétence des tribunaux civils.
Entrepreneur
[15] Pour sa part, l’Entrepreneur représenté par Me Janson, soutient au contraire que le Tribunal d’arbitrage est compétent pour entendre la présente affaire.
[16] De fait, il invite le Tribunal à décider que l’ajout à la décision du 16 janvier 2016 des recours en cas d’insatisfaction est une admission à l’effet que la procédure de contestation prévue au Règlement est applicable en l’instance.
[17] Par ailleurs, il réfère le Tribunal à la correspondance de son confrère, Me Baillargeon, datée du 28 avril 2016 dans laquelle ce dernier le réfère aux articles 78, 84 et/ou 85 ainsi que 88 du Règlement pour expliquer de quelle manière le montant de cautionnement est déterminé par l’Administrateur. Ces dispositions se trouvant dans le 4e chapitre, section numéro 1 intitulée Adhésion d’un entrepreneur, il indique que le cautionnement est inclus dans l’adhésion. Par conséquent, toute décision portant sur le cautionnement doit nécessairement être traitée comme une décision relative à l’adhésion de l’entrepreneur. Ainsi, il conclut que le Tribunal d’arbitrage est compétent.
[18] D’abondant, il souligne que l’Administrateur soulève aujourd’hui l’absence de compétence du Tribunal pour cause puisque l’Administrateur n’émettant plus de certificat d’accréditation il n’a aucun intérêt à se départir des cautionnements en sa possession. Dès lors, il soumet au Tribunal qu’il doit faire abstraction du fait que l’Administrateur ne peut plus émettre d’accréditation ni les renouveler et que la décision de l’Administrateur doit être traitée de la même façon que s’il s’agissait d’un refus de renouveler une accréditation. D’ailleurs, du temps où l’Entrepreneur était accrédité chez l’Administrateur il y avait eu des discussions au sujet du montant du cautionnement à fournir afin que soit maintenue l’accréditation lors du renouvellement. Le fait qu’il n’y ait plus de renouvellement d’adhésion possible auprès de l’Administrateur ne doit en rien affecter la compétence du Tribunal à rendre une décision en vertu du Règlement.
Réplique de l’Administrateur
[19] L’Administrateur indique qu’il ne faut tirer aucune inférence du fait que la décision du 1er juin 2015 ne contenait aucune mention des recours en cas d’insatisfaction quant à la décision rendue alors que celle du 13 janvier 2016 contient une telle mention. Il explique plutôt que la Régie du bâtiment du Québec exige et insiste pour que toutes les décisions de l’Administrateur soient accompagnées de cette mention. C’est donc afin de satisfaire à cette exigence de la RBQ que la décision de janvier 2016 énonce les recours en cas d’insatisfaction. En conséquence, il soutient que le Tribunal ne doit pas, pour ce motif, conclure à une admission de la part de l’Administrateur à l’effet que la contestation de l’Entrepreneur soit admissible à la procédure d’arbitrage prévue au Règlement.
[20] Enfin, il ajoute que l’Administrateur souhaite que le présent Tribunal rende une décision relativement à sa compétence. En effet, la situation dans laquelle se trouve l’Entrepreneur n’est pas unique puisque tous les entrepreneurs auparavant accrédités par l’Administrateur sont désormais accrédités, pour ceux qui l’ont demandé et ont été acceptés, chez la GCR. Par ailleurs, plusieurs cautionnements ont été retenus par l’Administrateur en raison du fait que les bâtiments construits à l’époque où il émettait les accréditations sont encore sous garantie de sorte que l’Administrateur pourrait être tenu d’assumer les obligations de l’Entrepreneur.
[21] Il indique qu’à ce jour, l’Administrateur a pris la position de diriger les entrepreneurs mécontents vers les tribunaux civils. Néanmoins, bien que confiant dans son interprétation du Règlement, l’Administrateur souhaite que soit clarifiée cette question. C’est aussi un peu pour cette raison que l’Administrateur a ajouté la mention portant sur les recours en cas d’insatisfaction à sa décision du 16 janvier 2016.
[22] Finalement, les procureurs des parties ont confirmé avoir effectué des recherches et n’avoir trouvé aucune décision sur le sujet de sorte qu’aucune autorité n’a été soumise à l’attention du Tribunal.
IV
ANALYSE ET DÉCISION
[23] Le procureur de l’Administrateur soulève l’absence de compétence du Tribunal d’arbitrage au motif que l’article 106 du Règlement prévoit que l’arbitre a compétence exclusive pour entendre uniquement les différends portant sur une décision de l'administrateur concernant une réclamation ou le refus ou l'annulation de l'adhésion d'un entrepreneur.
[24] Les dispositions législatives pertinentes aux fins de disposer du présent moyen préliminaire sont les suivantes :
Loi sur le bâtiment[3]
77. La Régie peut, par règlement, obliger tout entrepreneur à adhérer à un plan qui garantit l’exécution de ses obligations légales et contractuelles, notamment celle de respecter le Code de construction (chapitre B-1.1, r. 2), résultant d’un contrat conclu avec une personne pour la vente ou la construction d’un bâtiment résidentiel neuf.
Le règlement visé au premier alinéa détermine les cas, les conditions et les modalités de la garantie reliés à l’exécution des obligations légales et contractuelles de l’entrepreneur ainsi que la catégorie de bâtiment résidentiel neuf à laquelle il s’applique. (nos soulignements)
Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[4]
1. Dans le présent règlement, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par:
«entrepreneur»: une personne titulaire d’une licence d’entrepreneur général l’autorisant à exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, pour un bénéficiaire des travaux de construction d’un bâtiment résidentiel neuf visé par le présent règlement;
6. Toute personne qui désire devenir un entrepreneur en bâtiments résidentiels neufs visés à l’article 2 doit adhérer, conformément aux dispositions de la section I du chapitre IV, à un plan qui garantit l’exécution des obligations légales et contractuelles prévues à l’article 7 et résultant d’un contrat conclu avec un bénéficiaire. (nos soulignements)
SECTION I
ADHÉSION D’UN ENTREPRENEUR
78. Pour adhérer à un plan de garantie et obtenir un certificat d’accréditation, une personne doit:
1° remplir une demande d’adhésion sur la formule fournie par l’administrateur et la remettre à l’administrateur;
2° satisfaire aux conditions et aux critères financiers prescrits par la présente section;
3° signer la convention d’adhésion fournie par l’administrateur et comportant les engagements énumérés à l’annexe II;
4° détenir un cautionnement de 20 000 $ contre la fraude, la malversation et le détournement de fonds;
5° (…);
6° (…);
7° (…);
8° (…);
9° (…);
10° verser les frais d’adhésion exigés par l’administrateur;
11° produire une attestation suivant laquelle elle a demandé une licence d’entrepreneur auprès de la Régie;
12° si cette personne, l’un de ses actionnaires détenant 20% ou plus des actions avec droit de vote ou l’un de ses dirigeants a été accrédité au cours des 3 dernières années par un autre administrateur, produire une déclaration de cet administrateur indiquant si des sommes lui sont dues par l’entreprise requérante, l’un de ses actionnaires détenant 20% ou plus des actions avec droit de vote ou l’un de ses dirigeants. (nos soulignements)
§ 1. — Conditions générales d’adhésion pour tous les bâtiments
I. Entreprise de type A (Entreprise travaillant, partiellement ou exclusivement, dans le domaine de la construction de bâtiments résidentiels depuis moins de 4 ans).
84. Cette entreprise doit:
1° détenir un cautionnement d’une valeur minimum de 70 000 $, ou 100 000 $ si elle est titulaire de la sous-catégorie de licence 1.1.2 prévue à l’annexe 1 du Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires (chapitre B-1.1, r. 9) sous l’une ou l’autre des formes suivantes:
a) cautionnement personnel;
b) lettre de garantie bancaire;
c) garantie hypothécaire;
d) cautionnement d’une tierce personne;
(…)
§ 4. — Autres conditions
88. Lorsqu’une entreprise ne remplit pas les exigences visées aux articles 84 à 87 ou dans le cas où il est impossible de calculer les critères financiers visés au paragraphe 2 de l’article 84, l’administrateur peut exiger toute autre condition ayant pour effet d’atteindre les mêmes fins en prenant en compte la compétence technique de l’entreprise.
L’administrateur peut exiger un cautionnement d’une valeur supérieure à celle mentionnée au paragraphe 1 de l’article 84 et au paragraphe 1 de l’article 85 lorsqu’il a des raisons de croire que la solvabilité de l’entreprise le requiert. (nos soulignements)
§ 5. — Durée de l’adhésion
89. Une adhésion est valide pour une période d’un an.
§ 6. — Renouvellement de l’adhésion
91. L’adhésion d’un entrepreneur est renouvelée s’il fait parvenir à l’administrateur au moins 30 jours avant la date d’expiration de son adhésion, une demande de renouvellement démontrant qu’il respecte les conditions requises par le présent règlement pour obtenir un certificat d’accréditation et s’il acquitte les frais exigés par l’administrateur.
106. Tout différend portant sur une décision de l’administrateur concernant une réclamation ou le refus ou l’annulation de l’adhésion d’un entrepreneur relève de la compétence exclusive de l’arbitre désigné en vertu de la présente section.
Peut demander l’arbitrage, toute partie intéressée:
1° pour une réclamation, le bénéficiaire ou l’entrepreneur;
2° pour une adhésion, l’entrepreneur.
La demande d’arbitrage concernant l’annulation d’une adhésion d’un entrepreneur ne suspend pas l’exécution de la décision de l’administrateur sauf si l’arbitre en décide autrement. (nos soulignements)
119. Les questions suivantes doivent être référées aux tribunaux de droit commun:
1° l’imposition d’une mesure conservatoire à l’égard d’un tiers;
2° la délivrance d’un mandat à l’encontre d’un témoin contraint de venir témoigner mais refusant de se présenter;
3° le cas du témoin récalcitrant;
4° l’homologation de la décision arbitrale.
§ 4. — Décision arbitrale
120. La décision arbitrale, dès qu’elle est rendue, lie les parties intéressées et l’administrateur.
La décision arbitrale est finale et sans appel.
[25] Outre les dispositions précitées, le Tribunal considère également les documents suivants dont des extraits sont reproduits ci-dessous :
Convention d’adhésion générale
(…)
4. Renouvellement de l’adhésion
4.1 L’adhésion sera automatiquement reconduite d’année en année pour une durée additionnelle d’un (1) an commençant à la date d’anniversaire de la signature de la présente, aux termes et conditions stipulés par l’Administrateur à l’entrepreneur.
5. Annulation de l’adhésion
5.1 L’Administrateur peut annuler une adhésion lorsque l’entrepreneur se trouve dans l’une des situations suivantes :
(…)
5.1.9 Il ne transmet pas les documents requis par l’Administrateur ou ne fournit pas les garanties ou les sûretés exigées par l’Administrateur conformément au Règlement.
[26] Par ailleurs, l’honorable Johanne Mainville, j.c.s., dans une décision du 6 mars 2009 exprime pour l’essentiel la nature du cadre règlementaire applicable en l’instance, propos que le Tribunal fait siens[5] :
1. LE CADRE LÉGAL
[4] L'article 77 de la Loi sur le bâtiment[2] (ci-après la « Loi ») permet à la Régie du bâtiment d'obliger les entrepreneurs à détenir une licence et à adhérer à un plan qui garantit l'exécution de leurs obligations légales et contractuelles, notamment celle de respecter le Code de construction, résultant d'un contrat conclu avec une personne pour la vente et la construction d'un bâtiment résidentiel.
[5] Le règlement détermine les cas, les conditions et les modalités de la garantie reliés à l'exécution des obligations légales et contractuelles de l'entrepreneur ainsi que la catégorie de bâtiments résidentiels neufs auxquels la garantie s'applique.
[6] Pour adhérer à un plan de garantie et obtenir un certificat d'accréditation, un entrepreneur doit se conformer à plusieurs conditions prévues à la Loi et au Règlement.
[7] L'article 81 de la Loi stipule qu'un tel plan de garantie doit être administré par une personne dont l'unique objet est d'administrer les garanties financières prévues au chapitre V de la Loi. Pour agir à titre d'administrateur d'un plan de garantie approuvé, une telle personne doit au préalable avoir reçu l'autorisation de la Régie du bâtiment.
(…)
[10] Un plan de garantie et un contrat de garantie offert en vertu de ce plan doivent être conformes aux normes et critères établis par règlement de la Régie et être approuvés par celle-ci (art. 80 de la Loi). De plus, seul un organisme qui répond aux critères prévus à la Loi peut être autorisé par la Régie à administrer l'arbitrage de différends découlant des plans de garanties (art. 83.1 de la Loi).
[11] Conformément aux dispositions de la Loi, la Régie du bâtiment a adopté le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[3], rendant ainsi obligatoire le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs pour certains bâtiments.
[12] Le Règlement est d'ordre public[4]. Il prévoit les conditions applicables aux personnes morales qui administrent le plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du Plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie. Toute clause d'un contrat de garantie inconciliable avec les dispositions du Règlement est nulle[5]. De plus, un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère le Règlement[6].
(…)
[38] L'arbitre Jeanniot est d'avis que la question à débattre relève exclusivement de sa compétence, que les tribunaux de droit commun n'ont pas compétence pour décider d'un poste de réclamation si le litige a sa source dans une décision de l'administrateur rendue selon les modalités d'un contrat de garantie autorisé et adopté conformément au Règlement.
(…)
[50] Il semble cependant exister des courants contradictoires quant à la nature juridique de la procédure arbitrale découlant du Règlement. (…)
(…)
[56] Il ressort des dispositions de la Loi et du Règlement que la clause d'arbitrage est de nature hybride.
[57] D'une part, les parties disposent de peu de liberté dans le choix de la manière de résoudre leur différend. La réclamation d'un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative prévue au Règlement, lequel est d'ordre public. Également, le contenu du contrat de garantie, sur lequel s'exerce la compétence de l'arbitre, est aussi imposé par le législateur. (…)
[27] À la lumière de tout ce qui précède, le Tribunal retient que l’adhésion à un plan de garantie est obligatoire pour tout entrepreneur qui entend œuvrer dans la construction de bâtiments résidentiels neufs; que la Loi autorise la RBQ à adopter un Règlement lequel prévoit notamment les conditions auxquelles un administrateur émet une accréditation à un tel entrepreneur; que le Règlement est d’ordre public; qu’il oblige l’entrepreneur à signer la Convention d’adhésion; qu’il prévoit l’obligation pour un entrepreneur de verser un cautionnement pour garantir ses obligations; que la Convention d’adhésion est au même effet; que l’arbitre a juridiction exclusive pour entendre, d’une part, les réclamations des bénéficiaires qui entendent se prévaloir de la garantie et, d’autre part, les différends entre un administrateur et un entrepreneur en ce qui concerne un refus ou une annulation d’accréditation et, enfin, que la décision du Tribunal est finale et sans appel.
[28] Par ailleurs, ni la Loi ni le Règlement ne traite spécifiquement du cas présent, à savoir le remboursement ou la libération du dépôt de sécurité versé par l’entrepreneur au moment de son adhésion au plan de garantie, ou par la suite, et encore moins de la compétence de l’arbitre à statuer en pareil cas.
[29] Néanmoins, on constate que l’obligation de verser un cautionnement n’est pas le fruit d’un caprice de l’Administrateur mais bien une obligation légale rattachée à l’émission d’une accréditation. De fait, aucun entrepreneur ne peut obtenir une accréditation de l’Administrateur s’il ne satisfait pas aux exigences précitées et donc, il faut conclure que la remise d’un cautionnement par l’entrepreneur est une condition sine qua non à l’émission de ladite accréditation.
[30] Le procureur de l’Administrateur soulève un argument de texte voulant que le présent Tribunal ne soit pas compétent pour entendre la contestation de l’Entrepreneur puisque la décision rendue ne refuse ni n’annule l’adhésion de l’Entrepreneur.
[31] Avec égards, le Tribunal ne peut souscrire à l’argument soulevé par l’Administrateur.
[32] D’une part, l’article 41 de la Loi d’interprétation[6] prévoit qu’une loi doit être interprétée de manière large et libérale de manière à en assurer l’application selon son véritable sens et esprit. De plus, les dispositions d’une loi doivent s’interpréter les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui lui confère quelque effet[7].
[33] À ce titre, le Tribunal reproduit ci-dessous un extrait de la décision Lebire[8] rendue par l’honorable Jacques Dufresne, j.c.s., lequel résume bien l’esprit du Règlement :
[68] De l'ensemble des dispositions du Règlement, le Tribunal retient que le législateur a voulu mettre en place un mode alternatif de résolution des réclamations ou différends qui peuvent survenir à l'occasion de la construction ou de la vente d'un bâtiment résidentiel neuf. Le recours à l'arbitrage en vertu du Règlement n'écarte pas les autres recours dont disposent l'entrepreneur et le bénéficiaire en vertu notamment du Code civil du Québec.
[69] Le législateur veut, par l'adhésion obligatoire de tout entrepreneur à un plan de garantie dont les caractéristiques sont définies au Règlement, donner ouverture à un mode de résolution des réclamations ou des différends survenus à l'occasion de la construction ou de la vente d'un bâtiment résidentiel neuf qui soit plus souple, plus rapide et moins coûteux pour les parties à un contrat assujetti au Règlement.
(…)
[71] Les articles 36 et 120 du Règlement prévoient que la décision de l'arbitre est finale et sans appel. La décision arbitrale est protégée par une clause privative. La présence d'une telle clause et le fait de confier à une personne connaissant le domaine spécialisé de la construction militent en faveur de la retenue judiciaire à l'égard des décisions des arbitres désignés en vertu du Règlement.[3]
[72] Qui plus est, l'intention du législateur est clairement exprimée, tant dans la Loi que dans le Règlement : il a voulu mettre en place un système pour répondre de façon rapide et à moindre coût aux différends pouvant survenir entre l'entrepreneur et l'acheteur d'un bâtiment résidentiel neuf.
[73] L'objet de la Loi et du Règlement vise à déjudiciariser les réclamations ou différends découlant d'un contrat de construction ou de vente couverts par le Règlement, en favorisant un mode alternatif de résolution.
[34] Bien que l’extrait cité ci-devant traite spécifiquement de différends entre un entrepreneur et un bénéficiaire, le Tribunal est d’avis que les principes qui y sont énoncés sont applicables mutatis mutandis aux différends entre un entrepreneur et un administrateur. L’esprit de la loi ne saurait varier en fonction des dispositions à interpréter.
[35] Il découle de l’ensemble des dispositions du Règlement que le législateur a adopté comme principe la déjudiciarisation des différends entre entrepreneur et bénéficiaire de même qu’entre entrepreneur et administrateur de plan de garantie. De ce fait, il a confié les différends relatifs au refus et à l’annulation de l’adhésion d’un entrepreneur à l’arbitrage.
[36] Ce faisant, il a donné aux arbitres le pouvoir d’apprécier les motifs de l’administrateur qui refuse une adhésion ou qui l’annule et de décider du bien-fondé de ceux-ci. Dès lors, le pouvoir de l’arbitre s’étend à l’examen des exigences prévues au Règlement afin de rendre sa décision. Le cautionnement étant une exigence et une condition sine qua non à l’adhésion d’un entrepreneur, l’arbitre peut examiner la question du cautionnement pour décider de la justesse de la décision de l’administrateur.
[37] Dans l’affaire 9084-3194 Québec inc.[9] notre collègue Claude Dupuis a infirmé la décision de l’administrateur qui mettait fin à l’accréditation de l’entrepreneur au motif que le cautionnement offert était suffisant.
[38] Toutefois, lors de la modification du Règlement laquelle est en vigueur depuis le 1er janvier 2015, il semble que la question de la libération des cautionnements lors de l’accréditation avec le nouvel administrateur, soit la GCR, ait été passée sous silence tant dans la Loi que dans le Règlement. Néanmoins, et quoi qu’il en soit, le Tribunal ne peut refuser de rendre une décision pour ce motif et il doit interpréter le Règlement selon les principes énoncés plus haut.
[39] En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’il serait illogique et contraire à l’esprit du Règlement que le présent Tribunal d’arbitrage décline compétence alors même qu’il peut entendre et décider de toute autre question relative à l’adhésion.
[40] Le Tribunal est d’avis qu’en confiant aux arbitres la tâche de décider de toute question relative au refus et à l’annulation d’une adhésion d’un entrepreneur, le législateur confiait aux arbitres le soin de décider de toute question relative aux adhésions puisque manifestement, si l’adhésion est acceptée et l’accréditation émise, peu importe que des négociations aient précédées, il n’existe aucun différend à trancher.
[41] Par conséquent, jusqu’au 31 décembre 2014, les seules situations susceptibles de générer un différend et pour lequel le recours à l’arbitrage est explicitement prévu au Règlement sont le refus de l’administrateur d’émettre une accréditation, quel que soit le motif incluant le cautionnement, ou encore l’annulation par l’Administrateur d’une accréditation et ce, quel qu’en soit le motif incluant la question du cautionnement.
[42] Depuis le 1er janvier 2015, soit depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions et la venue de la GCR dont le corollaire est l’incapacité de l’Administrateur à émettre et renouveler des accréditations, il existe un nouveau motif générateur de différend et celui-ci n’a pas été explicitement prévu. Par ailleurs, l’article 119 du Règlement prévoit expressément les situations que le législateur entend soustraire de la juridiction de l’arbitre et le présent cas n’en fait pas partie.
[43] Pour les motifs énoncés plus haut, le Tribunal est d’avis que la contestation de la décision rendue par l’Administrateur relativement à la libération du cautionnement remis par l’Entrepreneur relève de la juridiction exclusive du Tribunal d’arbitrage.
[44] Par conséquent, le Tribunal rejette le moyen préliminaire soulevé par l’Administrateur et se déclare compétent à entendre la cause.
Frais
[45] Conformément à l’article 123 du Règlement les frais du présent arbitrage sont répartis en parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur.
EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande de l’Administrateur voulant qu’il décline compétence;
DÉCLARE que le présent Tribunal est compétent pour entendre la cause au mérite;
ORDONNE que les frais du présent arbitrage soient payés en parts égales par les parties conformément à l’article 123 du Règlement.
Montréal, ce 15 août 2016
Me Karine Poulin
[1] Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ c B-1.1, r. 8.
[2] Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ c B-1.1, r. 8 (ci-après appelé le « Règlement »).
[3] Loi sur le bâtiment, RLRQ c B-1.1 (ci-après appelée la « Loi »).
[4] Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, précité note 2.
[5] La garantie habitation du Québec inc. c. Me Michel Jeanniot et al., 2009 QCCS 909.
[6] Loi d’interprétation, RLRQ c I-16.
[7] Id., art. 41.1.
[8] La garantie habitation du Québec inc. et al. c. Gilles Lebire et al., 2002 CanLII 23 777 (QC CS).
[9] 9084-3194 Québec inc c. La garantie Qualité habitation, 2002 CanLII 49023 (QC OAGBRN).