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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE

DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment:

CENTRE CANADIEN D'ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)

 

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   ENTRE:                               MADAME LINDA JACQUES

                                                MONSIEUR ALAIN BEAUDOIN

 

                                                                   (ci-après désignés « les Bénéficiaires »)

 

 

                                                A.G.P. COUTURE ET FILS INC.

 

                                                                          (ci-après désignée « l'Entrepreneur »)

 

 

                                                LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS        NEUFS DE L'APCHQ INC.

 

                                                                        (ci-après désignée « l'Administrateur »)

 

 

 

   No dossier CCAC:  S10-241202-NP

 

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SENTENCE ARBITRALE

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   Arbitre:                                                       Me Reynald Poulin

 

   Pour les Bénéficiaires:                              Me Hugo Poirier

 

   Pour l'Entrepreneur:                                  Me Stéphane Audy

 

   Pour l'Administrateur:                               Me Patrick Marcoux

 

 

 

 

 

Identification complète des parties

 

 

Arbitre:                                                        Me Reynald Poulin

                                                                   79, boul. René-Lévesque Est

                                                                   Bureau 200

                                                                   C.P. 1000, Haute-Ville

                                                                   Québec (Québec)  G1R 4T4

 

 

Bénéficiaires:                                             Madame Linda Jacques

Monsieur Alain Beaudoin

[…] Saint-Jean-Chrysostome (Québec)  […]

Et leur procureur:

Me Hugo Poirier

Gravel Bernier Vaillancourt

 

 

Entrepreneur:                                             A.G.P. Couture et fils inc.

597, route Kennedy

Pintendre (Québec)  G6C 1J8

Et son procureur:

Me Stéphane Audy

KSA Avocats

 

 

Administrateur:                                          La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc.

5930, boul. Louis-H. Lafontaine

Anjou (Québec)  H1M 1S7

Et son procureur:

Me Patrick Marcoux

Savoie Fournier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

[1]           Le 29 novembre 2010, l’Administrateur de La Garantie des Maisons Neuves de l’APCHQ, par la voix de son inspecteur M. Yvan Gadbois, technologue professionnel, a rendu une décision aux termes de laquelle il a rejeté la demande de réclamation des Bénéficiaires qui se plaignaient d’un problème d’affaissement de leur résidence. Les Bénéficiaires ont demandé l’arbitrage de cette décision et le soussigné a été désigné à titre d’arbitre par le Centre canadien d’arbitrage commercial.

[2]           Deux (2) audiences préliminaires suivies de deux (2) décisions interlocutoires relatives à la gestion du dossier d’arbitrage ont été tenues et rendues dans le présent dossier.

[3]           L’arbitrage s'est tenu au Palais de justice de Québec et les parties étaient présentes accompagnées de leurs procureurs et de leurs experts respectifs.

[4]           En début d’audience, les pièces suivantes ont été déposées de consentement, sujet néanmoins à leur valeur probante et à leur pertinence.

 

 

A)        LES PIÈCES PRODUITES ET LES EXPERTISES

[5]           Les pièces A-1 à A-7 incluses au Cahier de pièces émis par l’Administrateur, conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, font évidemment partie du dossier d’arbitrage. À ces pièces se sont ajoutés les curriculum vitae de Mme Marie-Hélène Fillion et de M. Gilles Grondin, tous deux ingénieurs ayant signé le rapport d'étude géotechnique comme pièce A-5(i) et A-5(ii). Un complément d’expertise de la firme LVM daté du 25 avril 2011 a été produit comme pièce A-8 et un extrait du Code national du bâtiment 2005 (commentaire K, articles 60 à 64) a aussi été produit comme pièce A-9.

[6]           Du côté des Bénéficiaires, l’expertise de M. Martin Pelletier, ingénieur et représentant de Laboratoire d’expertises de Rivière-du-Loup inc., datée du 10 mars 2011 a été produite comme pièce B-1. S'est également ajoutée une liasse de photographies déposées comme pièce B-2 et numérotées de 1 à 33. L’étude de caractérisation géotechnique préparée par la firme Aecom pour la Ville de Lévis, en décembre 2010, a été produite par les Bénéficiaires comme pièce B-3. Cette étude de caractérisation a été produite de consentement, étant toutefois précisé qu’elle ne pourra servir que dans les limites proposées par le procureur des Bénéficiaires dans le cadre d’une lettre datée du 17 mars 2011. Lors de l’audition, le Tribunal a toutefois constaté que les experts de LVM, tout comme M. Martin Pelletier, ont tous référé à certains extraits de cette étude et ce, sans objection de part et d’autre. Une demande de réclamation formulée par les Bénéficiaires à l’Entrepreneur et à l’Administrateur en date du 19 juin 2008, de même qu’une décision de ce dernier datée du 15 janvier 2009 ont également été produites en liasse comme pièce B-4. Enfin, les Bénéficiaires ont produit comme pièce B-5 un dessin des fondations de leur résidence préparé en mars 2005 par Architecture Le Corbusier, représentée par Linda Lemieux et Lyne Rousseau, technologues en architecture.

[7]           Les Bénéficiaires ont déposé, de consentement avec les autres parties, un affidavit détaillé de M. Joël Briand, employé de Héneault & Gosselin inc. Cet affidavit fait donc preuve de son contenu dans le cadre du présent arbitrage.

[8]           Quant à l’Entrepreneur, celui-ci a déposé en liasse comme pièce E-1, copie du permis de construction de la résidence des Bénéficiaires et requis par l’Entrepreneur, accompagné de documents donnant le détail des conditions d’émission de ce permis.

 

 

B)        LA DEMANDE DE RÉCLAMATION

 

[9]           Par une lettre datée du 18 juin 2010, les Bénéficiaires ont formulé une demande de réclamation à l’encontre de l’Entrepreneur, avec copie conforme à l’Administrateur, au sujet de l’affaissement de leur résidence sise au […], en la ville de Saint-Jean-Chrysostôme. Le 17 septembre 2010, M. Yvan Gadbois et Mme Marie-Pier Germain se sont présentés à la résidence des Bénéficiaires pour une inspection. À ce moment, l’Administrateur a noté un dénivelé d’environ 31 millimètres (ci-après désigné «mm») se manifestant sur la partie avant de la résidence des Bénéficiaires. Suite à ces constatations, l’Administrateur a mandaté la firme LVM, laquelle a procédé à une reconnaissance des lieux le 8 octobre 2010. Des travaux de forage ont suivi quelques jours après. Après la réception du rapport d’étude géotechnique de LVM produit en novembre 2010, l’Administrateur a rejeté la demande de réclamation des Bénéficiaires.

 

[10]        Une demande d’arbitrage a été formulée à l’encontre de cette décision de l’Administrateur d’où l’audition en l’instance.

[11]        Tel que l’a reconnu l’Administrateur, et ceci n’est pas contesté par les Bénéficiaires, la demande de réclamation de ceux-ci a été reçue dans la cinquième année de garantie. Pour qu’il y ait couverture par le Règlement sur le plan de garantie, la demande de réclamation des Bénéficiaires doit répondre au critère du vice majeur. Dans les faits, le Tribunal d’arbitrage doit décider si la problématique d’affaissement de la résidence des Bénéficiaires constitue un tel vice majeur.

 

 

C)        LA PREUVE

·            TÉMOIGNAGE DU BÉNÉFICIAIRE

[12]        Le procureur des Bénéficiaires a d’abord fait entendre M. Alain Beaudoin, le propriétaire de la résidence visée par la décision de l’Administrateur.

[13]        M. Beaudoin a une formation de technicien en génie mécanique. Il s’est porté acquéreur, avec sa conjointe, Mme Linda Jacques, d’un terrain en date du 23 mars 2005 et dont l'immeuble qu'ils ont fait ériger sur celui-ci porte le numéro civique […], Saint-Jean-Chrysostôme. Le contrat d’acquisition a été produit comme pièce A-1. Il a demandé à l’Entrepreneur A.G.P. Couture & fils inc. de procéder à la construction de cet immeuble résidentiel. Le contrat d’entreprise a été produit comme pièce A-2 et a été signé par les parties le 8 mars 2005. M. Beaudoin qualifie ce type de contrat de «clé en main» et qu’il s’était réservé, avec sa conjointe, les travaux de peinture intérieure et la construction d'un patio extérieur. Il ajoute également avoir requis les services de l’Entrepreneur et ce, malgré qu’il affirme avoir eu à payer une somme de 1 000,00 $ de plus puisque cet entrepreneur n’était pas membre d’un groupe de constructeurs ayant prétendument une exclusivité de construction dans le secteur. Il décrit sa résidence comme étant une maison à étage avec garage, avec un sous-sol excavé pour toute la dimension du bâtiment. La face avant de sa résidence est en pierre avec une galerie en béton et les autres murs sont en revêtement de vinyle. Les Bénéficiaires ont aménagé dans leur résidence le 23 juin 2005 bien que certains travaux n’étaient pas complétés à ce moment. Une déclaration de réception de ce bâtiment a été signée le 7 septembre 2005 et est produite au dossier comme pièce A-3. À ce moment, de menus travaux demeuraient à être exécutés.

[14]        M. Beaudoin témoigna ensuite concernant les problèmes vécus à l’immeuble depuis sa réception.

[15]        Tout d’abord, il mentionne avoir constaté certains indices ou manifestations sans savoir qu’il y avait un véritable problème, surtout d’affaissement de son immeuble. Il affirme avoir vu des symptômes sans savoir réellement la source et la cause de ceux-ci. Il témoigne avec précision à l’égard d’un bout de plinthe d’approximativement trois pieds (3') de long qu’il appelle, de façon à illustrer ses propos, son «baromètre». Il mentionne que cette plinthe se sépare du plancher progressivement du plancher, de 0,0mm à 10mm ou 12mm, dépendant des époques où il fait les vérifications et ce, depuis 2006. En juin 2006, il témoigne avoir appelé l’Entrepreneur puisque les manifestations lui apparaissaient suffisantes pour avoir une certaine inquiétude. À cette époque, il pensait, et c’est ce qu’il aurait dit à l’Entrepreneur, qu’un poteau de soutènement de son immeuble s’enfonçait. Avisé de ce qui précède, l’Entrepreneur aurait délégué un représentant qui aurait constaté que le poteau de soutènement supportait une charge importante. M. Beaudoin témoigne que ce représentant n’a pas été capable de modifier la hauteur de ce poteau. Aucune intervention n’a donc été effectuée par l’Entrepreneur. À cette même époque, des problèmes d’ajustement de portes se sont également manifestés. Avisé de cela, le représentant de l’Entrepreneur lui aurait dit qu’il s’agissait là d’un travail normal des matériaux. L’Entrepreneur a néanmoins procédé à deux (2) ajustements de portes coulissantes. Les autres portes sont demeurées dans le même état sauf quant à celle donnant à la chambre des maîtres, laquelle a été modifiée personnellement par M. Beaudoin qui lui a enlevé approximativement 7mm en hauteur. En date de l'audition, il affirme qu’aucune porte de sa résidence ne ferme correctement et que les pênes ne font pas leur travail, sauf pour le pêne qu’il a modifié lui-même sur la porte du salon pour s’assurer que celle-ci fermait et le demeurait. Il ajoute également que la fenêtre de la chambre des maîtres n’était pas étanche mais que cela était anodin aux yeux de l’Entrepreneur. Une infiltration d’eau est également survenue par la fenêtre du sous-sol lorsque la margelle y donnant accès s’est remplie d’eau. Après avoir témoigné que la cause de cette infiltration d’eau était le fait que le drain était bloqué, le Bénéficiaire a même ajouté que, selon lui, cette problématique n’était pas associée au problème d’affaissement de son immeuble.

[16]        En 2008, il témoigne avoir été informé de problèmes d’affaissement de bâtiments dans son secteur mais que l’Administrateur et l’Entrepreneur se sont fait rassurants à ce sujet. On lui aurait mentionné que si sa résidence s’affaissait, «les manifestations de désordre seraient bien pires». Les Bénéficiaires ont transmis une demande de réclamation à l’Entrepreneur et à l’Administrateur au sujet des problèmes de fermeture de portes, de suintement et d’infiltration d’eau dans leur sous-sol de même que d’insonorisation déficiente de la chambre des maîtres. Cette demande de réclamation porte la date du 19 juin 2008 et a été produite au dossier en liasse comme pièce B-4. Le 15 janvier 2009, l’Administrateur, après avoir effectué une inspection le 5 décembre 2008, a rejeté la demande de réclamation concernant le problème de fermeture de portes (cette plainte ne rencontrant pas les critères du vice caché), rejeté les réclamations concernant le suintement et l’infiltration d’eau au sous-sol et le problème d’insonorisation de la chambre des maîtres (puisque le délai de dénonciation excédait le délai raisonnable établi par le législateur), de même que suspendu sa décision concernant le problème d’infiltration d’eau au sous-sol dans l’attente d’un rapport d’expertise.

[17]        En 2009, alors que l’Entrepreneur exécutait certains travaux sur le drain ayant causé l’infiltration d’eau, le Bénéficiaire lui aurait réitéré qu’il existait une problématique concernant ses portes. À ce moment, le représentant de l’Entrepreneur lui aurait proposé de mesurer les dénivellations du plancher à l’aide d’un laser. Des différences de 6mm à 8mm auraient été constatées et l’Entrepreneur, une fois de plus selon le Bénéficiaire, aurait été rassurant.

[18]        Inquiétés malgré tout par les rumeurs qui circulaient au sujet de l’affaissement de certaines résidences du secteur, les Bénéficiaires ont procédé à un mesurage des dénivellations des fondations en juin 2010. Quelques jours après, ils ont adressé une nouvelle demande de réclamation datée du 18 juin 2010, laquelle a été produite comme pièce A-4, accompagnée de documents décrivant les défauts dénoncés et la méthode qu’ils avaient utilisée pour mesurer l’affaissement. Plus précisément, les Bénéficiaires ont mentionné à l’Entrepreneur et à l’Administrateur que leur mesurage avait révélé un écart de 27mm entre l’arrière et le devant de leur résidence. Ils ont aussi rappelé que l’année précédente, l’Entrepreneur avait mesuré des écarts de l’ordre de 6mm à 8mm. Ajoutant qu’ils craignaient un dysfonctionnement des égouts pluvial et sanitaire de leur résidence et que certains défauts de finition dénoncés dans la lettre du 19 juin 2008 avaient empiré, ils ont exigé l’intervention de l’Entrepreneur et de l’Administrateur.

[19]        Au moment de la transmission de cette lettre du 18 juin 2010, les Bénéficiaires ont remarqué la continuité des manifestations et désordres à l’intérieur de leur résidence de même que constaté que la plinthe «baromètre» dans leur résidence indiquait un mouvement de sol. La problématique de portes s'accentuait et les rumeurs dans le secteur s’amplifiaient concernant les affaissements de sol. Ils ajoutèrent également qu’une étude de sol avait été rendue publique par la Ville de Lévis en juin 2010 et qu’ils comprenaient que la situation devenait plus sérieuse que ce qu’on leur aurait laissé croire auparavant. Depuis la transmission de cette demande de réclamation, les problèmes et désordres à la résidence des Bénéficiaires ont, selon M. Beaudoin, continué.

[20]        Plus particulièrement, le procureur des Bénéficiaires a produit une série de photos en liasse comme pièce B-2 (33 feuillets de photos au total), lesquelles ont fait l’objet de description par le Bénéficiaire lors de l’audience. Sans revenir sur chacun des propos du Bénéficiaire, le Tribunal estime nécessaire d’en souligner quelques-uns à l’égard de différentes problématiques dont il est fait référence.

A)        Les photos numéros 1 à 8 exposent des problèmes affectant l’escalier principal de la résidence menant du rez-de-chaussée à l’étage de celle-ci. Généralement, on y remarque un mouvement de cet escalier de quelques millimètres. En effet, on peut facilement estimer cette mesure puisqu'une démarcation blanche entre cet escalier et le mur peint par les Bénéficiaires y apparaît aux photos. Cette démarcation représente l’affaissement selon les Bénéficiaires. Cette manifestation n’était pas présente à l’automne 2010 mais est apparue en mars 2011 selon le Bénéficiaire. En date de l’audition de l’arbitrage, il n’y aurait plus de telle démarcation dans le bas de l’escalier (mais encore ailleurs), démontrant un mouvement du bâtiment ou de cet élément qu’est l’escalier. De même, le Bénéficiaire témoigne que le «déchirement» tout près des escaliers, et tels qu’exposés aux photos 7 et 8, était présent à l’automne 2010. Le procureur de l’Administrateur s’est objecté à toute preuve de faits par témoignages ou par supports documentaires qui seraient postérieurs à la date de décision de l’Administrateur A-6. En fait, le procureur invoque que sont inadmissibles des faits qui seraient postérieurs à cette décision d’autant plus que certains d’entre eux seraient postérieurs à l’expiration de la garantie quinquennale. Cette objection a été prise sous réserve et est rejetée pour les motifs qui seront exposés ultérieurement dans cette décision.

 

B)       La photo 9 expose un affaissement similaire affectant cette fois, l’escalier menant au sous-sol de la résidence.

C)       Les photos 10, 11, 12, 19, 20, 21, 22 et 29 démontrent des manifestations autour des douches de l’étage et du sous-sol de la résidence. Effectivement, il apparaît qu’il y a un détachement de quelques millimètres entre les murs et les douches. Cela apparaît, selon le soussigné et vu la preuve d'expert à l'audience, être un phénomène qui dépasse le comportement normal des matériaux et qui est associé à du mouvement de structure.

D)       Les photos 13, 14, 17 et 32 sont pertinentes à une problématique affectant des portes françaises au rez-de-chaussée de la résidence. De toute évidence, ces portes françaises ne ferment plus convenablement et des ouvertures, même lorsque ces portes sont fermées, apparaissent entre celles-ci et au bord du cadre latéral droit. Par ailleurs, l’une de ces deux portes françaises semble sortir du socle devant la guider pour être entrée dans le mur servant à la cacher. Le Bénéficiaire témoigne également que quelques ajustements ont été apportés à cette porte par l’Entrepreneur, mais en vain.

E)        Les photos 15 et 16 démontrent des fissures au cadre d’une porte se retrouvant au salon du rez-de-chaussée. De plus, nous pouvons aussi y constater que la porte, malgré que celle-ci soit fermée, laisse un espace suffisant en haut de celle-ci pour que l’on puisse y voir de l’autre côté. À ce sujet, le Bénéficiaire témoigne avoir dû modifier le pêne en le rabaissant de 10mm pour s’assurer que la porte puisse demeurer fermée, ce qui lui apparaissait important compte tenu du positionnement de celle-ci au rez-de-chaussée. Malgré cette intervention, le Bénéficiaire affirme que subsistent encore des problèmes avec cette porte comme avec toutes les autres de la résidence, selon lui.

F)        La photo 18 montre le cadre de la porte de la chambre des maîtres à l’étage. On peut y voir une fissure à la plinthe au pourtour de cette porte, ce qui fait preuve, selon le Bénéficiaire, d’une certaine contrainte. Il ajoute avoir dû couper cette porte de sept 7mm à 8mm afin de s’assurer qu’elle ferme. Il ajoute que cette porte, une fois fermée, s’ouvre seule, ce qui démontrerait, selon le Bénéficiaire, que les murs la supportant auraient bougé.

G)       Les photos 23 à 26 démontrent, quant à elles, une déformation de la fenêtre de la chambre à coucher principale. Tel qu’exposé à la photo 26, cette déformation serait de plus ou moins 9mm.

H)       Les photos 27 et 28 exposent un mouvement du plancher tant dans la chambre des maîtres que dans une autre chambre (celle intitulée «Maude»). Le Bénéficiaire ajoute que les planchers de bois de sa résidence craquent et qu’il a l’impression d’être dans une maison centenaire.

I)          Les photos 30 et 31 présentent des fissures se retrouvant à une fenêtre arrière du sous-sol de la résidence. On y remarque une série de fissures sur le linteau au-dessus de la fenêtre et une plus importante fissure dans le bas de celle-ci, à droite. Il semble que ces fissures ont été découvertes au printemps 2011, soit après la décision de l’Administrateur de même qu’après une période de cinq (5) ans depuis la réception du bâtiment. De toute évidence, selon le soussigné, et aucune preuve contraire à celle amenée par les propos du Bénéficiaire n’ayant été faite, ces fissures dépassent le comportement normal des matériaux ou des fissures dites de retrait.

[21]        M. Beaudoin témoigne que l’année la plus problématique est celle de l’hiver 2011 puisqu’à ce moment, les manifestations déjà existantes ont empiré et que de nouvelles se sont manifestées notamment aux fondations, tel qu’exprimé précédemment. D’ailleurs, M. Beaudoin admet avoir entendu parler de problèmes d’affaissement dans le secteur des Constellations, phénomène qui serait expliqué par l’instabilité du sol. Ainsi, il témoigne que plusieurs maisons auraient bougé dans ce secteur, dont la sienne, et que déjà plusieurs d’entre elles, sur sa rue, auraient subi des travaux de stabilisation de fondations. Il mentionne que la résidence en face de la sienne aurait subi de tels travaux de même que celle située à gauche de celle-ci. Quant aux deux résidences immédiatement voisines de la sienne, il témoigne que celles-ci subissent de nombreux problèmes d'affaissements. Il dit vivre toutes sortes d’émotions allant de la déprime à la frustration et ce, en raison du fait qu’il s’agit d’une maison neuve pour l’achat de laquelle toutes les économies de son couple ont été placées et par surcroît construite par un entrepreneur qu’il a spécifiquement choisi. Bénéficiant d’une garantie, il se plaint du problème d’affaissement de sa résidence et des multiples manifestations qu’il prétend y être reliées.

[22]        Lorsque contre-interrogé par le procureur de l'Entrepreneur, il admet avoir acquis le terrain sur lequel est érigée sa résidence principale de la compagnie 2542-0902 Québec inc. L’acte de vente a été produit comme pièce A-1. Ce terrain a été acheté avec la garantie légale et le Bénéficiaire témoigne n’avoir reçu aucune étude de sol par son vendeur ni n’en avoir fait faire depuis. Le permis de construction et les modalités de celui-ci ont été produits comme pièce E-1 en liasse. Le Bénéficiaire témoigne n’avoir connaissance d’aucune autre condition à l’émission du permis que ce qui apparaît au document déposé. Il affirme avoir été présent lors de l’excavation des fondations. Il ignore le type d’équipement qu’aurait utilisé l’Entrepreneur de même que si des problèmes sont survenus lors de ces travaux. Il n’a pas assisté à la coulée des fondations mais affirme avoir vu celles-ci lorsqu’elles avaient été complétées. Il n’y a eu aucun problème, à sa connaissance, lors de l’exécution de ces travaux de fondations.

[23]        Contre-interrogé cette fois par le procureur de l’Administrateur, M. Beaudoin affirme que les manifestations ont été progressives et ce, depuis la première année suivant la prise de possession de sa résidence. Il ajoute néanmoins que l’ondulation dans les planchers était le phénomène qu’il a vécu cet hiver et que plusieurs manifestations ont été vues par le représentant de l’Administrateur avant la décision de celui-ci. Il ajoute que l’affaissement de l’escalier est survenu à l’hiver 2011. En fait, il est difficile, selon le Tribunal, d’identifier précisément la survenance des différents problèmes soulevés puisque ceux-ci apparaissent manifestement de façon progressive. De plus, certains problèmes ont fait l'objet de réparations soit par le Bénéficiaire ou l'Entrepreneur et d'autres disparaissent momentanément pour réapparaître plus tard.

[24]        Aucun autre témoin ordinaire n’a été entendu lors de l’audition. Une admission a par contre été convenue à l’effet que le représentant de l’Administrateur, M. Gadbois, aurait pris la décision du 29 novembre 2010, pièce A-6, sur la foi de l’expertise préparée par LVM et déposée comme pièce A-5.

 

 

·            TÉMOIGNAGE DES EXPERTS

§  EN DEMANDE

     (Laboratoire d’expertises de Rivière-du-Loup inc. par Martin Pelletier, ingénieur géologue)

[25]        En demande, les Bénéficiaires ont fait entendre M. Martin Pelletier, ingénieur au service de Laboratoire d’expertises de Rivière-du-Loup inc., lequel a été reconnu expert (ingénieur géologue) par le Tribunal après le dépôt de son curriculum vitae et des représentations à ce sujet. Essentiellement, cet expert a produit un rapport portant la date du 10 mars 2011 et qui s’intitule «Commentaires sur rapport géotechnique de la firme LVM», produit au dossier comme pièce B-1. Après la décision de l’Administrateur A-6, lequel a référé le Bénéficiaire au rapport LVM A-5 de novembre 2010, les Bénéficiaires ont requis l’opinion technique de M. Pelletier. Il a été admis en cours d'audience que l'Administrateur a pris sa décision sur la foi de cette expertise LVM A-5.

[26]        Le mandat de cet expert est décrit comme suit à son rapport: «Le présent mandat visait principalement à valider les informations mentionnées à l’intérieur dudit document (LVM novembre 2010) quant à l’ampleur des tassements qui se sont produits et ceux qui seront susceptibles de se poursuivre au cours des prochaines années».

[27]        Pour les fins de son travail, cet expert a consulté l’étude de caractérisation géotechnique préparée par la firme Aecom à la demande de la Ville de Lévis et produite comme pièce B-3. Cette étude comporte une section principale totalisant 43 pages et inclut une série de 7 annexes comportant plusieurs documents, graphiques, rapports de forage, données diverses, rapports de laboratoires et tableaux interprétatifs des propriétés géotechniques des sols de même que des coupes stratigraphiques des lieux.

[28]        Dans son témoignage, l’expert Pelletier a référé à l’Annexe 1 du rapport Aecom, figure 2, où l’on peut identifier certains forages à proximité de la résidence des Bénéficiaires. Les forages FO-9-9, F-10-16 et F-10-17 seraient ceux auxquels il serait le plus probable de se référer, selon l’expert Pelletier, pour analyser l’ampleur des éventuels tassements à venir à la résidence des Bénéficiaires. En fait, il a fait une étude comparative entre les résultats de la firme Aecom (les forages près de la résidence des Bénéficiaires) et ceux de la firme LVM pour anticiper les éventuels tassements, s’il en est, à la résidence des Bénéficiaires. Pour les fins de ses calculs et son opinion, il a considéré un remblai de 1,75 mètres (ci-après désigné «m») d’épaisseur suivi d’une couche de sable à sable silteux de 7,4m d’épaisseur et une épaisseur de silt argileux de 2,90m d'épaisseur. Il a expliqué avoir tenu compte d’une pression de pré-consolidation de 55kPa et ce, en raison des résultats du forage FO-9-9. Quant à la détermination de cette pression de pré-consolidation, nécessaire aux fins du calcul des tassements anticipés, M. Pelletier précise que LVM a expliqué ses paramètres de calculs dans son deuxième document d’expertise, soit celui daté du 25 avril 2011 et produit comme pièce A-8. Cette pression de pré-consolidation a été fixée par LVM de 70kPa à 170kPa et ce, à partir des résultats de forage. Cette différence de résultats entre experts explique en partie leur évaluation des tassements susceptibles de se produire sur le terrain des Bénéficiaires. L’expert Pelletier ajoute également comment il a déterminé les indices Crc et Cc se retrouvant à ses calculs. Il précise avoir considéré les résultats des essais œdométriques pour le forage FO-9-9 de Aecom. Contrairement à lui, LVM a considéré des valeurs obtenues à partir des estimations des experts Leroueil et Lebihan (Cr) de 0,02, celles-ci étant en-deçà de la valeur de Aecom (B-3, p. 33). Ces différences dans les calculs des experts expliquent la variante de leur opinion quant aux tassements.

[29]        L’expert Pelletier a par la suite expliqué la différence entre des tassements totaux et des tassements différentiels. Évidemment, n’ayant pas de repère original lors de la construction de la résidence des Bénéficiaires, les tassements totaux ne peuvent qu’être estimés et non mesurés précisément. Quant aux tassements différentiels, ceux-ci sont mesurables puisque l’on compare des niveaux d’élévation à plusieurs endroits sur les fondations de la résidence des Bénéficiaires pour fins de comparaison, à une date donnée, entre eux. Toute différence entre ces mesures constitue, à la compréhension du Tribunal, un tassement différentiel.

[30]        À partir des paramètres qu’il a déterminés, l’expert Pelletier est d’opinion qu’en présence d’une épaisseur de silt argileux de 2,9m, il serait possible que les tassements totaux anticipés soient de l’ordre de 238mm. Or, lorsque l’expert ramène l’épaisseur du silt argileux à 0,9m (résultat du forage TF-02-10 de LVM en date du 22 octobre 2010), il estime les tassements totaux anticipés à 75mm comparativement à des tassements totaux anticipés par LVM de l’ordre de 50mm.

[31]        Tentant d’expliquer ces différences, l’expert Pelletier précise que les données relatives à la pression de pré-consolidation et les indices Crc et Cc peuvent grandement influencer les résultats. Rappelant que des tassements différentiels de 40mm ont déjà été mesurés à la résidence des Bénéficiaires, il estime que des tassements additionnels peuvent survenir jusqu’à concurrence de 75mm et ce, même en considérant que les tassements primaires seraient achevés et que seulement des tassements secondaires surviendraient. À ce dernier sujet, il estime que les tassements secondaires pourraient être plus importants à la résidence des Bénéficiaires puisque les tassements primaires qui se sont manifestés sont à la limite pour ne pas dire dépassent même ceux que l’on devait anticiper. À ce sujet, il estime que ces tassements secondaires pourraient être égal à 10% des tassements primaires et même jusqu’à 20% de ceux-ci, s’il se réfère à l’étude de caractérisation géotechnique Aecom. Rappelant que les tassements totaux ont été évalués à 50mm par LVM et, au maximum, selon le résultat de forage TF-02-10 de LVM à 75mm, il ajoute que le calcul précis des tassements différentiels est difficile à exécuter. LVM aurait mesuré de 20mm à 40mm de tassements différentiels et ce, à partir de relevés pris à hauteur du revêtement de vinyle reposant sur les fondations. D’ailleurs, il rappelle que les tassements totaux ont été évalués à 50mm par LVM, ce qui laisse bien peu de place pour des tassements futurs qui pourraient être égal à 20% des tassements primaires, selon son témoignage. D’ailleurs, il ajoute que ces tassements secondaires pourraient être plus importants du fait que le mur avant de la résidence des Bénéficiaires est plus lourd et que le phénomène d’affaissement à ce même endroit, ce qui a été constaté dans les expertises, pourrait s’amplifier. En évaluant que les tassements secondaires sont égal à 10% des tassements totaux, ces tassements additionnels, puisque non terminés, pourraient varier de 5mm à 7,5mm dépendant des évaluations des experts mandatés par les parties. Ce faisant, les manifestations liées à l’affaissement du sol continueront, selon lui, et pourraient même s’amplifier compte tenu du type de construction et de l’atteinte des limites du tassement primaire comme mentionné précédemment.

[32]        Enfin, l’expert rappelle que selon la règle de l’art, on considère que les fondations d’un bâtiment adoptent un comportement acceptable lorsque les tassements différentiels et totaux n’excèdent pas respectivement 20mm et 25mm. Cette règle émane, selon l’expert, du Manuel canadien d’ingénierie des fondations. Ainsi, l’expert précise que les tassements différentiels tels que constatés par les Bénéficiaires (27mm), par l’Administrateur (31mm) et par LVM (20mm à 40mm) traduisent déjà un tassement différentiel supérieur à ces deux (2) mesures.

[33]        Ayant eu l’opportunité de prendre connaissance de l’expertise complémentaire de LVM datée du 25 avril 2011, pièce A-8, M. Pelletier conteste l’opinion de LVM au sujet de l’inexactitude de cette règle dans le cas présent. À la page 6 du rapport LVM pièce A-8, il est précisé que le CNB 2005 mentionne dans le commentaire k), article 62, que «le tassement différentiel maximal global admissible peut être augmenté dans le cas de fondations sur des sols argileux à condition que les rotations relatives demeurent à l’intérieur des limites admissibles et que le tassement global ne pose pas de problèmes pour les conduites qui desservent le bâtiment». Estimant probable que les conduites qui desservent le bâtiment s’affaissent au même rythme que les terrains et les bâtiments, LVM est d’avis que les rotations relatives demeurent à l’intérieur des limites admissibles et que, par conséquent, le tassement différentiel maximal global peut donc être augmenté, sans qu’il ne soit par contre précisé de maximum. À cet égard, M. Pelletier conteste les résultats de LVM. En effet, même en prenant une rotation de 1/300 pour les mouvements à long terme, il est en désaccord avec la méthode de calcul de LVM qui considère la longueur de 13,22m de la résidence à l’étude. En effet, il prétend que l’affaissement s’étant produit de l’arrière vers l’avant de la résidence, la largeur de celle-ci devrait être prise en considération plutôt que la longueur. Se référant à un plan de fondations de la résidence des Bénéficiaires produit comme pièce B-5, il en arrive plutôt à un tassement différentiel maximal de 31mm au lieu d’un tassement différentiel maximal de 44mm tel que suggéré par LVM. Ce qui précède confirme, selon lui, que les mesures prises dépassent ce seuil tolérable. De plus, en se référant au commentaire k) du CNB 2005 et plus particulièrement aux deux (2) dernières phrases de l’article 62, dont l'extrait a été produit comme pièce A-9, il ajoute que ces règles au CNB 2005 ne s’appliquent qu’aux bâtiments de conception simple et dont l’intensité des charges est uniforme, ce qui pourrait ne pas être le cas considérant le mur avant de la résidence des Bénéficiaires.

[34]        Appelé à commenter les photos produites en liasse comme pièce B-2, l’expert y voit des manifestations ou des symptômes d’un problème d’affaissement. Plus particulièrement, il est d’opinion que la fissure apparaissant à la photo 30 de B-2 n’en est pas une de retrait. Il est également d’avis que cette fissure pourrait aller jusqu’à la semelle de la fondation. Quant à la quantité de fissures apparaissant aux photos 31, celles-ci sont plus que des fissures de retrait et ce, considérant leur nombre et leur rapprochement. Il ajoute que la fondation est affaiblie et qu’en raison des fissures, des infiltrations d’eau sont possibles à l’intérieur du bâtiment. Puisque ces fissures ont été découvertes en mars 2011, soit après le rapport de LVM A-5 produit en novembre 2010, cela confirme la thèse, selon lui, contrairement à LVM dans son rapport, que les dommages ont progressé de façon significative et qu’il est nécessaire de faire un travail en sous-œuvre pour éviter que cette situation devienne encore plus grave compte tenu notamment des tassements secondaires à venir. Témoignant avoir quelques années d’expérience avec un entrepreneur en sous-œuvre, il précise qu’un travail de «pieutage» est nécessaire pour remettre à niveau ou limiter l’affaissement de la résidence. À ce sujet, il est utile de rappeler qu’un affidavit de M. Joël Briand, représentant de la firme Héneault & Gosselin inc., a été mis en preuve par les Bénéficiaires. Le soussigné cite un extrait de cet affidavit qui confirme la thèse de l’expert des Bénéficiaires:

«4. À ma connaissance, ces travaux permettent toujours de redresser le bâtiment dans son état initial selon le comportement de la structure c’est-à-dire en tenant compte de la position initiale du bâtiment et des affaissements normaux qui auraient pu se produire suite au coulage des fondations, sous réserve des réparations à effectuer suite au redressement;

 5. Plus particulièrement, dans le cas d’une résidence affectée d’un problème d’affaissement de plus ou moins 50 millimètres, je n’ai jamais vu un cas où les travaux de reprise en sous-œuvre n’ont pas permis de la redresser dans son état initial selon le comportement de la structure c’est-à-dire en tenant compte de la position initiale du bâtiment et des affaissements normaux qui auraient pu se produire suite au coulage des fondations;».

[35]        Contre-interrogé brièvement par le procureur de l’Administrateur, l’expert Pelletier a été incapable de donner une explication précise au sujet de l’apparition tardive des fissures en mars 2011. Il a malgré tout précisé que le point de rupture d’une fondation peut survenir à différents moments d’un affaissement de sol. Il précise aussi que cette manifestation aurait pu survenir encore plus tard et ce, dépendamment de la géologie du sol. Enfin, M. Pelletier est d’avis que les estimations de tassements totaux avancées par les experts varient de 50mm (LVM) à 75mm (par lui-même).

 

 

§  EN DÉFENSE

     (LVM par Marie-Hélène Fillion, ingénieure géologue, et Gilles Grondin, ingénieur géotechnique et mécanique des sols)

[36]        Le procureur de l’Administrateur a d’abord fait entendre Mme Marie-Hélène Fillion au sujet des travaux d’expertise faits à la résidence des Bénéficiaires par la firme LVM. Mme Fillion a été reconnue comme experte par le Tribunal après le dépôt de son curriculum vitae et des représentations à ce sujet.

[37]        Rappelons que la firme LVM a préparé le rapport d'étude géologique A-5 portant la date de novembre 2010. Cette expertise a été à la base de la décision de l'Administrateur du 29 novembre 2010 A-6. Après qu'une expertise eut été produite par M. Martin Pelletier, agissant pour le Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc. en date du 10 mars 2011, cette expertise ayant été produite au dossier comme pièce B-1, LVM a préparé en date du 25 avril 2011 un rapport dont l'objet était «Commentaires sur rapport d'étude géotechnique» de Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc., daté du 10 mars 2011. Ce nouveau rapport de LVM a été produit au dossier comme pièce A-8.

[38]        Mme Fillion a agi à titre de chargé de projet dans le cadre des deux (2) documents préparés par LVM dans la présente affaire. Elle a expliqué au Tribunal avoir effectué plusieurs expertises à la demande de l'Administrateur à ce jour. En octobre 2010, elle témoigne s'être rendue sur place à la résidence des Bénéficiaires accompagnée de M. Gadbois, représentant de l'Administrateur, et du Bénéficiaire, M. Alain Beaudoin. Ce qui précède est décrit au rapport A-5.

[39]        Elle témoigne avoir constaté certains dommages à la résidence des Bénéficiaires dont des fissures dans les murs. Elle précise n'avoir constaté aucune fissure à la fondation à ce moment. À l'aide d'un niveau laser, elle prend des mesures et constate une pente de l'arrière de la résidence vers l'avant de celle-ci et particulièrement du côté droit. Elle témoigne qu'elle n'est pas de grande ampleur mais que cette pente est visible.

[40]        Elle explique au Tribunal que selon l'expérience de LVM dans le secteur, il est très difficile de prélever un échantillon exact de sol étant donné la consistance très molle du silt argileux. Notamment pour cette raison, une valeur de résistance au cisaillement, ladite valeur étant utile au calcul des éventuels affaissements additionnels à la résidence des Bénéficiaires, n'a pu être mesurée. Les valeurs de résistance obtenues n'étaient pas, selon LVM, représentatives. Elle explique également que les deux (2) forages effectuées par LVM avaient été effectuées à des endroits où le sol comportait des épaisseurs différentes d'argile ce qui faisait  évidemment varier toute hypothèse scientifique d'affaissements additionnels entre ces deux (2) forages. Elle ajoute que les mesures prises par LVM pour déterminer le tassement différentiel affectant la résidence des Bénéficiaires l'ont été à partir du dessous du revêtement de vinyle de la résidence et ce, en raison du fait qu'ils étaient incapables de prendre la mesure sur le mur de fondation. Elle témoigne que les mesures ainsi prises donnent une bonne idée du tassement différentiel qui se situe de 20mm à 40mm. Elle réfère au tableau portant le titre «Localisation des forages» préparé par LVM dans le cadre de l'expertise A-5. Lorsque l'on réfère aux mesures d'élévation, après ajustements, apparaissant à ce tableau, nous pouvons constater qu'il y a, selon les élévations s'y retrouvant, une dénivellation entre le coin arrière droit et le coin avant gauche de la résidence de 20mm et entre le coin avant gauche et le coin avant droit de 40mm pour ne préciser que ces deux différences d'élévation.

[41]        Le procureur de l'Administrateur demande aussi à M. Gilles Grondin, co-auteur des documents d'expertise préparés par LVM, de témoigner. M. Grondin est également reconnu comme expert dans son domaine de compétence et a témoigné à ce titre. M. Grondin porte le titre de directeur-expertise et est également ingénieur géologue.

[42]        Il témoigne à l'appui du rapport d'expert produit comme pièce A-8 qui, en fait, constitue les commentaires de LVM sur le rapport d'étude géotechnique produit par Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc. comme pièce B-1.

[43]        Plus précisément, il témoigne au sujet de la résistance au cisaillement du sol tel qu'expertisé par LVM. Il réitère que les valeurs de résistance au cisaillement étaient non représentatives. Ces explications sont en réponse aux points 1 et 2 soulevés par Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc. à la page 3 de 5 de leur rapport B-1. Quant à l'évaluation des tassements à venir, il apporte les explications qui se retrouvent plus précisément détaillées à la page 4 de 7 du rapport de LVM du 25 avril 2011 A-8. En fait, il conteste les indices Crc et Cc utilisés dans le rapport de Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc.  préférant ceux apparaissant au rapport de LVM et qui, cumulés aux autres paramètres déterminés par cette firme, mène à des tassements de l'ordre de 50mm. Revenant sur le témoignage de M. Pelletier, représentant de Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc., il témoigne que le tassement secondaire pour le type de sol que nous retrouvons au pourtour de la résidence des Bénéficiaires et qui est fonction de l'épaisseur des différents types de matériaux que l'on y retrouve pourrait être de l'ordre de 10%. M. Grondin ajoute que ce tassement secondaire a été, malgré tout, évalué par la firme Aecom à 20%.

[44]        Quant à la reprise en sous-œuvre, il conteste les propos du représentant de Héneault & Gosselin inc., de même que ceux de M. Pelletier, de Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc. Il prétend que les tassements sont terminés et que vu l'absence de fissure (malgré qu'il y ait eu preuve de certaines d'entre elles), des travaux en sous-œuvre ne sont pas nécessaires. À noter que les fissures à la fondation semblent être apparues après les premières interventions de LVM selon la preuve administrée à l'audience.

[45]        Procédant à interroger le témoin M. Grondin, le Tribunal a voulu savoir si la preuve produite lors de l'audience (dont notamment les photos produites en liasse comme B-2 et particulièrement celles exposant les problématiques de fissures aux fondations) pouvait avoir une influence sur l'opinion de cet expert et ce, considérant qu'il n'en avait pas eu connaissance au préalable. M. Grondin a témoigné avec une grande franchise et a précisé au Tribunal que s'il avait connu cette preuve au moment de son rapport, ses conclusions auraient été différentes.

[46]        Interrogé par le procureur des Bénéficiaires, il témoigne que la recommandation de faire un suivi des tassements éventuels de la résidence pour en vérifier l'évolution se retrouvant au rapport d'expert A-5 de novembre 2010 serait importante pour améliorer les connaissances scientifiques au sujet de tassement différentiel.

[47]        Après le témoignage de M. Grondin, les parties ont déclaré leurs preuves respectives terminées.

 

 

D)        DÉCISION

[48]        La demande de réclamation des Bénéficiaires en la présente instance requiert des travaux visant la remise à niveau de leur résidence et ce, en raison de problème d'affaissements résultant d'une problématique de tassement de sol. Tel que le soussigné a pu le constater lors de l'arbitrage, la preuve technique présentée par les experts, mandatés par l'une et l'autre des parties, est relativement complexe et révèle des détails précis et des hypothèses scientifiques élaborées.

[49]        En cours d'audience, les experts de part et d'autre ont parfait leur raisonnement et, sur certains aspects, ont dégagé un consensus.

[50]        Mais avant d'aborder la question de fond, soit la validité ou non de la demande de réclamation des Bénéficiaires, les procureurs de l'Entrepreneur et de l'Administrateur ont soulevé deux (2) arguments, dont un eu égard à la preuve et l'autre eu égard à la recevabilité même de la demande de réclamation des Bénéficiaires que le Tribunal doit trancher en premier lieu.

 

 

§   OBJECTION DU PROCUREUR DE L'ADMINISTRATEUR QUANT À TOUTE PREUVE POSTÉRIEURE À LA DÉCISION RENDUE LE 29 NOVEMBRE 2010 (PIÈCE A-6)

[51]        Dans le cadre du témoignage du Bénéficiaire, le procureur de l'Administrateur s'est objecté à toute preuve de faits par témoignage ou par support documentaire qui viserait des événements postérieurs à la date de la décision de l'Administrateur A-6 rendue le 29 novembre 2010. Selon le procureur de l'Administrateur, ces faits seraient inadmissibles en preuve puisque postérieurs à ladite décision et, en plus, postérieurs, selon lui, à la garantie quinquennale visée par le Plan.

[52]        Cette objection a été prise sous réserve par le soussigné en cours d'audience.

[53]        Lors de son témoignage, le Bénéficiaire a effectivement témoigné à propos de certains événements ou plutôt certaines manifestations physiques reliées à son immeuble résultant, selon lui, du vice dénoncé. En fait, il a été difficile, pour le Tribunal, de déterminer, en délibéré, quelle était la preuve particulière qui était postérieure au 29 novembre 2010 et celle qui était pertinente à des événements antérieurs à cette dite date. À tout événement, le Bénéficiaire a témoigné de certaines manifestations à sa résidence à l'hiver 2011. D'ailleurs, selon les propos du Bénéficiaire, les manifestations existantes avant la décision de l'Administrateur auraient «empirées» et de nouvelles manifestations, notamment aux fondations, seraient apparues. Le soussigné réfère aux photos 30 et 31 qui démontrent différentes fissures affectant les fondations et qui ont d'ailleurs été analysées par les experts dans le cadre de leur témoignage lors de l'audience. Selon le Tribunal, c'est en raison de ces nouvelles manifestations que l'expert mandaté par l'Administrateur a admis au Tribunal que ses conclusions auraient été différentes si, à l'époque de son rapport, ces manifestations lui avaient été connues. En fait, ces manifestations, postérieures à la décision de l'Administrateur du 29 novembre 2010, tendent à confirmer qu'il y a des affaissements additionnels à l'immeuble ou que le «point de rupture» des fondations semble être arrivé à cette période plutôt qu'auparavant. Évidemment, cet affaissement étant progressif, il aurait pu survenir avant la décision de l'Administrateur plutôt qu'après comme dans le présent cas. Il est évident qu'une preuve tout à fait isolée d'une manifestation d'un vice (lequel serait apparu progressivement) ne peut avoir pour effet, lorsqu'admis en preuve, de prolonger le délai de garantie quinquennal prévu au Plan. Dans la présente affaire, tous ont unanimement admis que le vice s'est manifesté de façon graduelle. Dans la mesure où la cause de ces manifestations, soit le vice dont se plaint un Bénéficiaire, est née pendant la durée de la garantie, toute preuve de la progression des manifestations de ce même vice est pertinente selon le Tribunal. Prétendre que toute preuve postérieure à la décision de l'Administrateur serait irrecevable conditionnerait ni plus ni moins la preuve pertinente à un arbitrage, à une date d'une décision de l'Administrateur. Il serait en effet paradoxal de permettre une preuve d'éléments survenus avant une décision mais pendant une période de garantie et ne pas permettre que soit introduite une preuve après cette même décision, toujours pendant une période de garantie. La décision d'un administrateur ne peut dicter la pertinence d'une preuve ni non plus limiter, sans autre considération, celle-ci. Par surcroît, lorsque nous analysons la décision de l'Administrateur dans le présent dossier, celui-ci réfère lui-même à l'éventuel tassement secondaire possible, mais très faible selon lui, en raison de la fine épaisseur du dépôt argileux. L'Administrateur s'est même déclaré d'avis que les travaux de stabilisation du bâtiment n'étaient pas requis considérant l'absence de tassement significatif dans le futur. Nous constatons donc que l'Administrateur lui-même réfère à des événements à venir, lesquels constituent une justification de sa propre décision.

[54]        D'ailleurs, les Bénéficiaires, mécontents de la décision de l'Administrateur, pourraient tenter de contredire celui-ci et faire la preuve qu'il y aurait effectivement des manifestations futures.

[55]        Le Tribunal ajoute  également que même en ayant rejeté cette preuve postérieure à la décision de l'Administrateur A-6, sa conclusion quant à la présence du vice aurait été la même.

[56]        En raison de ce qui précède, l'objection à la preuve formulée par le procureur de l'Administrateur est rejetée.

 

 

§   IRRECEVABILITÉ DE LA DEMANDE DES BÉNÉFICIAIRES POUR NON-RESPECT DU DÉLAI DE DÉNONCIATION MAXIMAL DE SIX (6) MOIS DE LA CONNAISSANCE DU VICE

 

[57]        Ce moyen d'irrecevabilité a été plaidé par les procureurs de l'Entrepreneur et de l'Administrateur après que la preuve en arbitrage soit terminée. Le procureur des Bénéficiaires a requis du Tribunal de considérer que ce moyen d'irrecevabilité ne devrait pas être admissible à ce stade des procédures parce que tardif et donc inéquitable. Considérant que l’Administrateur a traité la demande de réclamation des Bénéficiaires selon la législation applicable et que l’Entrepreneur peut, au moment d’une demande d’arbitrage, faire valoir ses motifs de contestation, le Tribunal rejette l’argument du procureur des Bénéficiaires à l’effet qu’il serait inéquitable de traiter même ce moyen de défense en l’instance.

[58]        Ce moyen n'a pas été soulevé par l'Administrateur dans le cadre de sa décision du 29 novembre 2010 A-6. Notons que ce même Administrateur avait soulevé un tel moyen d'irrecevabilité dans le cadre de sa décision du 15 janvier 2009 déposée en liasse comme pièce B-4. Cette dernière décision n'a pas été portée, à la connaissance du soussigné, en arbitrage mais le Tribunal peut constater que l'Administrateur semble appliquer, comme prévu à la Loi, ce moyen d'irrecevabilité lorsqu'il y a des éléments démontrant qu'un réclamant aux termes du Plan de garantie ne rencontrent pas les exigences procédurales. Tel n'a pas été le cas dans la décision conduisant au présent arbitrage.

[59]        À tout événement, suivant la demande qui lui a été faite, le Tribunal se doit d'analyser la preuve concernant le respect ou non du délai de dénonciation.

[60]        Les Bénéficiaires ont requis de l'Entrepreneur la construction d'une résidence aux termes d'un contrat d'entreprise signé le 8 mars 2005. Les travaux de construction ont été prévus pendant la période de mars 2005 à la fin du mois de juin 2005. Une déclaration de réception de bâtiment a été signée le 7 septembre 2005 avec certains éléments à être parachevés. La demande de réclamation des Bénéficiaires a été transmise à l'Entrepreneur et à l'Administrateur aux termes d'une lettre portant la date du 18 juin 2010, laquelle a été reçue par l'Administrateur le 21 juin 2010. Cette lettre a été produite au dossier d'arbitrage comme pièce A-4. Dans le cadre de cette demande, les Bénéficiaires ont mentionné avoir mesuré une dénivellation de leurs fondations en alléguant qu'il y avait une différence de 27mm entre l'avant et l'arrière de leur résidence au niveau des fondations de celle-ci. Ils ajoutent également à cette lettre que le représentant de l'Entrepreneur avait lui-même mesuré, à l'aide de son niveau au laser, un écart de six 6mm à 8mm. L'Entrepreneur, selon les dires des Bénéficiaires, avait considéré ces résultats comme négligeables. Les Bénéficiaires ajoutent, par conséquent, ce qui suit:

«De plus, l'affaissement est vraisemblablement la cause de l'aggravement de certains défauts de finition dénoncés dans notre lettre du 19 juin 2008 et de l'apparition de fissures dans le gypse.»

[61]        Il faut se rappeler que cette lettre du 19 juin 2008, déposée en liasse sous B-4, a conduit à la décision de l'Administrateur du 15 janvier 2009 produite sous la même cote. Cet autre dossier portait sur des problèmes de fermeture de porte, de suintement et d'infiltration d'eau au sous-sol et d'insonorisation déficiente.

[62]        À l'audience, aucun représentant de l'Entrepreneur n'a témoigné et la preuve des Bénéficiaires a donc été, par conséquent, non contredite.

[63]        Il s'agit évidemment, et la preuve à cet égard apparaît évidente au soussigné, d'une situation où le vice allégué provoque des manifestations à l'immeuble qui se découvrent graduellement et dont l'importance s'accentue, pour certaines de ces manifestations, dans le temps. La preuve est à l'effet que moins de six (6) mois se sont écoulés entre la demande de réclamation et la première manifestation du vice allégué par les Bénéficiaires qui se manifeste, rappelons-le, graduellement. À l'été 2009, le représentant de l'Entrepreneur s'est rendu à la résidence des Bénéficiaires et a constaté une dénivellation de 6mm à 8mm. Cette dénivellation n'apparaissait aucunement problématique à l'Entrepreneur puisqu'il a qualifié, selon les dires des Bénéficiaires, cet écart comme étant négligeable. Force est de constater qu'un an plus tard, l'écart était de 27mm selon les mesures des Bénéficiaires et encore plus important après les vérifications de la firme LVM à leur rapport A-5. C'est à ce moment que les Bénéficiaires ont véritablement eu connaissance du vice selon le Tribunal. Lors de l'arbitrage, tous ont constaté que l'affaissement de la résidence s'était également aggravé depuis la visite de l'Entrepreneur à l'été 2009 et les experts ont même invoqué de possibles tassements différentiels additionnels pour le futur. La demande a donc été formulée à l'intérieur du délai de six (6) mois de la connaissance, en juin 2010, du vice par les Bénéficiaires.

[64]        Pour ces raisons, l'irrecevabilité soulevée par les procureurs de l'Administrateur et de l'Entrepreneur est rejetée.

 

 

§   LA DEMANDE DES BÉNÉFICIAIRES CONCERNANT L'AFFAISSEMENT DE LEUR RÉSIDENCE

[65]        La demande des Bénéficiaires a été formulée le 10 juin 2010 et reçue par l'Administrateur le 21 juin 2010. Quant à l'Entrepreneur, le Tribunal considère, selon la preuve, qu'il a reçu cette demande également en juin 2010.

[66]        Cette demande a donc été transmise et reçue dans la cinquième année de garantie du bâtiment. En effet, la preuve a révélé que la construction de la résidence était prévue pour se terminer le 23 juin 2005 mais une déclaration de réception a été signée le 7 septembre 2005, tel qu'il appert de la pièce A-3. D'ailleurs, aucune des parties n'a contesté le fait que la demande a été formulée à l'intérieur de la cinquième année de garantie, tout comme l'a d'ailleurs reconnu l'Administrateur dans sa décision A-6.

[67]        Compte tenu de ce qui précède, les Bénéficiaires doivent faire la preuve que les problèmes qu'ils ont dénoncés résultent d'un vice majeur au sens de la clause 3.4 du contrat de garantie A-2 et du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

[68]        Tel que mentionné précédemment, nous sommes en présence d'une problématique d'affaissement dont les indices se manifestent graduellement.

[69]        Tous les experts sont d'accord à l'effet que les manifestations mises en preuve par les Bénéficiaires résultent d'une problématique de tassement du sol vu la composition particulière de celui-ci.

[70]        Une première mesure de tassement différentiel, ce qui est différent du tassement total tel qu'expliqué par les experts, a été prise par l'Entrepreneur, selon la preuve, à l'été 2009. À ce moment, un écart de 6mm à 8mm a été mesuré à titre de tassement différentiel au niveau des fondations de la résidence des Bénéficiaires. L'année suivante, soit à l'été 2010, les Bénéficiaires, à l'aide d'une méthode qu'ils ont détaillée en annexe de leur demande de réclamation A-4, ont mesuré, quant à eux, un tassement différentiel de l'ordre de 27mm de l'arrière vers l'avant de leur résidence. Bien que la méthode utilisée ne puisse peut-être pas être scientifiquement reconnue, force est de constater, à la lumière de la preuve en arbitrage, qu'il y avait eu aggravation des tassements différentiels en l'espace de un (1) an.

[71]        Après la réception de la demande de réclamation, l'Administrateur a confié un mandat à la firme LVM afin que celle-ci expertise la résidence des Bénéficiaires. En novembre 2010, un rapport d'expertise a été produit par LVM accompagné d'un plan intitulé «localisation des forages» et qui indique, avec précision, les tassements différentiels menant à l'affaissement de la résidence des Bénéficiaires.

[72]        Tel qu'il appert à ce rapport, les experts LVM concluent comme suit quant aux dénivellations:

«Après avoir ajusté les valeurs d'élévation selon la différence mesurée, celles-ci indiquent un tassement différentiel de 20 à 40 millimètres avant droit par rapport au reste de la résidence. Il est à noter que ces mesures sont approximatives seulement, les élévations initiales du revêtement n'étant pas connues.

Des mesures prises au niveau électronique à l'intérieur de la résidence indiquent également que la pente la plus élevée se situe dans les secteurs du côté droit et à l'avant de la résidence.»

[73]        Puisque les tassements et les dommages observés sur la résidence étaient, selon les experts LVM, limités et que ceux-ci étaient d'avis que ces tassements et ces dommages ne progresseront pas de façon significative dans le futur, ils n'ont pas recommandé une reprise en sous-œuvre des fondations. Ils ont néanmoins reconnu que des réparations et ajustements étaient nécessaires pour «améliorer l'usage de la résidence» et qu'un suivi des tassements éventuels était recommandable.

[74]        Il est important de préciser que les travaux de la firme LVM se sont effectués en octobre 2010, soit avant certaines manifestations additionnelles mises en preuve lors de l'arbitrage et qui semblent contredire les prévisions de LVM au point que l'un des experts de cette firme lors de l'arbitrage, soit M. Grondin, a précisé que les recommandations transmises à l'Administrateur à cette époque ne seraient plus les mêmes à la lumière des informations qu'il avait entendues en preuve. À tout événement, et ceci est non contesté, l'Administrateur a suivi les recommandations de l'expert LVM et conclu que les travaux de stabilisation du bâtiment n'étaient pas requis considérant l'absence de tassement significatif dans le futur. Par sa décision A-6, l'Administrateur a déclaré qu'il y avait absence de vice majeur et que les dommages observés au bâtiment n'étaient pas couverts par la garantie.

[75]        Les Bénéficiaires ont mandaté la firme Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc. et un rapport a été produit par cette firme le 10 mars 2011. M. Martin Pelletier, ingénieur géologue reconnu comme expert par le Tribunal, a témoigné pour cette firme à l'appui du rapport produit comme pièce B-1.

[76]        Cet expert a utilisé certains forages se retrouvant au rapport de la firme Aecom déposé au dossier comme pièce B-3. Cette firme a été mandatée par la Ville de Lévis afin d'effectuer une étude de caractérisation géotechnique dans le secteur du projet domiciliaire des «Constellations» où se retrouve la résidence des Bénéficiaires. Il a identifié trois (3) forages qui étaient, selon lui, ceux permettant de comparer avec les résultats les plus probants, les caractéristiques du sol et des tassements éventuels de celui-ci avec les constatations tirées du rapport d'expert LVM.

[77]        Bien qu'il y avait des différences quant à l'épaisseur des matériaux se retrouvant dans les forages de Aecom et de LVM, il a témoigné que les propriétés particulières du dépôt de silt argileux reconnu dans tous les forages étaient relativement similaires bien que les épaisseurs soient légèrement plus élevées au forage de Aecom. Tentant d'évaluer l'ampleur des tassements susceptibles de se produire à la propriété des Bénéficiaires dans le futur, cet expert a déterminé certains paramètres de calcul. À l'audience, M. Pelletier, après avoir fait certains ajustements quant à l'épaisseur du silt argileux, en arrive à des tassements totaux anticipés de 75mm. Il est extrêmement difficile pour le Tribunal de conclure que les tassements différentiels évalués entre 20 et 40mm par LVM ne progressent pas dans le futur. M. Pelletier a plutôt prétendu que les tassements primaires étaient terminés mais que les tassements secondaires étaient possibles à la résidence des Bénéficiaires. Il a estimé que ces tassements secondaires pouvaient varier de 10% à 20% des tassements primaires mesurés, soit, possiblement, des tassements additionnels anticipés pouvant varier de 5mm à 7,5mm. Estimant que les tassements mesurés à la résidence des Bénéficiaires excédaient déjà la règle établie au Manuel Canadien d'ingénierie des fondations soit des tassements différentiels et totaux n'excédant pas respectivement 20mm et 25mm, il est d'avis que des travaux de remise en état sont nécessaires. À ce sujet, il réfère à la proposition de «pieutage» dont fait état l'affidavit détaillé de M. Joël Briand, représentant de Héneault & Gosselin inc., et confirme qu'il s'agirait-là d'une façon de remédier au vice affectant la résidence des Bénéficiaires.

[78]        Le Tribunal a également pris connaissance de l'expertise additionnelle produite par la firme LVM comme pièce A-8 en date du 25 avril 2011. Cette expertise qui revêt la forme d'une réplique au rapport de Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc. daté du 10 mars 2011, produit comme pièce B-1, comporte plusieurs éléments techniques et scientifiques au sujet des tassements présents à l'immeuble des Bénéficiaires. Les experts de LVM ont eu des difficultés quant aux prélèvements d'échantillons intacts de même qu'au sujet des valeurs de résistance au cisaillement. Ces éléments ont fait en sorte que les évaluations de LVM, bien que scientifiques, demeurent hypothétiques, tout comme celles de Laboratoire d'Expertises de Rivière-du-Loup inc. Par contre, les mesures de tassement à venir à l'immeuble des Bénéficiaires sont fortement influencées par les paramètres utilisés par les experts. Bien que l'établissement de certains paramètres utilisés par l'expert des Bénéficiaires soit contesté par LVM, cette firme en arrive à une évaluation des tassements totaux de l'ordre de 50mm. Ces tassements totaux sont-ils atteints à la résidence des Bénéficiaires ? Personne n'en a fait la preuve et celle-ci est extrêmement difficile, selon le soussigné, à établir. Les tassements secondaire sont-ils probables et, si oui, pour combien de millimètres additionnels ? Chose certaine, les tassements totaux de 50mm dépassent la règle de l'art citée auparavant. Commentant le rapport de l'expert des Bénéficiaires et se référant au rapport de Aecom B-3, LVM considère qu'une amplitude de 25mm à 100mm est plus représentative de la situation de la résidence des Bénéficiaires et que leur évaluation (50mm) se situe dans cette plage de valeurs.

[79]        Un débat particulièrement technique et scientifique a prévalu devant le Tribunal concernant l'application de la norme dont il a été fait référence par l'expert des Bénéficiaires. En effet, après que les experts LVM aient tenté de moduler cette norme en raison du texte se retrouvant à l'article 62 du commentaire k du CNB 2005, l'expert des Bénéficiaires a répliqué que cet article 62 prévoyait aussi que cette modulation de norme ne s'appliquait qu'aux bâtiments de conception simples et non pas à ceux dont «l'intensité des charges est nettement non uniforme» comme celui des Bénéficiaires qui comporte un mur avant plus lourd que les murs latéraux et arrière.

[80]        Selon la preuve d'experts entendue par le Tribunal, il appert que les tassements différentiels à l'immeuble des Bénéficiaires dépassent la norme reconnue. Bien qu'ayant longtemps soutenu la thèse de la non-nécessité des travaux de remise en état de l'immeuble jusqu'au 25 avril 2011, les experts de la firme LVM ont reconnu, en présence des manifestations additionnelles mises en preuve à l'audience, que leurs recommandations ne tenaient plus, telles que formulées. Malgré les dénivellations déjà importantes telles que constatées par les Bénéficiaires et LVM au moment de la demande de réclamation, la probabilité des tassements secondaires et les manifestations postérieures à la décision de l'Administrateur font en sorte que le Tribunal considère que l'immeuble des Bénéficiaires est affecté d'un vice majeur.

[81]        En effet, la preuve en l'instance démontre clairement que les tassements différentiels constatés à l'immeuble dépassent largement ce qui est accepté par les règles de l'art, lesquels réfèrent certainement, en ce domaine, au Code national du bâtiment. Pour que le contrat de garantie couvre la demande de réclamation des Bénéficiaires, celle-ci doit rencontrer les exigences de la perte du bâtiment, telles que définies à l'article 2118 C.c.Q. Selon la jurisprudence, il n'est pas nécessaire d'établir ni le fait que l'ouvrage a péri ni le moment auquel il va s'écrouler pour bénéficier de cette garantie. La présence d'inconvénient ou de danger qui pourrait entraîner une perte, donc une perte potentielle, est suffisante. Cette notion de perte a été fréquemment définie par les tribunaux de même que détaillée judicieusement par la professeure Thérèse Rousseau-Houle (avant qu'elle ne devienne juge à la Cour d'Appel du Québec) dans «Les contrats de construction en droit public et privé», un ouvrage publié chez Wilson & Lafleur en 1982 et qui traite, dans ces termes, de cette notion (sous l'égide de l'article 1688 du Code civil du Bas-Canada):

«Selon les termes de l'article 1688, la responsabilité quinquennale n'est engagée que «si l'édifice périt en tout ou en partie.» Cet article, constituant une exception au principe de la libération du locateur d'ouvrage par la réception, devrait normalement être interprété de façon stricte. Or, comme la dérogation au droit commun provient du souci de protéger le propriétaire à l'égard de travaux difficilement vérifiables et de la nécessité d'assurer au public une protection efficace, nos tribunaux n'ont jamais appliqué l'article 1688 à la lettre et n'ont pas exigé que les vices de sol ou de construction produisent des effets aussi radicaux. Ils ont au contraire reconnu que les termes «périt en tout ou en partie» ne sont pas limitatifs et comprennent les vices compromettant la solidité de l'édifice et les défectuosités graves qui entraînent des inconvénients sérieux.

Le champ d'application de la garantie quinquennale n'est donc pas restreint aux désordres qui entraînent la ruine effective des ouvrages. De telles hypothèses sont d'ailleurs relativement peu fréquentes car, lorsque la gravité des vices est susceptible de provoquer la ruine, l'effondrement de l'ouvrage se produit généralement en cours de construction et c'est alors la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur et de l'architecte qui peut être mis en cause. Il suffit pour engager la responsabilité quinquennale des constructeurs que le danger de ruine soit imminent, voire latent. La simple menace de ruine d'un ouvrage constitue déjà un préjudice né et actuel, car l'ouvrage qui menace ruine perd une grande partie de sa valeur marchande et de son utilité. De même, une ruine simplement partielle est suffisante lorsque par suite des vices affectant les parties maîtresses de l'ouvrage, il y a menace d'effondrement ou fléchissement de certaines parties de l'immeuble ou simplement des fissures importantes pouvant causer la parte de composantes essentielles du bâtiment

(Nos soulignés)

[82]        En l'instance, la preuve a démontré la présence d'inconvénients et d'affaissements au-delà de ce qui apparaît acceptable selon les normes en vigueur et qui pourraient entraîner une perte de l'ouvrage ou du moins une perte potentielle. La preuve révèle la présence d'un vice qui compromet la solidité de l'édifice et des défectuosités graves qui entraînent des inconvénients sérieux pour les Bénéficiaires. Ce vice entraîne une détérioration constante et progressive de l'immeuble qui satisfait aux critères requis pour qualifier cette situation de vice de construction au sens de l'article 2118 C.c.Q. Le problème demeure et en l'absence de mesures correctrices, les effets se multiplieront et la structure même de la résidence des Bénéficiaires risque sérieusement d'être atteinte vu les tassements différentiels constatés et qui progresseront, par surcroît, selon la preuve unanime des experts au dossier.

 

 

§   DEMANDE D’EXONÉRATION DE RESPONSABILITÉ PAR L’ENTREPRENEUR EN RAISON DU FAIT QUE LES BÉNÉFICIAIRES ONT ACQUIS EUX-MÊMES LE TERRAIN OÙ A ÉTÉ ÉRIGÉE LA RÉSIDENCE EN CAUSE

[83]        Cet argument a été soulevé en plaidoirie par l’Entrepreneur.

[84]        En fait, le procureur de l’Entrepreneur plaide que vu la profondeur de l’excavation et considérant que les semelles de celle-ci ont été construites à une profondeur qui n’atteindrait pas les sols problématiques analysés par les experts, l’Entrepreneur ne devrait pas avoir de responsabilité puisqu'il n'a pas vendu le terrain aux Bénéficiaires.

[85]        En fait, il plaide que l’Entrepreneur était dans l’impossibilité d’anticiper les problèmes et qu’il n’y avait aucun indice de ceux-ci sur place lors de ses travaux.

[86]        Après que le Tribunal ait offert au procureur des Bénéficiaires de rouvrir l’enquête sur ce point s’il le désirait, la preuve a néanmoins été déclarée complète.

[87]        Le procureur de l’Entrepreneur a plaidé la décision Promutuel Lévisienne-Orléans, Société mutuelle d’assurances générales c. Fondations du St-Laurent (1998) inc., de la Cour d’appel du Québec rendue le 13 avril 2010.

[88]        Dans cette affaire, les assurés de la compagnie d’assurance appelante ont acquis un terrain et ont décidé d’agir comme maîtres d’œuvre pour la construction de leur maison. Ils ont fait appel à différents professionnels pour la confection des plans et la réalisation de divers travaux. Fondations du St-Laurent (1998) inc. a été engagée pour des travaux de fondation incluant l’installation du drain périphérique. Le contrat de l’entreprise comportait notamment la clause suivante: «Le client déclare que le terrain sur lequel Fondations du St-Laurent (1998) inc. exécutera ces travaux (solage, semelles, etc.) est prêt à recevoir cesdits travaux». Deux (2) ans après que les travaux de construction eurent été complétés, il y a eu infiltration d’eau dans le sous-sol de la maison et découverte de la présence d’ocre ferreuse dans le sol. Aucun signe n’a permis de détecter la présence d’ocre ferreuse au cours de la réalisation des travaux.

[89]        La juge de première instance a conclu que la présence de cette bactérie constitue un vice de sol couvert par l’article 2118 C.c.Q. Bien que la compagnie d’assurance appelante bénéficiait de la présomption de cet article, la juge de première instance a décidé que l’entrepreneur l’avait repoussé puisqu’il s’était vu imposer le choix du sol par les assurés de l’appelante. Quant à l’obligation de renseignements de l’entrepreneur concernant le vice caché qu’il aurait dû découvrir, celui-ci se limitait, selon la juge de première instance, aux vices cachés qu’il aurait pu découvrir par un examen attentif au cours des travaux sans avoir à procéder à une analyse chimique du sol. En fait, la juge de première instance, à la lumière de la preuve qu’elle décrit aux paragraphes 49 à 53 de sa décision, confirme que le choix du sol a été imposé à Fondations du St-Laurent (1998) inc. et cette dernière n’a pas contrevenu à son obligation de renseignement sur le vice caché ajoutant même que si une analyse chimique du sol devait constituer une obligation, celle-ci aurait dû s’inscrire dans le processus du choix du sol par les autoconstructeurs, avant qu’ils ne déclarent le terrain prêt à recevoir les travaux. Le recours de l’assureur a donc été rejeté.

[90]        La Cour d’appel a rejeté l’appel de cette décision mais pour des motifs quelque peu différents.

[91]        La Cour d’appel confirme que la présence de l’ocre ferreuse constitue effectivement un vice de sol couvert par l’article 2118 C.c.Q. Rappelant que les assurés ont confié à l’entrepreneur le soin d’ériger les fondations sur leur propre terrain, la Cour d’appel applique l’article 2104 C.c.Q. Puisque la preuve a permis d’établir que le sol, propriété des assurés, était affecté d’un vice caché, la Cour s’est interrogée si l’entrepreneur en fondation était tenu de le connaître et d’en informer son client. Dans l’affirmative, cet entrepreneur se rend responsable du préjudice qui pouvait résulter de l’utilisation du bien.

[92]        Il est rappelé à cette décision que l’entrepreneur n’est pas tenu de répondre de tous les vices du sol, particulièrement lorsque le terrain est celui du client, mais seulement de ceux qu’il peut déceler ou prévoir par un examen attentif du terrain. La Cour d’appel ajoute qu’il revient à l’entrepreneur, en vertu de l’article 2104 C.c.Q., de vérifier la qualité des biens utilisés, d’en découvrir les vices apparents ou cachés, et d’en informer, le cas échéant, son client. Son défaut de satisfaire à son obligation de renseignements engagera sa responsabilité, à moins qu’il ne s’agisse de vices suffisamment cachés pour qu’on ne puisse exiger qu’il les connaisse. La Cour d’appel a décidé qu’il s’agissait d’un tel vice d’où le rejet de l’appel.

[93]        L’obligation de l’entrepreneur n’ayant pas été enclenchée par l’application de l’article 2104 C.c.Q., la Cour d’appel analyse la présomption de responsabilité de l’entrepreneur aux termes de l’article 2118 C.c.Q. et, dans ce contexte, détermine si les faits mis en preuve peuvent donner ouverture à l’application des alinéas 2 et 3 de l’article 2119 C.c.Q. qui prévoit les moyens pour l'entrepreneur de se dégager de toute responsabilité.

[94]        Voici comment s’exprime la Cour d’appel à ce sujet:

«[23] En effet, il est acquis au début que les services de l’intimée ont été retenus par les assurés de l’appelante pour ériger les fondations de leur résidence, y compris l’installation du drain périphérique; qu’il s’agit d’un contrat d’entreprise au sens de l’article 2098 C.c.Q.; que, selon le contrat liant les parties, les clients fournissaient les plans et devis des travaux à exécuter; que la cause de l’infiltration d’eau, survenue environ deux ans après la fin des travaux, est attribuable à la présence d’ocre ferreuse dans le sol; et enfin, que la présence de cette bactérie dans le sol constitue un vice du sol visé par l’article 2118 C.c.Q.

[24] En l’espèce, ce sont les assurés de l’appelante qui ont fourni le terrain et les plans et devis des fondations que l’intimée devait ériger. De toute évidence, ces plans et devis n’avaient pas pris en compte les effets nocifs de l’ocre ferreuse sur le drain périphérique. Il convient de souligner cependant que l’ocre ferreuse est un phénomène inconnu dans le quartier, sinon dans la région. Rien ne permettait de soupçonner la présence de cette bactérie dans le sol, à cet endroit. Seule une analyse du sol aurait permis d’en découvrir la présence. Les assurés de l’appelante auraient pu obtenir d’un laboratoire spécialisé une telle analyse avant d’établir les plans et devis des fondations; ils ne l’ont pas fait. Compte tenu de leur implication dans la fourniture de ces plans et devis et dans la préparation du terrain avant l’érection des fondations, ils ne peuvent exiger de l’intimée qu’elle réponde de la présence d’ocre ferreuse dans le sol alors qu’eux-mêmes ne s’en étaient pas soucié et que même un examen attentif du terrain ne permettait pas d’en déceler ou d’en prévoir la présence.»

[95]        Cette analyse de la preuve en regard de l’application des articles pertinents du Code civil du Québec revêt toute son importance. Le Tribunal d’arbitrage constate qu’en plus de fournir le terrain, les assurés, dans cette affaire, ont véritablement agi en autoconstructeurs. Ils ont fourni les plans et devis des fondations. Si une analyse du sol avait permis de découvrir la présence de la bactérie de l’ocre ferreuse, la Cour d’appel est d’avis que ce sont les autoconstructeurs qui auraient pu obtenir d’un laboratoire spécialisé une telle analyse avant d’établir les plans et devis des fondations. Leur défaut à ce sujet semble fatal. Bien plus, la Cour d’appel a considéré que l’implication des assurés dans la fourniture de ces plans et devis et dans la préparation du terrain avant l’érection des fondations empêche ceux-ci d’exiger de l’entrepreneur qu’il réponde de la présence de l’ocre ferreuse. Puisqu’ils ne s’en sont pas souciés eux-mêmes et qu’un examen attentif du terrain ne permettait pas de la déceler ou d’en prévoir la présence, le recours de leur assureur fut rejeté.

[96]        Selon le soussigné, cette décision de la Cour d’appel rappelle les principes édictés au Code civil du Québec tout en appliquant ceux-ci aux faits pertinents suivants, lesquels se retrouvent détaillés à la décision de première instance:

1.    Les assurés ont agi comme autoconstructeurs;

2.    Ils ont choisi et acheté le terrain;

3.    Ils ont par la suite contracté avec la firme Modulex (plans d’architecte) pour la préparation des plans et la construction de la maison;

4.    Ils ont demandé et obtenu eux-mêmes un permis de construction;

5.    Ils ont engagé un arpenteur-géomètre pour réaliser le piquetage identifiant clairement le site de la construction;

6.    Ils ont choisi l’entrepreneur général pour la construction de la maison;

7.    Ils ont engagé Fondations du St-Laurent (1998) inc. pour l’érection des fondations et le drain agricole;

8.    Les assurés ont déclaré, au contrat de construction, que le terrain sur lequel Fondations du St-Laurent (1998) inc. allait exécuter ces travaux était prêt à recevoir ceux-ci.

[97]        À la lumière des dispositions du Code civil du Québec et suivant l’enseignement de la Cour d’appel, analysons maintenant la preuve en l’instance.

[98]        Le seul témoin à avoir été entendu par le Tribunal au sujet du contrat d’entreprise et de la construction contemporaine de la résidence est le Bénéficiaire, M. Alain Beaudoin.

[99]        M. Beaudoin a conclu un contrat d’entreprise avec l’Entrepreneur le 8 mars 2005. Le 23 mars 2005, il s’est porté acquéreur du terrain sur lequel a été construit l’immeuble visé au contrat d’entreprise. Il témoigne avoir sélectionné l’Entrepreneur, malgré qu’il ait eu une somme de 1 000 $ additionnelle à payer puisqu’il ne faisait pas partie d’un groupe ayant une exclusivité de construction dans le secteur. En fait, le contrat d’entreprise a été qualifié par M. Beaudoin comme un contrat type «clé en main». Il s’est réservé les travaux de peinture intérieure et l’érection d'un patio extérieur sans plus. Contre-interrogé par le procureur de l’Entrepreneur, il témoigne que le vendeur ne lui a remis aucun document ni aucune étude de sol. Il ajoute également n’ayant pas fait faire, lui-même, d’étude de sol pour son terrain. Interrogé sur le permis de construction E-1 (accordé à l'Entrepreneur), il ignore si des conditions qui y sont non prévues ont été exigées par la Ville. Il affirme avoir été présent lors de l’excavation, mais ignore complètement le type de machinerie utilisé. Il témoigne n’avoir constaté, selon lui, aucun problème lors de ces travaux mais ajoute n’avoir pas été présent lors de la coulée des fondations. Il ajoute avoir vu les fondations lorsque celles-ci étaient érigées.

[100]      Ce qui précède constitue la preuve testimoniale que le Tribunal doit considérer dans le cadre du moyen de défense soulevé par l’Entrepreneur. S’ajoute également la documentation produite au dossier d’arbitrage.

[101]      Le procureur de l’Entrepreneur prétend qu’il y a eu une excavation de 5 pieds (5 ') de profondeur et que les semelles érigées sous les fondations se retrouvaient au-dessus du sol problématique. Considérant ce qui précède, le procureur plaide que l’Entrepreneur était dans l’impossibilité de connaître les problèmes puisqu’il n’y a eu, selon lui, aucun indice lui permettant d’y découvrir la problématique que tous les experts ont identifié lors de l’arbitrage.

[102]      Force est de constater que la situation dans le présent dossier est relativement différente que celle qu’a déjà analysée la Cour d’appel dans l’affaire précitée. Dans le cas présent, le Tribunal d’arbitrage a conclu à la présence d’un vice majeur couvert par l’article 2118 C.c.Q. Pour se dégager de la présomption créée par cet article à l’encontre de l’Entrepreneur, celui-ci doit faire la preuve des moyens prévus à l'article 2119 C.c.Q. Les alinéas 2 et 3 de cet article pourraient possiblement être applicables. Le deuxième alinéa n’a pas été invoqué par le procureur de l’Entrepreneur étant entendu que le vice ne résulte pas d’une erreur ou d’un défaut dans les expertises ou les plans de l’architecte ou de l’ingénieur qui aurait été choisi par les Bénéficiaires. En fait, un dessin des fondations de la résidence des Bénéficiaires aurait été préparé en mars 2005 par Architecture Le Corbusier agissant par des technologues en architecture. Aucune des parties n’a référé à ce document pendant l’arbitrage, ni non plus en plaidoirie. Par conséquent, le deuxième alinéa de l’article 2119 C.c.Q. ne peut servir d’exonération à l’Entrepreneur.

[103]      Quant au troisième alinéa de l’article 2119 C.c.Q., l’Entrepreneur doit démontrer que le vice résulte de décisions imposées par le client dans le choix, notamment, du sol. C’est l’argument dont était saisi la Cour d’appel du Québec dans l’affaire précitée et qui a fait l’objet du ratio se retrouvant au paragraphe 24 de cette décision. Considérant l’implication des autoconstructeurs (ils ont déclaré que le terrain était prêt à recevoir les travaux), de la fourniture des plans et devis (non précédée d’une analyse par un laboratoire spécialisé) et la préparation du terrain par les autoconstructeurs avant l’érection des fondations, la Cour d’appel a refusé d'accorder les dommages réclamés. En l’instance, l’Entrepreneur a failli à rencontrer son fardeau de preuve pour plusieurs raisons. En effet, il a tout d’abord conclu son contrat d’entreprise avant même que le terrain soit acquis par les Bénéficiaires. Le choix du sol a-t-il été véritablement imposé à l’Entrepreneur ? Le Tribunal en doute puisque cet Entrepreneur aurait pu aisément refuser de construire sur un terrain dont les Bénéficiaires n’étaient pas même encore propriétaires. Bien plus, les Bénéficiaires en l’instance n’ont pas agi à titre d’autoconstructeurs mais ont plutôt confié la construction de leur résidence aux termes d'un contrat d’entreprise de type «clé en main». Seuls de menus travaux leur étaient réservés en toute fin de contrat. Ils semblent n'avoir fait aucune démarche concernant le permis de construction émis par la Ville de Lévis. Au contraire, c'est l’Entrepreneur qui a exécuté cette tâche. Nous ne retrouvons par ailleurs pas une clause semblable à celle mise en preuve dans le dossier de la Cour d’appel précité et où les clients déclaraient que le terrain était prêt à recevoir les travaux. L’Entrepreneur n’ayant produit aucun témoin concernant l’exécution particulière des travaux, il ne peut prétendre avoir repoussé la présomption. En effet, le Tribunal ignore comment les travaux d’excavation et, par la suite, de fondations ont débuté, se sont exécutés et se sont terminés. Le Tribunal ne peut ainsi conclure que le vice majeur résulte dans la décision, même si nous devions la considérer imposée, du client dans le choix du sol. Il est utile de rappeler que les dispositions de l’article 2118 C.c.Q. sont d’ordre public et que les moyens d’exonération prévus à l’article 2119 C.c.Q. sont interprétés, selon les tribunaux, de façon restrictive. La protection consentie par le législateur à l’article 2118 C.c.Q. existe sans qu’il ne soit nécessaire de prouver une faute particulière de l’entrepreneur. C’est plutôt à lui de démontrer une cause d’exonération. En l’espèce, tel ne fut pas le cas.

[104]      De plus, la présomption établie à l’article 2118 C.c.Q. et les causes d’exonération prévues à l’article 2119 C.c.Q. sont distinctes de la responsabilité que peut avoir un entrepreneur et par l’application de l’article 2104 C.c.Q.

[105]      En l’instance, l’article 2104 C.c.Q. crée également une obligation à l’entrepreneur d’informer le client si le bien, en l’occurrence le terrain dans le présent dossier, est manifestement impropre à l’utilisation auquel il est destiné ou s’il est affecté d’un vice apparent ou d’un vice caché qu’il devait connaître. C’est précisément l’argument qu’a soulevé le procureur de l’Entrepreneur en l'instance. Or, la preuve a permis d’établir que le sol, propriété des Bénéficiaires, était manifestement impropre à la construction projetée. De plus, l’on peut aussi affirmer que le terrain, considérant sa composition, était affecté d’un vice. Celui-ci était-il apparent ou était-il un vice caché que l’Entrepreneur devait connaître ? Dans l’un et l’autre des cas, l’Entrepreneur devait en informer immédiatement les Bénéficiaires. Bien que selon le Tribunal, le terrain était manifestement impropre à l’utilisation projetée, l’Entrepreneur est-il responsable du vice (s'il pouvait même être considéré «caché» en l'instance) ? La jurisprudence enseigne que l’entrepreneur n'est pas tenu de répondre de tous les vices du sol, particulièrement lorsque le terrain est celui du client, mais seulement de ceux qu’il peut déceler ou prévoir par un examen attentif du terrain. En l’instance, il n’a pas été démontré par l’Entrepreneur qu’il ne pouvait déceler ce vice ou le prévoir par un examen attentif du terrain. Il semble ne pas y avoir eu d’examen sur ce terrain par l’Entrepreneur. De même et comme mentionné précédemment, la preuve est muette quant à l’exécution des travaux d’excavation et de fondations. Le Tribunal ne peut donc décider qu’il s’agit en l’espèce d’un vice suffisamment caché pour qu’on ne puisse exiger de l’Entrepreneur qu’il le connaisse ou qu’il ne le prévoit par certaines vérifications sur les lieux du chantier.

[106]      En résumé, la présomption de responsabilité de l’article 2118 C.c.Q. est applicable en l’espèce et l’Entrepreneur a failli à démontrer l’un des cas d’exonération prévu à l’article 2119 C.c.Q. De même, il n'y a pas de preuve prépondérante à l’effet que ce vice était indétectable ou imprévisible malgré un examen attentif du terrain. Concernant la preuve au dossier, seul le Bénéficiaire a témoigné concernant les travaux exécutés par l’Entrepreneur. Ainsi, le Tribunal ignore s’il y a même eu un examen attentif des lieux par l’Entrepreneur, si des signes de la présence du sol problématique étaient visibles lors de l’exécution de l’excavation dont nous ignorons les profondeurs précises. Le Tribunal souligne également que les tassements différentiels et totaux évalués par les experts au dossier considèrent les différents matériaux composant le terrain des Bénéficiaires et n’ont aucunement isolé leur résultat sur un de ceux-ci situé à une profondeur déterminée. Au surplus, il est également utile de rappeler que les experts ont analysé des forages et non pas les lieux même de l’excavation.

[107]      Enfin, étant en présence d’un vice couvert par l’article 2118 C.c.Q. et puisque le Tribunal décide que la décision de l’Administrateur doit être annulée pour que la demande de réclamation des Bénéficiaires soit accueillie, il nous faut déterminer quels sont les travaux appropriés dans les circonstances.

[108]      À ce sujet, la preuve administrée devant le Tribunal et certaines admissions des parties nous révèlent que des travaux sont absolument nécessaires afin de remettre en état l’immeuble des Bénéficiaires. Pour le procureur de l’Administrateur, ces travaux ne sont pas nécessaires puisqu’il demeure à se manifester certains tassements secondaires. Pour le procureur de l’Entrepreneur, il a représenté que des travaux d'ajustements normaux étaient à exécuter.

[109]      La preuve au dossier révèle, de façon prépondérante, que les travaux en sous-œuvre sont nécessaires pour remettre en état la résidence des Bénéficiaires et ainsi empêcher des dégradations additionnelles compte tenu des tassements secondaires possibles. L’expert Pelletier a témoigné que la solution envisagée par la firme Héneault & Gosselin inc. et impliquant un travail de pieutage était ainsi à préconiser dans le présent dossier. Quant à la firme LVM, elle ne trouvait pas justifiée cette reprise en sous-œuvre à l’époque de la rédaction de ses rapports mais lorsqu’il fut mis en preuve lors de l’arbitrage, des désordres supplémentaires à la résidence des Bénéficiaires, son représentant, M. Grondin, a reconnu que les tassements différentiels survenus depuis son rapport et ceux à venir de même que les efforts anormaux subis par la structure l’amènerait à changer sa conclusion. Peu après, il a néanmoins continué à soutenir que la reprise en sous-œuvre n’était pas nécessaire immédiatement, mais que le suivi des tassements affectant la résidence devait être exécuté, ne serait-ce que pour améliorer les connaissances en ce domaine.

[110]      Ainsi, le Tribunal, vu la preuve administrée, ordonnera que des travaux en sous-œuvre par pieutage soient effectués en prenant pour acquis, évidemment, que les travaux accessoires de réparation à l’intérieur de la résidence et des bris occasionnés par les travaux à être exécutés aux termes de la présente décision soient également complétés.

[111]      Quant aux frais d’expert et vu les conclusions auxquelles en arrivent le Tribunal au sujet de la présence du vice majeur, ceux occasionnés aux Bénéficiaires seront accordés. À ce sujet, une facture totalisant la somme de 2 635,66 $ a été produite par la firme d’experts pour son travail au dossier, tant au niveau de la préparation que de la présence devant le Tribunal.

[112]      Le Tribunal termine en précisant que la présente décision est rendue dans le cadre strict du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Ainsi, cette décision est sans préjudice et sous toutes réserves du droit de l'Entrepreneur de porter devant les tribunaux civils toutes les prétentions qu’il aurait à l’encontre de tiers non partie aux procédures d’arbitrage et ainsi rechercher les correctifs qu’il pourrait réclamer sujet bien entendu, aux règles de droit commun et de la prescription civile.

[113]      Aux termes de l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts d’arbitrage seront à la charge de l’administrateur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE:

ACCUEILLE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;

ANNULE la décision de l’Administrateur rendue le 29 novembre 2010;

DÉCLARE que la demande de réclamation des Bénéficiaires qui se plaignaient d’affaissement de leur résidence est accueillie;

DÉCLARE que le problème d’affaissement de la résidence des Bénéficiaires constitue un vice de construction prévu à l’article 2118 C.c.Q. et ainsi, est couvert par l’article 10 alinéa 5 du Règlement sur le plan de garantie sur les bâtiments résidentiels neufs;

ORDONNE à l’Entrepreneur A.G.P. Couture & Fils inc. de procéder aux travaux correctifs requis, soit des travaux en sous-œuvre par pieutage de même que tous les travaux accessoires afin de remédier aux problématiques reliées à l’affaissement de la résidence des Bénéficiaires incluant tous les travaux intérieurs et extérieurs découlant de l’exécution desdits travaux correctifs et ce, selon les règles de l’art et à l’intérieur d’une période de trois (3) mois de la date de la présente décision arbitrale;

À DÉFAUT par l’Entrepreneur A.G.P. Couture & Fils inc. de se conformer à l’ordonnance précédente, ORDONNE à la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. de procéder aux travaux correctifs requis aux termes des présentes;

ORDONNE à la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de rembourser aux Bénéficiaires la somme de 2 635,66 $, représentant les honoraires facturés par Laboratoire d’expertises de Rivière-du-Loup inc. le 12 juillet 2011 (Facture 6985);

ORDONNE à l’Administrateur de payer les coûts de l’arbitrage.

 

Québec, le 5 septembre 2012

 

 

                                                                     ____________________________________

                                                                     Me Reynald Poulin

                                                                     Arbitre / Centre canadien d'arbitrage commercial (CCAC)