TRIBUNAL D’ARBITRAGE

Sous l’égide de

SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DES CONFLITS

(SORECONI)

   Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SORECONI : 191507001

ABRITAT : 19-048 NN                                  ENTRE :

 

NATHALIE AUCLAIR et

MAXIME GAGNON,

 

      Bénéficiaires

 

      c.

 

DGC CONSTRUCTION INC.,

 

      Entrepreneur

 

      et

 

RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC. ÈS QUALITÉ D’ADMINISTRATEUR DE GARANTIE DE LA GARANTIE ABRITAT INC.,

 

      Administrateur

 

 

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE

GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(RLRQ, Chapitre B-1.1, r.8)

 

 

 

DÉCISION ARBITRALE RENDUE LE 4 FÉVRIER 2021

 

YVES FOURNIER ARBITRE

HISTORIQUE DES FAITS ET DES PROCÉDURES

 

[1] Le 2 mai 2014, un formulaire d’inspection pré-réception était signé par les bénéficiaires et l’entrepreneur pour le [...], à Québec.  Le 26 janvier 2015, les bénéficiaires avisaient la Garantie Abritat que l’entrepreneur s’était placé sous la protection de la Loi sur la faillite (A-2) et annexaient à leur envoi une « liste révisée des déficiences » [révision 6].  Sans énumérer tous les points ciblés (19), il est approprié d’indiquer qu’ils abordaient des situations provenant autant de l’intérieur que de l’extérieur du bâtiment et du garage.

 

[2] Le 16 janvier 2019, les bénéficiaires transmettaient à la Garantie Abritat une lettre (A-4) dénonçant les points suivants :

 

 

[3] À cette lettre étaient jointes des photos de la douche de la salle de bain des maîtres et une expertise datée du 6 décembre 2018 (A-3), adressée à Maxime Gagnon, émanant de DaVinci Structures Inc. et signée par les ingénieurs Jean-Philippe Tremblay-Auclair et Vincent Gagné.

 

[4] Il est pertinent d’indiquer que l’entrepreneur ne détient plus sa licence d’entrepreneur auprès de la Régie du bâtiment et par conséquent il ne détenait plus la capacité légale pour participer à l’audience ou le droit d’être représenté lors de celle-ci.

 

[5] Une visite des lieux prit place le 23 mai 2019 en présence du conciliateur, Michel Hamel et des bénéficiaires. Le 17 juin 2019, l’administrateur rendait sa décision développée sur quatre (4) points. Toutefois, les bénéficiaires ont requis l’arbitrage sur trois points, et ils se sont désistés du point 4 lors de l’audience, laissant ainsi pour étude les 2 points suivants : Fissuration du parement de briques et fissuration du mur de fondation.

 

LA PREUVE

 

BÉNÉFICIAIRES

 

MAXIME GAGNON

 

[6] Le bénéficiaire, Maxime Gagnon, souscrit à ce qu’il y ait une preuve commune quant aux deux points en litige ajoutant que « l’un des points est la conséquence de l’autre ».

 

[7] Il rapporte que 3 décembre 2011, les bénéficiaires signaient une promesse d’achat pour le terrain numéro 3 du domaine Renaissance. L’entrepreneur avait fait décontaminer l’ensemble des terrains du secteur Renaissance puisqu’il s’agissait d’un ancien dépotoir avant 2013. Un contrat clé en main est signé le 11 septembre 2013 entre les bénéficiaires et l’entrepreneur.

 

[8] En octobre 2013, les bénéficiaires exigent de l’entrepreneur une attestation spécifique de conformité quant à leur terrain.  Inspec-Sol avait déjà livré une attestation en conformité suite aux travaux de décontamination du quartier.  Leur terrain fit l’objet par la suite de certains travaux, dont l’ajout d’un remblai.  Le 24 octobre 2013, Inspec-Sol, sous la plume de l’ingénieur Serge Larouche, communique par courriel à l’entrepreneur les exigences et les prérequis nécessaires pour atteindre le niveau prescrit pour l’émission d’un nouveau certificat de conformité (annexe D du rapport Morin).

 

[9] Les travaux de construction furent entrepris et une prise de possession provisoire avec réserve fut convenue le 5 février 2014 (réception du bâtiment). Les parties n’ont pas procédé alors à l’inspection préliminaire puisque se trouvant alors en période hivernale, l’application de la procédure ne s’y prêtait pas et elles ont consenti à reporter cet exercice à l’été.  Toutefois, cette inspection qui entre dans le cadre du mécanisme de mise en œuvre de la garantie n’a jamais accosté.  En l’espèce, cette omission n’est d’aucune conséquence quant au présent dossier, les parties l’ayant reconnue. L’entrepreneur s’est placé en juillet 2014 sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. (1)

 

[10] Dans un premier temps, monsieur Maxime Gagnon soutiendra qu’au printemps 2018 il découvrit les premières fissures au-dessus du linteau de la fenêtre arrière de la façade latérale droite.  Monsieur Gagnon tenta alors de dénicher une firme pour l’accompagner afin d’obtenir une opinion relativement à cette problématique. Le Tribunal rapporte le verbatim de cette portion du témoignage du bénéficiaire :

 

M.G. : Printemps 2018. C’est à ce moment que je découvre les premières fissures au-dessus du linteau de la fenêtre arrière de la façade latérale.

 

                   M. Hamel : Pardon, quelle date.

 

M. G. : Écoutez, j’ai pas de date précise.

C’est au printemps 2018. Je n’ai pas la date précise. Je peux pas vous… La première découverte, oui, c’est au printemps 2018.

                   

 

Suite à ça, je fais des démarches pour me trouver une firme pour m’accompagner, pour avoir une opinion. J’ai mandaté DaVinci à l’autonome 2018. Ils font une visite le 22 novembre 2018. Ils déposent leur rapport le 6 décembre 2018.

 

[11] Le Tribunal est alors intervenu :

 

Q. Je veux être sûr. La première fenêtre que vous avez ciblée ce

matin lorsqu’on est arrivé sur les lieux ?

 

M.G. : Printemps 2018

 

[12] Arrivé au stade du contre-interrogatoire du bénéficiaire, Monsieur Michel Hamel, conciliateur intervient aussitôt :

 

M.H. : Moi, je voudrais dire quelque chose. Je peux-tu?

 

Y.F. : Posez-là, ça prendra moins de temps.

 

M. H. : Vous dites que la fissure du côté droit à la fenêtre à l’arrière

vous l’avez constatée …

 

M.G. : Au printemps 2018.

 

M.H. : Donc avant le 21 juin. Le 21 juin 2018 donc c’est avant ?

 

Y.F. : Vous dites quoi ?

 

M.H. : Monsieur dit au printemps 2018, donc c’est avant le 21 juin

2018. Je compte, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre,

décembre et vous avez dénoncé chez nous le 14 janvier 2019,

donc huit mois plus tard.

 

[13] Madame Nathalie Auclair intervient en disant :

 

N.A. : On voulait aller chercher plus d’informations.

 

Y.F. : Vous pouvez expliquer pourquoi?

 

M.G. : Moi, c’est ça pour trouver des démarches. À l’époque, il y avait de la surchauffe, trouver un ingénieur pour faire ce genre de mandat là, c’était pas évident. Donc, il a fallu que je passe premièrement par un notaire que je connaissais. Lui m’a référé à un inspecteur en bâtiment qui pensait peut-être pouvoir faire cette expertise-là. Mais l’inspecteur en bâtiment dès qu’il a vu, lui a constaté et a dit : « Non ça te prend un ingénieur en structure. Pour faire ce genre d’expertise ». Donc le temps de passer toutes ces étapes-là, ça résulté dans ce délai-là.

 

[14] Il mandate donc la firme DaVinci à l’automne 2018 afin d’évaluer la gravité, l’ampleur des fissures et des dégradations, notamment au niveau des murs de fondation. Le rapport de DaVinci lui est transmis le 6 décembre 2018 (A-3).  Le témoin cible particulièrement un paragraphe de ce rapport de 10 pages.  Le Tribunal le reproduit :

 

Les hypothèses les plus probables qui expliquent la fissuration du linteau en béton sont, soit le manque de barre d’armature dans le béton ou la hauteur du linteau de béton qui pourrait être insuffisante.  La maçonnerie que supporte le linteau semble ne pas avoir été prise en compte lors de la conception et apporte une charge considérable sur le linteau.

 

[15] Le 14 janvier 2019, la dénonciation des bénéficiaires est transmise à l’administrateur.  La décision fut rendue le 17 juin 2019 par le conciliateur, Michel Hamel, rejetant les points 2 et 3 en litige. 

 

[16] En juin 2019, il mandate Actuel Conseil pour produire un rapport d’expertise afin d’identifier s’il existe un désordre structural par suite de l’apparition des fissures dans le mur de fondation et dans la maçonnerie sur la façade latérale droite du bâtiment.

 

[17] Le 12 juillet 2019, l’ingénieur Gary Morin représentant Actuel Conseil pointe

au bénéficiaire des « lézardes » (le Tribunal fait remarquer que l’ingénieur Gary Morin utilisera souvent le terme lézarde autant pour les lézardes que pour les fissures) au niveau d’une ouverture du sous-sol (dans le mur de fondation) et ce, du côté droit du bâtiment.  Le rapport de l’ingénieur est signé le 4 octobre 2019.

 

[18] À l’été 2020, survient la découverte de fissures au niveau d’un linteau avec les lézardes dans le revêtement de maçonnerie au-dessus du sol du côté latéral gauche du bâtiment.  Ces dernières constatations n’ont pas été dénoncées par les bénéficiaires.

 

[19] L’administrateur fait remarquer, à ce stade, au Tribunal que les bénéficiaires ont dénoncé environ huit (8) mois après la découverte des fissures et que le délai de six (6) mois est de rigueur.

 

GARY MORIN, INGÉNIEUR

 

[20] Monsieur Gary Morin est ingénieur civil, spécialisé en structure.  De 2013 à 2016 il fut ingénieur junior auprès d’Actuel Conseil Inc. Depuis 2015, il travaille dans les conceptions et analyses d’assemblages métalliques et de structures d’acier.  De 2013 à aujourd’hui il a procédé à des expertises et des investigations pour Héneault et Gosselin Inc. Il a œuvré notamment dans la stabilisation et le redressement des bâtiments. Il a conçu et réalisé plusieurs bâtiments ou a élaboré la conception de leur agrandissement.  Il a plusieurs formations complémentaires à son actif dans le cadre de la formation continue.

 

[21] Monsieur Gary Morin s’est présenté à deux occasions au [...], à Québec, soit le 2 juillet 2019 et le 3 septembre 2020.

 

[22] Il discute dans un premier temps des documents d’Inspec-Sol qui sont à l’annexe D de son rapport. Il souligne que la résidence des bénéficiaires fut construite sur un remblai structural de 4.2 mètres.  Un plan des coupes du sol fut réalisé par Inspec-Sol et il est produit en annexe de son rapport.  Le 20 mars 2012, une attestation de conformité des travaux de terrassement du terrain numéro 3, soit celui des bénéficiaires, est transmise à Jean St-Hilaire, dirigeant de Développement Renaissance Inc. et de DGC Construction Inc., entrepreneur dans le présent dossier.  Le rapport apporte la conclusion suivante :

 

En se basant sur la procédure suivie pour la réalisation du remblai contrôlé du terrain numéro 3 jusqu’à l’élévation 11,2m, il nous est possible de confirmer que le remblai au droit de la future maison, tel que défini sur les plans et coupes joints en annexe, possède une capacité portante adéquate pour la construction du bâtiment. Cette confirmation est sous réserve que les semelles de la future maison soient bétonnées à l’élévation et à l’emplacement prévus dans le présent rapport, en plus d’être bétonnées sur des sols stables.

 

[23] Le 24 octobre 2013, monsieur Serge Larouche, ingénieur et vice-président d’Inspec-Sol, notifie Jean St-Hilaire en ces termes (Annexe D du rapport Morin) :

 

                  Bonsoir Monsieur St-Hilaire,

 

Pour faire suite à notre visite du terrain #3 au développement Renaissance, veuillez trouver ci-joint nos commentaires.

 

Le 20 mars 2012, nous avons émis une lettre attestant la conformité du remblai contrôlé réalisé par la firme BML jusqu’à l’élévation prévue des semelles (11.2m) pour le terrain #3. Depuis ce temps des travaux ont été réalisés sur les terrains voisins qui ont eu pour effet de changer l’état du terrain tel qu’il était à notre départ.  De plus, l’entrepreneur chargé des travaux d’excavation du bâtiment sur ce terrain a remarqué que le terrain n’était pas préparé jusqu’à la limite arrière prévue, soit 31m du centre de la chaussée projeté.  Notez que notre mandat à ce moment n’incluait pas l’arpentage et que nous avons fait préparer le terrain à partir des limites localisées alors par la firme BML.

 

Suite à ce constat, et pour avoir une assise conforme à la mise en place du bâtiment, voici nos recommandations :

 

.   Tout le long de la future résidence, une excavation du sable de remblai mis en place a été excavée.  Ce remblai devra être refait en assurant un dégagement de 1m min de la fondation et selon un cône de transfert de charge de 45 degré et ce jusqu’à la rencontre du remblai contrôlé réalisé en 2012.

 

.    Il manquerait environ 1.8m derrière le bâtiment. Les matériaux de remblai en place dans ce secteur devront être excavé jusqu’au terrain naturel et remplacés par un remblai contrôlé constitué de sable classe A de même nature que celui en place manquerait environ 1.8m derrière le bâtiment pour construire (remblai contrôlé 2012) en assurant un cône de transfert de charge de 45 degré.

 

Il a été noté qu’après notre acceptation du 20 mars 2012, un   remblai non contrôlé a été mis en place afin de relever le terrain. Lors de l’excavation de ce remblai, la surface du remblai contrôlé (élévation 11,2 du 20 mars 2012) a été complètement remaniée. Cette surface devra être pactée à 95% du proctor modifié.

 

Nous vous rappelons que les recommandations de construction émises le 16 mai 2012 doivent absolument être respectées et ce pour tous les bâtiments du développement, ces recommandations font partie intégrante des lettres d’acceptations.          (Sic)                     

                                        (Je souligne)

 

[24] Monsieur Morin explique qu’il manquait 1.8 mètre de remblai structural.  De plus, les matériaux de remblai en place devaient être excavés jusqu’au terrain naturel, c’est-à-dire 4.2 mètres de profondeur. Il explique qu’un remblai non contrôlé est un remblai non compacté.

 

[25] Sur ce document annexé (D), daté du 24 octobre 2013, est apposé le sceau de « Jean St-Hilaire, ingénieur ». Monsieur St-Hilaire écrit à la main:

 

Reprises Faites tel que ces recommandations le 21/22 octobre 2013.

         (SIC)

 

[26] Ce document du 24 octobre 2013 est transmis le jour suivant à Maxime Gagnon par Mélanie Teasdale du Groupe DGC Construction consécutivement à la directive de Michel St-Hilaire qui la gouverne ainsi :

 

Salut Mélanie,

Tu peux transmettre ce complément à l’attestation de conformité du remblai contrôlé (déjà transmis) au client.  Ceci confirme que les travaux de préparation du terrain ont été réalisés selon les recommandations du laboratoire.

 

[27] Monsieur Morin conclut qu’actuellement les bénéficiaires n’ont aucune attestation de conformité émanant d’un laboratoire d’expertise de sol qui aurait été autorisé et mandaté pour en émettre une.  Il ajoute que ses recommandations sont basées en partie sur cette irrégularité et cette incurie.

 

[28] Revenant à sa visite du 2 juillet 2019 et à son rapport du 4 octobre 2019, l’expert Gary Morin souligne, notamment, qu’en voyant le linteau de béton, nommé A, ainsi que les lézardes qui s’y ajoutent vis-à-vis cette fenêtre, tout en constatant la fissure au bas de la fenêtre qui se prolonge au bas du sol et à la suite de l’utilisation d’un niveau électronique type Zip Level qui démontra un affaissement d’élévation de 13 mm (1/2") et ce sur une courte distance à l’arrière de la façade latérale droite du bâtiment soit de 8,1", il doit conclure qu’il y a présence d’un vice de construction. Au surplus, le linteau ne répond pas aux normes requises en pareille structure.

 

[29] Pour l’ingénieur, normalement lorsqu’on est en face d’un écart de 1/8", 3/16", ces écarts sont sans conséquence, mais habituellement la distance doit s’établir sur la longueur du bâtiment. C’est ce qui expliquerait que la portion arrière droit du bâtiment a travaillé verticalement.  Il ajoute :

 

Lorsqu’un bâtiment se comporte bien, les tassements différentiels sur un bâtiment concernant les sols, on les limite à ¾ de pouce (19 mm).  En théorie, le bâtiment suit les règles de l’art actuellement.  Mais le fait que j’ai un tassement sur une courte distance fait que ça provoqué des lézardes dans la maçonnerie et ça provoqué un tassement du fait que ça engendré un problème structural.  Le problème structural a engendré les lézardes, c’est ce que je veux dire.

 

[30] Il récapitule en énumérant certaines défaillances : le linteau sous-dimensionné, le cadrage intérieur de la fenêtre, les fissures, les lézardes, l’affaissement et l’absence d’attestation de conformité quant au terrain.  Ces éléments l’amènent à conclure qu’il y a un début de tassement à l’arrière de la façade latérale droite du bâtiment.  Il recommande de « stabiliser la fondation sur la porte localisée parce qu’elle démontre qu’elle est en train de s’affaisser ».

 

[31] Questionné par le Tribunal, le témoin indique que la mesure fut prise en deux occasions soit le 2 juillet 2019 et le 13 septembre 2020 et qu’elle est identique tout en précisant que le linteau fut appuyé et supporté par des 2 ‘’x 4’’ de façon contemporaine à sa visite du 2 juillet 2019.  Ainsi, sur 14 mois il n’y a eu aucun mouvement.  Il ne peut situer à quel moment ce tassement de terrain s’est produit.  Le fait qu’il n’y a pas de certificat de conformité, il ne peut certifier de la stabilité du sol.

 

[32] Ciblant la pièce A-10 de l’annexe B de son rapport qui se veut la coupe du bâtiment (côté droit du bâtiment), il évalue les charges qui reposent sur le linteau en cause (10 pouces de large et 7 3/4 pouces de hauteur).  Il note que la moitié de la toiture se transfère sur le mur central, en sus du poids du mur, mais peu de charge provienne du plancher, auquel s’ajoute le poids du linteau. Il poursuit son évaluation ainsi :

 

En considérant l’absence de 2 barres d’armature dans le bas et 2 barres d’armature dans le haut et que le linteau en béton a une portée de 64 pouces de large, le linteau en béton n’est pas capable de reprendre l’effort de cisaillements en conception avec armatures ou pas.  De plus, il y a 3/8 pouce de réflexion à la fenêtre.  Le linteau a une flèche trop prononcée en conception.  Les barres d’armature doivent être positionnées et de bonne dimension. C’est évident que le linteau est sous-dimensionné.

 

[33] En l’absence de pièces de bois placées sous le linteau depuis l’apparition des fissures, monsieur Morin soutient que tôt ou tard « la fenêtre casserait ».  La fenêtre agit actuellement comme si elle était structurale et le linteau aurait fort probablement cédé sans le soutien des six 2’’x 4’’.  Qui plus est, la fenêtre participe actuellement au transfert des charges de bâtiment.

 

[34] Pour monsieur Morin l’absence d’armature et la taille inappropriée du linteau débouche sur une faute grave qui est du niveau d’un vice de construction.  Il ne peut affirmer avec certitude que le bâtiment pourrait continuer à s’affaisser.  Il ajoute qu’il ne peut dire que c’est une probabilité mais il peut affirmer qu’il s’agit d’une possibilité.  Il faudrait qu’un laboratoire de sol procède à l’étude du sol pour mener à une attestation de conformité. Il ne peut expliquer pourquoi les fissures et lézardes ne sont apparues qu’après plus de quatre (4) ans. En conclusion, il affirme qu’il y a un désordre structural au niveau du bâtiment.  Pour corriger la situation actuelle, les coûts pourraient atteindre $75,000.00 dollars.

 

[35] Questionné par Maxime Gagnon, l’ingénieur affirme que la situation actuelle peut conduire à une problématique quant à la sécurité des occupants puisqu’en cas d’incendie ou sinistre il serait difficile pour des enfants d’ouvrir la fenêtre en cause. De fait, l’ingénieur procéda à une vérification au matin de l’audience et il note avoir eu de la difficulté à procéder à l’ouverture de cette fenêtre.

 

CONTRE INTERROGATOIRE

 

[36] L’ingénieur Morin reconnait, dans un premier temps, qu’il est possible que lors de la livraison du bâtiment le même différentiel (1/2 pouces) quant à l’affaissement du bâtiment existait, mais il se ravise aussitôt en affirmant que cela serait irréconciliable avec le fait qu’il y a des fissures et des lézardes car celles-ci sont la conséquence d’un mouvement, d’un tassement.  Cela est irréfutable quant à lui.

 

[37] Pour le témoin la problématique actuelle est notamment une combinaison de

la déficience des linteaux (sous dimensionnés) et du changement d’élévation de ½ pouces.  De cet avancé, il s’en dira « convaincu ».

 

[38] Questionné par Me Marc Baillargeon qui lui suggère que s’il y a eu tassement ou mouvement on devrait retrouver des signes à l’intérieur du bâtiment au niveau du gypse ou des ouvertures. Monsieur Morin répond ainsi   :

 

Faut pas oublier que la maison est faite en bois.  Les fondations peuvent bouger. Le bois permet une certaine souplesse, une flexibilité. À 13 mm vous ne verrez pas grande chose dans la maison. 

 

[39] Et Me Baillargeon de poursuivre :

 

Q. Si on ne fait rien, il arrive quoi dans 6 mois, deux ans ?

R. C’est possible qu’il y ait une poursuite de l’affaissement.  Les fissures vont s’amplifier, possibilité d’infiltration d’eau dans le sous-sol.  Si on ne stabilise pas, ça va disloquer.

Q. Si je vous dis qu’il y a eu un certificat de conformité émis en bon et due forme vous faites quoi?

R. On remplace les linteaux, on répare la maçonnerie.

 

[40] Ultimement, s’il n’y avait pas eu de support, l’ingénieur Gary Morin soumet que la fenêtre n’aurait pas pu résister à la charge tout comme le linteau et le mur et la toiture auraient pu s’affaisser graduellement.  Il complète en affirmant qu’assurément il y aurait eu un impact sur la structure de briques.

 

PREUVE DE L’ADMINISTRATEUR

 

MICHEL HAMEL

 

[41] Monsieur Michel Hamel travaille pour la Garantie des maisons neuves depuis 15 ans.  Il est technologue en génie civil, membre de l’ordre des technologues, il effectue environ 200 inspections de maisons neuves annuellement et j’en passe. Ses connaissances et compétences ont été à plusieurs reprises exposées au soussigné dans plusieurs autres dossiers.

 

[42] Il procéda à la visite du bâtiment situé sur la rue Louise Fiset, à Québec, le 23 mars 2019 et sa décision fut livrée le 17 juin 2019.

 

[43] Au moment de l’inspection, il n’avait pas le rapport de l’ingénieur Gary Morin, lequel rapport fut rédigé après sa décision du 17 juin 2019. 

 

[44] Le rapport DaVinci du 6 décembre 2018 lui avait été remis avant de rédiger son rapport de conciliation.  Des photos accompagnent ledit rapport, lesquelles furent prises le 22 novembre 2018.  Il tiendra également compte des photos prises par monsieur Gary Morin le 2 juillet 2019, avec l’ajout de son constat visuel au matin de l’audience lors de l’inspection préalable des lieux.

 

[45] Les photos aux pages 9 et 10 du rapport DaVinci sont pointées par le témoin.  En comparant ces photos avec celles prises par l’ingénieur Morin, il remarque qu’il n’existe aucun écart entre les deux séries de photos montrant les fissures et ce, sur un écart de trois années.  Il précise que les bénéficiaires ne lui ont pas signalé d’autres fissures au niveau des autres ouvertures dans la fondation.

 

[46] Il porte une attention particulière sur le texte suivant du rapport DaVinci (page 2) :

 

L’analyse visuelle du linteau en béton au-dessus de la fenêtre du sous-sol de la salle familiale, sur le mur Est, présente des fissures dans les coins et au centre (voir les photos 11 à 16).  Des fissures dans la maçonnerie au-dessus du linteau ont également été décelées lors de la visite (voir les photos 17 à 19).

 

Le système structural des planchers indiqué sur les plans d’architectures révèle que les solives de planchers sont parallèles au linteau de béton.  Selon notre analyse, le linteau supporte des charges provenant de la toiture (neige, poids propres) et le poids des murs des deux étages (incluant la maçonnerie sur le premier étage).

                                                         (Je souligne)

 

[47] Pour le conciliateur, le linteau ne supporte que le parement extérieur de briques et une solive de rive.  Il justifie cette affirmation sur la base qu’il n’y a aucune fissure de gypse à l’intérieur du bâtiment et que les coupe plan A-12 de l’annexe B du rapport de l’ingénieur Gary Morin le démontre.  Il n’y a aucune solive transversale qui s’appuie sur le linteau de béton et il n’y a donc pas de charge de plancher qui viendrait sur ce même linteau.

 

[48] Il acquiesce à l’affirmation suivante contenue au rapport DaVinci :

 

La maçonnerie que supporte le linteau semble ne pas avoir été prise en compte lors de la conception et apporte une charge considérable sur le linteau (page 2).

 

[49] Monsieur Michel Hamel adhère également au dernier paragraphe du rapport DaVinci, lequel énonce:

 

La fissuration du linteau en béton au-dessus de la fenêtre de la salle familiale nécessite une attention particulière. Bien qu’elle ne semble pas critique pour la sécurité des occupants, elle peut tout de même occasionner des problèmes indésirables au niveau des revêtements architecturaux et de l’ouverture de la fenêtre sous le linteau.  Des travaux de renforcement devraient être faits afin de corriger la situation.  Il est recommandé de stabiliser temporairement la situation jusqu’aux travaux de renforcement du linteau.  Il est recommandé de consulter un professionnel en structure afin de déterminer le renforcement nécessaire du linteau.

                                       (Je souligne)

 

[50] Il remarque qu’il n’est aucunement question d’affaiblissement de sol ou de mouvement de bâtiment. Il conclut que les points dénoncés par les bénéficiaires n’ont pas l’importance d’un vice majeur tel que défini au Plan de garantie.

 

[51] Le conciliateur fait un rappel sur le témoignage de monsieur Maxime Gagnon qui indiquait que son constat des fissures remontait au printemps 2018 et que cette situation fut dénoncée en janvier 2019 ce qui constitue un délai de huit (8) mois. Ce délai outrepasse le délai maximal de six (6) mois de dénonciation lequel est un délai de rigueur.

 

RECTIFICATIF APPORTÉ PAR LES BÉNÉFICIAIRES

 

MAXIME GAGNON et NATHALIE AUCLAIR

 

[52] Faisant suite au témoignage du témoin de l’administrateur et à une pause-café, les bénéficiaires ont sollicité la possibilité dapporter un correctif quant à l’époque de la découverte des fissures laquelle serait survenue à la fin de l’été 2018.

 

[53] Monsieur Maxime Gagnon explique qu’après avoir revisité le fil des évènements avec sa conjointe, Nathalie Auclair, quant à la découverte des fissures, il a souvenir que c’est plutôt à la fin de l’été que le constat des fissures prit place. Œuvrant dans le domaine de la construction, il n’aurait pas pris autant de temps à recourir aux services professionnels de DaVinci. Les bénéficiaires assurent qu’ils font toujours diligence en semblables situations.

 

[54] Le Tribunal estime pertinent de rapporter ce segment où les bénéficiaires se sont exprimés et où monsieur Michel Hamel est intervenu.

 

Maxime Gagnon : « On a refait le fil des évènements vu que ça fait deux ans.  Puis j’étais pas certain de la date évidement tantôt.  Ma conjointe m’a rappelé c’était plutôt au courant de l’été quand on se met à serrer nos pots de fleurs. Vous les avez vus tout à l’heure quand vous êtes venus à côté de la fenêtre, on les sert les pots de fleurs à la fin de l’été au mois d’août, début du mois de septembre, sur le côté de la fenêtre, c’est là en les transportant que j’ai été vraiment mis en face à la fenêtre.  Aussi une autre chose que je veux rajouter. Je suis dans le domaine de la construction. Je connais les délais, on a fait diligence même si on a mis des délais à trouver DaVinci. On l’a mandaté le 14 novembre, c’est impossible que ça prit autant de temps pour arriver à ça. »

 

[55] Nathalie Auclair intervient :

 

On laisse pas traîner nos affaires.

 

M.G. : On fait diligence tout le temps dans tout ce qu’on fait, c’est ça.

 

[56] Michel Hamel intervient :

 

Moi, pas pour vous relancer, mais vous avez fait une réception du bâtiment en 2014 et vous avez dénoncé 3 ans plus tard.  J’ai été surpris quand j’ai vu votre dénonciation.

 

M.G. : Je pense pas que ça aide tout ça. On maintient cette affirmation. C’est l’histoire qui en décidera.

 

M.H. : C’est l’arbitre.

 

 

 

ARGUMENTATION DES BÉNÉFICIAIRES

 

 

[57] À l’aide de leur plan de plaidoirie transmis préalablement, les bénéficiaires

font un rappel quant au fardeau de preuve en pareille matière (article 2803 et 2804 C.c.Q.).

 

[58] Ils exposent qu’ils ont respecté en tout point les délais et le processus de réclamations applicables (articles 10.5, 18.2, 18.3 et 19 du Règlement). (2)

 

[59] Malgré qu’il soit question de fissures, il n’y a pas en l’espèce d’exclusions applicables, puisque celles-ci ne sont pas dues à un comportement normal des matériaux (fissure de retrait, art. 12,2 du Règlement). Il faut s’en remettre à l’article 10.5 du Règlement et aux articles 2118 et 2119 C.c.Q. quant à la garantie quinquennale.

 

[60] Ils font valoir que la notion de perte d’ouvrage doit être abordée sous l’angle d’une interprétation large.  À cet effet, l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Construction GMR Inc. c. SDC du 521 de Cannes à Gatineau et Iko-Industries Ltd.(3) est soumise au Tribunal.

 

[61] Au surplus, ils soulignent que la perte de l’ouvrage peut être totale, partielle ou potentielle ou être un défaut rendant l’ouvrage impropre à l’usage auquel on le destine.  Il est fait référence notamment à l’auteur Vincent Karim, dans son ouvrage intitulé Contrats d’entreprise (Ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), contrat de prestation de services et d’hypothèque légale. (4)

 

[62] Pour les bénéficiaires, il existe déjà une difficulté d’utilisation avec l’ouverture de la fenêtre qui soutient le linteau problématique.  Au surplus, cette difficulté est attribuable à un certain resserrement ou à une contracture de la fenêtre en tentative d’ouverture, ce qui provoque une difficulté incidente quant à la sécurité de certains occupants (enfants particulièrement).

 

[63] On rappelle que l’ingénieur Morin a évoqué la possibilité d’infiltrations d’eau à long terme au niveau de la fondation du parement extérieur.  Ils font valoir l’absence d’attestation d’un laboratoire certifié quant à la condition du sol ajouté et le fait que les linteaux sont sous-dimensionnés.  En bout de piste, il est possible que le parement de briques puisse s’affaisser. Pour les bénéficiaires, tous ces ingrédients débouchent sur l’existence d’un vice de construction.

 

ARGUMENTATION DE L’ADMINISTRATEUR

 

[64] Me Marc Baillargeon pose la question : « Est-ce que la preuve des bénéficiaires rejoint la gravité du vice majeur? »

 

[65] Il adresse dans un premier temps la jurisprudence qu’il entend soumettre.  Dans l’affaire Castiglione et Sbarra c. Groupe Platinum Construction 2011 Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ (5), il souligne le passage suivant :

 

(54) Pour se décharger du fardeau de la preuve, il ne suffit pas de démontrer la seule potentialité d’un risque.  Comme l’a écrit l’arbitre Despatis :

 

« Avec égards, l’appréhension de dommages futurs par la bénéficiaire n’est pas suffisante pour conclure à la présence d’un vice caché ou d’une malfaçon. Autrement dit, l’affirmation de la présence d’un danger ou de l’appréhension d’un problème éventuel n’est pas la preuve d’un problème affectant réellement l’ouvrage. » (6)

 

[66] Le procureur fait un parallèle avec le fait qu’il n’y a pas d’attestation de conformité quant au remblai qui génère une crainte chez les bénéficiaires.  Il en est tout autant quant aux possibles infiltrations d’eau alors que dans les faits il y a absence d’infiltration d’eau. De plus, avec le dénivelé de ½ pouce, l’ingénieur Morin a reconnu qu’il était peu probable de voir des manifestations importantes de dommages à l’intérieur du bâtiment.

 

[67] La décision SDC du 1274 Gilford, Montréal Anouk Fournier c. 153642 Canada Inc. c. Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ (7) est rapportée particulièrement pour sa similitude avec le présent dossier.  Les paragraphes suivants sont soulignés :

 

[31] Les décideurs qui m’ont précédé ont aussi accepté à considérer le vice suffisamment important, lorsqu’on est placé dans une situation de perte d’ouvrage et que le préjudice soit né et actuel, de manière immédiate.  La notion de « perte » doit recevoir une interprétation large et s’étendre à tout dommage sérieux subi par l’ouvrage immobilier.

                   

 

[33] Il n’y a pas eu de preuve que l’immeuble est devenu non sécuritaire en raison de vices ou encore qu’il y ait danger d’écroulement de certaines parties.

 

[34] Il est plus que possible que si certains travaux de correctifs ne sont pas adressés, les façades extérieures périront de façon prématurée.

 

[35] J’accepte la position qu’une réfection de l’enveloppe extérieure a des conséquences, que ces conséquences sont possiblement lourdes et très coûteuses.  L’inconvénient est que le coût ne constitue pas le seul élément pour qualifier un vice de majeur au sens de la doctrine et de la jurisprudence qui m’est connue.  Il est vrai qu’une importante infiltration d’eau récurrente à court ou moyen terme créera des problèmes importants de moisissure apte à rendre le bâtiment impropre à l’usage auquel il est destiné mais cette démonstration ne m’a pas été faite.  Je rappelle que l’expert du bénéficiaire n’a procédé à aucune inspection destructive, il s’est arrêté à ce qui était des éléments visibles de l’extérieur et que nous sommes en présence de « potentially significant latent elements ».

                                        (Je souligne)

 

[68] Me Baillargeon rapporte également la décision SDC Les Jardins du Parc c. La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ (8).  Le Tribunal se permet d’en rapporter un passage :

 

[50] …

 

La simple présence d’un danger sérieux susceptible d’entraîner                  une perte de l’ouvrage suffit pour ouvrir droit à cette garantie.  En somme, on dira qu’il y a perte de l’ouvrage lorsqu’est démontrée la présence d’un vice d’une gravité propre à en affecter la solidité. Autrement dit, pour qu’une déficience soit qualifiée de grave ou sérieuse, selon l’article 2118, elle doit présenter une gravité susceptible de mettre en péril la solidité ou la stabilité de l’immeuble.

 

[51] En l’espèce, la preuve révèle que les problèmes observés n’ont pas entraîné de conséquences sérieuses.  Messieurs Séguin et Fortin conviennent certes que les situations observées contreviennent aux normes de construction mais aucune d’elles n’est décrite comme susceptible de mettre en péril la solidité de l’ouvrage ou entre d’entraîner des troubles graves dans l’utilisation de l’immeuble.

                                         (Je souligne)

 

[69] Pour l’administrateur, l’application en l’espèce de ces principes en matière de vice majeur doit amener le Tribunal à conclure que les bénéficiaires ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve.

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[70] Le Règlement sur le Plan de Garantie des bâtiments résidentiels neufs est d’ordre public.  Il campe les conditions applicables à ceux qui désirent administrer un plan de garantie.  Il enchâsse tant les modalités que les limites du plan de garantie.  Les difficultés d’interprétation que peut rencontrer l’arbitre ainsi que les questions quant aux droits et aux obligations des bénéficiaires ou de l’entrepreneur doivent trouver normalement réponse dans le Règlement.

 

FARDEAU DE PREUVE

 

[71] Puisque les bénéficiaires contestent le bien-fondé de la décision de l’administrateur, le fardeau de preuve repose sur leurs épaules.  L’article 2803 du Code civil du Québec énonce :

 

2803- Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

 

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. 

 

[72] L’article 2804 du Code civil du Québec mérite également qu’il soit reproduit puisqu’il définit la preuve prépondérante, laquelle doit être appliquée en l’espèce :

 

La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. 

 

[73] Notre Cour d’appel précisait son application, dans Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc. (9)

 

[57] La première juge a attentivement examiné les divers éléments de preuve, à la fois de nature profane et technique, pour déterminer où se situe la vérité.  Cette vérité demeure relative plutôt qu’absolue, sans avoir à atteindre un niveau de certitude, puisque s’applique la norme de la prépondérance de preuve fondée sur la probabilité (art. 2804 C.c.Q.), soit celle qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence, laquelle excède de la simple possibilité.

 

Lorsque la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire, le juge ne doit pas s’empresser de faire succomber celui sur qui reposait la charge de la preuve mais il doit chercher d’abord à découvrir où se situe la vérité en passant au crible tous les éléments de conviction qui lui ont été fournis et c’est seulement lorsque cet examen s’avère infructueux qu’il doit décider en fonction de la charge de la preuve.

 

[74] En 2008, la Cour suprême du Canada traitait ainsi de la norme applicable en matière civile laquelle est identique à celle en matière réglementaire (10) :

 

En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de prévue s’applique, celle de la prépondérance des probabilités.  Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu (…) 

 

DROIT APPLICABLE QUANT AU VICE DE CONSTRUCTION

 

[75] Il convient de caractériser le droit applicable dans le cas où le bénéficiaire dénonce des vices de construction, de conception ou des vices de sol. Le législateur l’a ainsi formulé à l’article 10 du Règlement applicable en l’espèce:

 

10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :

                   

 

5o la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

                                       (Je souligne)

  

[76] Dans le présent dossier le conciliateur s’est appliqué à analyser et à évaluer les dénonciations sous l’angle de la perte de l’ouvrage et les a repoussées du fait que les situations dénoncées ne rencontrent pas les critères de vice majeur de construction.

 

[77] L’article 2118 du Code civil du Québec expose ainsi la notion de vice de construction que l’on retrouve au Règlement :

 

À moins qu’ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol.

 

[78] La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Construction J.R.L. (1977) c. Zarrick Compagnie d’assurances, (11), s’exprimait ainsi quant à la notion de vice de construction :

 

Sont considérés comme vices de construction susceptibles d’engager la responsabilité quinquennale des constructions, les défectuosités qui sont de nature à empêcher l’ouvrage de remplir sa destination ou qui limitent, de façon majeure, l’usage normal de l’édifice.

 

[79] Dans son traité sur Les contrats de construction en droit public et privé (12) la juge Thérèse Rousseau-Houle analysa l’expression « perte de l’ouvrage ». Ses propos furent repris dans plusieurs décisions, même récentes, puisque l’article 2118 C.c.Q. fait encore référence à ce concept.

 

 Deux conditions sont explicitement posées à l’article 1688 pour qu’entre en jeu la responsabilité qui y est édictée :  il doit s’agir de vice de construction ou de sol et ce vice doit entraîner la perte totale ou partielle de l’ouvrage.

[…]

 

                    a) Vices entraînant la perte partielle ou totale de l’ouvrage.

 

Selon les termes de l’article 1688, la responsabilité quinquennale n’est engagée que « si l’édifice périt en tout ou en partie ».  Cet article constituant une exception au principe de la libération du locateur d’ouvrage par la réception, devrait normalement être interprété de façon stricte.  Or, comme la dérogation au droit commun provient du souci de protéger le propriétaire à l’égard des travaux difficilement vérifiables et de la nécessité d’assurer au public une protection efficace, nos tribunaux n’ont jamais appliqué l’article 1688 à la lettre et n’ont pas exigé que les vices du sol ou de construction produisent des effets aussi radicaux.  Ils ont au contraire reconnu que les termes « périt en tout ou en partie » ne sont pas limitatifs et comprennent les vices compromettant la solidité de l’édifice et les défectuosités graves qui entraînent les inconvénients sérieux. [Audet c. Guérard et Guérin, (1912) 42 C.S. 14, p. 18. Par ces mots la loi ne comprend pas seulement la démolition ou perte totale ou partielle de l’édifice, mais elle comprend les défectuosités, le manque de solidité des travaux et les vices de construction; Gauthier c. Seguin (1969) B.R. 913. Le terme périr doit être interprété de manière à comprendre tout dommage sérieux aux gros ouvrages d’un édifice; Donolo Inc. c. Saint-Michel Realties Inc., (1971) C.A. 536.  Ces mots ne sont pas limitatifs mais comprennent les défectuosités graves qui entraînent les inconvénients sérieux ou un danger sérieux que l’édifice s’écroule en tout ou en partie.]

 

Le champ d’application de la garantie quinquennale n’est donc pas restreint aux désordres qui entraînent la ruine effective des ouvrages.  De telles hypothèses sont d’ailleurs relativement peu fréquentes car, lorsque la gravité des vices est susceptible de provoquer la ruine, l’effondrement de l’ouvrage se produit généralement en cours de construction et c’est alors la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur et de l’architecte qui peut être mise en cause.  Il suffit pour engager la responsabilité quinquennale des constructeurs que le danger de ruine soit imminent, voir latent. La simple menace de ruine d’un ouvrage constitue déjà un préjudice né et actuel, car l’ouvrage qui menace ruine perd une grande partie de sa valeur marchande et de son utilité.  De même, une ruine simplement partielle et suffisante lorsque, par suite des vices affectant les parties maîtresses de l’ouvrage, il y a menace d’effondrement ou fléchissement de certaines parties de l’immeuble ou simplement des fissures importantes pouvant causer la perte de composantes essentielles du bâtiment. »

                   

 

b) Vices affectant la solidité de l’édifice ou le rendant impropre à sa destination

 

Celle-ci s’étend à toutes défectuosités graves, à tous désordres qui, concernant la structure même de l’ouvrage ou ses parties maîtresse, sont de nature à compromettre la solidité.  Si la jurisprudence a reconnu à maintes occasions que le terme « périr » de l’article 1688 n’est pas limitatif, elle a néanmoins réduit la portée aux vices graves causant des dommages sérieux aux gros ouvrages.  Il doit s’agir de déficiences qui peuvent mettre en péril la solidité ou la stabilité de l’édifice ou de ses composantes essentielles.

                                       (Je souligne)

 

POINTS EN LITIGE

 

[80] L’administrateur traitant des photos 9 et 10 contenues au rapport DaVinci (A-3) prises le 28 novembre 2018 et comparant celles-ci aux clichés pris par l’expert Gary Morin le 4 octobre 2019 ajoutés à son constat visuel au matin de l’audience, conclut qu’il n’existe aucun déphasage entre ces trois passages et ce, sur une période de trois ans relativement aux fissures déployées en périphérie du linteau de béton B (rapport Morin).  Il signale qu’aucune autre fissure n’est apparue depuis.

 

[81] Cette observation semble a priori exacte. Toutefois, elle omet de prendre en considération le soutien apporté au linteau par l’apport d’un épaulement composé de six (6) 2’X4’.  Cette « béquille » aurait été mise en place après le passage des ingénieurs de DaVinci Structures en 2018.  On notera aussi que lors du second passage de monsieur Gary Morin en septembre 2020, celui-ci a remarqué des lézardes au linteau de la fenêtre du sous-sol du côté latéral gauche du bâtiment. Ces dernières furent constatées lors de la visite des lieux le 10 décembre 2020.

 

[82] Qui plus est, au niveau de la même fenêtre (deuxième fenêtre « A », rapport de Gary Morin) mais vue de l’intérieur, l’ingénieur a fait remarquer que la portion supérieure du gypse encadrant cette fenêtre était arquée (distance entre le creux de l’encontre et le bord antérieur de la fenêtre) de ½ pouce et qui est visible à l’œil.   Pourtant cette situation n’a été signalée ni par l’administrateur et ni au niveau du rapport DaVinci. Cette déformation serait donc apparue après le passage du conciliateur en date du 23 mai 2019. Le conciliateur note dans sa décision (A-7) du 17 juin 2019 qu’‘au moment de l’inspection, la fenêtre en question fonctionnait normalement’’. Cependant lors de la visite des lieux au matin de l’audience, l’ingénieur Gary Morin s’est appliqué à ouvrir la fenêtre « A » de l’intérieur.  Sur le champ, il a signifié qu’un enfant et/ou une femme aurait de la difficulté à l’ouvrir et il l’a évoqué à nouveau lors de son témoignage.

 

[83] Faut-il ajouter que dans le rapport de conciliation on note que les bénéficiaires ont signalé au conciliateur que la fissure en échelle dans les joints de mortier, d’environ 3mm de largeur, s’était élargie au cours des derniers mois.

 

[84] Il fut souligné par l’administrateur qu’il n’y avait aucune infiltration d’eau, ni aucune fissure intérieure au niveau du gypse.  Sur ce dernier point, le Tribunal rappelle le témoignage de monsieur Gary Morin.

 

Ne faut pas oublier que la maison est faite en bois.  Les fondations peuvent bouger.  Le bois permet une certaine souplesse, une flexibilité.  À 13 mm, vous ne verrez pas grand-chose dans la maison. 

 

[85] Outre la flexibilité et la souplesse, le Tribunal ajoute que le bois se caractérise également par la ductilité, c’est à dire, la capacité à se déformer sans casser.

 

[86] Monsieur Michel Hamel rappelle le passage du rapport DaVinci qui confirme la présence de fissures dans la maçonnerie au-dessus du linteau et qui établit que celui-ci supporte des charges provenant de la toiture (neige, poids propre) et les poids des murs des deux étages (incluant la maçonnerie sur les premiers étages (page 2 sur 10).

 

[87] Cette observation et cette conclusion ne seront aucunement ergotées par l’expert Morin, bien au contraire.  Il quantifie les charges qui reposent sur le linteau ainsi : la moitié de la toiture qui se transfère sur le mur central, plus le poids du mur.

 

[88] Un autre aspect important est la composante en béton du linteau et son sous-dimensionnement (10" de large, 7 3/4" de hauteur).  L’expert Morin assure que le manque d’armature d’acier combiné à un manque de hauteur a créé le désordre structural. Ce sous-dimensionnement n’a pas été contredit par l’administrateur. De fait, monsieur Hamel reconnait l’énoncé qui est également traité au rapport DaVinci à l’effet que la maçonnerie supportant le linteau n’a pas été prise en considération lors de la conception ce qui aboule une charge considérable sur ce dernier.

 

[89] Le rapport DaVinci sur lequel l’administrateur s’appuie, apporte des constations et des conclusions qui n’interfèrent pas les prétentions de l’expert des bénéficiaires.  Il est nécessaire de les ramener ici :

 

L’analyse visuelle du linteau en béton au-dessus de la fenêtre du sous-sol de la salle familiale, sur le mur Est, présente des fissures dans les coins et au centre (voir les photos 11 à 16).  Des fissures dans la maçonnerie au-dessus du linteau ont également été décelées lors de la visite (voir les photos 17 à 19).

                   

 

Les hypothèses les plus probables qui expliquent la fissuration du linteau en béton sont, soit le manque de barre d’armature dans le béton ou la hauteur du linteau de béton qui pourrait être insuffisante.  La maçonnerie que supporte le linteau semble ne pas avoir été prise en compte lors de la conception et apporte une charge considérable sur le linteau.

 

Le client a mentionné, lors de la visite, que le bâtiment voisin avait eu des problèmes de tassement au niveau de ses fondations dans les dernières années.  Cette hypothèse n’est pas écartée pour les causes de fissuration du linteau, mais ne semble pas être la plus probable.

                   

 

La fissuration du linteau en béton au-dessus de la fenêtre de la salle familiale nécessite une attention particulière.  Bien qu’elle ne semble pas critique pour la sécurité des occupants, elle peut tout de même occasionner des problèmes indésirables au niveau des revêtements architecturaux et de l’ouverture de la fenêtre sous le linteau.  Des travaux de renforcement devraient être faits afin de corriger la situation.  Il est recommandé de stabiliser temporairement la situation jusqu’au travaux de renforcement du linteau.  Il est recommandé de consulter un professionnel en structure afin de déterminer le renforcement nécessaire du linteau. (page 2 et 3).

                                          (Je souligne)

 

[90] L’administrateur a souligné que le rapport DaVinci recommandait le renforcement du linteau, mais ne faisait aucunement mention d’un possible mouvement de sol ou de bâtiment.  Les ingénieurs de DaVinci Structures qui n’ont procédé qu’à une analyse visuelle, faut-il le souligner, n’ont pas utilisé un niveau électronique de type Zip Level et n’ont pas fait état des courriels du 20 mars 2012 et du 24 octobre 2013 adressés à Jean St-Hilaire, de Développement Renaissance.

 

[91] Lors du témoignage de l’expert Gary Morin, celui-ci a procédé à l’analyse des deux documents cités plus haut, en sus du courriel du 25 octobre 2013 transmis par Michel St-Hilaire (chargé de projet) à Mélanie Teasdale du Groupe DGC.

 

[92] Le Tribunal remarque que le courriel du 24 octobre 2013 de l’ingénieur Serge Larouche à Inspec-Sol fait état d’une attestation de conformité émise par sa compagnie.  Il écrit :

 

Le 20 mars 2012 nous avons émis une lettre attestant la conformité du remblai contrôlé, réalisé par la firme BML.

                                       (Je souligne)

 

[93] Il en découle indubitablement que l’attestation de conformité doit venir d’Inspec-Sol ou d’une tierce entreprise autorisée et compétente à émettre une telle attestation. Si tel n’était pas le cas l’entrepreneur aurait procédé sans user initialement d’une telle attestation en pareille matière. Deux poids, deux mesures pour l’entrepreneur.

 

[94] L’ingénieur Serge Larouche indique le 24 octobre 2013 que l’entrepreneur chargé des travaux d’excavation du bâtiment a remarqué que le terrain n’était pas préparé jusqu’à la limite arrière prévue.  On doit forcément conclure que cette situation prenait encore place à la date du 24 octobre 2013.

 

[95] Au surplus, l’ingénieur Serge Larouche, face à la situation qui prévalait le 24 octobre 2013 fait plusieurs recommandations importantes pour converger vers une assise conforme à la mise en place du bâtiment.

 

[96] Sur ce courriel du 24 octobre 2013, Jean St-Hilaire, architecte, appose son sceau et ce, sans que l’on sache qui s’est exécuté puisque l’entrepreneur n’avait évidemment pas les compétences pour conclure.

 

[97] Cet ajout manuscrit de Jean St-Hilaire ne tient pas la route pour plusieurs raisons.  Premièrement, il n’y a aucune attestation de conformité émise par une firme spécialisée indépendante. Deuxièmement, comment Jean St-Hilaire peut-il prétendre que les recommandations ont été suivies alors que les dates à lesquelles il y aurait eu exécution sont antérieures au courriel d’Inspec-Sol.    Troisièmement, l’entreprise de Jean St-Hilaire ou Jean St-Hilaire lui-même n’est d’aucune façon apte à émettre un certificat de conformité. Quatrièmement, si tel était le cas, elle se trouvait en conflit d’intérêt, étant juge et partie à la fois. Finalement, Jean St-Hilaire n’a jamais transféré à Michel St-Hilaire et/ou aux bénéficiaires une attestation de conformité faite et signée par une firme spécialisée comme l’avait exigé implicitement ces derniers.

 

[98] Pour le Tribunal, la preuve révèle indubitablement qu’il n’y a jamais eu d’attestation de conformité relativement aux recommandations du 24 octobre 2013 faites par Inspec-Sol.  À la limite, il n’appartient pas aux bénéficiaires de faire la preuve d’une telle attestation, mais bien à l’entrepreneur ou à l’administrateur. Qui plus est, les bénéficiaires ne peuvent faire la preuve d’un fait ou d’un écrit qui n’existe pas.

 

[99] Le Tribunal souligne qu’il est reconnu que le tassement de sol est constitué d’une déformation verticale causée par l’application de contraintes extérieures, telles que les fondations, ou les remblais.  Ces mouvements verticaux peuvent être uniformes ou différents d’un endroit à l’autre selon la nature ou les composantes du sol en place.  Un tassement différentiel peut entraîner des dislocations de maçonnerie, tels que l’apparition de fissures.  L’arrivée de ces fissures peut prendre parfois des années.

 

[100] Un autre passage du courriel du 24 octobre 2013 laisse paraître une certaine insouciance et irresponsabilité de l’entrepreneur :

 

Il a été noté qu’après notre acceptation du 20 mars 2012, un remblai non contrôlé a été mis en place afin de relever le terrain.  Lors de l’excavation de ce remblai, la surface du remblai contrôlé (élévation 11,2 du 20 mars 2012) a été complètement remaniée. Cette surface devra être décompactée à 95% du protor modifié.

 

[101] Monsieur Serge Larouche énonçait dans le dernier paragraphe de ce courriel que les recommandations émises le 16 mars 2012 devaient absolument être respectées.

 

[102] L’ingénieur Gary Morin a constaté un affaissement d’élévation.  L’affaissement ne s’est sûrement pas produit sur une courte période.  L’écart en soi de ½" est peut-être sans conséquence s’il avait été sur toute la longueur du mur de 36’ pieds.  Mais en l’espèce, il s’est produit sur une longueur de 8’1’.  Dans les circonstances, l’écart est important. En projetant sur une distance de 36 pieds on obtiendrait un écart de 2 pouces.

 

[103] Il s’en suit pour l’expert qu’il y a nécessité de stabiliser la fondation sur la partie localisée parce qu’elle s’affaisse actuellement.

 

[104] Considérant les charges en présence, considérant l’absence de barres d’armatures au niveau du linteau, considérant le sous-dimensionnée de ce linteau, considérant la déflexion de 3/8" au niveau de la fenêtre, considérant le retrait des 2"X4"qui agissent comme béquilles, l’ingénieur Morin conclut dans un premier temps que la fenêtre se comporte comme si elle était structurale et dans un second temps elle participe actuellement au transfert des charges. Le Tribunal adhère à cette conclusion.

 

[105] Personne ne peut certifier que le bâtiment s’est stabilisé.  Il s’agit d’une possibilité que le Tribunal ne peut mettre de côté.  Il faut rappeler cet échange entre Me Marc Baillargeon et l’expert Gary Morin où ce dernier soutenait qu’il était possible qu’il y ait une poursuite de l’affaissement et que les fissures allaient s’amplifier cumulées à une possibilité d’infiltration d’eau au sous-sol.

 

[106] Enfin, questionné à nouveau par le Tribunal, monsieur Gary Morin affirme que si le linteau n’avait pas été supporté par les six 2"X4", la fenêtre n’aurait pas pu résister à la charge du mur qu’elle supporte de façon boiteuse et inadéquate et ce, tout comme le linteau.  Comme conséquence, l’expert avance que le mur de briques pourrait s’affaisser graduellement.  Cette perte potentielle d’une partie importante du bâtiment n’a pas été disconvenue ou critiquée.

 

[107] À partir de ce rappel de faits et de conclusions contradictoires entre les parties, il m’apparaît pertinent de rappeler certains enseignements qui encadrent la notion de vice majeur dans le contexte particulier d’une perte potentielle.

 

[108] La Cour d’appel, dans l’arrêt Construction G.M.R. Inc. c. Les Toitures Marcel Raymond & Fils c. SDC du 521 de Cannes à Gatineau. (13)

 

[13] Qu’il ait conclu revêtement de toiture mal installé, faisant en sorte que les bardeaux partent au vent, constitue une ruine partielle de l’immeuble qui, si rien n’est fait, menace suffisamment le bâtiment pour que le défaut puisse être qualifié de perte n’est pas déraisonnable.  De surcroit, il pouvait présumer que la méthode d’installation était uniforme et que tous les bardeaux étaient susceptibles de partir au vent. Or, il serait déraisonnable d’exiger du Syndicat qu’il attende que cette éventualité survienne avant que la Cour puisse conclure à une ruine de bâtiment.

                                        (Je souligne)

 

[109] Les auteurs Sylvie Rodrigue et Jeffrey Edwards soutiennent que les déficiences doivent avoir une certaine gravité et être susceptibles de mettre en péril la solidité ou la stabilité de l’immeuble. (14)

 

Pour se prévaloir de l’article 2118 C.c.Q., il n’est nécessaire d’établir ni le fait que l’ouvrage a péri ni le moment auquel il va s’écrouler.  Il suffit de démontrer la présence des inconvénients ou d’un danger sérieux qui pourrait entraîner une perte de l’ouvrage, c’est-à-dire une perte potentielle.

                   

 

Une  simple  perte  partielle  est  suffisante  lorsqu’il  y   a menace  d’effondrement ou de fléchissement de certaines parties de l’ouvrage ou de ses composantes essentielles.             

                                          (Je souligne)

 

[110] Le Tribunal ne peut que souscrire aux propos de Me Michel A. Jeanniot, lequel écrivait dans l’affaire Martin et Colé c. Construction Fasma 2011 Inc. et Garantie Qualité Habitation (15) :

 

 [27] Nous savons que la notion de « perte » doit recevoir une interprétation large et s’il y a démonstration que le défaut de construction risque de nuire à la solidité et à l’utilité du bâtiment donc, une perte potentielle.                                                                                                    

                                          (Je souligne)

 

[111] Dans l’affaire Ain & Zaluita Ltd c. Immobilière Montagnaise Ltée (16) notre Cour d’appel traitant ainsi de l’article 1688 C.c.B.c. qui se veut le prédécesseur de l’article 2118 C.c.Q. enseignait :

 

 Y a-t-il eu ruine du bâtiment?

 

La portée de l’article 1688 C.c.B.c. a évolué et la jurisprudence la plus récente de la Cour est à l’effet que si le vice de construction porte sur un élément important du bâtiment au point d’en affecter la solidité ou l’utilité, il y a ruine partielle (Vicking Fire Protection Ltd. c. Zurich Compagnie d’assurance et Construction J.R.L. (1977) Ltée, 200-09-000284-866, 29 avril 1991).  Or, c’est exactement ce que le jugement entrepris affirme :

 

Ces infiltrations périodiques d’eau par la toiture, plus abondamment en novembre et février, avaient pour effet de mettre en péril, du moins partiellement l’immeuble.

 

Le Tribunal estime qu’un état de fait qui empêche l’usage normal d’un ou de partie d’un immeuble, qui tend à ruiner un plafond, à le faire se désagréger qui rend l’isolation inefficace, constitue une détérioration progressive d’un immeuble pouvant mener à sa ruine partielle aux termes de l’article 1688 C.c.B.c.

                                          (Je souligne)

 

[112] Le juge A. Derek Guthrie, de la Cour supérieure, reprenait la même approche en s’exprimant ainsi (17) :

 

La notion de (perte) au sens de l’article 1688 C.c.B.c., qui est une disposition d’ordre public, doit recevoir une interprétation large et s’étendre notamment à tous dommages sérieux, subis par l’ouvrage immobilier.  Pour se prévaloir de l’article 1688, il n’est pas nécessaire d’établir ni le fait que l’ouvrage a péri ni le moment auquel il va s’écrouler.  Il suffit de démontrer que le défaut de construction constituait un vice important et sérieux qui risquait de nuire à la solidité et à l’utilité bâtiment, c’est-à-dire une perte potentielle.

                   

 

La ruine du bâtiment inclut non seulement sa destruction totale mais encore la dégradation partielle de toute partie de la construction. 

                                          (Je souligne)

 

[113] L’adjectif potentiel est ainsi défini par le Nouveau Petit Robert de la langue française (18):

 

Potentiel, ielle : adj. et n.m.

Gramm. Qui exprime une possibilité – Mode potentiel, qui exprime ce qui est possible, ce qui peut arriver sous certaines conditions.

 

[114] Le Tribunal après avoir analysé l’ensemble de la preuve et tenant compte de l’enseignement doctrinal et jurisprudentiel conclut qu’il a, en l’espèce, été démontré par prépondérance de preuve qu’il existe un danger sérieux qui pourrait entraîner une perte potentiel de l’ouvrage.

 

DÉLAI DE DÉNONCIATION DU VICE

 

DÉTERMINATION DU RÈGLEMENT APPLICABLE

 

[115] Les bénéficiaires ont soumis dans leur argumentation écrite le paragraphe

5 de l’article du Règlement (19) amendé et qui prit effet le 1er janvier 2015, lequel se lit ainsi :

 

10. La garantie d’un plan dans le cas d’un manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :

                    […]

 

5o la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation significative;

 

[116] Les bénéficiaires ont-ils ciblé la bonne version du règlement applicable? La réponse est négative.

 

[117] Il a été mis en preuve que la réception du bâtiment par les bénéficiaires prit place le 5 février 2014, soit avant le 1er janvier 2015 et par conséquent c’est la version du Règlement (20) précédant cette date qui s’applique en l’espèce.  Ainsi l’article qui doit s’appliquer se lit ainsi :

 

10. La garantie d’un plan dans le cas de de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir;

                    […]

 

5o la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation significative.

    (Je souligne)

 

[118] Le Tribunal en vient à cette conclusion puisque la version du règlement applicable après le 1er janvier 2015 n’est pas rétroactive.  Cette situation fut traitée et tranchée sans dissidence et ce, par plusieurs décisions (21).

 

[119] Mon collègue Me Roland-Yves Gagné, dans l’affaire Danielle Huard et Normand Villeneuve c. Les constructions Bouchard Inc. et Garantie Abritat (22) confirmait cette même approche :

 

[56] Le Tribunal d’arbitrage conclut qu’à défaut de dispositions transitoires exprimées par le Législateur, le nouvel article 10 du Règlement tel qu’amendé n’est pas applicable pour le contrat de construction objet du présent arbitrage, conclu entre des particuliers avant l’entrée en vigueur du nouvel article le 1er janvier 2015.

 

[59] Il n’y a aucune disposition précise dans le Règlement amendé en vigueur depuis le 1er janvier 2015 qui stipule que l’article 10 amendé est applicable aux contrats de construction et de garantie conclus avant cette date.

 

[60] Le Tribunal d’arbitrage soussigné considère que, faute de disposition précise à ce sujet de la part du Législateur, il ne peut ajouter cette disposition au Règlement.

 

[61] Si le législateur, par action ou par omission, ne dit pas que son Règlement en vigueur le 1er janvier 2015 change le contenu de contrats entre particuliers, soit les Bénéficiaires, l’Entrepreneur, l’Administrateur, signés avant le 1er janvier 2015, le soussigné considère qu’il ne revient pas au Tribunal d’arbitrage d’en changer le contenu.

 

[62] L’article 116 du Règlement permet au Tribunal d’arbitrage de faire appel à l’équité en cas de silence du Législateur pour interpréter le Règlement.

 

[63] Le Tribunal d’arbitrage soussigné considère qu’il serait contre l’équité pour les parties en présence d’essayer d’interpréter l’article 10 du Règlement pour ajouter des dispositions de rétroactivité non stipulées par le Législateur, car il considère qu’il serait contre l’équité de changer

 

[63.1] le contenu des obligations de l’Administrateur, alors qu’il a accepté de couvrir les Bénéficiaires selon un Règlement d’ordre public en échange d’un prix précis;

 

[63.2] le contenu des obligations de l’Entrepreneur, alors qu’il a accepté de construire un bâtiment résidentiel neuf selon un Règlement d’ordre public en échange d’un prix précis.

 

[64] Cette position a été maintenue récemment par la Cour supérieure dans Syndicat de la copropriété 400 Place du Louvre c. La Garantie Habitation du Québec Inc. et 9119-3557 Québec Inc. (23) :

 

[59] Le Tribunal est d’avis que l’Arbitre n’a pas commis une erreur révisable en décidant que le Règlement applicable est celui en vigueur avant les modifications apportées à l’article 27 [notre ajout : équivalent de l’article 10 pour les copropriétés] par l’adoption du Décret 156-2014, le 1er janvier 2015 […]

 

DÉLAI DE RIGUEUR

 

[120] Le législateur a inscrit le délai de dénonciation pour un vice majeur au paragraphe 5 de l’article 10 du Règlement antérieur au 1er janvier 2015 :

 

10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :

 

5o la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

                   (Je souligne)

 

[121] La jurisprudence a établi que le délai de six mois est un délai de déchéance, ce qui signifie que les bénéficiaires perdent leurs droits dès son expiration.  Le Tribunal n’a pas de pouvoir discrétionnaire pour le prolonger.  L’application de la prescription met un terme au droit des bénéficiaires.  Ainsi les droits qui sont éteints par l’effet du Règlement n’existent plus et d’aucune façon le Tribunal pourrait les faire réapparaître.

 

[122] Au surplus, aucun principe d’équité ou de justice pourrait conduire le Tribunal à élonger le délai, même s’il s’agissait de l’ignorance de la loi, la bonne foi, les promesses faites par l’entrepreneur et j’en passe

 

[123] Dans l’affaire SDC Promenade de la Rive c. La Garanties des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. (24), la juge Alicia Soldevila de la Cour supérieure écrit :

 

[23] La défenderesse, quant à elle, réfère aux dispositions du contrat de garantie, lequel reprend les dispositions du Règlement qui est d’ordre public.  L’article 34 du Règlement, prévoit que le bénéficiaire doit dénoncer le défaut de construction constaté par écrit à l’entrepreneur et à l’administrateur et que cette dénonciation doit être faite dans un délai raisonnable de la découverte du défaut de construction, lequel ne peut excéder six mois de la découverte.  De plus, lorsqu’il s’agit d’un vice de conception, de construction ou de sol, la garantie offerte vise les vices qui apparaissent dans les cinq ans suivant la fin des travaux (article 27) qui ici a été établie le 17 mai 2005.

 

[28] Sous la plume de la juge Rayle, la Cour d’appel signale également que le contrat de garantie est un contrat réglementé dont le contenu est imposé par le législateur, ce qui empêche le recours à des règles d’interprétation comme celles visées à l’article 1432 C.c.Q. relativement au contrat d’adhésion.

 

[36] Le Tribunal ne croit pas qu’il y ait lieu de commenter davantage sur les arguments respectifs des parties, puisqu’il considère que la preuve démontre l’absence de dénonciation en temps utile du vice majeur affectant certaines des unités du rez-de-chaussée de la copropriété administrée par la demanderesse, la privant par le fait même de la garantie établie à ce plan […]

 

 

[124] Mon collègue, Me Michel A. Jeanniot énonçait les principes de base rattachés au délai de rigueur, dans la décision Gilles Domaine et J.-C. Bellerive c. Construction Robert Garceau Inc. et Garantie Qualité Habitation (25) :

 

[…]

Alors qu’un délai de prescription peut être suspendu et interrompu (article 2289 C.c.Q. et s.), la solution contraire prévaut pour le délai de déchéance, qui éteint le droit dès que la période est expirée quoi qu’il arrive.  Le titulaire du droit de, de ce fait, ne peut même plus invoquer celui-ci par voie d’exception.

 

[56] En résumé, la dénonciation prévue à l’article 10 du Règlement se doit d’être par écrit, est impérative et essentielle, le délai de six mois prévus au même article emporte et est un délai de déchéance, et si ce délai n’est pas respecté, le droit des Bénéficiaires à la couverture du plan de garantie visé et au droit à l’arbitrage qui peut en découler sont respectivement éteints, forclos et ne peuvent être exercés;

                    […]

 

[58 Le Tribunal comprend qu’il ne s’agit pas ici de plaider sa propre turpitude mais, l’ignorance du délai de six (6) mois prévus aux articles 3.2, 3.3 et/ou 3.4 du contrat de garantie et/ou de l’article 10 du Règlement ainsi que la bonne foi des parties ne constituent pas des éléments en droit qui habilitent le décideur à faire fi d’un délai de déchéance.  Tout motif, quel qu’il soit, (si noble soit-il) ne peut reposer sur un fondement juridique puisque même si la preuve révèle qu’il pouvait s’agir de l’erreur ou de la négligence d’un tiers mandataire et/ou conseiller, il s’agit ici d’un délai de déchéance; sitôt le calendrier constaté, l’arbitre est dans l’impossibilité d’agir […]

 

[125] Me Roland-Yves Gagné affirmait dans l’affaire Danielle Huard et Normand Villeneuve c. Constructions Bouchard Inc. (26) :

 

[66] Comme le soussigné le rappelait dans l’affaire Abdellatif Bensari c. Les Constructions M.C. et La Garantie Qualité Habitation (27), le délai de dénonciation de six mois est un délai de déchéance :

 

[64] […] l’état du droit à cet effet est clair : le délai de six mois prévus à l’article 10 du Règlement est un délai de rigueur et de déchéance.

 

[65] Dans l’affaire Abderrahim Moustaine et al. c. Brunelle Entrepreneur Inc. et La Garantie des bâtiments Résidentiels Neuf de l’APCHQ (Soreconi 070424001) du 9 mai 2008, Me Jean Philippe Ewart, arbitre écrit :

 

[31] Le Tribunal est d’avis […] que le délai maximum de six (6) mois prévu aux alinéas 3e, 4e et 5e respectivement de l’article 10 (…) du Règlement est de rigueur et de déchéance et ne peut conséquemment être sujet à extension.

 

 [36] En résumé, la dénonciation prévue à l’article 10 du Règlement se doit d’être par écrit, est impérative et essentielle, le délai de six mois prévus au même article emporte et est un délai de déchéance, et si ce délai n’est pas respecté, le droit des Bénéficiaires à la couverture du plan de garantie visé et à le (sic!) droit à l’arbitrage qui peut en découler sont respectivement éteints, forclos et ne peuvent être exercés

 

[66] Baudoin explique ce qu’est un délai de déchéance (28)

 

Dans le cas des délais de déchéance, la créance est absolument éteinte après l’expiration du temps fixé.  Le tribunal est alors tenu de suppléer d’office au moyen en résultant (art. 2878 C.c.Q.). Dans ces cas donc, ce n’est plus seulement l’action en justice qui est éteinte, mais bien le droit lui-même.

 

[67] L’avis doit être donné par écrit dans les délais fixés par le Règlement à l’Administrateur qui cautionne les obligations contractuelles de l’Entrepreneur pour qu’il puisse intervenir à brève échéance.

 

[68] Malgré tous les pouvoirs qui sont dévolus à l’arbitre en vertu du Règlement et selon la jurisprudence à cet effet (29), le Tribunal d’arbitrage ne peut pas faire appel à l’équité pour faire réapparaître un droit déchu qui n’existe plus, il ne s’agit pas ici de suppléer au silence du Règlement ou l’interpréter de manière plus favorable à une partie, malgré toute la sympathie qu’il pourrait avoir envers le Bénéficiaire.

 

LA PREUVE

 

 

[126] Les bénéficiaires devaient prouver par prépondérance de preuve qu’ils avaient dénoncé le vice de construction dans les six (6) mois suivant la découverte de ce vice de construction.

 

[127] De façon répétitive et convaincante monsieur maxime Gagnon s’est appliqué à camper la découverte des fissures au « printemps 2018 » et à justifier le délai le menant à la dénonciation laquelle reçue par l’administrateur le 16 janvier 2019, soit au-delà du délai de six mois.

 

[128] Le Tribunal s’est même permis d’obtenir du bénéficiaire l’assurance qu’il s’agissait bien du printemps 2019.

 

Y.F. : Je veux être sûr. La première fenêtre que vous avez ciblée ce matin lorsqu’on est arrivé sur les lieux?

 

M.G. : Printemps 2018.

 

[129] Sans rapporter à nouveau le verbatim des témoignages, la première version des bénéficiaires quant à l’apparition des fissures établissait de façon répétitive et catégorique le printemps 2018 comme date de découverte.

 

[130] Cette version livrée sans hésitation rencontrait la position des bénéficiaires présentée dans leur plaidoirie écrite transmise à l’arbitre et aux autres parties le 21 septembre 2020.  En effet, leur délai prenait assisse sur la version actuelle du paragraphe 5 de l’article 10 du Règlement, où le délai de rigueur de 6 mois n’entrait plus en considération

 

[131] C’est également pour cette raison que monsieur Maxime Gagnon justifie de façon précise et assurée le long délai pour des situations incontrôlables de sa part.  Le Tribunal s’est ainsi adressé à monsieur Maxime Gagnon :

 

Q. : Vous pouvez expliquer pourquoi ?

 

M.G. : Moi, c’est ça. C’est pour trouver les démarches. À l’époque, il y avait de la surchauffe. Trouver un ingénieur pour faire ce genre de mandat là, c’était pas évident. Donc, il a fallu que je passe premièrement par un notaire que je connaissais. Lui m’a référé à un inspecteur en bâtiment qui pensait peut-être pouvoir faire cette expertise-là. Mais l’inspecteur en bâtiment dès qu’il a vu, lui a constaté et a dit : « Non, ça te prend un ingénieur en structure pour faire ce genre d’expertise. » Donc le temps de passer toutes ces étapes-là, ça résulté dans ce délai.

 

[132] La position ou l’explication des bénéficiaires n’a sûrement pas changé entre le 25 novembre 2019 (date de la première date d’audience prévue) et le 10 décembre 2020.

 

[133] Même en retenant la version du dernier amendement, il était possible pour les bénéficiaires de faire valoir initialement une découverte à l’intérieur du délai de six mois, de toute évidence ce ne fut pas le cas.

 

[134] Lorsque Monsieur Michel Hamel a fait valoir que le délai outrepassait les 6 mois, madame Nathalie Auclair a répliqué Illico qu’ils voulaient obtenir davantage d’informations et ce, dans le but de justifier le long délai.

 

[135] Après avoir pris conscience que le délai ne devait être au-delà de six (6) mois, les bénéficiaires ont requis de pouvoir modifier leur première version des faits quant au délai.  Cette intervention se fit après une pause appelée par le Tribunal.

 

[136] Monsieur Maxime Gagnon expliqua qu’après avoir « refait le fil des évènements », sa conjointe lui rappela que le constat s’est fait « au courant de l’été » lorsqu’ils ont remisé les pots de fleurs. Puis il cible à la fin du mois d’août et début du mois de septembre.

 

[137] Paradoxalement monsieur Maxime Gagnon en se corrigeant a soutenu qu’il « n’était pas certain de la date exactement tantôt ». En aucun temps, les bénéficiaires n’ont hésité à pointer le printemps dans leur première version.  Il y a tout de même une profonde différence entre le printemps et la fin du mois d’août ou le début de septembre.

 

[138] Le bénéficiaire a souligné qu’étant dans le domaine de la construction il était au fait des délais.  Si tel était le cas, pourquoi n’a-t ‘il pas présenté dans un premier temps une version des faits qui auraient situé sa découverte du vice à l’intérieur de six (6) mois et pourquoi n’a-t ’il pas, dans sa plaidoirie écrite rapporter la version d’avant 2015 de l’article 10 du Règlement? Poser la question c’est y répondre.

 

[139] Relativement à l’affirmation commune des bénéficiaires à l’effet qu’il « fait diligence » ou « qu’on ne laisse pas trainer nos affaires », l’intervention du conciliateur est particulièrement bien à propos.  Il cible l’analyse et la décision quant aux points 5 à 10.  Le Tribunal rapporte le texte de l’analyse de monsieur Michel Hamel, à la page 4, de la décision du 17 juin 2019 :

 

ANLYSE ET DÉCISION (points 5 à 10) :

 

L’analyse du dossier nous permet de constater que les situations décrites aux points 5 à 10 ont été dénoncées par écrit le 23 janvier 2015.

 

Toutefois, il appert que la demande de réclamation des bénéficiaires pour l’ouverture officielle d’un dossier suite à l’inaction de l’entrepreneur a été reçue par l’administrateur le 17 avril 2019.

 

En vertu des articles 2921 et 2925 du Code civil du Québec, les droits que les bénéficiaires pourraient avoir eu relativement au contrat de garantie à l’égard des points 5 à 10 se sont éteints par la prescription en date du 23 janvier 2018.

 

En effet en matière de prescription, les articles 2921 et 2925 du Code civil du Québec prévoient ce qui suit :

 

2921.  La prescription extinctive est un moyen d’éteindre un droit par non-usage ou d’apposer une fin de non-recevoir à une action.

 

2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dans le délai de prescription n’est pas autrement fixé par la loi se prescrit par fois ans.

 

Par conséquent, l’administrateur ne peut donner suite à la demande de réclamation des bénéficiaires à l’égard des points 5 à 10, faute d’avoir été présentée dans les trois ans de la naissance de droit des bénéficiaires.

    (Je souligne)

 

[140] Le Tribunal trouve le témoignage des bénéficiaires ni fiable, ni crédible en regard à la découverte du vice.  Au surplus, il y a certes de l’incohérence.

 

[141] Les bénéficiaires avaient le fardeau de prouver par prépondérance de preuve qu’ils avaient respecté le délai de six (6) mois. Après analyse, le Tribunal conclut que le fardeau de preuve qui était imposé aux bénéficiaires n’a pas été rencontré.

 

[142] Conséquemment, les bénéficiaires n’ayant pas dénoncé dans le délai requis, leur demande d’arbitrage doit être rejetée.

 

LES FRAIS D’EXPERT

 

[143] Les bénéficiaires réclament le remboursement des frais d’expertise de l’ingénieur Gary Morin, relativement à ses services professionnels pour la somme de $2874.38 dollars, incluant les taxes.

 

[144] Il faut comprendre que les frais d’expertise redevables, lesquels comprennent également les honoraires de l’expert quant à sa présence lors de la séance d’arbitrage, sont ceux qui permettent d’établir les prétentions d’une partie.

 

[145] L’article 124 du Règlement stipule que l’arbitre doit statuer, s’il y a lieu,

quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur doit rembourser au bénéficiaire lorsque ce dernier a gain de cause en totalité ou en partie.

 

[146] Le rôle joué par l’expert, en l’espèce, a certes été utile et nécessaire pour les bénéficiaires puisque le Tribunal a conclu qu’il y avait un vice de construction. Nul doute que cette partie du litige constituait le point dominant à trancher. Dans ces circonstances, malgré le fait que l’appel des bénéficiaires n’est pas reçu par le Tribunal à cause d’un vice de procédure, il est juste et approprié d’accorder aux bénéficiaires le remboursement de la moitié des frais d’expert et ce, en toute équité.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

 

 REJETTE la demande d’arbitrage formulée par les bénéficiaires;

 

MAINTIENT la décision de l’administrateur du 17 juin 2019, signée par le conciliateur Michel Hamel;

 

ORDONNE à l’administrateur de payer aux bénéficiaires les frais d’expertise de l’ingénieur Gary Morin au montant de $ 1,437.19 dollars dans les 45 jours de la présente décision avec intérêt légal, majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec au terme de ces 45 jours;

 

RÉSERVE à la Garantie Abritat (l’Administrateur) tous ses droits à être indemnisée par l’entrepreneur et/ou sa caution, pour toute somme versée découlant du présent jugement, incluant les coûts exigibles et/ou découlant de l’arbitrage (par. 19 de l’annexe du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement. Toutes les sommes redevables porteront intérêt légal à compter du dixième jour de leur facturation, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec;

 

ORDONNE aux bénéficiaires de payer la somme de $75.00 dollars pour les frais d’arbitrage, payable à SORECONI (Société pour la résolution des conflits) dans les 45 jours du présent jugement, laquelle somme portera intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec au terme du 45 jours;

 

 

LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage à la charge de la Garantie Abritat Inc. (l’administrateur) conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts aux taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après   un   délai de grâce   de 30 jours. La somme de $75.00 dollars devra être retranchée de la facturation totale payable par l’administrateur.

 

 

 

LAVAL, CE 4 FÉVRIER 2021

 

 

 

Yves Fournier

____________________________

YVES FOURNIER, Arbitre

 

 


 

______________

  1. L.R.C. (1985) ch. C-36.
  2. Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, chapitre B-1, 1, r.8
  3. Construction GMR Inc. c. Syndicat des copropriétaires du 521 De Cannes à Gatineau, (C.A.), 2018-01-24), 2018 QCCA 129.
  4. 3e Ed. (2015) para. 1322.
  5. CCAC : S12-030802-NP, 13 juillet 2012, Me France Desjardins.
  6. Hecht Gaertner et Réseau Viva international Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., GAMM 2009-13-002, 23 décembre 2009.
  7. SORECONI : 070507001, 14 mars 2008, Me Michel A. Jeannot.
  8. GAMM : 2009-09-003, 28 janvier 2010, Me Johanne Despatis.
  9. 2006 QCCA 887.
  10. F.H. c. McDougall [2002] CSC 53 (Can II)
  11. J.E. 91-824 (C.A).
  12. Les Contrats de construction en droit public & privé, Wilson et Lafleur, 1982, p. 343,
  13. 500-09-025903-162, (C.A.), 25 janvier 2018.
  14. S. Rodrigue et J. Edwards : La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie    légale contre les malfaçons dans La construction au Québec : Perspectives juridiques, Wilson & Lafleur, Montréal, 1998, pp. 434-435.
  15. CCAC, S17-100602-NP, 05-06-2018.
  16. 200-09-000385-879, 30-10-1992.
  17. Shector Barbacki Sherne et Ass. Ltée, 2001 R.D.I. 87, AZ-5008157.
  18. SNL, Le Petit Robert, à la page 1980.
  19. RLRQ c. B-1.1, r 8.
  20. Chapitre B-1.1. r 8.
  21.  Nazco et Milian c. 9181-5712 Québec Inc. et Garantie des bâtiments résidentiels neufs de   l’APCHQ, CCAC S16-011902-NP, 8 avril 2016, Roland-Yves Gagné, arbitre, paragraphes [128] et ss. 3093-2313 Québec c. Létourneau et Bouchard et la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ, CCAC S15-022401-NP Décision rectifiée du 12 novembre 2015, Roland-Yves Gagné, arbitre, paragraphes 446 à 467 ; voir aussi au même effet, Syndicat des Copropriétaires Lot 3 977 437 c. Gestion Mikalin et La Garantie Abritat GAMM 2013-15-011, 24 avril 2015, Jean Morissette, arbitre ; Rénovation Michel Robert Inc. c. SDC du 325 et 327 Ovila-Rhéaume et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de L’APCHQ CCAC S-16-051602-NP, 23 mars 2017, Me Michel A. Jeanniot, arbitre.
  22. SORECONI 192102001, 10 juillet 2018.
  23. 2018 QCCS 881, juge Elise Poisson, j.c.s.
  24. Syndicat de copropriété Promenade de la Rive c. La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de L’APCHQ Inc., Cour Supérieure, 200-17-015633-118, 21 août 2014, l’Honorable Alicia Soldevila, J.C.S. (2014) QCCS 6396.
  25. Gilles Domaine & Jean-Claude Bellerive c. Construction Robert Garceau Inc. & la Garantie Qualité Habitation, CCAC, S13-091201-NP, 18 juillet 2014, Me Michel A. Jeanniot, arbitre.
  26. Opus Cité.
  27. Soreconi 100508001, 26 novembre 2010, Me Roland-Yves Gagné, arbitre.
  28. La prescription civile, 7e édition, 2007, Éditions Yvon Blais, Cowansville, p. 1219, I-1447
  29. Voir par exemple, Garantie Habitation du Québec Inc. c. Lebire J.E. 2002-1514 (Jacques Dufresne J.C.S.) : 97.