ARBITRAGE

ARBITRAGE En vertu du Règlement sur le plan

de garantie des bâtiments résidentiels neufs

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC)

 

 

No dossier CCAC :                  S12-031301-NP

No dossier Garantie :              162853-2

Date:                                       25 juillet 2012

 

 

ENTRE                        MADAME MARIE BRODEUR

ET

MONSIEUR ALAIN THÉRIAULT

(ci-après « les Bénéficiaires»)

ET                               CONSTRUCTION MICHEL ST-GELAIS INC.

(ci-après « l’Entrepreneur »)

ET :                             La Garantie DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’apchq INC.

(ci-après « l’Administrateur »)

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

Arbitre :                                   Me France Desjardins

Pour les Bénéficiaires :           Monsieur Alain Thériault

                                                Madame Marie Brodeur

Pour l’Entrepreneur :               Monsieur Benoît Giasson

Pour l’Administrateur :             Me François Laplante, procureur

                                                Madame Marie-Pier Germain, inspecteur-conciliateur

 

Mandat 

L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le  30 mars 2012

 

Historique du dossier 

 

16 septembre 2008                             Contrat de construction

25 mai 2009                                        Contrat de garantie

25 mai  2009                                      Formulaire d’inspection préréception

21 septembre 2010                             Rapport d’expertise des architectes des Bénéficiaires

21 septembre 2010                             Dénonciation à l’Entrepreneur et à l’Administrateur

11 octobre 2010                                  Lettre de l’Entrepreneur aux Bénéficiaires

12 janvier 2011                                    Lettre des procureurs des Bénéficiaires à l’Entrepreneur

18 janvier 2011                                    Lettre de l’Entrepreneur aux procureurs des Bénéficiaires

7 mars 2011                                        Rapport d’expertise des ingénieurs des Bénéficiaires

21 avril 2011                                        Dessins de construction des architectes des Bénéficiaires pour la nouvelle cheminée

26 avril 2011                                        Décision de l’Administrateur

25 octobre 2011                                  Fin des travaux de correction pour l’Entrepreneur

25 novembre 2011                              Services d’un nouvel entrepreneur retenus par l’Administrateur

23 novembre 2011                              Lettre des Bénéficiaires de réclamation des frais à l’Entrepreneur

28 novembre 2011                              Avis 15 jours de l’Administrateur à l’Entrepreneur

24 janvier 2012                                    Courriel des Bénéficiaires à l’Entrepreneur

30 janvier 2012                                    Courriel des Bénéficiaires à l’Administrateur

8 février 2012                                      Rapport d’inspection finale des architectes des Bénéficiaires

20 février 2012                                    Décision de l’Administrateur

12 mars 2012                                      Demande d’arbitrage des Bénéficiaires

30 mars 2012                                      Nomination de l’arbitre                       

7 mai 2012                                          Conférence préparatoire téléphonique

21 juin 2012                                        Audition

 

 

INTRODUCTION

 

[1]       Les Bénéficiaires et l’Entrepreneur ont signé un contrat pour la construction d’une résidence à Boileau, dont ils ont pris possession le 25 mai 2009.

 

[2]       À la suite de la découverte d’un problème majeur avec la cheminée extérieure, ils  transmettent une réclamation à l’Administrateur, qui l’accueille dans une décision rendue le 26 avril 2011 et ordonne à l’Entrepreneur d’effectuer les travaux correctifs, conformément «aux recommandations soumises par la firme d’architecture Turcotte et Pilon, de même que celles de la firme d’ingénieurs-conseils Levac Robichaud Leclerc».

 

[3]       Le 23 novembre 2011, les Bénéficiaires adressent une lettre à l’Entrepreneur pour lui réclamer le remboursement des frais d’expertise et de nettoyage qu’ils ont dû encourir et en avisent l’Administrateur qui enclenche la procédure auprès de l’Entrepreneur. Ce dernier n’ayant pas donné suite, l’Administrateur rend une décision le 20 février 2012, déclinant juridiction pour se prononcer sur la demande «la garantie couvrant le parachèvement, les malfaçons, les vices cachés et les vices majeurs» .

 

 

LA PREUVE ET L’ARGUMENTATION

 

[4]       Les parties n’ayant présenté aucune objection préliminaire, la juridiction du Tribunal est établie. En début d’audition, il est convenu que la dernière facture de la firme d’architectes Turcotte Pilon, datée le 9 mars 2012 et transmise à l’Administrateur le 10 avril 2012, soit incluse à la demande pour en disposer même si celle-ci n’a pas fait l’objet d’une décision de l’Administrateur.

 

[5]       À l’appui de leur demande d’arbitrage, les Bénéficiaires ont produit de nombreux documents pour justifier le remboursement des frais encourus. À l’audition, les Bénéficiaires exposent la chronologie des événements, à l’aide d’un document qui sera par la suite transmis à toutes les parties et à l’Arbitre.

 

[6]       Les Bénéficiaires expliquent que, dès l’automne 2009, ils ont constaté que  les pierres et le mortier du revêtement de la cheminée extérieure commençaient à se fissurer. L’Entrepreneur répare en urgence en installant trois crics hydrauliques sous le balcon pour soutenir la cheminée.

 

[7]       La situation se détériore si bien que six mois plus tard, la galerie commence à s’affaisser. L’Entrepreneur ajuste alors la hauteur des crics, ce qui a pour effet de créer un espace entre le plancher du salon et le mur et fissurer le mortier du foyer intérieur. Constatant cela, l’Entrepreneur retire les crics, coule du béton sous la galerie et installe des poteaux d’acier.

 

[8]       Les Bénéficiaires constatent enfin que, contrairement aux plans de construction, aucune fondation ni porte-à faux n’ont été réalisés. Selon monsieur Thériault, l’Entrepreneur aurait admis avoir «oublié» d’installer le porte-à-faux. Ainsi, la cheminée est supportée par la terrasse en bois seulement, laquelle se détache du bâtiment.

 

[9]       L’Entrepreneur ne proposant aucun autre plan d’intervention, les Bénéficiaires s’adressent à un architecte qui produit un rapport d’expertise le 21 septembre 2010 recommandant, entre autres, que la structure en bois soit évaluée par un ingénieur pour déterminer si elle doit être renforcie.

 

[10]    Le même jour, les Bénéficiaires transmettent le rapport d’expertise de la firme d’architectes Turcotte Pilon à l’Entrepreneur et le mettent en demeure de fournir l’échéancier des travaux de réparation de la cheminée conformément aux recommandations de la firme d’architectes, avec copie à l’Administrateur.

 

[11]    Le 11 octobre 2010, l’Entrepreneur répond aux Bénéficiaires en niant toute responsabilité. Suite à la lettre que lui adresse cette fois un avocat mandaté par les Bénéficiaires en janvier 2011, l’Entrepreneur réitère que les Bénéficiaires agissant comme maître d’œuvre, certains travaux ne lui avaient pas été confiés.

 

[12]    Jugeant qu’il y a urgence d’agir, les Bénéficiaires mandatent la firme d’ingénieurs Levac Robichaud Leclerc pour obtenir une expertise en conformité des recommandations de l’architecte.

 

[13]    Monsieur Thériault explique qu’en aucun temps l’Administrateur ne l’a avisé qu’il ne pouvait pas choisir ses experts. Au contraire, ajoute-t-il, la décision rendue par l’Administrateur en avril 2011 réfère aux expertises qu’il a obtenues des architectes et des ingénieurs. Après sa décision, l’Administrateur n’a pas non plus recommandé à l’Entrepreneur de travailler avec des architectes ou ingénieurs qu’il aurait lui-même choisis. Par conséquent, les Bénéficiaires ont mandaté les mêmes firmes d’architectes et d’ingénieurs aux fins établir les correctifs nécessaires.

 

[14]    Les Bénéficiaires indiquent que l’Entrepreneur ayant obtenu un délai de l’Administrateur, les travaux devaient être terminés avant le 10 août 2011. Or, ceux-ci commencent début septembre et sont interrompus fin octobre 2011, après quoi l’Administrateur les prend en charge et s’entend fin novembre 2011 avec un nouvel entrepreneur pour exécuter les travaux.

 

[15]    Monsieur Thériault expose ensuite qu’au début de l’année 2012, soit à la fin des travaux par le nouvel entrepreneur, l’Administrateur lui  remet le formulaire de réception des travaux pour signature sans lui proposer un professionnel pour procéder à l’inspection finale. Il mandate donc encore  la firme d’architectes Turcotte Pilon pour y procéder. C’est la facture datée  de mars 2012  et cotée B-12 qui réfère à ce mandat et au rapport d’inspection produit sous la cote B-10. S’appuyant sur la lettre de transmission de la décision de l’Administrateur concernant la demande de remboursement des frais encourus, le témoin ajoute que l’Administrateur se serait même servi de ce rapport pour justifier son inspection finale.

 

[16]    Enfin, lorsque l’Entrepreneur a interrompu les travaux, les Bénéficiaires ont dû faire procéder au nettoyage de la maison à cause de la poussière de ciment qui s’y était incrustée, d’où la demande de remboursement de ces frais. Selon les Bénéficiaires, madame Germain, représentante de l’Administrateur, leur aurait dit que l’Entrepreneur devait assumer ces frais.

 

[17]    En argumentation, monsieur Thériault rappelle que la cheminée pèse 2 tonnes, que la structure a été affectée lorsque l’Entrepreneur a soulevé les crics au point tel que les portes et les fenêtres ne fermaient plus. En ce qui concerne l’espace entre le plancher et le mur ajoute-t-il, l’Administrateur n’a procédé à aucune analyse structurale et l’Entrepreneur ne fournissait aucune solution conforme au Code du bâtiment.  Enfin, il argue que l’Administrateur savait depuis le début qu’ils avaient engagé des professionnels et s’est même référé à leurs expertises.

 

[18]    Madame Brodeur ajoute que les Bénéficiaires ont porté la décision de l’Administrateur en arbitrage à la suite d’une suggestion de «l’APCHQ». Elle plaide que tout le monde s’est servi des plans, y compris l’Administrateur.

 

[19]    En contre-interrogatoire, monsieur Thériault confirme que c’est suite au rapport d’expertise des architectes, daté du 21 septembre 2010, qu’ils ont fait une réclamation à l’APCHQ. Il ajoute qu’à ce moment, ils avaient pleine confiance à l’Entrepreneur. En ce qui concerne l’urgence d’agir alléguée, le procureur de l’Administrateur demande si des frais ont alors été engagés pour des travaux à ce moment, ce à quoi monsieur Thériault répond «non».

 

[20]    En réponse aux questions de Me Laplante, monsieur Thériault confirme que les mandats pour les devis correctifs ont été donnés avant la décision de l’Administrateur pour, dit-il, «monter un dossier complet pour l’APCHQ». Il confirme également ne pas avoir demandé l’accord de l’Entrepreneur et de l’Administrateur avant de donner le mandat, parce que, ajoute-t-il, il ne connaît pas la construction et ne pensait pas devoir passer par l’Administrateur. Il voulait fournir les devis à l’Entrepreneur.

 

[21]    Invité à indiquer s’il y a eu des mandats de surveillance donnés aux professionnels en cours de travaux, le témoin indique qu’il prenait des photos et les transmettait à l’architecte. Il admet ne pas avoir sollicité l’accord de l’Administrateur pour ces frais mais ajoute qu’il se sentait en sécurité, interprétant la décision de l’Administrateur comme un appui à l’égard des rapports expertises.

 

[22]    Monsieur Thériault admet ne pas avoir vu nulle part qu’il devait embaucher des professionnels. Quant à l’urgence d’agir dont il a fait état et la réclamation à l’Administrateur seulement un an après, madame Brodeur répond qu’il y avait eu deux tentatives de réparations par l’Entrepreneur au cours de cette année là. C’est en août 2010, lorsque l’Entrepreneur aurait dit avoir oublié d’installer le porte à faux, qu’ils auraient paniqué. De son côté, monsieur Thériault indique qu’il y avait urgence d’agir «pas tant pour faire les travaux mais pour nous faire rassurer avec expertise et comment faire pour réparer. On l’aurait donné à l’Entrepreneur».

 

[23]    Monsieur Benoît Giasson témoigne pour l’Entrepreneur. Il indique ne jamais avoir nié le problème. Toutefois, il explique que pour faire la cheminée en porte à faux telle que décrite aux plans, cela aurait causé une descente dans le sous-sol, ce que les Bénéficiaires ne voulaient pas. Il ajoute que l’entrepreneur en excavation a été embauché par les Bénéficiaires et que le terrassement a été fait contre ses recommandations. Monsieur Giasson témoigne que la cheminée est assise sur la maison et pas seulement sur le balcon. Il admet avoir installé une dalle de béton mais ajoute que cela a été corrigé.

 

[24]    Monsieur Giasson expose que les Bénéficiaires ont demandé des expertises sans jamais indiquer leur insatisfaction à l’égard de la solution choisie par l’Entrepreneur. Il ajoute «on aurait pu  avoir recours aux experts de l’APCHQ».

 

[25]    Le témoin explique ensuite qu’il s’est adressé à sa compagnie d’assurance lorsqu’on lui a présenté les devis correctifs, une étape qui a pris beaucoup de temps.

 

[26]    Enfin, monsieur Giasson indique n’avoir jamais été mis au courant de la présence de poussière dans la maison. On ne lui a pas demandé de nettoyer et il a reçu la facture.

 

[27]    En conclusion, monsieur Giasson  argue que les travaux ont été arrêtés avec l’accord de monsieur Thériault. Il rappelle n’avoir jamais contesté les travaux faits par l’Administrateur. Il conteste les factures parce qu’il n’a jamais été avisé et a été mis devant un fait accompli.

 

[28]     Madam Marie-Pier Germain témoigne pour l’Administrateur et explique sa démarche pour rendre sa décision. Ainsi, lors de son inspection en mars 2011, elle a pu constater des déficiences. Le mortier et deux pierres étaient cassées. Elle a également constaté que le plancher de la galerie se détachait à l’extérieur. Elle a vu une poutre de 24 pouces sous le plancher. Pour elle, il était clair que la cheminée n’avait pas de fondation adéquate.

 

[29]    En regard des expertises, on lui a remis l’expertise des architectes lors de son inspection, elle a reçu les plans des ingénieurs avant de rendre sa décision. En réponse aux questions du procureur, madame Germain affirme qu’elle aurait rendu la même décision sans ces documents. Elle y a fait référence parce que l’Entrepreneur avait fait des correctifs sans résultat auparavant. Ayant l’expertise en mains, elle a jugé utile d’y référer .

 

[30]    En regard de l’urgence, madame Germain indique que les devis correctifs ne font aucune mention d’urgence. Il s’agit selon elle d’une problématique qui doit être réglée mais pas en urgence.

 

[31]    Le témoin rapporte qu’il n’y a pas eu de discussions concernant les autres factures, une fois sa première décision rendue.. Elle aurait indiqué aux Bénéficiaires qu’elle examinerait leur recevabilité mais que les factures devaient être préalablement soumises à l’Entrepreneur. Elle explique avoir par la suite rendu une décision déclinant juridiction, le Règlement  ne prévoyant pas le remboursement sauf en cas de mesures conservatoires alors qu’ici, les expertises ont été faites pour rassurer les Bénéficiaires.

 

[32]    Madame Germain termine en disant: «à partir du moment où on prend en charge les travaux, en août 2011, il n’est pas utile de faire d’autres expertises». Contre-interrogée par madame Brodeur, madame Germain opine que la problématique était assez claire que l’Administrateur n’aurait probablement pas mandaté de professionnels.

 

[33]    En argumentation, Me Laplante plaide que les Bénéficiaires auraient possiblement de bons arguments contre l’Entrepreneur devant un autre forum civil mais en l’espèce, c’est le Règlement sur la garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le Règlement )[1] qui s’applique.

 

[34]    Ainsi, dans la décision rendue en avril 2011, le problème a été reconnu par l’Administrateur en application de l’article 10(4) du Règlement. Le seul moment où le Règlement prévoit que l’Administrateur peut ordonner le remboursement des frais d’expertises, c’est en application de l’article 18(5), soit en cas de mesures conservatoires nécessaires et urgentes. Le procureur argue que les rapports des architectes et ingénieurs ne traitent pas de l’urgence.

 

[35]    Me Laplante ajoute que l’article 124 du Règlement, qui permet à l’arbitre de déterminer le quantum des frais d’expertise remboursables au bénéficiaire par l’administrateur, ne peut s’appliquer au dossier parce qu’il ne s’agit pas d’un cas où l’Administrateur a rejeté la réclamation des Bénéficiaires qui, pour appuyer leur dossier, mandatent un expert.

 

[36]    Le procureur plaide que, dans le contexte juridique en l’espèce, il n’y a pas de provision pour couvrir ces frais et permettre à l’arbitre de condamner l’Administrateur à les payer.

 

[37]    En regard des obligations de l’Entrepreneur, tel que prévu au Règlement pour les mesures conservatoires, selon le procureur, il aurait pu trouver application si, par exemple, les Bénéficiaires avaient loué eux-mêmes les crics pour supporter la cheminée.

 

[38]    Me Laplante termine en rappelant que l’équité prévue à l’article 116 du Règlement n’est pas là pour modifier le Règlement mais pour rétablir l’équité procédurale entre les parties. Elle ne peut permettre d’ajouter une protection non prévue au Règlement.

 

L’ANALYSE ET LES MOTIFS

 

[39]    Avant d’amorcer l’analyse pour disposer de chacun des points en litige, il y a lieu de rappeler que le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement. Ainsi, bien que le Tribunal puisse interpréter certaines dispositions d’autres lois dans l’application de son mandat, c’est en vertu du Règlement qu’il doit déterminer les droits et obligations de chacun.

 

[40]    Les Bénéficiaires réclament le remboursement des frais d’experts et des frais de nettoyage de leur résidence qu’ils ont déboursé suite à la découverte d’un problème important avec la cheminée extérieure et aux travaux effectués par l’Entrepreneur. Selon les Bénéficiaires, ces expertises constituaient des «outils essentiels pour nous aider à comprendre l’ampleur du problème, à alerter l’entrepreneur et enfin, à défendre notre cause auprès de l’APCHQ».

 

[41]    L’Administrateur, qui a reconnu le vice caché dans une décision rendue en avril 2011, a rejeté la réclamation pour le remboursement des frais au motif qu’ils ont été engendrés par les Bénéficiaires pour leur bénéfice personnel et qu’ils ne concernent pas des mesures urgentes et conservatoires. Au surplus, l’Administrateur invoque l’absence de juridiction, «la garantie couvrant le parachèvement, les malfaçons, les vices cachés et les vices majeurs».

 

[42]    Les questions auxquelles le tribunal doit répondre sont les suivantes :

 

A)    La réclamation est-elle couverte par la garantie?

B)   La réclamation est-elle recevable?

C)   Considérant les circonstances, le tribunal peut-il rendre une décision en équité?

 

A) La réclamation est-elle couverte par la garantie?

 

[43]    Il y a lieu de rappeler que les parties sont liées par un contrat de garantie dont les termes sont dictés par la loi et le Règlement.

 

[44]    En regard du droit qui encadre les relations des parties au contrat de garantie, il convient de rappeler les dispositions pertinentes du Règlement :

7. Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévues par la présente section.

                        […]

10.   La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

 

                         1°    le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment…

 

 2°    la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l'article 2111 du Code civil…

 

3°    la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil…

 

4°    la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment …

 

5°    la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux…

(Nous soulignons)

 

[45]    Ainsi la garantie trouvera application si l’Entrepreneur est en défaut de respecter ses obligations légales ou contractuelles, plus précisément s’il néglige de terminer les travaux convenus ou si l’exécution des travaux est affectée de vices ou de malfaçons.

 

[46]    Outre le remboursement d’acomptes versés par les Bénéficiaires auxquels l’Administrateur peut être tenu en vertu de l’article 9 du Règlement lorsque l’Entrepreneur manque à ses obligations avant la réception du bâtiment, il ressort de l’article 10 que le fondement de la garantie est d’assurer le parachèvement des travaux et la réparation des malfaçons et vices découverts après la réception du bâtiment. C’est d’ailleurs en application de l’article 10 que l’Administrateur a accueilli la réclamation des Bénéficiaires en avril 2011 et ordonné à l’Entrepreneur de procéder aux travaux correctifs.

 

[47]    Toutefois, qu’en est-il de la réclamation de frais reliés à la découverte du vice caché déjà reconnu, laquelle fait l’objet du présent arbitrage? Les dispositions du Règlement sur la procédure de réclamation apportent un éclairage sur la qualification d’une réclamation fondée sur la garantie :

18.   La procédure suivante s'applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l'article 10:

 

  1°    dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription;

 

  2°    au moins 15 jours après l'expédition de la dénonciation, le bénéficiaire avise par écrit l'administrateur s'il est insatisfait de l'intervention de l'entrepreneur ou si celui-ci n'est pas intervenu; il doit verser à l'administrateur des frais de 100 $ pour l'ouverture du dossier et ces frais ne lui sont remboursés que si la décision rendue lui est favorable, en tout ou en partie, ou que si une entente intervient entre les parties impliquées;

 

  3°    dans les 15 jours de la réception de l'avis prévu au paragraphe 2, l'administrateur demande à l'entrepreneur d'intervenir dans le dossier et de l'informer, dans les 15 jours qui suivent, des mesures qu'il entend prendre pour remédier à la situation dénoncée par le bénéficiaire;

 

  4°    dans les 15 jours qui suivent l'expiration du délai accordé à l'entrepreneur en vertu du paragraphe 3, l'administrateur doit procéder sur place à une inspection;

 

5°    dans les 20 jours qui suivent l'inspection, l'administrateur doit produire un rapport écrit et détaillé constatant le règlement du dossier ou l'absence de règlement et en transmettre copie, par poste recommandée, aux parties impliquées. En l'absence de règlement, l'administrateur statue sur la demande de réclamation et ordonne, le cas échéant, à l'entrepreneur de rembourser au bénéficiaire le coût des réparations conservatoires nécessaires et urgentes et de parachever ou corriger les travaux dans le délai qu'il indique, convenu avec le bénéficiaire ;

 

6°    à défaut par l'entrepreneur de rembourser le bénéficiaire, de parachever ou de corriger les travaux et en l'absence de recours à la médiation ou de contestation en arbitrage de la décision de l'administrateur par l'une des parties, l'administrateur, dans les 15 jours qui suivent l'expiration du délai convenu avec le bénéficiaire en vertu du paragraphe 5, effectue le remboursement ou prend en charge le parachèvement ou les corrections, convient pour ce faire d'un délai avec le bénéficiaire et entreprend, le cas échéant, la préparation d'un devis correctif et d'un appel d'offres, choisit des entrepreneurs et surveille les travaux;

 

 (Nous soulignons)

 

[48]    Ainsi, la finalité d’une réclamation est d’enclencher un processus d’intervention de l’Entrepreneur et, à défaut, de l’Administrateur à titre de caution, en vue de remédier à la situation problématique, le tout conformément aux paragraphe 5 et 6 de l’article 18 et à l’article 74 du Règlement.

74. Aux fins du présent règlement et, en l'absence ou à défaut de l'entrepreneur d'intervenir, l'administrateur doit assumer tous et chacun des engagements de l'entrepreneur dans le cadre du plan approuvé.

 

[49]    C’est là l’essence même de la couverture générale de la garantie à laquelle ni l’Administrateur ni le Tribunal ne peut déroger vu le caractère d’ordre public du Règlement [2]. À cet effet, le Tribunal réfère notamment aux propos de l’Honorable Pierrette Rayle qui s’exprimait pour la Cour d’appel du Québec sur cette question :

Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.[3]

 

[50]    En l’espèce, toute la procédure est entachée à sa base même en ce que les Bénéficiaires réclament des frais sans avoir préalablement suivi les étapes de mise en œuvre de la garantie. Ainsi, les Bénéficiaires ont commandé des expertises avant même de dénoncer le vice à l’Administrateur et ont engagé des frais pour le nettoyage des lieux sans d’abord mettre l’Entrepreneur ou, à défaut l’Administrateur, en demeure d’y procéder.  Comme l’a fait valoir l’Entrepreneur à l’audition, il a «été mis devant le fait accompli».

 

[51]    Il faut noter cependant qu’en vertu du paragraphe 5 de l’article 18 du Règlement, l’Administrateur peut ordonner à l'entrepreneur de rembourser au bénéficiaire le coût des réparations conservatoires nécessaires et urgentes. De plus, en ce qui concerne les frais d’expertise, les articles 22 et 124 (identiques) du Règlement imposent à l’arbitre de statuer sur le quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’Administrateur doit rembourser au demandeur lorsqu’il a gain de cause.

 

[52]    Il y a donc lieu de se demander si la réclamation serait recevable en regard de ces dispositions.

 

 

 

 

 

B) La réclamation est-elle recevable?

 

[53]     Dans la décision qu’il a rendue, l’Administrateur a conclu que les factures soumises «ne couvrent pas de frais pour des mesures qui auraient pu être urgentes et conservatoires  dans le but de préserver le bâtiment dans l’attente de travaux correctifs exigés» par l’Administrateur.

 

[54]    À l’audition, les parties ont longuement traité de cet aspect en regard des expertises commandées, les Bénéficiaires invoquant qu’il y avait urgence d’y procéder, les portes et fenêtres ne fermant plus suite aux tentatives de l’Entrepreneur de remédier au problème.

 

[55]    En général, suivant le cadre d’application habituel du Règlement,  le remboursement de frais pour mesures urgentes et conservatoires vise davantage des réparations effectuées par les Bénéficiaires que des commandes d’expertises, ce qui démontre, ici encore, que les Bénéficiaires ont ignoré les étapes utiles pour l’application de la garantie. Toutefois, en cas d’urgence, ils auraient été justifiés d’engager des frais et d’en réclamer le remboursement par la suite, ce que le Tribunal est appelé à déterminer.

 

[56]    Considérant la preuve contradictoire sur le caractère urgent des dépenses encourues, le Tribunal rappelle d’abord que c’est sur le Bénéficiaire, qui conteste le bien-fondé de la décision de l’Administrateur, que repose le fardeau de la preuve et cette preuve doit être prépondérante, en application des dispositions contenues aux articles 2803 et 2804 du Code Civil du Québec :

 

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

 

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les  faits sur lesquels sa prétention est fondée.

 

2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.

 

[57]    Il est en preuve que les Bénéficiaires, qui jusqu’alors faisaient confiance à l’Entrepreneur, ont, de leur aveu même, pris «panique» en voyant que l’intervention de correction de l’Entrepreneur aggravait la situation et qu’il indiquait ne pas avoir installé le porte-à-faux prévu aux plans. Selon les Bénéficiaires, l’expertise leur permettrait d’évaluer l’ampleur du problème et identifier les solutions pour l’Entrepreneur. C’est le 30 août 2010 que mandat a été donné à l’architecte qui a fourni un rapport d’inspection le 21 septembre 2010. Le jour même, les Bénéficiaires adressaient une dénonciation écrite à l’Entrepreneur et à l’Administrateur.

 

[58]    Le Tribunal ne partage pas l’opinion des Bénéficiaires qui arguent que le rapport des architectes est «accablant», justifiant ainsi l’urgence d’avoir agi sans avoir préalablement dénoncé la situation conformément aux exigences du Règlement. Par surcroît, alors même que les Bénéficiaires étaient en attente d’une décision de l’Administrateur, ils ont commandé une expertise auprès d’une firme d’ingénieurs pour évaluer la structure de la cheminée tel que recommandé par les architectes. Le rapport d’expertise des ingénieurs ne permet pas non plus de conclure à l’urgence de procéder à des mesures conservatoires pour la protection du bâtiment. C’est d’ailleurs l’avis que l’inspecteur-conciliateur a émis, tant dans sa décision qu’à l’audition.

 

[59]    La preuve prépondérante est plutôt à l’effet que les Bénéficiaires ont, tout au cours du processus, fait appel à leurs propres experts, dans le but de se rassurer. Le besoin de faire procéder à une inspection finale des travaux par leurs propres architectes alors même que l’Administrateur avait lui-même pris en charge les travaux, démontre bien la volonté des Bénéficiaires de se conforter à l’égard des résultats. 

 

[60]    À ce sujet, le Tribunal retient les propos de l’arbitre Alcide Fournier sur une question similaire :

«Bien que cette expertise, lors de la visite des lieux, ait certainement contribué à rassurer les bénéficiaires sur l’état de salubrité de leurs logements, il n’est pas de la responsabilité de l’entrepreneur ou de l’administrateur de faire faire des expertises pour rassurer des bénéficiaires»[4]

 

[61]    Au surplus, le principe de l’autonomie de l’Entrepreneur dans le choix des méthodes, sujet à son obligation de résultat en conformité des usages et des règles de l’art, a été reconnu de nombreuses fois dans les décision arbitrales rendues en application du Règlement. Or, il appert qu’ayant perdu confiance en la capacité de l’Entrepreneur de remédier au problème, les Bénéficiaires ont, via les expertises, choisi la solution qui devait être retenue sans permettre à l’Entrepreneur et, plus tard à l’Administrateur, de procéder à leurs propres expertises le cas échéant.

 

[62]    En ce qui concerne les frais de nettoyage, la preuve n’a pas non plus démontré l’urgence d’y procéder sans préalablement mettre l’Entrepreneur en demeure de se conformer à ses obligations et ainsi remettre les lieux en état. Les travaux ayant été interrompus, le Tribunal croit que les Bénéficiaires ont plutôt choisi d’agir unilatéralement, en contravention des prescriptions légales.

 

[63]     En conséquence, la réclamation n’est pas recevable en vertu de l’article 18(5) du Règlement, les frais encourus par les Bénéficiaires n’ayant pas le caractère d’urgence requis pour en disposer en ce sens.

 

[64]    Le Tribunal doit par ailleurs  examiner la recevabilité de la réclamation en regard des articles 22 et 124 du Règlement qui stipulent :

22. et 124.  L'arbitre doit statuer, s'il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d'expertises pertinentes que l'administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel.

 

 

[65]    À l’audition, les Bénéficiaires ont fait valoir que les expertises commandées, tant pour identifier la cause du problème et son ampleur que pour effectuer les devis correctifs, ont largement servi à tous les intervenants, tant pour reconnaître le vice caché que  tout au long de la progression des travaux de correction. 

 

[66]    Madame Germain, qui a rendu la décision pour l’Administrateur en ordonnant à l’Entrepreneur d’effectuer les travaux correctifs selon les recommandations des rapports d’expertise des architectes et des ingénieurs mandatés par les Bénéficiaires, a témoigné à l’effet qu’elle aurait rendu la même décision sans ces expertises mais que, les ayant, elle a jugé utile d’y référer vu que l’Entrepreneur avait effectué deux tentatives de correction sans résultat.

 

[67]    La preuve non contredite est à l’effet qu’en aucun moment l’Administrateur n’a  indiqué  aux Bénéficiaires qu’ils devaient utiliser ses experts plutôt que les leurs. D’autre part, il faut souligner qu’en aucun moment non plus, les Bénéficiaires n’ont interrogé les représentants de l’Administrateur sur cette question ni consulté l’Entrepreneur ou l’Administrateur avant d’engager des frais, sauf à la fin du processus pour en réclamer le remboursement.

 

[68]    Quoique sensible à la situation des Bénéficiaires qui ont dû composer avec le manque de collaboration de l’Entrepreneur,  le Tribunal doit l’analyser en regard du droit applicable et se demander si le remboursement des expertises peut être ordonné à l’Administrateur.

 

[69]    Après analyse exhaustive d’une abondante jurisprudence traitant des frais d’expertise, il est clair que la  situation sous  étude en est une d’exception. En effet, quoique ce ne soit pas exclusif, dans la majorité des cas, les frais d’expertise sont engagés par le bénéficiaire en vue de convaincre les autres parties et le tribunal d’arbitrage du bien-fondé de sa réclamation et c’est dans ce cadre que ce dernier est appelé à en disposer.

 

[70]    Une jurisprudence constante a établi la nécessité qu’une expertises réponde à trois critères pour être admissible au remboursement par l’Administrateur en vertu des articles 22 et 124 du Règlement à savoir : le bénéficiaire a gain de cause total ou partiel; les frais sont raisonnables et ils sont pertinents eu égard à l’issue du litige.

 

[71]    En l’espèce, les Bénéficiaires ont certes eu gain de cause auprès de l’Administrateur. Toutefois, de l’avis du Tribunal, non seulement ils ont engagé des frais d’expertise d’abord pour connaître la nature du problème et, par la suite, pour élaborer une solution qui les satisfasse mais ces expertises n‘ont pas été utilisées pour appuyer leurs prétentions en arbitrage, une condition jugée essentielle pour autoriser l’arbitre à statuer sur leur remboursement.

 

[72]    À cet effet, le Tribunal réfère entre autres aux propos de l’arbitre René Blanchet dans un cas similaire où un syndicat de copropriété réclamait le remboursement de frais de diverses expertises totalisant près de 20 000$.

 

«A) EXPERTISES

Pour ce point, le Bénéficiaire expose que les coûts des expertises font partie des coûts des corrections et qu’elle a dû les assumer, d’où la demande de remboursement;

Le Bénéficiaire argumente que l’Administrateur aurait dû faire ces expertises avant d’entreprendre ses travaux et qu’alors, en droit ou en équité, ces coûts d’expertise doivent lui être remboursés;

Une telle argumentation peut être invoquée dans une poursuite contre un entrepreneur (  ) puisqu’il s’agit là de démontrer l’ampleur ou la valeur de l’inexécution des es obligations;

Mais pour le présent cas, je ne vois pas cela comme cela;

En effet, dans le fond, ces expertises ont été faites pour démontrer à l’Administrateur ou le convaincre, qu’il y avait manquement aux obligations légales ou contractuelles de l’Entrepreneur, en vue de l’application du Plan;

Or l’article 2803 du Code civil est clair à ce sujet

«Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention»

Ce n’était pas à l’Administrateur à démontrer que le Plan devait être appliqué;

Et, s’il y avait eu désaccord, le processus d’arbitrage prévu au Plan aurait vite réglé le différend.

En plus, dans un tel cas, le Bénéficiaire aurait pu alors profiter du paragraphe 38 du Plan qui stipule :

«L’arbitre doit statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises que l’administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel»

Mais, puisque l’Administrateur s’est exécuté sans avoir eu à se soumettre à l’arbitrage, cet article ne peut être appliqué pour une partie de coûts d’expertise, soit ceux en rapport à la preuve qui aurait dû être présentée à l’audition.»[5]

 

[73]    Dans une décision plus récente, rendue par l’arbitre Jean-Philippe Ewart, le remboursement des frais d’une expertise qui n’a pas été soumise au tribunal d’arbitrage au soutien de leurs prétentions par les Bénéficiaires est refusé en ces termes :

«Ledit rapport est daté du 12 novembre 2009 mais n’a pas été soumis  pour les fins de la Décision 1 et n’a pas été mis en preuve pour les fins de la Décision 2.

Dans les circonstances  particulières, les éléments qui seraient requis afin de déterminer que ce rapport soit caractérisé de rapport d’expertise n’ont pas été mis en preuve et d’ailleurs conséquemment le droit au contre-interrogatoire pour les fins de cette caractérisation n’ont pas eu l’occasion d’être exercés. D’autre part, il ne peut être accordé aucune pertinence à ce rapport pour les fins des ordonnances du tribunal aux Décsions 1 et 2.

Conséquemment, ledit rapport ne constitue pas un rapport d’expertise au sens du Règlement et il ne peut être pourvu à un remboursement quelconque» [6]

 

[74]    Vu le droit applicable, la réclamation n’est pas recevable en vertu des articles 22 et 124 du Règlement.

 

C) Considérant les circonstances, le tribunal peut-il rendre une décision en équité?

 

[75]    À l’audition, le procureur de l’Administrateur a fait valoir que le Tribunal ne devrait pas faire appel à l’équité pour accueillir la réclamation parce que ce faisant, il excéderait sa compétence en ajoutant une protection qui n’est pas prévue au Règlement.

 

[76]    La disposition qui permet au tribunal de décider en équité dans certaines circonstances est prévue à l’article 116 du Règlement :

116.   Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient.

 

[77]    Les tribunaux ont maintes fois été appelés à se prononcer sur cette disposition du Règlement, principalement, il va sans dire, dans le cadre d’affaires soulevant l’excès de compétence d’un arbitre.

 

[78]    Ainsi, qualifiant la volonté du législateur, l’honorable juge Dufresne s’exprime ainsi pour la Cour supérieure :

« L’article 116 du Règlement est une autre manifestation de la volonté du législateur d’accorder une grande latitude à l’Arbitre appelé à décider d’un différend.

Il n’est pas fréquent de retrouver une disposition expresse autorisant un décideur à faire appel à l’équité. Cette mention est significative d’une volonté de mettre en place, au bénéfice des parties visées par le Règlement, un mécanisme de règlement des différends qui soit efficace»[7]

 

[79]    Qualifiant pour sa part le pouvoir de l’arbitre de faire appel aux règles d’équité, l’Honorable Michèle Monast écrit :

C’est le cas notamment, lorsque l’application littérale des dispositions du règlement ne permettent pas de remédier à une situation donnée ou lorsque les circonstances font en sorte que l’interprétation stricte du règlement est susceptible d’entraîner un déni de justice parce qu’elle ne permet pas d’en appliquer l’esprit et d’assurer la protection des droits des parties.

(…)

Il est acquis au débat que l'arbitre doit trancher le litige suivant les règles de droit et qu'il doit tenir compte de la preuve déposée devant lui. Il doit interpréter les dispositions du Règlement et les appliquer au cas qui lui est soumis. Il peut cependant faire appel aux règles de l'équité lorsque les circonstances le justifient. Cela signifie qu'il peut suppléer au silence du règlement ou l'interpréter de manière plus favorable à une partie.

L’équité est un concept qui fait référence aux notions d’égalité, de justice et d’impartialité qui sont les fondements de la justice naturelle. Dans certains cas, l’application littérale des règles de droit peut entraîner une injustice. Le recours à l’équité permet, dans certain cas, de remédier à cette situation.»[8]

 

[80]    L’utilisation abondante, tant par l’Administrateur que par l’Entrepreneur, de tous les rapports d’expertise commandés par les Bénéficiaires constitue, de l’avis du tribunal, un motif pouvant justifier l’application des règles d’équité en vue d’ordonner le remboursement des frais aux Bénéficiaires, malgré l’absence de disposition expresse l’y autorisant.

 

[81]    Toutefois, il n’y a pas lieu d’y faire appel dans le présent dossier. En effet, le comportement des Bénéficiaires qui ont, tant à l’égard de l’Entrepreneur que de l’Administrateur, négligé de respecter la séquence de mise en œuvre de la garantie ne permet pas de conclure que les expertises visaient d’autre but que de se rassurer et d’imposer une solution qui les satisfasse. Autrement, ils se seraient adressés à l’Administrateur avant de faire des frais et auraient par la suite collaboré à la recherche de solutions par l’Entrepreneur et l’Administrateur, à qui le choix des moyens appartient sujet à leur obligation de résultat.

 

[82]    Considérant l’esprit du Règlement, adopté dans le but de fournir aux bénéficiaires d’un plan de garantie, un forum de règlement des différends qui soit efficace et rapide, il serait inconcevable de conclure à la nécessité de faire des expertises pour «monter son dossier» pour l’Administrateur, comme l’ont prétendu les Bénéficiaires en l’espèce.

 

[83]    Il en est de même des frais de nettoyage dont le remboursement aurait pu être autorisé si tant est que les Bénéficiaires auraient au moins mis préalablement en demeure l’entrepreneur de respecter ses obligations.

 

[84]    Le Tribunal ne peut donc, au nom de l’équité, faire droit à la réclamation des Bénéficiaires.

 

 

LA DÉCISION

 

[85]    À titre d’arbitre désigné, la soussignée est autorisée à trancher tout différend découlant des plans de garantie.  L’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit;  il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient».[9] Sa décision lie les parties; elle est finale et sans appel.[10]

 

[86]    En vertu de l’article 123 du Règlement, les Bénéficiaires n’ayant eu gain de cause sur aucun point, l’arbitre doit départager les coûts de l’arbitrage.

 

123.   Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.

 

[87]    Considérant l’ensemble du dossier et considérant que, selon la preuve non contredite, les Bénéficiaires auraient porté la décision en arbitrage à la suggestion d’un représentant de l’Administrateur, ce dernier devra assumer la totalité des frais d’arbitrage.

 

 

 POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

REJETTE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires et MAINTIENT la décision de l’Administrateur.

CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage.

 

LE TOUT sans préjudice et sous réserve des recours appropriés que les Bénéficiaires pourraient porter devant les tribunaux civils.

 

Me France Desjardins


Arbitre/CCAC



[1]               [1] LRQ, c.B-1.1, r.0.2

[2]               Art. 3,4,5,105,139 et 140 du Règlement

[3]                              La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle et René Blanchet, ès qualité d’arbitre au CCAC, Cour d’appel, 15 décembre 2004, motifs de la juge Pierrette Rayle

 

 

[4]               Syndicat de copropriété 2306 à 2314 Harriet-Quimby et Groupe Maltais Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., SORECONI 07062001, décision rendue le 20 septembre 2007.

[5]               Jacques Plante - Syndicat des Copropriétaires du Domaine Baribeau (le 774) et La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. et Les Constructions Bergiro Inc., CCAC S05-0502-NP, sentence rendue le 5 novembre 2007

[6]               Carmelina Coloccia et Guiseppe Borreggine et Trilikon Construction Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., SORECONI 101211001, le 25 janvier 2012.

[7]               La garantie Habitation du Québec Inc. et Sotramont Québec Inc. c. Gilles LeBire et SORECONI et Lise Piquette et Claude LeGuy et Maurice Garzon et Roger Cyr,, 2002, JQ no 3230 (CS)

[8]               La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Claude Dupuis, es-qualité d’arbitre et Raymond Chabot Inc. et Le Syndicat des copropriétaires du carré des Coqs (6275) et als, 2007 QCCS 4701

[9]               Article 116 du Règlement

[10]             Articles 20 et 120 du Règlement