ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES
BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM) |
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Dossier no : |
GAMM 2010-12-003 |
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GQH 48687-3017 |
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ENTRE : EKRAM BESSADOK ET ANIS FARHAT (ci-après les bénéficiaires)
ET : GARANTIE QUALITÉ HABITATION (ci-après l’administrateur)
ET : GROUPE AXXCO INC. (ci-après l’entrepreneur)
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me Johanne Despatis |
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Pour le bénéficiaire |
M. Anis Farhat, pour lui-même, assisté de : Mme Ekram Bessadok
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Pour l’administrateur |
Me Avelino de Andrade, procureur, assisté de : M. Normand Pitre
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Pour l’entrepreneur |
Me Martine Brodeur, procureure, assistée de : M. Martin Côté |
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Date de l’audience |
25 novembre 2010 |
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Lieu de l’audience |
Montréal |
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Date de la sentence |
31 janvier 2011 |
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Adjudex inc.
1003-8362-GAMM
SA 8084
I
INTRODUCTION
[1] Madame Ekram Bessadok et monsieur Anis Farhat, les bénéficiaires, contestent en vertu de l’article 35 du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (décret 841-98), le Règlement, la décision suivante rendue le 26 février 2010 par la Garantie Qualité Habitation, l’administrateur :
En vertu du texte de Garantie, La Garantie Qualité Habitation ne peut reconnaitre les points suivants pour les raisons données à leur suite respective :
Plancher de latte
Lors de notre inspection, nous avons constaté la situation, [...] laquelle de toute évidence est présente depuis la prise de possession de l’unité. De ce fait, La garantie Qualité Habitation se doit de statuer de la façon suivante.
Tel que stipulé aux articles 6.4.2.3 et 6.4.2.4 du contrat de garantie, les situations décrites doivent être dénoncées par écrit à l’entrepreneur et l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de la découverte des vices et des malfaçons.
Le point 1 n’ayant pas été dénoncé par écrit à l’entrepreneur et à La Garantie Qualité Habitation dans l’année suivant la prise de possession de l’unité résidentielle par le premier acheteur, nous devons nous prononcer dans le cadre d’un vice caché au sens de l’article 2103 du Code civil du Québec (article 6.4.2.4 du texte de garantie).
Or, selon ce qu’il nous a été possible de constater lors de notre inspection, ce point ne peut être considéré comme un vice caché.
Par conséquent, La Garantie Qualité Habitation ne peut reconnaitre ce point dans le cadre de son mandat.
[2] Une conférence téléphonique réunissant monsieur Farhat, l’entrepreneur et le procureur de l’administrateur ainsi que l’arbitre s’est tenue le 14 avril 2010. Le procès-verbal que j’ai transmis aux parties résume ainsi le litige :
[...]
2. Concernant le litige, celui-ci porte sur le point 1 de la
décision rendue le
26 février 2010 par l’administrateur :
a) Dans un premier temps, Me de Andrade a rappelé que sa cliente avait rejeté cette réclamation aussi bien en vertu de la garantie contre les malfaçons que de celle contre les vices cachés, jugeant que le délai écoulé entre la découverte du problème et sa dénonciation excédait le délai de six mois prescrit par le Plan de garantie.
b) Dans un second temps, Me de Andrade a également indiqué que de toute façon, sa cliente a jugé que cette réclamation concerne une situation qui ne rencontre pas les critères permettant de la qualifier de vice caché.
[...]
II
LES FAITS
[3]
Les bénéficiaires ont signé l’acte de réception de leur copropriété
située à Anjou le
20 novembre 2007. Il s’agissait d’une nouvelle copropriété couverte par le Règlement.
[4] Selon le témoignage de monsieur Farhat, ce n’est qu’en janvier 2009 qu’il constate qu’un problème affecte son plancher de bois franc. Il nie que ce problème ait existé déjà au moment de la visite pré-réception. D’ailleurs, dit-il, l’entrepreneur, lui-même présent à cette occasion, ne l’a pas vu lui non plus, pas plus qu’une amie de monsieur Farhat qui l’accompagnait, madame Salima Jaafari, laquelle a également témoigné dans le même sens.
[5] Cette dernière ajoute être retournée chez les bénéficiaires en janvier 2009 et avoir constaté à cette occasion la présence de dénivellations et dépressions dans le plancher. Elle déclare avoir alors fait la remarque aux bénéficiaires que la situation n’était pas normale : Ça se voyait que ce n’était pas normal. Elle y est retournée à l’été et la situation était plus visible et elle dit à monsieur Farhat : Il faut que tu fasses quelque chose.
[6] C’est sur cette toile de fond que monsieur Farhat explique avoir écrit à l’entrepreneur dès le 23 janvier 2009 la lettre suivante :
Objet : Dénivellation du Plancher de l’unité 205 du 2650 du Trianon
Nous tenons par la présente vous mentionner que le plancher (en bois franc) de l’unité 205 du [...] a subi une dénivellation après une année d’occupation (on a pris possession du condo novembre 2009 et ce à 3 endroits différents qui sont le salon (bosse tout au long de la pièce et a différents endroits) : largeur de 2 lattes, dans la chambre des maîtres (à coucher) un creux (Affaissement : on peut voir et sentir un enfoncement, d’environ 7 mm lorsqu’on y pose le pied) à 2 places différentes et la même chose dans la petite chambre secondaire. Après avoir discuté avec le chef du chantier Monsieur Sylvain Hébert, il nous donne comme explication que c’est à cause d’une forte humidité dans le condo l’hiver (alors que c’est notre 2ième hiver et on n’a pas eu ce problème le 1er hiver malgré qu’on a bien utilisé le chauffage) aussi on a pas d’humidificateur à la maison, au contraire c’est pas mal sec, en plus quand il y a un fort taux d’humidité les lattes se séparent alors que le plancher ne semble par être séparé du béton (ou la membrane qui sépare le béton du plancher…) ce qui confirme la thèse que ça vient du béton qui est mal coulé ou la membrane (selon une discussion avec une architecte cette hypothèse est la plus forte) (hypothèse de malfaçon). La tolérance de la dénivellation admise dans le domaine de la construction est de 6 mm pour une distance horizontale de 800 mm. On a constaté de façon progressive l’existence des dénivellations, au moment de la réception on a mentionné au responsable du parachèvement (Mr Alexandre) que le niveau entre la partie couverte de céramique et le plancher était différent mais il nous a confirmé qu’il y avait rien et que c’était normal et aussi au début quand on marchait le meuble du télé bougeait alors qu’en théorie, un plancher doit être à niveau et ne pas comporter de dénivellations.
Nous tenons à ce qu’une inspection des lieux soit faite dans les plus brefs délais et que des actions soient prises afin de corriger et remédier à la situation (on est les seuls à avoir ce problème ce qui nous cause un désagrément et une limitation à la jouissance des lieux, alors qu’on a acheté du neuf et qu’on est supposé avoir un produit fini de qualité).
[sic]
[Caractères gras ajoutés]
[7] Selon monsieur Farhat, l’entrepreneur qui vient constater la situation de visu en janvier 2009 lui dit que le problème devrait rentrer dans l’ordre au printemps. L’entrepreneur ne donnant pas suite et, la situation ne s’améliorant pas, le bénéficiaire lui réécrit le 11 août suivant :
Ceci est un rappel suite à notre fax envoyé le 20 janvier 2009 (copie ci-jointe) et suite auquel vous avez rendu visite au condo [...] et vous nous avez informé que le problème était temporaire à cause de l’humidité et que au printemps tout devrait rentre en ordre, c’était aussi prévu que vous reviendrez visiter le condo en mois de Mars, 2 saisons se sont écoulée (printemps et été) et on n’ a pas eu de vos nouvelles, de notre voté on a acheté un outil pour mesure le taux d’humidité et un déshumidificateur pour la contrôler mais le problème persiste encore. On a aussi effectué la visite d’autres condos et même avec un taux élevé d’humidité l’été, ils n’ont pas ce problème avec leur plancher.
[…][sic]
[8] L’entrepreneur ne donnant toujours pas suite, les bénéficiaires lui réécrivent le 24 août. L’entrepreneur demande alors à son sous-traitant Plancher Québécois de vérifier la situation le 18 septembre 2009. Monsieur Farhat résume ainsi les constatations dans une lettre qu’il adresse à l’entrepreneur le 28 septembre suivant :
Ceci est un 2ième rappel suite à notre fax envoyé le 24 août 2009 (…) et suite auquel vous avez rendu visite au condo […] et vous nous avez informé que le problème sera résolu avec l’intervention de Plancher Québécois qui sont venus le vendredi 18 septembre (…) qui a conclu que le problème était plus loin que vous le croyez (un simple joint en dessous du plancher) car il a enlevé des lames de bois à 2 places. [...] il privilégiait plus la piste d’une dénivellation de la membrane ou un affaissement du sol car ce qu’il a constaté qu’il y avait des creux et non des bosses partout chose anormal selon lui et que c’était la 1ère fois qu’il voyait ce phénomène qui peut aussi être causé par un taux d’humidité élevé du bois posé [...] en plus que les choses ont étés mal faites par la compagnie qui a posé le plancher, vous faites plus affaire avec elle car il y a eu des problèmes avec elle et même la réparation est fait maintenant par Plancher Québécois. [...]
[sic]
[9] Selon ce que raconte monsieur Farhat, l’entrepreneur a nié suite à la visite de Plancher Québécois qu’il y avait problème de sorte que les bénéficiaires se sont tournés vers l’administrateur.
[10] Sa réclamation transmise par courriel à l’administrateur le 13 octobre 2009 conclut ainsi après un résumé de la situation :
Voici le résumé de la situation dans laquelle on vit depuis janvier 2009, on voulait régler le problème avec la communication mais 10 mois après on a toujours un plancher qui a subi une dénivellevation et le groupe Axxco qui veut ni reconnaitre le problème ni réparer.
On compte sur votre intervention afin de désigner un expert qui va statuer et faire le nécessaire afin de remédier la situation.
[sic]
[11] Monsieur Farhat réitère avoir constaté l’apparition d’un problème affectant ce plancher qu’en janvier 2009 mais il en ignorait alors la gravité. Ce n’est, toujours selon ce que raconte monsieur Farhat, qu’en septembre suivant qu’il en a réalisé l’étendue, le problème n’étant apparu que progressivement. Il reconnaitra toutefois en contre-interrogatoire qu’en janvier 2009, il y avait déjà un affaissement de quelque 7 mm.
[12] A également témoigné monsieur Normand Pitre, conciliateur au service de l’administrateur. Il a procédé à une visite des lieux le 4 février 2010 et fait rapport le 26 février suivant, rapport dont l’essentiel est reproduit plus haut.
[13] Selon lui, le problème affectant les planchers était apparent dès la réception de l’unité, problème qui n’a donc pas été dénoncé à l’administrateur dans le délai prévu au Règlement. Au surplus, ajoute monsieur Pitre, même si le problème n’était apparu qu’en janvier 2009 au moment où les bénéficiaires en ont informé l’entrepreneur, il reste qu’ils n’ont pas avisé l’administrateur à l’intérieur du délai de six mois prévu au Règlement.
[14] Il reconnaît en contre-interrogatoire ne pas avoir été présent au moment de la réception mais il ajoute que, selon son expérience, il est fort peu probable qu’il y ait eu dégradation progressive comme le décrit le bénéficiaire, d’autant que la situation n’a pas évolué entre sa visite des lieux en février 2010 et celle effectuée aujourd’hui dans le cadre de la présente audience.
[15] Monsieur Patrick Gautreau est technologue professionnel. Les bénéficiaires l’ont retenu au printemps 2010 afin de réaliser une expertise technique concernant leur plancher. Selon lui, plusieurs déficiences affectent le plancher de l’unité : inclinaison des planchers et présence d’ondulations créant des bosses et des creux anormaux. Il écrit dans son rapport :
Les propriétaires sont en droit de s’attendre à une belle apparence des planchers, et ce, malgré certaines tolérances pouvant être jugées acceptables. Toutefois dans le cas qui nous concerne, les dénivelés, bosses et creux sont beaucoup trop apparents et nombreux pour être qualifiés de normaux. Une telle situation n’aurait pas pu être tolérée à la prise de possession par nos clients ou non observée par le représentant de l’entrepreneur un brin consciencieux lors de la visite pré-réception. C’est pourquoi nous sommes d’avis que les désordres sont apparus par la suite.
[...]
Nous constatons qu’il y a un dégagement approprié entre les lattes de bois franc et la cloison, [...]. Cependant, le contreplaqué constituant la couche de pose sous le bois franc est appuyé directement sur la cloison. Dans ces conditions, ce panneau peut subir des pressions advenant le fléchissement normal de la structure au séchage, mais également subir les effets de la dilatation.
C’est pourquoi nous estimons que le désordre qui a affecté le plancher peut relever du séchage de la structure en addition à la dilatation des composantes constituant le sous-plancher. Ces mouvements se sont déployés progressivement pour créer une part des déformations dont nous pouvons maintenant en observer le résultat.
La structure peut prendre un certain temps avant d’atteindre sa forme définitive. Nous pouvons croire que certains de ces dénivelés auraient pu s’estomper ou se corriger d’eux-mêmes. Toutefois, dans la situation présente, il n’en est pas ainsi et la situation a alors progressé pour atteindre les déformations que nous avons mesurées.
[16] Selon ce témoin, le problème est apparu progressivement. Il en tient pour preuve le fait que le document rempli au moment de la réception de l’unité conjointement par les bénéficiaires et l’entrepreneur ne comporte aucune mention au sujet du plancher. C’est sur ce seul élément qu’il appuie son opinion, reconnaissant qu’il n’y était évidemment pas là à ce moment.
III
PLAIDOIRIES
Administrateur
[17] Selon le procureur de l’administrateur, la preuve démontre que le problème affectant les planchers était apparent à la réception de l’unité et qu’il aurait dû être dénoncé à l’époque; ce qui n’a pas été fait.
[18] De toute façon, poursuit le procureur, même si l’on considérait que le problème n’est apparu que progressivement, il reste, de l’aveu des bénéficiaires selon les termes mêmes de leur lettre à l’entrepreneur qu’il était bien présent en janvier 2009. Or, il n’a pas été dénoncé dans le délai de six mois prévu au Règlement. Pour le procureur, le témoignage de monsieur Farhat est cousu de fil blanc lorsqu’il suggère qu’il n’avait pas saisi dès ce moment la gravité du problème. Au contraire dit Me de Andrade, sa lettre de janvier 2009 fait clairement état des différentes manifestations observées et celles-ci sont significatives. Il y avait donc lieu à dénonciation et on ne l’a pas fait.
[19] Le procureur a invoqué les autorités suivantes : Lortie c. Grimard, EYB 2007-120076 ; Syndicat de copropriété 324 à 334 Wurtele et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SA, 4 mai 2007, arbitre Michel A. Jeanniot; Papillon c. Bolduc, 2010 QCCQ 1839 (CanLII); Côté et Clermont c. La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SA, 12 janvier 2010, arbitre Pierre Boulanger; Jodoin et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SA, 4 janvier 2006, arbitre Johanne Despatis.
Entrepreneur
[20] Selon la procureure de l’entrepreneur, la preuve prépondérante démontre que la situation dénoncée par les bénéficiaires était présente lors de la prise de possession. C’est selon elle ce qui ressort de la lettre des bénéficiaires datée du 23 janvier 2009, un document qui constituait un aveu de leur part.
[21] Pour la procureure, il est fort peu probable que la situation soit apparue progressivement. Elle souligne que si tel avait été le cas, il faudrait convenir que rien ne se serait passé pendant les premiers 18 mois suivant la réception et puis que tout à coup la situation apparait en janvier 2009 et se met subitement à se dégrader jusqu’en aout.
[22] Comme
le procureur de l’administrateur, Me Brodeur fait valoir sur la foi
de la lettre du
23 janvier des bénéficiaires, que ceux-ci ont su au plus tard à cette époque qu’un
problème sérieux affectait leurs planchers. Si non, pourquoi ont-ils consulté
un architecte, comme leur lettre en fait mention?
[23] Conséquemment leur dénonciation faite en octobre est donc tardive puisque fait à l’extérieur du délai de six mois prévu au Règlement.
Bénéficiaires
[24] Le bénéficiaire rappelle qu’il a pris possession de son unité en novembre 2007 et que les quatre personnes qui ont effectué la visite pré-réception n’ont rien vu puisqu’il n’en est pas question dans le rapport rédigé à ce moment-là.
[25] Par la suite, en janvier 2009, monsieur Farhat a tenté de régler la situation avec l’entrepreneur mais en vain. En effet, dit-il, lorsqu’il a réalisé que l’entrepreneur ne corrigerait pas le problème, il a avisé l’administrateur. Monsieur Farhat ajoute que l’administrateur lui-même reconnait qu’il y avait un problème.
[26] Pour le bénéficiaire, ce problème s’est manifesté graduellement et ce n’est que lorsqu’il en a réalisé la gravité en septembre 2009 que doit commencer à courir le délai de six mois pour le dénoncer.
[27] Monsieur Farhat a invoqué les autorités suivantes : Coloccia et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SA, 30 juillet 2010, arbitre Jean-Philippe Ewart; Gallant et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SA, 14 décembre 2009, arbitre Jeffrey Edwards; Langevin et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SA, 5 aout 2009, arbitre Johanne Despatis; Fauchon et La Garantie des immeubles résidentiels de l’APCHQ, SA, 14 novembre 2005, arbitre Johanne Despatis; Hazel et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SA, 28 juillet 2009, arbitre Claude Dupuis; Liboiron et La Garantie des Maîtres Bâtisseurs, SA, 15 juin 2009, arbitre Marcel Chartier; Angrignon et La Garantie des Maîtres Bâtisseurs, SA, 8 juin 2009, arbitre Marcel Chartier.
IV
ANALYSE ET DÉCISION
[28] On oppose à la réclamation que le problème dont il s’agit n’a pas été dénoncé à l’administrateur en conformité du Règlement.
[29] Les réclamations exercées en vertu du Règlement sont en effet assujetties à certaines règles dont les suivantes :
27. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir :
1. le parachèvement des travaux dénoncés par écrit :
a) par le bénéficiaire, au moment de la réception de la partie privative ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les trois jours qui suivent la réception;
b) par le professionnel du bâtiment, au moment de la réception des parties communes;
2. la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l'article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n'a pas emménagé, dans les trois jours qui suivent la réception;
3. la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
4. la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les trois ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;
5. la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les cinq ans suivant la fin des travaux des parties communes ou, lorsqu'il n'y a pas de parties communes faisant partie du bâtiment, de la partie privative et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.
[30] Le Règlement offre quatre types de garantie. Outre celle applicable au moment de la réception de l’ouvrage, il y en a trois autres. Celle d’un an couvrant les malfaçons non apparentes; de trois ans pour les vices cachés; et de cinq ans pour les vices de construction. En substance, malfaçon, vice caché et vice de construction sont des notions voisines qui se distinguent entre elle essentiellement par leur gravité relative.
[31] Cela dit, la présence d’une malfaçon ou d’un vice n’est pas suffisante à elle seule en vertu du Règlement pour ouvrir droit à un recours en faveur d’un bénéficiaire. Il faut aussi que le problème soit découvert puis dénoncé, à l’administrateur et à l’entrepreneur, dans les délais prescrits.
[32] On le sait, l’administrateur et l’entrepreneur soutiennent que le problème existait dès l’époque de la réception du bâtiment de sorte qu’il aurait dû être dénoncé dès alors. Si, continuent l’administrateur et l’entrepreneur le problème n’est apparu qu’après, il a quand même été découvert au plus tard en janvier 2009 et devait être dénoncé dans les six mois suivants sa découverte.
[33] Or, même si je retenais la version la plus favorable aux bénéficiaires selon laquelle il s’agissait d’un problème qui n’était pas apparent au moment de la réception et qui ne s’est manifesté que graduellement, il reste, selon la preuve prépondérante, qu’en janvier 2009 selon la lettre que les bénéficiaires adressent à l’entrepreneur ce mois-là, que les problèmes décrits dans le rapport de monsieur Gautreau et visibles lors de ma visite des lieux étaient déjà présents.
[34] Il est vrai que le Règlement renvoie à l’article 1739 du Code civil du Québec relativement notamment au sens à donner du mot découverte. Cette disposition se lit ainsi :
1739. L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.
[...]
[35] Ainsi, selon le Code civil du Québec, la découverte a lieu lorsque l’acheteur peut raisonnablement soupçonner la gravité et l’étendue du problème. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’un vice apparaissant graduellement, on dira qu’il n’est découvert qu’au moment où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.
[36] Qu’en est-il en l’espèce ?
[37] Avec égards, comme en fait foi de manière concluante la lettre que les bénéficiaires adressent à l’entrepreneur en janvier 2009, il y a alors aux dires des bénéficiaires la présence d'indices suffisamment importants leur permettant non seulement de voir qu’il y a problème mais également d’en soupçonner la gravité.
[38] Ceux-ci y décrivent la situation avec force détails et font état des observations d’un architecte consulté à ce sujet. À l’évidence, ces observations dépassaient les simples soupçons.
[39] Même madame Jaafari qui leur rend visite en janvier 2009 observe la chose et en conclut qu’elle est anormale. C’est à ce moment que les bénéficiaires demandent formellement par écrit à l’entrepreneur de corriger la situation qui leur cause un désagrément.
[40] Hélas pour eux, malgré la présence de ces éléments troublants qu’ils décrivent dans leur lettre, les bénéficiaires n’ont pas jugé bon d’en informer l’administrateur.
[41] La raison d’être de dispositions exigeant, sous peine d’irrecevabilité, que la dénonciation d’un vice soit faite à l’intérieur d’un délai ferme, est notamment de permettre à l’administrateur qui s’est engagé à cautionner certaines obligations de l’entrepreneur, de prévenir une dégradation plus grande du bien affecté en lui fournissant l’occasion de le corriger rapidement s’il le désire.
[42] De même, le fait, comme c’est arrivé ici, qu’un entrepreneur reconnaisse à un moment donné auprès d’un bénéficiaire qu’il y a possiblement problème et convienne d’effectuer de plus amples vérifications ou encore de s’en occuper, ne dispense pas le bénéficiaire de son obligation en vertu du Règlement d’en notifier directement l’administrateur, et ce à l’intérieur du délai stipulé de six mois, dans la mesure où tant qu’ils ne sont pas réglés, ces problèmes risquent de conduire à une réclamation auprès de l’administrateur.
[43] Le Règlement est clair et ne souffre pas d’exception à ce sujet : un avis, écrit, dénonçant la situation doit être donné à l’entrepreneur, mais aussi à l’administrateur dans le délai imparti. Or, en l’espèce, il ne l’a pas été.
[44] Il en résulte que la réclamation en litige n’a pas été dénoncée à l’administrateur en conformité du Règlement de sorte que je n’ai guère le choix que de conclure à son rejet; et de là, à celui du présent recours.
[45] Qu’en est-il des frais d’arbitrage ? Il m’apparait justifié dans les circonstances que les frais des présentes soient à la charge de l’administrateur. Je déclare donc, conformément aux dispositions de l'article 37 du Règlement que les coûts des présentes seront à la charge de l'administrateur.
Montréal, ce 31 janvier 2011
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__________________________________ Johanne Despatis, arbitre
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Adjudex inc.
1003-8362-GAMM
SA 8084