(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :
Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC)
No dossier Garantie: 105235-1
No dossier CCAC : S10-060101-NP
Date: 14 mai 2010
ENTRE MADAME MARGUERITE CÔTÉ
(ci-après « la Bénéficiaire »)
ET 9137-7937 Québec Inc. (ATTITUDE NORD IMMOBILIER) - (EN FAILLITE)
(ci-après « l’Entrepreneur »)
ET : La Garantie DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’apchq inc
(ci-après « l’Administrateur »)
Arbitre : Me France Desjardins
Pour l’entrepreneur : Aucun représentant
Pour la Bénéficiaire : Madame Marguerite Côté
Me Marie-Claude Dagenais, David Dubois avocats
Pour l’Administrateur : Me Patrick Marcoux, Savoie Fournier avocats
L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le 7 janvier 2010
22 avril 2008 Contrat préliminaire et contrat de garantie
28 avril 2009 Avis de faillite de l’Entrepreneur
10 juin 2009 Demande de remboursement d’acompte au syndic de faillite
9 juillet 2009 Avis de refus du syndic
24 juillet 2009 Requête en appel de la décision du syndic à la Cour supérieure
24 septembre 2009 Demande de remboursement d’acompte à l’Administrateur
11 décembre 2009 Décision de l’Administrateur
6 janvier 2010 Demande d’arbitrage des Bénéficiaires
7 janvier 2010 Nomination de l’arbitre
7 janvier 2010 Désistement partiel en Cour supérieure
18 janvier 2010 Déclaration de règlement hors cour en Cour supérieure
1er mars 2010 Conférence préparatoire téléphonique
16 avril 2010 Audition
[1] Dans une demande d’arbitrage présentée le 24 septembre 2009, madame Marguerite Côté, la Bénéficiaire, conteste en vertu de l’article 19 du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (ci-après le Règlement), la décision suivante rendue le 11 décembre 2009 par l’Administrateur de la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. (ci-après l’Administrateur) :
«Considérant que la promettant acheteur a institué un recours en parallèle à sa réclamation auprès de La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ (sic) devant la Cour supérieure, réclamation devant la Cour qui englobe notamment l’entièreté de la demande présentée à La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ (sic).
En conséquence, le litige en cause relève de la juridiction de la Cour supérieure. La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ (sic) ne peut s’arroger cette juridiction et, si elle devait le faire, sa décision serait nulle et de nul effet.
Par conséquent, l’administrateur doit rejeter la demande de réclamation de la promettant acheteur à l’égard du remboursement d’acompte demandé.»
[2] L’Entrepreneur étant en situation de faillite depuis avril 2009, il y a lieu de rappeler qu’à la suite de la convocation transmise par l’Arbitre à une conférence préparatoire téléphonique, Me Sylvain Rigaud, avocat au sein de l’étude Ogilvy Renault, agissant comme procureurs du syndic de faillite, Ernst & Young inc. confirmait à l’Arbitre par courrier électronique en date du 25 février 2010 avec copie aux autres parties, «que EYI, en capacité de syndic à la faillite de 9137-7937 Québec Inc., n’a pas d’intérêt dans cet arbitrage».
[3] Aucune objection préliminaire n’a été soulevée par les parties et, en début d’audience, les parties ont reconnu la compétence du Tribunal à entendre la demande d’arbitrage.
[4] À l’audition, le procureur de l’Administrateur a admis la situation antérieure à la demande d’arbitrage, laquelle peut se résumer comme suit : le 22 avril 2008, la Bénéficiaire signe avec l’Entrepreneur un contrat préliminaire et contrat de garantie pour l’achat d’une unité de condominium sise dans un projet désigné comme La Coupole à Sainte-Adèle. La date d’occupation y est prévue le 19 septembre 2008. Le 30 avril 2008, la Bénéficiaire verse un acompte de 39 000$ au moyen d’une traite bancaire à l’ordre de Crochetière Pétrin en fiducie et une attestation d’acompte lui est émise. Suite à l’avis de faillite de l’Entrepreneur fin avril 2009, la Bénéficiaire transmet, le 10 juin 2009, une demande de remboursement d’acompte auprès du syndic de faillite Ernst & Young inc., qui la refuse un mois plus tard. La Bénéficiaire dépose donc, le 24 juillet 2009, une requête en appel de la décision du syndic de faillite à la Cour supérieure.
LA PREUVE ET L’ARGUMENTATION
[5] Pour compléter le dossier en arbitrage, la procureure de la Bénéficiaire, Me Marie-Claude Dagenais a produit copie de deux documents déposés dans le dossier de la Cour supérieure : un désistement, en date du 7 janvier 2010, pour une portion de 35 000$ sur la réclamation initiale de 39 000$ et une déclaration de règlement hors cour, en date du 18 janvier 2010, pour un montant de 4 000$ restant dans le compte en fidéicommis de Crochetière Pétrin, avocats
[6] En effet, à l’audition, il a été mis en preuve que la traite bancaire avait été libellée à l’ordre de Crochetière Pétrin en fiducie à la demande de l’Entrepreneur en raison d’une clause particulière ajoutée au contrat, dans la section «Obligations du vendeur», laquelle se lit comme suit : «Le vendeur s’engage à procéder à l’annulation et au remboursement du promettant-acheteur antérieur (Sylvain Lavallée) et ce dans les 10 jours de l’encaissement de l’acompte A ci-haut mentionné.» Une note dans le même sens apparaît sur l’attestation d’acompte. Ainsi, on peut y lire, suivant le chiffre de 39 000$, l’ajout suivant : Émis au nom de Crochetière Pétrin in Trust (pour remboursement au promettant acheteur antérieur)»
[7] En application de ces clauses, un montant de 35 000$ a été retiré du compte en fidéicommis pour rembourser monsieur Sylvain Lavallée, le premier promettant acheteur sur l’immeuble pour lequel la Bénéficiaire a signé le contrat préliminaire et contrat de garantie. Ce n’est toutefois qu’après avoir intenté le recours en Cour supérieure que la Bénéficiaire a été informée que le montant de 35 000$ ne pouvait lui être remboursé, d’où la demande de réclamation d’un acompte de 35 000$ auprès de l’Administrateur.
[8] Interrogée à l’audition sur les raisons justifiant cet ajout au contrat, la Bénéficiaire a témoigné à l’effet que M. Lavallée ne voulait plus le condo. On lui aurait expliqué que 35 000$ seraient remis à monsieur Lavallée et qu’elle bénéficierait de la même protection à l’égard de la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ. Elle n’aurait jamais accepté de signer si elle avait cru que l’acompte versé n’était pas garanti.
[9] En contre-interrogatoire, la Bénéficiaire indique qu’elle a accepté cette procédure parce que «ça marchait tout comme cela». Elle n’a pas consulté l’Administrateur avant de signer car elle se croyait protégée.
[10] La procureure de la Bénéficiaire a fait entendre Me Esther Saint-Amour, avocate chez Crochetière Pétrin , procureurs de l’Entrepreneur au moment de la signature, par la Bénéficiaire, du contrat préliminaire et contrat de garantie.
[11] Me Saint-Amour témoigne à l’effet qu’à l’expiration du délai dont la Bénéficiaire disposait pour changer d’idée, le remboursement a été effectué à monsieur Lavallée, tel que prévu au contrat signé par la Bénéficiaire. À la question de savoir si elle considérait cette procédure désavantageuse pour la Bénéficiaire, Me Saint-Amour répond : «Si j’avais pensé à cette époque que madame Côté était désavantagée, je ne l’aurais pas fait» et ajoute que l’objectif de sa cliente était de terminer la construction du projet La Coupole.
[12] En contre-interrogatoire, Me Saint-Amour explique que Madame Sabourin, représentante de la compagnie de l’Entrepreneur, cherchait de nouveaux acheteurs pour les promettant acheteurs qui voulaient se désister. Toutefois, même si d’autres cas se sont présentés et que de nouveaux acheteurs ont été trouvés, les transactions n’ont finalement pas eu lieu. Seul le dossier de la Bénéficiaire s’est concrétisé.
[13] Me Saint-Amour indique qu’elle n’était pas présente à la signature du contrat préliminaire mais qu’elle a discuté avec sa cliente, madame Sabourin, de la note de remboursement ajoutée au contrat préliminaire. Elle ajoute : «Pour nous, madame Côté était protégée» Elle n’a cependant pas vérifié auprès de l’Administrateur avant de procéder ainsi. Me Saint-Amour ne sait pas non plus pourquoi monsieur Lavallée s’est désisté et n’a pas vérifié le bien-fondé de sa demande de remboursement vu que celui-ci avait donné un dépôt qui avait servi à la construction de La Coupole.
[14] À la question de Me Marcoux sur les difficultés financières de l’Entrepreneur, Me Saint-Amour admet que des hypothèques légales avaient été enregistrées mais sa cliente avait réussi à obtenir du financement d’une institution financière. Elle confirme que, dans l’entente de financement, l’Entrepreneur n’avait pas le droit de procéder à des remboursements et que la Banque n’aurait pas accepté qu’elle utilise l’acompte de 35 000$ versé par la Bénéficiaire si celle-ci avait acheté une autre unité que celle de monsieur Lavallée.
[15] En argumentation, la procureure de la Bénéficiaire, Me Dagenais, représente que la décision de l’Administrateur n’a pas lieu d’être car il n’y a plus de cause à la Cour supérieure. Le désistement remettant les parties dans l’état où elles étaient avant, la réclamation auprès de la Garantie est la seule qui existe. S’appuyant sur l’article 32 du Règlement, Me Dagenais soutient que la Bénéficiaire est subrogée dans les droits du premier promettant acheteur et que la preuve démontre que c’était là l’intention et la compréhension des parties.
[16] Référant aux articles 26 et 30 du Règlement, Me Dagenais argue qu’outre la limite du montant à 39 000$, le Règlement ne contient aucune exclusion relative à la couverture des acomptes versés par un promettant acheteur d’un immeuble inscrit à la Garantie. Qui plus est, en vertu de l’article 140 du Règlement, le bénéficiaire ne peut renoncer aux droits que lui confère le Règlement. Elle ajoute que, advenant la prétention de l’Administrateur à l’effet que la Bénéficiaire a consenti, le Tribunal doit appliquer l’article 5 du Règlement qui stipule : « toute disposition d'un plan de garantie qui est inconciliable avec le présent règlement est nulle.»
[17] Finalement, plaide-t-elle, conformément à l’article 1432 du Code civil du Québec[2] le contrat doit être interprété en faveur du bénéficiaire. S’il y a eu des manœuvres non-conformes qui ont été utilisées par l’Entrepreneur, la Bénéficiaire n’a pas à en souffrir. Si tel était le cas, c’est vers l’Entrepreneur que l’Administrateur devrait se tourner.
[18] Pour sa part, le procureur de l’Administrateur, Me Marcoux, plaide que l’acompte versé dans le compte en fidéicommis doit servir à la construction de l’immeuble. Les notes ajoutées au contrat préliminaire et de garantie ainsi qu’à l’attestation d’acompte démontrent que la Bénéficiaire a consenti à ce que son argent serve à des fins autres que celles prévues au contrat.
[19] Me Marcoux argue que le 22 avril 2008, l’Entrepreneur et la Bénéficiaire ont créé une perte sans consulter l’Administrateur, caution de l’Entrepreneur. L’Entrepreneur aurait dû demander au premier promettant acheteur, monsieur Lavallée de s’adresser à l’Administrateur plutôt que de le rembourser via l’acompte versé par la Bénéficiaire. Il ajoute qu’il y avait peut-être des raisons de lui refuser le remboursement.
[20] De plus, plaide-t-il, l’économie générale du Règlement est fondée sur les possibilités de pertes alors qu’en l’espèce, on parle d’une certitude à laquelle le bénéficiaire a consentie. Il serait donc inéquitable et contraire à l’article 116 du Règlement que l’Administrateur soit condamné à payer une perte créée dès le début.
[21] Enfin, Me Marcoux soutient que la Bénéficiaire n’est pas un acquéreur subséquent au sens de l’article 32 du Règlement et, dans l’éventualité où on pourrait en venir à cette conclusion, il y a déjà eu un remboursement d’acompte sur l’immeuble et il ne peut y en avoir deux.
L’ANALYSE ET LA DÉCISION
[22] Avant d’amorcer l’analyse pour disposer du litige, il y a lieu de rappeler que le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Ainsi, bien que l’arbitre puisse interpréter certains articles du code civil ou du code de procédure civile dans l’application de son mandat, il doit fonder sa décision sur les dispositions du Règlement.
[23] Le présent arbitrage porte sur une décision de l’Administrateur qui a rejeté une demande de remboursement d’un acompte au motif qu’un recours parallèle avait été institué en Cour supérieure par la promettant acheteur. Toutefois, le désistement produit au dossier de la Cour supérieure ayant eu pour effet de remettre «les choses dans l'état où elles auraient été si la demande à laquelle il se rapporte n'avait pas été faite»[3], les parties ont, lors de l’audition, plaidé le fond du litige, c’est-à-dire le droit au remboursement de l’acompte.
[24] Par conséquent, la question à laquelle doit répondre l’arbitre est la suivante : l’acompte versé par la promettant acheteur est-il protégé par la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ ?
[25] Il convient d’abord de rappeler les dispositions pertinentes du Règlement :
7. Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévues par la présente section.
[…]
26. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
1° dans le cas d'un contrat de vente:
a) soit les acomptes versés par le bénéficiaire;
b) soit le parachèvement des travaux lorsque le bénéficiaire est détenteur des titres de propriété et qu'une entente à cet effet intervient avec l'administrateur;
[…]
30. La garantie d'un plan relative à un bâtiment détenu en copropriété divise est limitée aux montants suivants:
1° pour les acomptes, 30 000 $ par fraction prévue à la déclaration de copropriété; (39 000 $ pour les travaux de construction débutant à compter du 7 août 2006)
[…]
[26] Il est en preuve que la Bénéficiaire a versé un acompte de 39 000$ et qu’elle n’a pas pris possession de l’immeuble en raison de la faillite de l’Entrepreneur. Il est également en preuve que l’immeuble est inscrit à la Garantie et que l’Entrepreneur est incapable de respecter le contrat intervenu avec la Bénéficiaire. Dans ces seules circonstances, il est clair qu’en application de l’article 26, le remboursement de l’acompte à la Bénéficiaire ne susciterait aucun questionnement.
[27] En l’espèce, la situation particulière réside dans le fait que la Bénéficiaire, par les inscriptions ajoutées au contrat et à l’attestation d’acompte, a en quelque sorte succédé à un premier promettant acheteur qui s’est désisté et l’acompte qu’elle a versé a servi au remboursement au premier promettant acheteur, de son propre dépôt. Il va sans dire qu’il s’agit là d’une situation pour le moins inusitée.
[28] Me Dagenais, procureure de madame Côté, a fait valoir que la Bénéficiaire devait être considérée comme un acquéreur subséquent au sens de l’article 32 du Règlement qui stipule que « La garantie d'un plan bénéficie à tout acquéreur subséquent pour le terme qui reste à courir à la garanti». Pour sa part, le procureur de l’Administrateur prétend qu’il n’en est rien et que, si c’était le cas, il ne pourrait y avoir deux acomptes. L’Arbitre souscrit aux prétentions de l’Administrateur car l’article 32 du Règlement vise l’application de la garantie qui reste à courir, à tout acquéreur qui achète d’un propriétaire bénéficiant déjà de la garantie, ce qui n’est pas le cas ici, la propriété n’ayant jamais été transférée au premier promettant acheteur.
[29] Me Marcoux a également représenté que l’Entrepreneur aurait dû laisser le premier promettant acheteur s’adresser à l’Administrateur car il y avait peut-êre des motifs de refuser le remboursement de l’acompte. C’eût probablement été souhaitable mais il s’agit là de pures hypothèses dont l’Arbitre n’a pas à tenir compte dans le cadre de son mandat.
[30] L’Administrateur, par son procureur, a par ailleurs longuement insisté sur le présumé consentement de la Bénéficiaire à ce que son argent serve à d’autres fins que celles prévues au contrat. Ce faisant, Me Marcoux semble induire qu’elle aurait renoncé à l’éventuelle application de la Garantie en regard de l’acompte versé. Toutefois, il importe peu que la Bénéficiaire ait volontairement participé à la manœuvre puisque les articles 139 et 140 du Règlement établissent clairement le régime qui gouverne les parties au contrat de garantie.
139. Toute clause d'un contrat de garantie qui est inconciliable avec le présent règlement est nulle.
140. Un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère le présent règlement
[31] Les tribunaux ont depuis longtemps reconnu le caractère d’ordre public du Règlement.. À titre d’exemple, l’Arbitre réfère aux propos de l’Honorable Pierrette Rayle qui énonçait les motifs du jugement de la Cour d’Appel dans une cause en révision judiciaire d’une décision arbitrale :
« […] Autrement dit, les bénéficiaires, en optant pour une demande d’exécution en nature, renonceraient à l’avance à l’autre forme de protection offerte. Cette conséquence est non seulement contraire à l’objectif rémédiateur de la Loi, elle viole les dispositions expresses des articles 139 et 140 du Règlement …»[4]
Suivant cette interprétation de la Cour d’Appel, l’arbitre Alcide Fournier écrit :
« Ainsi, la convention privée signée devant le notaire ne peut modifier le règlement sur le plan de garantie et doit être considérée nulle et non avenue pour les fins dudit règlement.» [5]
[32] Enfin, selon l’Administrateur, en acceptant que l’argent serve au remboursement du premier promettant acheteur, la Bénéficiaire et l’Entrepreneur ont créé une certitude de perte dont la caution, qui n’a pas été consultée ni avisée, ne devrait pas être tenue responsable. De l’avis du Tribunal, quoique Me Saint-Amour ait témoigné à l’effet qu’elle n’a jamais pensé que la Bénéficiaire puisse être pénalisée et que l’Entrepreneur a toujours eu l’intention de terminer la construction du projet, il demeure que la stratégie conçue pour rembourser monsieur Lavallée est discutable, voire irrégulière en regard de la caution.
[33] Toutefois, sans porter de jugement sur quelque responsabilité des parties qui pourrait être engagée ou établie devant d’autres instances, l’Arbitre ne peut tenir compte des prétentions de l’Administrateur dans le cadre de son mandat. À cet égard, le Tribunal souscrit aux propos de l’arbitre Johanne Despatis dans Mylaine Pouliot et Jean-Philippe Rivest et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ et Groupe CFR Inc. :
Le litige porté devant moi a uniquement trait à une demande de remboursement d’acomptes ordonné en vertu du Règlement. La question de savoir si certains agissements et omissions des bénéficiaires, ou de représentants ou conseillers de ceux-ci auraient empêché l’entrepreneur de rencontrer ses obligations au sens du Règlement n’est pas pertinente à ce litige.
[…]
La question est simple : en vertu du Règlement, l’administrateur est ultimement obligé de cautionner auprès d’acheteurs d’immeubles en construction certaines obligations des entrepreneurs adhérant au Règlement. L’arbitrage prévu à ce Règlement porte toujours sur, et seulement sur, la résolution de différends nés des décisions rendues en vertu du Règlement, au sujet de réclamations présentées également en vertu du Règlement.»[6]
Dans le même esprit, l’arbitre Jeffrey Edwards écrit :
Le Tribunal d’arbitrage considère qu’il est de l’esprit du Règlement de protéger les consommateurs à l’encontre d’un abus des entrepreneurs. . […]
Le Règlement a été mis en place notamment pour protéger les bénéficiaires en cas d’insolvabilité de l’entrepreneur. À notre avis, cette même protection existe en vertu du Règlement à l’égard de fausses représentations et/ou dol commis par un entrepreneur envers le consommateur. […][7]
[34] En définitive, l’Arbitre n’a pas à se demander si, comme le prétend Me Marcoux, il serait inéquitable que l’Administrateur soit condamné à rembourser l’acompte versé par la Bénéficiaire alors que celle-ci savait pertinemment qu’il ne servirait pas à la construction de l’immeuble, l’ajout de la clause tant au contrat qu’à l’attestation d’acompte à ce sujet étant non avenu en vertu des articles 139 et 140 du Règlement. Le caractère d’ordre public attribué au Règlement vise justement à éviter qu’un Bénéficiaire, à qui on a représenté qu’il bénéficiait de la Garantie, comme c’est le cas ici, se voit autrement privé de cette protection par une clause spécifique ajoutée aux documents qu’il signe.
[35] En conséquence, l’acompte réclamé par la Bénéficiaire étant protégé par la Garantie, le Tribunal renverse la décision de l’Administrateur rendue le 11 décembre 2009.
DÉCISION
[36] L’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient».[8] Sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel.[9]
[37] À titre d’arbitre désignée, la soussignée est autorisée par la Régie du bâtiment du Québec à trancher tout différend découlant des plans de garantie. Il décide dans le cadre du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.
[38] En vertu de l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs et vu que le Bénéficiaire a obtenu gain de cause, les frais d’arbitrage sont à la charge de l’Administrateur;
123. Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage de la Bénéficiaire;
CONDAMNE l’Administrateur à payer à la Bénéficiaire la somme de 35 000$ dans les trente (30) jours de la présente décision arbitrale;
CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage..
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France Desjardins, avocate
Arbitre
[1] LRQ, c.B-1.1, r.0.2
[2] LQ, 1991, c.64
[3] Code de procédure civile du Québec, LRP, c. C-25, art. 264
[4] La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle et René Blanchet, ès qualité d’arbitre au CCAC, CA, 15 décembre 2004, motifs de la juge Pierrette Rayle, parag.32
[5] Gilbert Champagne et Le groupe Lagacé Habitations inc. et La garantie Qualité Habitation Inc. décision rendue le 23 juillet 2007 par l’arbitre Alcide Fournier
[6] Décision rendue le 9 novembre 2009
[7] Catherine Agudelo et Verre Azur Inc, faisant affaire sous la dénomination sociale de «IMM Habitation» (en faillite) et La Garantie abitation du Québec Inc., décision rendue le 19 septembre 2007.
[8] Article 116 du Règlement
[9] Articles 20 et 120 du Règlement