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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

Dossier no :

GAMM   :    2007-12-013

                         APCHQ :     108735-1 (07-140FL)

 

 

ENTRE :

 

 KIEU THUY TRUONG ET CAU CHIEM

 

                                                                                               (ci-après les « bénéficiaires »)

ET :

 

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ

 

                                                                                                            (ci-après l’« administrateur »)

ET :

 

BRUNELLE ENTREPRENEUR INC.

 

                                                                                                 (ci-après l’« entrepreneur »)

 

 

 

DEVANT L’ARBITRE :

 Me Johanne Despatis

 

 

Pour les bénéficiaires                                                  

Me Martin Janson

Pour l’administrateur                                                     

Me François Laplante

Pour l’entrepreneur                                                      

Me Raymond A. Daoust

Réception de la dernière correspondance 

5 février 2008

Date de la sentence                                                      

27 février 2008

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

Adjudex inc.

0710-8281-GAMM

SA-8038

INTRODUCTION

[1]            Dans une demande d’arbitrage présentée le 13 juillet 2007, madame Kieu Thuy Truong et monsieur Cau Chiem, les bénéficiaires, contestent en vertu de l’article 19 du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, ci-après le Plan, certains éléments d’un rapport daté du 20 juin 2007 rendu par la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ inc., l’administrateur, à la suite d’une inspection de leur propriété située à Montréal et construite par Brunelle Entrepreneur inc., l’entrepreneur.

[2]         La présente sentence interlocutoire porte sur un moyen d’irrecevabilité au motif de litispendance opposé par l’entrepreneur à la présente demande d’arbitrage. En substance, l’entrepreneur soutient que je ne peux valablement me saisir du recours des bénéficiaires puisqu’une autre instance judiciaire existe déjà au même effet, en l’occurrence une action en Cour supérieure, bref qu’il y a litispendance.

[3]         Une conférence téléphonique réunissant les procureurs des bénéficiaires, de l’entrepreneur et de l’administrateur, ainsi que l’arbitre, s’est tenue le 31 octobre 2007. Il y fut convenu que la tenue d’une audience n’était pas nécessaire à ce stade et que l’entrepreneur allait soumettre ses arguments par écrit et les autres parties y répondre de la même façon.

[4]         La présente affaire a ainsi été prise en délibéré le 5 février 2008, date à laquelle le procureur des bénéficiaires m’a informée qu’il n’entendait pas répliquer à l’argumentation supplémentaire de l’entrepreneur produite à la fin janvier 2008.

 

PREUVE

[5]               Les bénéficiaires signent l’acte de réception de leur maison le 29 septembre 2006. Il s’agit d’un triplex couvert par la Garantie de l’APCHQ et construit par l’entrepreneur sur un terrain leur appartenant.

[6]               Le 21 février 2007, les bénéficiaires dénoncent à l’entrepreneur et l’administrateur certains problèmes qu’ils estiment couverts par le Plan à un titre ou
à un autre.

[7]               L’administrateur charge alors monsieur Yvan Mireault, inspecteur-conciliateur, de procéder à une inspection des lieux, ce qu’il fait le 29 mai 2007 avant de rendre une décision le 20 juin suivant.

[8]         Les extraits pertinents du  rapport de l’inspecteur se lisent ainsi :

Concernant les points 3 et 4 qui suivent, nous sommes en présence de situations apparentes qui, contrairement aux exigences du contrat de garantie, n’ont pas été dénoncées par écrit au moment de la réception :

 

3. Hauteur non uniforme des contremarches de l’escalier extérieur arrière menant au sous-sol.

Le bénéficiaire dénonce que la contremarche du haut a une hauteur inférieure  aux autres.

Nous avons mesuré la contremarche réalisée à même le mur de fondation, laquelle est à ±3 pouces.

4. [...]

 

Concernant les points 5 à 14 qui suivent, l’administrateur n’a pas été en mesure, lors de l’inspection de constater la présence de malfaçons dans les matériaux et la main d’œuvre fournis par l’entrepreneur. En effet, les travaux effectués par l’entrepreneur nous sont apparus conformes aux règles de l’art et à l’usage du marché.

 

Par conséquent, la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ ne peut intervenir pour ces points.

 

5. Deux descentes d’escalier extérieures menant au sous-sol doivent être protégées contre le gel.

Concernant l’affirmation des bénéficiaires à savoir que l’excavation pour le bâtiment ainsi que les deux descentes vers le sous-sol auraient été faites au même niveau alors que les plans montraient une excavation plus profonde pour le secteur des escaliers, nous sommes en présence d’un mésentente contractuelle plutôt que d’une malfaçon, pour laquelle l’administrateur n’a pas juridiction.

Nous avons constaté, lors de notre visite, qu’un isolant de type extrudé était présent le long des murs de béton de l’escalier. L’entrepreneur nous a informé que l’ensemble des surfaces de béton des descentes sont ainsi protégées contre le gel.

Soulignons également qu’il est de la responsabilité des bénéficiaires d’effectuer les études nécessaires afin de démontrer s’il y a malfaçon et d’informer au besoin l’entrepreneur et l’administrateur de toute anomalie rencontrée.

La bénéficiaire nous a finalement indiqué n’avoir observé aucun dommage aux murs de fondation pour ces secteurs.

 

6. Linteaux d’acier au-dessus des ouvertures, aux murs extérieurs, ne sont pas tous peints.

[...]

 

7. Absence de solin aux murs extérieurs.

[...]

 

8. Pente inadéquate aux allèges extérieures des fenêtres et aux seuils des portes.

[...]

 

9. Mauvais drainage des eaux de pluie à la surface de la dalle de béton de la descente extérieure de l’escalier arrière menant au sous-sol.

[...]

 

10. Boulon d’ancrage (1) mal fixé sous la galerie avant du rez-de-chaussée.

[...]

 

11. Acier sous les marches du balcon avant qui commence à rouiller.

[...]

 

12. Support de galerie avant.

La bénéficiaire dénonce que le bas de l’escalier de la galerie avant devrait être supporté par une fondation protégée contre le gel mais elle précise ne pas savoir si cela a été fait.

Lors de notre visite, l’entrepreneur a expliqué que le bas de cet escalier d’acier repose sur un socle de béton coulé au sol.

Nous n’avons décelé aucun dommage à ces éléments et le tout nous apparait conforme aux différentes normes en vigueur.

 

13. Calfeutrage fissuré sur certains coins inférieurs des fenêtres, tant au rez-de-chaussée qu’à l’étage.

[...]

 

14. Craquements au plancher de l’étage à plusieurs endroits

[...]

 

[9]         Insatisfaits des conclusions relatives aux points 3 ainsi que 5 à 14 du rapport de l’inspecteur-conciliateur Mireault, les bénéficiaires se pourvoient en arbitrage le 13 juillet suivant.

[10]     Parallèlement, soit le 27 septembre 2007,  les bénéficiaires présentent à la Cour supérieure une requête introductive d’instance ré-amendée et re-précisée, d’une part, pour obtenir la radiation d’une hypothèque légale inscrite par l’entrepreneur contre leur propriété au registre foncier ainsi que, d’autre part, le paiement de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat d’entreprise.

[11]     En voici des extraits pertinents au présent débat :

Exécution fautive des travaux par la défenderesse

25. En sus des vices et malfaçons dénoncés conformément au plan de garantie, la défenderesse n’a pas réalisé l’immeuble conformément aux contrats et plans convenus :

[...]

 

26. En effet, l’immeuble fut construit, contrairement aux plans, de six (6) pieds seulement à l’extérieur du sol, alors que les plans prévoyaient un excédent du sol de huit (8) pieds.

 

27. Cette exécution fautive explique entre autre chose l’installation des fenêtres dans le parement de briques plutôt que sous celui-ci, et explique en outre l’intervention étrange de l’entrepreneur qui amputa le balcon arrière du rez-de-chaussée d’un carré d’une largeur égale à celle de la descente du sous-sol, afin d’éviter que les usagers s’y frappent la tête ;

 

28. Contrairement au contrat convenu, la tourelle sur le côté de gauche du bâtiment ne fut pas recouverte de briques, mais plutôt de clin de vinyle, le tout sans le consentement des demandeurs ;

 

29. Contrairement au contrat intervenu, aucune unité de lumières extérieures ne fut installée par l’entrepreneur alors que onze (11) devait à l’origine y être déployées ;

 

30. Contrairement au contrat intervenu, aucun «  ilot standard avec évier double : ne fut installé sur chaque étage du bâtiment « incluant le sous-sol » avec des sorties pour éclairage.

 

31. Enfin, contrairement au contrat, les balcons avant et arrière ne furent pas construits en ciment ;

 

[...]

32. Enfin, les demandeurs, pour des travaux de l’entrepreneur ayant nécessité l’utilisation du terrain de leur voisine pour une période nettement supérieure à celle estimée par la défenderesse, durent débourser à la voisine à titre de compensation la somme de 610,00 $ qu’ils sont bien fondés de réclamer de la défenderesse ;

 

[...]

33. Pour ces exécutions fautives ainsi que pour les retards de livraison du bâtiment, les demandeurs évaluent leurs dommages à la somme de [...]

A) modification escalier à l’arrière vers l’étage :                                           7000,00 $

B) Balcon : rez-de-chaussée                                                                      400,00

C) Pose des onze (11) luminaires dans les soffites :                            3500,00

D) Escalier avant en béton au lieu d’acier :                                       2500,00

E) Section en baie sur le côté gauche - vinyle au lieu de brique        1500,00

F) Absence d’ilots dans les cuisines                                                    1000,00

 

Le tout tel qu’il le sera plus amplement démonté lors de l’audition, et le tout tel qu’il appert d’un rapport d’expertise datée du 14 septembre 2007 de la firme Raymond Blanchette & Associés inc., [...]

 

 

PLAIDOIRIES

 

Entrepreneur

 

[12]     Se limitant essentiellement à son moyen de litispendance, le procureur écrit :

Les tribunaux sont unanimes et précisent que les critères applicables à la litispendance sont ceux qui régissent la chose jugée. Le fondement de l’analyse est toutefois différent en litispendance. De fait, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a chose jugée, le tribunal saisi a à sa disposition un jugement dont il peut évaluer les termes et la portée, ce qui lui permet de cerner de manière précise l’autorité relative de chose jugée qui devrait lui être reconnue.

 

Toutefois, en matière de litispendance, les seuls guides dont dispose la cour, c’est-à-dire dont vous disposez à titre d’arbitre dans le cas qui nous intéresse, sont les actes de procédures soumis par les requérants dans les deux instances, ainsi que les pièces qui doivent être, dans l’un et l’autre des cas, soumises pour l’appréciation de la preuve. Il en résulte donc que la détermination de la cause repose sur les allégations que l’on doit tenir pour avérées aux fins de l’analyse. En matière de litispendance, la Cour supérieure peut même, au lieu de déclarer que le recours d’une instance inférieure est irrecevable, utiliser sa compétence inhérente pour ordonner la suspension des procédures ou du recours jusqu’à ce que le tribunal (la Cour supérieure dans le cas qui nous intéresse) se prononce dans l’autre dossier. La cour peut donc adopter une approche pragmatique qui est conforme à une saine politique de l’administration judiciaire.

 

[13]     Pour le procureur, les trois critères nécessaires à un constat de litispendance sont présents en l’espèce, soit l’identité des parties, de cause et d’objet.

[14]     Passant en revue chacun de ces critères, le procureur écrit :

[...]Pour ce qui concerne l’identité des parties, il est clair que nous sommes en présence des mêmes personnes. Il y a donc identité des parties. La cause, dans le cas qui nous intéresse, est le fondement légal du droit qu’une partie, en l’occurrence les demandeurs Truong et Chiem, font valoir contre l’autre partie, en l’occurrence la défenderesse Brunelle Entrepreneur Inc.

 

En ce qui a trait à l’identité d’objet, l’idée qui doit servir de guide pour savoir s’il y a ou non identité d’objet est la suivante : en statuant sur l’objet de la demande, le juge est-il exposé à contredire une décision antérieure en affirmant un droit nié ou en niant un droit affirmé par cette précédente décision? S’il ne peut statuer qu’en s’exposant à contradiction, il y a identité d’objet.

 

[15]     Le procureur poursuit :

Un examen des différents documents produits au dossier d’arbitrage et que l’on retrouve notamment au cahier de l’administrateur, ainsi que des documents auxquels réfère la requête introductive d’instance susdite, ainsi que des documents produits au soutien de la réclamation formulée par cette requête introductive d’instance nous révèle que les documents sont essentiellement les mêmes. Il ne s’agit pas d’une seule identité de documents dans un dossier comme dans l’autre, mais d’une demande similaire sur la part léonine des aspects de ce que réclament les bénéficiaires tant au dossier d’arbitrage qu’à titre de demandeur dans le dossier des procédures dirigées devant la Cour supérieure contre l’entrepreneur [...]. 

 

[16]     Procédant à comparer les demandes présentées dans les deux instances ainsi que les documents produits à leur soutien, dont notamment deux rapports d’expertises, le procureur affirme qu’il y a risque de décisions contradictoires dans la mesure où les bénéficiaires demandent ici que soient révisés les points 3 à 14 de la décision rendue par l’administrateur le 20 juin 2007 alors qu’il demanderaient substantiellement la même chose dans leur procédure judiciaire ré-amendée.

[17]     Le procureur soutient également, qu’en saisissant la Cour supérieure, les bénéficiaires ont fait un choix aux termes du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Pour le procureur, lorsque le bénéficiaire est insatisfait d’une décision de l’administrateur, il doit soumettre son recours à l’arbitrage et ne peut exercer aucun autre recours. Le procureur ajoute :

Conséquemment, pour que la garantie s’applique, la soumission à l’arbitrage est obligatoire [...]. Le bénéficiaire conserve toujours son droit de se présenter devant un tribunal de droit commun bien qu’alors, l’exercice d’un tel choix de sa part emportera renonciation à se prévaloir de la garantie supplémentaire accordée par le règlement.

 

 Comme les bénéficiaires ont décidé de porter leurs recours devant la Cour supérieure [...] cela emporte conséquemment - et c’est notre prétention - renonciation à se prévaloir de la garantie supplémentaire accordée par le règlement. Il est donc, ne serait-ce que sur ce seul aspect, impossible à l’arbitre désigné de continuer à agir dans les circonstances actuelles, si l’on veut que le règlement rencontre les exigences de la saine administration de la justice et du principe de la cohérence des décisions. [...]

 

Considérant les éléments que nous avons soulevés ci-haut, considérant également les dispositions du Règlement [...], considérant enfin que la Cour supérieure doit désormais se prononcer sur l’ensemble du dossier a quo, nous vous demandons, en toute déférence, de surseoir à l’audition dans cette affaire jusqu’à ce que la Cour supérieure ait rendu sa décision.

[Caractères gras ajoutés]

 

Bénéficiaires

 

[18]     Le procureur des bénéficiaires nie qu’il y ait litispendance en l’espèce. Selon lui, en effet, deux des trois critères d’application de cette règle n’y sont pas rencontrés : ceux de l’identité de parties et de l’identité d’objet.

[19]     Le procureur ajoute :

Nous sommes d’accord avec le fait qu’en matière de litispendance, les seuls guides dont vous disposez afin de prendre une décision, sont les actes de procédures ainsi que les pièces à leur soutien. [...] la litispendance suppose l’identité de parties, de cause et d’objet. La jurisprudence applicable est cependant claire : l’identité de ces éléments doit être clairement prouvée. Tout doute concernant l’existence d’une véritable identité doit être résolu contre la partie qui l’invoque. La crainte de jugements contradictoires n’est donc pas suffisante en soi pour conclure à la litispendance.

 

[20]     Ainsi, selon le procureur, nous ne sommes pas en présence des mêmes parties en outre qu’elles ne sont pas impliquées au même titre dans l’un et l’autre recours.

[21]     Le procureur poursuit :

[...] la mission de l’arbitre est de déterminer si le plan de garantie s’applique et, le cas échéant, d’ordonner à l’entrepreneur l’exécution de travaux correctifs. Dans le cadre du dossier civil sous étude, il s’agit non pas de demander à l’entrepreneur d’exécuter des travaux mais de lui réclamer une somme d’argent pour des travaux qui, par ailleurs, ne font pas partie de la demande d’arbitrage. 

 

[22]     S’agissant de la production par ses clients dans les deux instances de deux rapports d’expertise se recoupant, le procureur nie qu’on puisse y voir la preuve de l’identité d’objet entre l’une et l’autre instance.

[23]     Il poursuit :

[...] une simple lecture des dossiers permet d’arriver facilement à la conclusion qu’il ne s’agit pas des mêmes demandes, [...]. En effet, les points soulevés en arbitrage traitent de malfaçons qui sont couvertes par la garantie. Ces points ne se retrouvent aucunement dans le dossier civil, lequel traite de plusieurs autres éléments que l’on retrouve dans les rapports de monsieur Blanchette, mais qui selon nous n’étaient pas couverts par le plan de garantie.

 

[...]

Il n’y a donc aucunement identité d’objet entre les dossiers. L’un traitant de malfaçons couvertes par le plan de garantie, l’autre traitant de malfaçons ou vices non couverts par le plan de garantie ou de réalisation non conformes aux plans et devis. 

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

[24]     Il s’agit de décider s’il y a litispendance entre le recours exercé en Cour supérieure et celui exercé en arbitrage, une question que les trois parties paraissent reconnaitre de ma compétence.

[25]     Trois conditions sont requises pour qu’il y ait litispendance : identité de parties, de cause et d'objet. En l’espèce, l’identité de cause n’est pas en litige, seules celles des parties et de l’objet le sont.

[26]     Qu’en est-il de l’identité de parties?

[27]     Voici ce qu’affirme à ce sujet la Cour d’appel dans Safilo Canada Inc. c. Chic Optic inc., 2004 CanLII 46683 (QCCA) :

[31] En ce qui a trait à l’identité de parties, il faut préciser d’entrée de jeu que cela tient à la qualité des parties et non pas à la position qu’elles occupent dans le litige [...].  En l’instance, le fait que l’appelante soit désignée comme requérante en Cour fédérale et intimée en Cour supérieure n’est donc pas pertinent [...].

 

[32] Quant à la présence en Cour supérieure des membres du Groupe Aspex, en tant que codemanderesses, elle ne permet pas d’écarter l’identité de parties (Birdsall Inc. c. In Any Event Inc., 1999 CanLII 13874 (QC C.A.), [1999] R.J.Q. 1344 (C.A.); Dorion (Ville de) c. Union canadienne (L’) compagnie d’assurances, [1993] R.D.J. 231 (C.A.)). [...]

 

[28]     De même, dans l'arrêt Ville de Dorion c. Union canadienne, compagnie d’assurances, 1992 CanLII 3649 (QC C.A.), la Cour d’appel a confirmé qu'il y a identité de parties lorsqu'un défendeur est partie à deux actions entreprises par le même demandeur. Le fait d'ajouter d'autres défendeurs à l’une ou l’autre ne change au rien à la situation de celui qui est poursuivi deux fois. Dans cet arrêt, la Cour écrit :

Il faut considérer ici le seul cas de Dorion. Que l'on ajoute d'autres défendeurs, sa situation demeure la même.  Elle est partie à deux actions entreprises par la même demanderesse et portant sur le même objet. Elle peut en principe être condamnée deux fois ou faire l'objet de jugements contradictoires.

 

[29]     En  l’espèce, il existe identité de parties puisque les deux recours sont intentés par les mêmes personnes, les bénéficiaires, contre, notamment, l’entrepreneur.

[30]     Dans ce contexte, le premier critère, celui de l’identité des parties est rencontré.

[31]     Qu’en est-il de l’identité d’objet?

[32]     Cette notion est analysée de la façon suivante par la Cour suprême dans l’arrêt Rocois Construction c. Quebec Ready Mix, [1990] 2 RCS 440  :

Nadeau et Ducharme, dans le Traité de Droit civil du Québec, [...], définissent comme suit l'"objet" d'une action en justice: 

L'objet, dans une action, c'est le droit que le plaideur exerce; c'est le bénéfice juridique immédiat qu'il veut faire reconnaître par le tribunal.

[...]

 Il n'est donc pas nécessaire que les deux demandes concluent à des condamnations identiques; il suffit que l'objet de la seconde action soit implicitement compris dans l'objet de la première. [Les renvois sont omis.]

 Dissertant dans son traité Le droit civil canadien, t. 6, 1902, sur les conditions requises pour qu'il y ait chose jugée, Mignault écrit sur l'objet d'une demande le commentaire suivant, à la p. 105: 

C'est évidemment le bénéfice juridique immédiat qu'on recherche en la formant, soit le droit dont on poursuit l'exécution [...].

 [...] mais il importe de compléter la règle en disant qu'il n'est pas nécessaire que les deux demandes concluent identiquement à la même condamnation, mais qu'il y aura chose jugée dès que l'objet de la seconde action se trouve implicitement compris dans l'objet de la première.

[...] 

Les auteurs s'accordent pour dire que l'identité de ce qui est réclamé dans l'une et l'autre des demandes n'a pas à être absolue pour que l'on puisse conclure à l'identité d'objet.  Il est bien admis que lorsqu'il s'agit de la réclamation d'un montant d'argent, l'identité parfaite des sommes demandées n'est pas requise [...]

 

 Il est vrai qu'il ne s'agit pas ici d'un montant supérieur ou additionnel réclamé en vertu de la même règle de droit mais à mon avis, les indemnités distinctes réclamées par l'appelante dans les deux instances ne touchent pas le véritable objet des demandes qui est, dans un cas comme dans l'autre, la réparation d'un seul et même préjudice chiffré à un million de dollars.  Les indemnités qui diffèrent d'une demande à l'autre viennent se greffer au chef de dommage principal et n'en sont à mon avis que les accessoires.  Il serait en effet difficilement concevables que l'on puisse réclamer ces indemnités dans une action distincte; elles dépendent du principal et n'ont aucune existence indépendante.  [...]

[Caractères gras ajoutés]

 

[33]     L’identité d’objet renvoie au bénéfice juridique immédiat qu’une partie veut faire reconnaître.

[34]     En l’espèce, pour nos fins, hormis la demande de radiation, le bénéfice immédiat recherché devant la Cour supérieure est une condamnation de l’entrepreneur à verser aux bénéficiaires à titre de dommages une somme d’argent en raison du défaut allégué de ce dernier de respecter les termes d’un contrat d’entreprise. Plus précisément, les bénéficiaires soutiennent que l’immeuble construit par l’entrepreneur n’a pas été réalisé conformément aux plans convenus dans le contrat d’entreprise intervenu entre eux.

[35]     Dans ce dernier recours, il n’est pas question de malfaçons: les bénéficiaires y soutiennent plutôt que (1) l’immeuble aurait été construit 6 pieds au-dessus du sol alors que, selon les plans, il devait l’être à 8 pieds; (2) qu’une tourelle située du côté gauche devait être couverte de briques et ne l’a pas été; (3) qu’il manquerait des luminaires extérieurs ou encore, (4) un ilot standard à chaque étage avec sorties pour éclairage; et finalement, (5) que les balcons avant et arrière ne seraient pas construits en ciment comme stipulé au contrat.

[36]     En revanche, le bénéfice immédiat recherché en arbitrage est, d’une part, une déclaration à l’effet que les différents éléments énumérés aux points 3 ainsi que 5 à 14 de la décision de l’administrateur sont affectés de malfaçons au sens du Plan et d’autre part, une ordonnance à l’entrepreneur de corriger ces malfaçons, et à défaut par lui de le faire, une ordonnance à l’administrateur d’y procéder.

[37]     Pour conclure qu’il y a identité d’objet entre les instances engagées en Cour supérieure et en arbitrage, je devrais me convaincre que les conclusions recherchées devant moi le sont également nécessairement dans la condamnation recherchée devant la Cour supérieure. Autrement dit, que le jugement éventuellement rendu à l’égard des unes vaudrait nécessairement à l’égard des autres. 

[38]     En Cour supérieure, le but recherché est de faire déclarer l’entrepreneur en défaut à l’égard de l’exécution de certaines de ses obligations contractuelles du fait de pas avoir livré la bâtisse convenue, avec pour sanction le paiement de dommages intérêts. A l’arbitrage, on ne cherche pas une indemnisation monétaire mais plutôt une déclaration que certains éléments de la bâtisse livrée sont ponctuellement affectés de malfaçons au sens du Plan, malfaçons donnant ouverture à un recours en vertu du Plan.

[39]     Selon le Plan, le bénéfice susceptible d’être recherché à l’arbitrage, donc son objet, est la résolution d’un différend né d’une décision rendue par l’administrateur suite à une réclamation assujettie au Plan. Est-ce à dire qu’il ne pourrait jamais y avoir identité d’objet? Sûrement pas, mais c’est là une question de fait susceptible de réponses différentes dépendamment de ce qui ressort des actes de procédures.

[40]     En l’espèce, l’initiative de la demande d’arbitrage revient aux bénéficiaires. Ceux-ci contestent des éléments de la décision de l’administrateur qui a jugé non couverts par le Plan certaines choses que lui ont réclamées les bénéficiaires, toutes des choses étrangères à l’objet de leur réclamation judiciaire. 

[41]     Il est vrai que certains éléments de la décision de l’administrateur se retrouvent par ailleurs dans la procédure engagée en Cour supérieure. Or, ces éléments ne sont pas en arbitrage. Il s’agit de ceux que l’administrateur a écartés parce que résultant selon lui  d’une mésentente contractuelle, donc d’une situation aucunement couverte par le Plan. C’est le cas notamment des luminaires extérieurs et de l’excavation.

[42]     Au sujet des luminaires, l’administrateur écrit en rejetant la réclamation à ce sujet :

 Nous sommes d’avis que la situation relève d’une mésentente contractuelle plutôt que d’une malfaçon. 

 

[43]     Plus loin, l’administrateur écrit ceci au sujet de l’excavation :

Concernant l’affirmation des bénéficiaires à savoir que l’excavation pour le bâtiment ainsi que les deux descentes vers le sous-sol auraient été faites au même niveau alors que les plans montraient une excavation plus profonde pour le secteur des escaliers, nous sommes en présence d’un mésentente contractuelle plutôt que d’une malfaçon, pour laquelle l’administrateur n’a pas juridiction.

 

[44]     Or, le recours exercé devant l’arbitre ne concerne pas ces éléments. Il ne faut pas confondre les choses : le rapport de l’administrateur n’est pas une procédure judiciaire ni une procédure arbitrale.

[45]     Les bénéficiaires dans leur recours en arbitrage ne contestent pas ces affirmations au sujet du caractère contractuel de ces réclamations et, du coup, que de telles réclamations ne ressortissent pas du Plan. Il s’agit là d’illustrations on ne peut plus éloquentes du caractère certes voisin mais néanmoins distinct des deux recours : l’un contractuel, bilatéral, et l’autre extracontractuel : règlementaire et multilatéral dans la mesure où y figurent obligatoirement non seulement un bénéficiaire et un entrepreneur mais aussi l’administrateur. 

[46]     En conséquence, faute pour les recours étudiés d’avoir le même d’objet, le moyen d’irrecevabilité est rejeté et conséquemment la demande de sursis. Je convoquerai donc une audience au fond afin d’entendre la réclamation dont je suis saisie. 

[47]     Je déclare que les coûts d’arbitrage relatifs à la présente sont à la charge de l’administrateur.

Montréal, le 27 février 2008

 

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Johanne Despatis, avocate

Arbitre

                       

 

Adjudex inc.

0710-8281-GAMM

SA-8038