SENTENCE ARBITRALE
ARBITRAGE EN VERTU DU
RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la
Régie du bâtiment : Le Groupe d’arbitrage
et de médiation sur mesure (GAMM)
MME KARINE GAGNON
et
M. RICHARD LAVICTOIRE,
bénéficiaires;
- et -
LE GROUPE TRIGONE
CONSTRUCTION INC.,
entrepreneur;
- et -
LA GARANTIE DES BÂTIMENTS
RÉSIDENTIELS NEUFS DE
L’APCHQ INC.,
administrateur.
M. Claude Dupuis, ing., arbitre
Audience tenue à Beloeil le 22 octobre 2003
Sentence rendue le 13 novembre 2003
I : INTRODUCTION
[1] À la demande de l’arbitre, il y eut visite des lieux le matin à la résidence des bénéficiaires, en présence des parties; par la suite, l’audience s’est poursuivie dans les locaux de l’entrepreneur à Beloeil.
[2] Les bénéficiaires étaient représentés par M. Richard Lavictoire, l’entrepreneur par Me Raymond A. Daoust et l’administrateur par Me Sonia Beauchamp.
[3] Dans leur dénonciation écrite datée du 1er avril 2003, les bénéficiaires mentionnaient le fait que la semelle de fondation devant la porte de garage n’était pas suffisamment protégée contre les effets du gel, cette semelle étant à moins de 600 mm sous le niveau du sol. Dans son rapport daté du 28 juillet 2003, l’administrateur rejetait cette réclamation car les bénéficiaires, selon lui, n’avaient pas été en mesure de démontrer la présence d’un vice caché.
[4] À la suite de l’émission de ce rapport d’inspection, les bénéficiaires ont communiqué avec l’administrateur pour lui indiquer que « la profondeur actuelle de la semelle de fondation ne leur permettait pas de recouvrir leur entrée de garage en asphalte ». En date du 25 août 2003, l’administrateur a donc émis un rapport d’inspection supplémentaire relativement à la pose de l’asphalte, accompagné d’une expertise géotechnique de la firme Inspec-Sol inc.; encore une fois, ce rapport rejetait la demande des bénéficiaires.
[5] En cours d’enquête, les témoins suivants furent entendus :
M. Richard Lavictoire, bénéficiaire
Mme Nicole Bergeron, propriétaire d’une maison d’habitation
M. François Deslauriers, ingénieur
M. André Houle, estimateur
M. Jocelyn Dubuc, conciliateur
M. Denis Roy, ingénieur, M.B.A.
[6] En appui à sa position, la procureure de l’APCHQ a déposé les documents suivants :
« Décret 841-98, 17 juin 1998 - Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs », « Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs », « Décret 842-98, 17 juin 1998 - Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs : Entrée en vigueur », Gazette officielle du Québec. Partie 2, vol. 130, no 27, 30 juin 1998, p. 3484-3506. « Décret 920-2001, 31 juillet 2001 - Bâtiments résidentiels neufs : plan de garantie, modifications », « Règlement modifiant le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs », Gazette officielle du Québec. Partie 2, vol. 133, no 33, 15 août 2001, p. 6034-6035.
Pierre-Gabriel JOBIN. La vente dans le Code civil du Québec, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., p. 119-129.
Léo DUCHARME. L’administration de la preuve, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 1995, p. 85-86.
Clyvanor ltée c. Champagne, M. le juge Jean-Paul Aubin, C.P. Beauce 350-02-000726-849, 1985-10-18.
La Fédération compagnie d’assurance (Canada) c. Marois, M. le juge Claude Rioux, C.S. Québec 200-05-001187-934, 1994-08-16.
Madame Sylvana D’Amico et Mario Graziano c. Gilles Voyer ltée et La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ, arbitrage en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, Me Daniel Lavery, arbitre, 2003-05-14.
II : DÉCISION ET MOTIFS
a) Objection préliminaire
[7] En cours d’enquête, la procureure de l’administrateur a émis une objection préliminaire en faisant valoir que dans le présent dossier, il existe deux réclamations distinctes, soit la profondeur de la semelle et la pose d’asphalte. Or, comme le rapport de l’administrateur sur la profondeur de la semelle est daté du 28 juillet 2003, la demande d’arbitrage datée du 4 septembre 2003 est donc, selon la procureure, hors délai.
[8] La preuve a démontré que tout le processus de réclamation s’est déroulé de façon continue. À la suite de l’émission du premier rapport de l’administrateur, les bénéficiaires ont communiqué avec ce dernier pour lui faire part de la situation concernant l’asphalte.
[9] L’administrateur a alors convenu de procéder, selon ses propres termes, à une inspection supplémentaire. De plus, cette deuxième inspection faisait intervenir les mêmes éléments que la première, soit les panneaux d’isolant ainsi que le dessus de la dalle de béton. Il ne s’agissait pas d’éléments étrangers au contenu du premier rapport, tels que la toiture ou une rampe d’escalier.
[10] Les bénéficiaires ont agi de façon logique en attendant l’émission du second rapport avant de soumettre leur demande.
[11] Pour ces motifs, l’objection préliminaire relative au délai de demande d’arbitrage est rejetée.
b) Objection à la preuve
[12] En cours d’enquête, les bénéficiaires ont déposé cinq documents, soit quatre rapports d’inspection et une lettre d’un inspecteur, tous provenant de l’APCHQ et ayant trait à des habitations résidentielles construites par Le Groupe Trigone construction inc. à proximité de la propriété des bénéficiaires dans la présente affaire.
[13] Selon ces derniers, les réclamations ayant trait à ces habitations faisaient état de situations similaires à la leur et tous les rapports d’inspection déposés ont été favorables aux requérants.
[14] La procureure de l’APCHQ ainsi que le procureur de l’entrepreneur se sont opposés au dépôt de ces documents.
[15] Tout d’abord, il n’existe aucune preuve à l’effet que ces situations étaient similaires à celle qui nous concerne. Le témoignage de Mme Nicole Bergeron n’a pas non plus été probant. Chaque cas peut constituer un cas d’espèce selon les conditions du sol, les conditions de drainage, etc.
[16] Pour obtenir une preuve probante, il aurait fallu entendre le ou les experts ayant rédigé ces rapports et s’assurer de la similarité de tous les cas, incluant celui qui nous intéresse.
[17] Dans une affaire de La Fédération compagnie d’assurance (Canada) c. Marois[1], M. le juge Claude Rioux de la Cour supérieure s’exprimait ainsi à la page 5 :
(...) Le rapport d’expertise appartient à la demanderesse, qui devra le produire, en vertu des règles de divulgation de la preuve, si elle entend faire témoigner l’expert qui a préparé le rapport. (...)
[18] Pour ces motifs, le soussigné accueille favorablement l’objection des procureurs de l’APCHQ et de l’entrepreneur.
c) Sur le fond
[19] Dans leur réclamation, les bénéficiaires invoquent une non-conformité de la profondeur de la semelle de fondation qui est à 24 pouces du niveau du sol, alors que la ligne de gel se situe à 48 pouces de ce niveau.
[20] Subsidiairement, en cours de route, les bénéficiaires ont dénoncé le fait que la profondeur actuelle de la semelle de fondation ne leur permettait pas de recouvrir leur entrée de garage d’asphalte ou de tout autre revêtement.
[21] Les bénéficiaires invoquent de plus le fait que la profondeur de la semelle est ainsi de beaucoup inférieure à celle indiquée sur le plan de construction (60 pouces) et soumettent que le Code national du bâtiment exige que toute modification soit inscrite sur le plan et que ce dernier soit déposé à la municipalité.
[22] La couverture de garantie du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs est indiquée à l’article 10 du décret :
10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
1° le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les trois jours qui suivent la réception;
2° la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l’article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les trois jours qui suivent la réception;
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les trois ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les cinq ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.
Le défaut de se conformer aux règles de l’art ou à une norme en vigueur applicable au bâtiment, notamment celles contenues au Code national du bâtiment du Canada, au Code canadien de l’électricité et au Code de plomberie, constitue une malfaçon sauf s’il ne porte pas atteinte ou n’est pas de nature à porter atteinte à la qualité, à la sécurité ou à l’utilisation du bâtiment.
[23] Selon le dernier paragraphe de cet article, le seul fait pour l’entrepreneur d’avoir modifié le plan de construction sans en avoir avisé l’acheteur ou la municipalité ne constitue pas automatiquement une malfaçon au sens du Règlement; pour qu’il en soit ainsi, il faut qu’en plus ce défaut porte atteinte à la qualité, à la sécurité ou à l’utilisation du bâtiment.
[24] Ceci nous ramène donc à la case départ, soit le quatrième alinéa de l’article 10 ci-devant cité. En effet, c’est selon cet article qu’il faut statuer, car les dommages possibles envisagés par les bénéficiaires, s’ils s’avéraient fondés, correspondent à la définition de vices cachés de l’article 10.4° du décret.
[25] De plus, le soussigné ne peut souscrire, dans le présent dossier, à la notion de malfaçon apparente au moment de la réception, car il s’agit ici d’une mesure au-dessous du niveau du sol, alors que le remblayage peut avoir été exécuté à l’insu des bénéficiaires. Le plan de garantie n’exige pas que l’acheteur ait les mêmes compétences et disponibilités qu’un inspecteur en bâtiment. Il en serait autrement s’il s’agissait d’une rampe manquante au niveau d’un escalier.
[26] La preuve a été prépondérante à l’effet que l’utilisation d’un isolant rigide d’une épaisseur de 4 pouces sur une distance latérale de 4 pieds constitue une protection adéquate contre la pénétration du gel dans le sol.
[27] Ceci a été admis à la fois par l’expert des bénéficiaires et l’expert de l’administrateur. Ainsi, selon les experts, même si la profondeur de la semelle est inférieure à la ligne de gelée, l’ajout des panneaux isolants remédie à la situation.
[28] À cet égard, lors de la visite des lieux, aucune fissure n’a été observée, alors que le bâtiment a été reçu en juin 2001.
[29] L’expert des bénéficiaires a soulevé le point de la pose de revêtement de surface de l’entrée, alors qu’il n’y aura que de 5 à 7 pouces de remblai de pierre entre l’isolant et l’asphalte.
[30] À cet égard, l’expert de l’administrateur, de même qu’un entrepreneur, spécialiste dans le domaine, ont tous deux démontré que la pose d’asphalte ou de pavé ne causait pas de problème dans le présent cas, si l’on utilise des équipements légers généralement reconnus pour la pose de revêtement sur les entrées d’habitation de ce genre.
[31] Pour ces motifs, la réclamation des bénéficiaires est rejetée.
[32] Toutefois, la condition émise par le conciliateur de l’administrateur dans son rapport d’inspection supplémentaire du 25 août 2003 devra être observée, à savoir que l’entrepreneur démontrera la présence d’un remblai de pierre concassée (0 - ¾ pouce) d’au moins 3 pouces d’épaisseur sous les panneaux isolants.
[33] De plus, même si cela ne faisait pas partie de la réclamation initiale des bénéficiaires, il a été démontré en cours d’enquête que le puisard à l’entrée du garage n’était pas suffisamment isolé.
[34] Le tribunal ordonne donc à l’entrepreneur d’isoler ce puisard selon une procédure approuvée par l’inspecteur désigné par l’administrateur.
[35] Les frais d’arbitrage seront entièrement à la charge de l’administrateur.
[36] Considérant que deux experts ne sont pas totalement d’accord sur la situation, il appert que la demande des bénéficiaires n’était pas futile, d’autant plus que les travaux de l’entrepreneur en ce qui a trait à la présente situation n’étaient pas conformes au plan qu’ils avaient approuvé.
[37] Vu que le puisard n’était pas adéquatement isolé, l’arbitre, par assimilation, se réfère au deuxième alinéa de l’article 123 du décret.
III : CONCLUSION ET DISPOSITIF
class=Section2>[38] Le tribunal REJETTE l’objection préliminaire soulevée par la procureure de l’administrateur, objection relative au délai de demande d’arbitrage.
[39] Le tribunal ACCUEILLE favorablement l’objection à la preuve soulevée par les procureurs de l’administrateur et de l’entrepreneur, objection relative au dépôt par les bénéficiaires de rapports d’inspection émis à la suite de réclamations similaires concernant des propriétés voisines de la leur.
[40] Le tribunal REJETTE la réclamation des bénéficiaires.
[41] La condition émise par le conciliateur de l’administrateur dans son rapport d’inspection supplémentaire du 25 août 2003 DEVRA ÊTRE OBSERVÉE par l’entrepreneur.
[42] Le tribunal ORDONNE à l’entrepreneur d’isoler le puisard à l’entrée du garage selon une procédure approuvée par l’inspecteur désigné par l’administrateur.
[43] Les frais d’arbitrage sont à la charge de l’administrateur.
SENTENCE rendue à Beloeil, ce 13e jour de novembre 2003.
Claude Dupuis, ing., arbitre