ARBITRAGE
En vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs
Loi sur le bâtiment, Lois refondues du Québec (L.R.Q.), c. B-1.1, Canada) Groupe d’arbitrage Juste Décision – GAJD
ENTRE
Bénéficiaire
Et
9231-9326 QUEBEC INC. (TRIGONE) Entrepreneur
Et
ÈS QUALITÉS D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DE LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.
Administrateur
No dossier / Garantie | : | 96795 | |||
No dossier / GAJD | : | 20201201 | |||
No dossier / Arbitre | : | 35304-35 | |||
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| SENTENCE ARBITRALE | |||
Arbitre | : | Me Pierre Brossoit | |||
Pour le Bénéficiaire | : | Jean-Patrick Balleux | |||
Pour l’Entrepreneur | : | Me Harold Rousselle | |||
Pour l’Administrateur | : | Me François-Olivier Godin | |||
Date d’audience | : | Le 14 avril 2021 | |||
Lieu | : | 800 du Square Victoria, 46e étage, Montréal, Qc H4Z 1H6 (bureaux de l’arbitre) | |||
Immeuble concerné | : | 1440, Gaston Véronneau, #[...], Longueuil | |||
Date de la décision | : | Le 27 mai 2021 | |||
[1] Les pièces produites par le Bénéficiaire (ci-après le « Syndicat ») sont les suivantes :
S-1: Courriel du 18 août 2016 du Syndicat à l’Entrepreneur
S-2: En liasse – échange de correspondance entre le Syndicat et l’Entrepreneur;
S-3: En liasse – une série de photos, courriel du Syndicat daté du 3 décembre 2019 à l’Administrateur et diverses factures;
S-4: En liasse – une série de photos; S-5: En liasse – une série de photos;
S-6: Rapport de l’expert Guy Voisine, ingénieur, de Technorm.
[2] Les pièces produites par l’Entrepreneur sont les suivantes :
E-1: Courriel du 6 juillet 2017 de Plomberie JL à l’Entrepreneur.
[3] Les pièces produites par l’Administrateur sont les suivantes :
A-1: Accusé de réception et désignation de l’arbitre du 30 janvier 2020;
A-2: Demande d’arbitrage du 28 janvier 2020;
A-3: Formulaire de demande d’arbitrage;
A-4: Courriel du bénéficiaire en date du 12 janvier 2020;
A-5: Confirmation de réception de Postes Canada;
A-6: Rapport de conciliation 96795-12424 du 11 décembre 2019;
A-7: Rapport de conciliation 96975-11087 du 6 juin 2017 (note B);
A-8: Rapport d’inspection pré réception du 6 février 2014 par François Dussault T.P.;
A-9: Avis de fin des travaux des parties communes;
A-10: État des renseignements d’une personne morale au registre des entreprises pour le Syndicat de la copropriété Lofts du Boisé 1440; A-11: Déclaration de copropriété.
[4] Pour le Syndicat :
Jean-Patrick Balleux
Karine Landry
Guy Voisine, expert de Technorm
[5] Pour l’Entrepreneur :
Marie-Pier Racine
[6] Pour l’Administrateur :
Michel Arès
[7] L’Entrepreneur a construit un immeuble sis au 1440 Gaston-Véronneau à Longueuil (l’« Immeuble »);
[8] L’Immeuble de 4 étages est composé d’environ 50 unités de condominium;
[9] Le 30 mai 2013, est la date de fin des travaux des parties communes (A-9);
[10] Le 6 décembre 2013, est la date de la réception des parties communes par le Syndicat;
[11] Le 17 août 2016, suite à un épisode de pluie intense, le Syndicat dénonce à l’Entrepreneur et à l’Administrateur une infiltration d’eau près de l’unité 410 (4e et dernier étage) de l’Immeuble (Note A de la décision A-7);
[12] Le 17 août 2016, l’Entrepreneur inspecte le doit de l’Immeuble, mais ne remarque aucune anomalie aux drains de toit (S-1);
[13] L’entreprise Corenov, mandatée par l’assureur du Syndicat, soumet l’hypothèse que l’infiltration est survenue par une unité de ventilation (Note E de la décision A-7);
[14] Le Syndicat émet toutefois un doute sur cette conclusion, puisqu’il n’y a pas de conduit de ventilation à l’endroit où s’est produite l’infiltration. Le Syndicat décide tout de même de changer par son fournisseur le filtre à air de l’unité de ventilation (Note E de la décision A-7);
[15] Le 18 février 2017, suite à une période de dégel, de nouvelles infiltrations d’eau surviennent au même endroit, de même qu’aux étages inférieurs (Notes B et E de la décision A-7);
[16] Le 20 février 2017, en raison du refus de l’Entrepreneur d’intervenir, le Syndicat fait appel à son sous-traitant couvreur, Toitures S.S. (Note E de la décision A-7);
[17] Du 1er mars au 3 avril 2017, suite à la fonte des neiges et période de pluie, de nouvelles infiltrations d’eau sont observées au même endroit (Note E de la décision A-7);
[18] Du 21 février 2017 au 18 mai 2017, Toitures S.S. exécute divers tests et conclut que le drain et l’étanchéité du toit n’est pas en cause et « qu’il s’agit probablement d’un problème dans un coude raccordé au drain de toit ou encore le raccordement luimême » (Note E de la décision A-7);
[19] Le 23 mai 2017, Benoit Pelletier, conciliateur de l’Administrateur, constate lors de sa visite de l’Immeuble la présence d’infiltration d’eau entre les unités 402 et 410 de l’Immeuble;
[20] Le 6 juin 2017, M. Pelletier rend une décision (A-7) à ce sujet et conclut comme suit :
« Considérant que la situation a été dénoncée en vertu du plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs;
Considérant une réception des parties communes le 6 décembre 2013;
Considérant une dénonciation reçue le 17 août 2016 (voir note A);
Considérant les multiples interventions faites par l’entrepreneur, le sous-traitant de toiture, soit Toitures S.S.;
Considérant les observations faites lors de notre visite;
Par conséquent, l’entrepreneur devra faire les vérifications nécessaires et les correctifs requis, selon les règles de l’art, et l’usage courant du marché afin de corriger la cause de l’infiltration d’eau. » (nos soulignés)
[21] Suite à cette décision (A-7), l’Entrepreneur mandate Plomberie JL pour trouver la source des infiltrations d’eau;
[22] Le ou vers le 6 juillet 2017, après avoir pratiqué des ouvertures dans l’entretoit du 4e étage de l’Immeuble, Plomberie JL localise la fuite d’eau au niveau du joint mécanique installé au plafond du 4e étage. Le plombier constate que la fuite d’eau est causée par la déchirure du manchon en caoutchouc (E-1);
[23] Le 10 juillet 2019, suite à une pluie abondante, de nouvelles infiltrations d’eau surviennent du plafond, des fixtures et de la boîte électrique de l’unité 403 de l’Immeuble (Note A de la décision A-6);
[24] Lors de l’exécution des travaux d’urgence, le Syndicat ouvre le plafond et constate qu’un collet du drain de toit a cédé (Note A de la décision A-7);
[25] Le 15 juillet 2019, le Syndicat exécute des travaux d’urgence par l’intermédiaire de Plomberie Névé qui remplace cinq (5) joints mécaniques (aussi appelés « manchons ») au 4e étage de l’Immeuble et installe des supports de tuyauterie additionnels (Notes C et D de la décision A-6);
[26] Le 8 août 2019, le Syndicat dénonce la situation à l’Entrepreneur et à l’Administrateur (Note A de la décision A-6);
[27] Le 11 décembre 2019, Michel Arès, conciliateur de l’Administrateur, rejette la réclamation du Syndicat (A-6);
[28] M. Arès motive comme suit sa décision :
« Considérant que la situation a été constatée après la fin de la garantie de 5 ans;
Considérant que nous ne pouvons conclure que la situation dénoncée en 2016 et 2017 est causée par un joint de conduitciment-amiante défectueux ou un manque de support tel que dénoncé le 15 août 2019;
Par conséquent, la Garantie qualité d’Habitation ne peut reconnaitre ce point dans le cadre de son mandat. »
[29] Le 15 décembre 2019, Jean-Patrick Balleux, l’un des administrateurs du Syndicat, accuse réception de la décision de M. Arès;
[30] En janvier 2020, le Syndicat soumet le différend à l’arbitrage;
[31] De mars à juin 2020, le Syndicat constate de nouvelles infiltrations d’eau au garage de l’Immeuble, situé au sous-sol, qui se manifestent par des fuites le long de la tuyauterie du même drain de toit pluvial;
[32] Le 4 avril 2021, a lieu l’audition de la demande d’arbitrage du Syndicat;
a) Demande en rejet
[33] L’Administrateur et l’Entrepreneur soumettent que la demande d’arbitrage du Syndicat doit être rejetée, n’ayant pas été soumise pour arbitrage à l’un des organismes d’arbitrage autorisés dans les 30 jours de la réception de la décision par le Syndicat (15 décembre 2019). Qu’en est-il?;
[34] La situation est confuse en raison de la date du 28 janvier 2020 inscrite par le Syndicat à sa demande d’arbitrage (A-2) qu’il a fait parvenir à l’organisme d’arbitrage autorisé, le Groupe d’arbitrage juste décision (« GAJD »);
[35] M. Balleux mentionne à l’audition qu’il s’agit d’une erreur, qu’il a dans les faits signé la demande d’arbitrage (A-2) le 28 décembre 2019 et non le 28 janvier 2020;
[36] L’Accusé de réception et désignation de l’arbitre (A-1) confirme que le greffe du GAJD a reçu la demande d’arbitrage du Syndicat le 12 janvier 2020, soit dans le délai prescrit;
[37] On constate en effet de l’Accusé de réception et désignation de l’arbitre (A-1) que le greffe du GAJD « (…) accuse réception d’une demande d’arbitrage (selon les procédures du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs), en date du 12 janvier 2020, de la part de : Jean-Patrick Balleux (« Bénéficiaire(s) »). »;
[38] On remarque également de l’accusé de réception (A-1), que le numéro du dossier du greffe du GAJD est le 20201201, ce qui correspond à la date de réception par le greffe du GAJD de la demande d’arbitrage du Syndicat;
[39] Conséquemment, la demande en rejet de l’Administrateur et de l’Entrepreneur est
rejetée;
b) Le litige
[41] En raison des nombreuses infiltrations d’eau depuis 2016 en lien avec le réseau de plomberie relié au drain du toit situé dans la partie nord du toit, le Syndicat demande (p. 9 de la décision A-6) à l’Entrepreneur de changer tous les joints mécaniques;
[42] L’Administrateur soumet que les réparations effectuées en juillet 2019 par le Groupe
Névé ont corrigé la situation et que la cause des infiltrations d’eau survenues en juillet 2019 n’est plus couverte par la Garantie de l’Administrateur, puisque dénoncée plus de cinq (5) ans après l’avis de fin de travaux du 30 mai 2013 (art. 10.5 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (le « Règlement »)). L’Administrateur plaide qu’il n’y a aucun lien entre les infiltrations d’eau de 2016 (décision A-7) et les infiltrations d’eau de 2019;
[43] L’Entrepreneur appuie la position de l’Administrateur;
[44] Le Syndicat réplique que les infiltrations d’eau sont toutes liées à la problématique dénoncée pour la première fois à l’Administrateur et à l’Entrepreneur le 17 août 2016 (première période d’infiltration d’eau) et que ce vice caché a dûment été dénoncé dans les trois (3) ans de la réception de l’Immeuble le 6 décembre 2013 (art. 10.4 du Règlement). De plus, malgré les réparations effectuées par le Groupe Névé, l’Immeuble a tout de même subi une quatrième période d’infiltrations d’eau;
[45] Trois (3) drains standards sont installés au toit pour évacuer les eaux pluviales;
[46] Les infiltrations d’eau constatées depuis 2016 sont toutes reliées à un même drain, soit la descente pluviale située dans la partie nord du toit de l’Immeuble;
[47] Le drain est installé à l’intérieur des plafonds et murs finis des appartements et espaces communs. La tuyauterie de drainage n’est donc pas directement accessible sur les niveaux d’habitation;
[48] La descente est construite de tuyaux et raccords de 4“ de diamètre en amiante-ciment (ou fibrociment);
[49] La tuyauterie est assemblée avec des joints mécaniques, c’est-à-dire des manchons en caoutchouc maintenus en place par des colliers de serrage en acier inoxydable;
[50] À l’audition, le Syndicat fait témoigner l’ingénieur Guy Voisine, expert en génie mécanique spécialisé en plomberie, de la firme Technorm;
[51] Selon M. Voisine, la déchirure prématurée des manchons est la cause des infiltrations d’eau qui se sont produites depuis 2016 et incluant celle survenue en 2020 au garage (le sous-sol) de l’Immeuble;
[52] L’expert Voisine conclut comme suit à son rapport (S-6) :
« (…)
Les déchirures dans les manchons des joints mécaniques sont anormales dans une construction récente. Le problème est probablement attribuable à un défaut d’installation de la descente pluviale lors de la construction du bâtiment. Le problème ne pouvait être découvert par les propriétaires, après la construction, puisque la descente n’est pas accessible sans faire de perforations dans les murs ou plafonds finis. Plus précisément, on peut envisager les hypothèses suivantes pour expliquer la défaillance des manchons :
. L’installation de manchons défectueux, incapables de résister aux charges exercées sur la tuyauterie;
. Une tuyauterie mal supportée, occasionnant des vibrations ou secousses et des efforts anormaux dans les manchons;
. Un serrage trop important des colliers des manchons.
(…)» (nos soulignés)
[53] Selon l’expert Voisine, si la tuyauterie est correctement installée, la durée de vie normale d’un manchon est d’au moins 50 ans;
[54] Les manchons déchirés et retirés depuis 2016 sont la cause des infiltrations d’eau;
[55] La preuve prépondérante a démontré que les infiltrations d’eau sont en lien avec le vice caché dénoncé par le Syndicat en 2016 (première période d’infiltration d’eau) à l’Administrateur et à l’Entrepreneur. Selon l’expert Voisine, « le problème est probablement attribuable à un défaut d’installation de la descente pluviale »;
[56] La preuve non contestée à l’audition sur la cause des infiltrations d’eau supporte les conclusions de l’expert Voisine et le Tribunal est d’avis d’accueillir la réclamation du Syndicat;
[57] Le Tribunal est d’opinion que les infiltrations d’eau constatées après la décision rendue le 6 juin 2017 par M. Pelletier (A-7), auraient pu être évitées si l’Entrepreneur avait investigué plus en détail les raisons de la déchirure anormale du manchon, ce qui aurait permis de constater un problème généralisé ou en voie de l’être et éviter les déchirures subséquentes constatées aux manchons reliés à la même descente pluviale;
[58] Il est sûrement onéreux pour l’Entrepreneur de pratiquer et refermer des ouvertures pour accéder à la tuyauterie et constater de l’état de la descente pluviale et de ses raccords. La mauvaise exécution par l’Entrepreneur des travaux de tuyauterie en est cependant la
cause et ce n’est pas au Syndicat d’en subir les conséquences en effectuant des travaux correctifs d’urgence, au gré des conditions climatiques;
[59] Il n’y a pas lieu cependant d’ordonner aveuglément le changement de tous les manchons ou autres pièces de tuyauterie, sans que l’Entrepreneur puisse au préalable effectuer une inspection complète de la conduite pluviale située sur la partie nord du toit de l’Immeuble, afin de déterminer les travaux correctifs à exécuter. L’Entrepreneur devra communiquer par écrit au Syndicat le détail des travaux correctifs à effectuer, au plus tard quinze (15) jours avant leur exécution;
[60] Conformément à l’article 123 du Règlement, les frais du présent arbitrage sont à la charge de l’Administrateur et incluant les frais de l’expert Guy Voisine pour la préparation du rapport d’expert (S-6) et sa présence à l’audition, que le Tribunal arbitre à 750 $, plus taxes.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la réclamation du Bénéficiaire, le Syndicat de la copropriété Lofts du Boisé 1440;
ORDONNE à l’Entrepreneur, dans les soixante (60) jours de la présente sentence arbitrale, d’effectuer les travaux requis à la conduite pluviale située dans la partie nord du toit de l’Immeuble, afin de mettre fin aux infiltrations d’eau et, à défaut, ORDONNE à l’Administrateur de les effectuer dans les quatre-vingt-dix (90) jours suivants;
ORDONNE à l’Entrepreneur, au plus tard quinze (15) jours avant le début des travaux, de communiquer au Syndicat le détail des travaux à exécuter et, à défaut, ORDONNE à l’Administrateur d’y remédier dans le même délai;
CONDAMNE l’Administrateur à payer au Bénéficiaire, au plus tard dans les trente (30) jours de la présente sentence, la somme de 750 $, plus taxes, pour les frais de l’expert Guy Voisine de Technorm;
PERMET aux parties de modifier de consentement entre elles, les délais imposés aux dispositifs de la présente sentence arbitrale;
CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais du présent arbitrage, conformément à l’article 123 du Règlement.
À Montréal, le 27 mai 2021
Me Pierre Brossoit, arbitre