ARBITRAGE EN VERTU DU
RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)
Dossier no : GAMM : 2020-02-18
GCR : 107378-1167
ENTRE :
YVES LALIBERTÉ
(ci-après le « Bénéficiaire »)
ET
CONSTRUCTION DURÉCO INC.
(ci-après l’« Entrepreneur »)
ET
LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)
(ci-après l’« Administrateur »)
DEVANT L’ARBITRE : Me Karine Poulin
Pour le Bénéficiaire : Me Alain Béland
Pour l’Entrepreneur : Me Lisa Fournier
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Date d’audience : 9, 10 et 25 juin 2020
Dernières représentations : 9 juillet 2020
Date de la sentence : 31 juillet 2020
SENTENCE ARBITRALE
I
LE RECOURS
[1] Le Bénéficiaire conteste en vertu de l’article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le « Règlement ») la décision de l’Administrateur rendue le 3 février 2020 et qui accueille sa réclamation.
[2] Plus précisément, le Bénéficiaire conteste la conclusion suivante:
« Conséquemment, vu ce qui précède, l’entrepreneur devra notamment apporter les correctifs nécessaires au système de drainage de la résidence faisant l’objet de la présente en fonction des conclusions du rapport de l’ingénieur mandaté par l’administrateur, tel que stipulé au point 17 du rapport de l’ingénieur Hosseini. »
[3] Il est acquis au débat que la propriété du Bénéficiaire est construite sous le niveau de la nappe phréatique et qu’il y a présence d’ocre ferreuse. L’Administrateur a conclu à un vice caché, conclusion qui n’a pas été contestée par les parties. Ainsi, le débat faisant l’objet du présent dossier porte uniquement sur la méthode corrective.
II
LES FAITS
[4] Le 23 mai 2015, le Bénéficiaire signe avec l’Entrepreneur un contrat d’entreprise pour la construction de sa propriété sise au [...] à Lévis (ci-après appelée la « Propriété »). Ledit contrat prévoit que la Propriété devra être construite sur le lot 4 687 590 du cadastre officiel du Québec, paroisse de Breakeyville. Conséquemment, ledit terrain est acquis par le Bénéficiaire le 31 août 2015.
[5] Le contrat de garantie, pour sa part, est signé par le Bénéficiaire et l’Entrepreneur le 4 septembre 2015.
[6] Le 12 décembre suivant, le Bénéficiaire et l’Entrepreneur procèdent à l’inspection préréception de la Propriété et signent le formulaire obligatoire, avec réserves. La date convenue pour la fin des travaux est le 15 janvier 2016.
[7] Le 8 juin 2017, le Bénéficiaire subit un premier refoulement d’eau au sous-sol de sa Propriété, à l’endroit du clapet. Informé de la situation, l’Entrepreneur intervient rapidement et fait procéder au déblocage du drain français et au nettoyage du sous-sol de la Propriété. À cette époque, le Bénéficiaire surprend une discussion entre les employés de l’entreprise mandatée pour déboucher le drain où il est alors question d’ocre ferreuse. Ignorant l’impact possible de l’ocre ferreuse et croyant la situation réglée, le Bénéficiaire ne dénonce pas la situation à l’Administrateur.
[8] Cependant, un second refoulement d’eau survient le 24 février 2018 et la situation est alors dénoncée à l’Entrepreneur ainsi qu’à l’Administrateur le 20 mars suivant.
[9] S’ensuit alors une série d’investigations, tant par le Bénéficiaire que par l’Entrepreneur. Le 8 janvier 2019, les différents rapports des parties en main, Marie-Pier Bédard, inspectrice-conciliatrice chez l’Administrateur, procède à la visite des lieux et rend une première décision la semaine suivante (le 15 janvier 2019). Elle exige alors que l’Entrepreneur mandate un professionnel certifié pour que soit réalisée une expertise visant à déterminer le risque de colmatage du drain français de la Propriété, conformément à la norme BNQ 3661-500.
[10] Compte tenu du risque de colmatage « très élevé » révélé par le rapport d’expertise soumis par l’Entrepreneur, il est alors ordonné à ce dernier, le 6 mars 2019, de mandater un expert afin « que soient prélevées des données piézométriques du terrain afin d’évaluer la fluctuation de la nappe phréatique sur une certaine période dans le but de déterminer la nature des travaux correctifs à effectuer en fonction de la fluctuation de la nappe (…). »
[11] À la suite de la réception de deux (2) rapports d’experts mandatés par l’Entrepreneur, l’Administrateur conclut ainsi dans sa décision complémentaire du 28 août 2019 :
« À la lecture des deux rapports, l’administrateur constate que les conclusions de l’expert mandaté par l’entrepreneur s’avèrent incomplètes, notamment en ne tenant pas compte des résultats des analyses chimiques et microbiologiques évaluant le risque de colmatage à très élevé. [soulignement dans le texte original]
En référence aux recommandations inscrites dans la norme BNQ 3661-500, l’installation d’un drain conventionnel flexible annelé ne répond pas au type de système de drainage pluvial préconisé selon l’évaluation du risque très élevé de colmatage et dans ces conditions, le choix d’un système de drainage des eaux pluviales performant, permettant un entretien périodique et le nettoyage à l’eau sous pression, est recommandé.
De plus, l’évaluation des eaux souterraines, bien que limitée à la période de crue printanière, indique que le niveau d’eau se situe au-dessus des empattements ; des données supplémentaires auraient à tout le moins permis une meilleure évaluation de la fluctuation des eaux souterraines.
Il est important de rappeler que le bâtiment a subi deux refoulements d’eau au sous-sol dus au colmatage du réseau d’évacuation et nécessité quatre nettoyages sur une période de trois ans.
Considérant ce qui précède, l’administrateur demandera une seconde opinion professionnelle en lien avec la présente situation et s’engage à rendre une décision finale dans les trente (30) jours suivants réception dudit rapport. » [nos soulignements]
[12] C’est ainsi que, suivant l’opinion obtenue d’un expert indépendant qu’il mandate, l’Administrateur rend sa décision finale le 3 février 2020 et c’est cette décision qui fait l’objet du présent arbitrage.
[13] Au moment de procéder à l’audition de l’affaire, le Bénéficiaire avait subi un troisième refoulement le 13 avril 2020.
III
LA PREUVE
[14] Le présent recours porte uniquement sur la méthode corrective puisque la présence d’ocre ferreuse n’est pas remise en question, ni le fait qu’il s’agisse d’un vice couvert par le Règlement. Les parties en ont fait l’admission en début d’audience et aucune preuve spécifique n’a été administrée sur cet aspect. Toute tentative en ce sens aurait, en l’espèce, été académique et somme toute inutile.
Bénéficiaire
[15] Dans le cadre de sa preuve, le Bénéficiaire relate, pour l’essentiel, les faits tels que ci-haut décrits.
[16] Le Bénéficiaire témoigne sur la séquence des événements en lien avec les différentes décisions rendues par l’Administrateur et les expertises pratiquées par l’Entrepreneur de même que celle commandée par l’Administrateur à l’expert Hosseini.
[17] Il indique n’avoir donné aucune instruction à l’Entrepreneur quant au niveau d’excavation ou l’excavation en général. Il n’y a jamais eu de discussion entre lui et l’Entrepreneur quant à la nappe phréatique ni la responsabilité de chacun en relation avec cet élément.
[18] Il affirme avoir eu des communications fréquentes avec Madame Bédard puisqu’il veut régler son dossier. De fait, au cours du processus, ils ont eu nombreuses discussions au cours desquelles il fût question du rehaussement possible de sa Propriété selon la hauteur de la nappe phréatique. Un échange de courriels avec celle-ci se trouve à la pièce A-11. Monsieur Laliberté confirme que la suggestion de rehausser la Propriété ne provenait pas de Madame Bédard.
[19] Il est en désaccord avec la décision rendue puisque lors de la construction, il n’a jamais été question de pompes au sous-sol. Son intention est d’en faire un lieu habitable et le bruit qu’occasionnerait la présence de pompes ainsi que les vérifications fréquentes qu’elles nécessiteront rendront, à toutes fins pratiques, le sous-sol inutilisable.
[20] Selon lui, le rehaussement de sa Propriété est la meilleure solution. La méthode corrective choisie par l’Administrateur ne règle pas définitivement la situation et le laisse avec un problème d’entretien supplémentaire. Il affirme avec force que sa Propriété aurait dû être construite au-dessus de la nappe phréatique. Il demande une solution permanente et définitive à son problème. C’est là la recommandation de son expert.
[21] Le Bénéficiaire dépose les soumissions obtenues pour des travaux de rehaussement dont le total s’élève, en incluant les travaux de remise en état des lieux, à plus de 180 000 $.
[22] Le Bénéficiaire fait ensuite entendre Philippe Racine, ingénieur chimique, biotechnologique et en environnement. Sur la qualité d’expert, quelques difficultés sont mises en lumière, notamment son expertise en matière d’ocre ferreuse. Par ailleurs, il démontre de bonnes connaissances et une expérience pertinente en ce qui concerne les niveaux de nappe phréatique et la manière de les gérer. Conséquemment, le Tribunal lui reconnaît le statut d’expert,
[23] L’expert indique que son mandat consistait à déterminer le niveau des eaux souterraines et à comprendre la problématique de formation d’ocre ferreuse qui colmate le drain français cerclant la résidence du Bénéficiaire.
[24] Il a visité la Propriété à 5 reprises et procédé à l’installation de piézomètres afin de mesurer les niveaux de la nappe phréatique. Il expose ensuite sa méthodologie et exprime l’opinion que selon lui, les infiltrations survenues en juin 2017 puis en février 2018 proviennent de la nappe phréatique.
[25] En somme, le témoin explique la problématique liée à la présence d’ocre ferreuse et les conditions favorisant sa prolifération, le phénomène de mouvement de la nappe phréatique, du rabattement artificiel de la nappe, du sens de la migration des eaux et de quelle manière la construction de la Propriété sous le niveau maximum moyen[1] de la nappe phréatique crée les infiltrations observées chez le Bénéficiaire. Monsieur Racine expose notamment l’importance de la stratigraphie du sol et la détermination de son coefficient de perméabilité dans la détermination d’une solution.
[26] Monsieur Racine soutient que lors de la construction, les semelles doivent être coulées au-dessus du niveau maximum moyen de la nappe phréatique. Cependant, il est possible que lors des montées du niveau de la nappe que l’eau submerge un peu les semelles, d’où l’importance d’un drain agricole efficace.
[27] De façon générale, son témoignage n’est pas contredit par les autres experts.
[28] Il porte à l’attention du Tribunal que l’incident survenu en février 2018 ne correspond pas à un moment où le niveau de la nappe est connu pour être plus élevé. Il précise qu’il est connu que la nappe est basse en janvier-février, ainsi qu’en juillet. Également, en juin, le niveau des nappes est généralement redescendu.
[29] Il constate que chez le Bénéficiaire, le niveau des eaux souterraines est toujours élevé. Il note aussi que le drain agricole qui se trouve au pourtour des fondations de la Propriété est installé avec une pente nulle. Il dit toutefois qu’en pratique, même si le code exige une pente, que ce drain annulaire n’est jamais posé en pente.
[30] Dans une situation comme celle en présence où les semelles baignent dans l’eau 12 mois par année, il faut faire en sorte que les semelles soient au-dessus du niveau maximal moyen de la nappe la majorité du temps.
[31] Une option envisageable serait celle de rabattre artificiellement la nappe en posant un drain agricole au pourtour du périmètre du terrain, aux lignes limitrophes des autres propriétés. Cependant, vue la présence d’ocre ferreuse, cette solution n’est pas envisageable puisque ce 2e drain se colmatera également avec le temps.
[32] Par conséquent, il recommande ce qui suit :
« Dans ce contexte, il est impératif de relever le niveau des fondations de la résidence de 0.6 m de manière à ce que le drain agricole de la résidence ne se trouve pas submergé en tout temps tel que c’est le cas actuellement ce qui diminuera le taux de prolifération de la bactérie d’ocre ferreuse en plus de diminuer la pression hydrostatique au niveau du drain agricole et de la dalle flottante. Nous recommandons aussi que le nouveau lit de pierre nette sous-dalle soit aussi drainé vers le réseau pluvial de la ville au même titre que le drain extérieur. D’ailleurs, nous recommandons que, lors des travaux de soulèvement de la propriété à l’étude, le nouveau drain agricole autour des fondations soir (sic) composé d’un drain Soliflex Type 3 BNQ 3624-115 de Soleno ou équivalent approuvé afin de diminuer l’accumulation de sédiments d’ocre ferreuse et de faciliter son nettoyage. Les fondations ainsi relevées seront évidemment imperméabilisée (sic) conformément au code du bâtiment. Nous recommandons l’installation d’une membrane blue-skin offrant une imperméabilisation de qualité supérieure et facilitant la migration de l’eau vers le système de drainage de la résidence. »
[33] En contre-interrogatoire, il indique que sa solution a pour mérite de couper l’apport de l’élément « eau » qui alimente la bactérie d’ocre ferreuse et qui favorise sa prolifération.
[34] Il est forcé d’admettre toutefois que le soulèvement proposé de 60 cm ne fait pas en sorte que les semelles soient en tout temps hors de l’eau. Il ajoute toutefois qu’un rehaussement de 60 cm permettra aux fondations d’être « au sec » environ 10-11 mois par année. Ainsi, si la bactérie d’ocre ferreuse ne prolifère qu’un (1) ou deux (2) mois par année, on peut envisager le nettoyage du drain agricole aux 10 ans environ. Il affirme que l’idéal serait de rehausser la Propriété de 1,2 m. Cependant, ce qu’il propose ici est une solution qu’il juge acceptable.
[35] Il admettra plus tard, toutefois, que son évaluation de la fréquence de nettoyage aux dix (10) ans ne repose sur aucune donnée et pourrait s’avérer inexacte. À tout le moins, affirme-t-il, les nettoyages seront moins fréquents.
[36] Confronté au rapport de l’expert Hosseini, le témoin se dit incapable de répondre aux questions, par manque de données. En effet, l’expert Hosseini et lui n’ont pas pris leurs mesures à partir du même point de référence et il est impossible de comparer leurs données respectives sans procéder à une analyse comparative exhaustive. Il dit que selon lui, la méthode de mesure de Monsieur Hosseini ne correspond pas à ce qui se fait en ingénierie.
[37] Il dit que pour rehausser la Propriété, il faudra démolir la dalle actuelle et les fondations, renchausser avec 600 mm de remblai compacté, avec un niveau de compaction 96 Proctor, et 300 mm de pierre nette (pierre nette de 0-¾). Il faudra ensuite couler la nouvelle dalle sur 20 cm de MG20 compacté après installation d’un pare-vapeur. Il précise le nombre de cheminées et la manière d’imperméabiliser les fondations. Selon lui, il serait possible d’installer un bassin collecteur à même le lit de pierre nette. Il suggère que le drainage soit gravitaire.
[38] Il admet que le niveau maximal moyen de la nappe augmente avec les années, précisant que celle-ci est à la hausse avec la fonte rapide des neiges.
[39] Il admet également que la construction de propriétés sur les terrains avoisinants pourrait avoir pour effet d’abaisser artificiellement la nappe phréatique, mais indique que cet effet pourrait être nul si celles-ci sont toutes construites au-dessus du niveau de la nappe.
[40] En revanche, si elles sont toutes construites sous le niveau de la nappe, il est possible que les abaissements artificiels successifs de la nappe aient pour effet d’annuler, en quelque sorte, l’effet desdits abaissements de manière telle que la nappe reviendra à un niveau supérieur et toutes les résidences auront alors un problème de colmatage de drain. Il y aura un problème majeur dit-il.
[41] Il n’est pas en désaccord avec la recommandation de la Régie du bâtiment du Québec qui consiste à procéder à un nettoyage du drain, mais simplement il estime qu’il n’est pas normal de procéder à un tel nettoyage tous les 6 mois.
[42] Outre la solution qu’il recommande, il indique qu’il est également possible de remédier à une problématique comme celle rencontrée par le rabattement de la nappe par tranchée profonde, par l’imperméabilisation des fondations (cuvelage), de même que par drainage. Il estime, néanmoins, qu’aucune de ces solutions ne réglera définitivement le problème rencontré chez le Bénéficiaire en l’espèce.
[43] Sur la solution préconisée par l’Entrepreneur, soit l’utilisation d’une solution à l’ozone, il estime qu’il s’agit d’un pansement et non d’une solution réglant définitivement le problème.
Entrepreneur
[44] L’Entrepreneur est représenté au dossier par Jean-Philippe Dussault, son unique actionnaire et administrateur.
[45] Monsieur Dussault est ingénieur mécanique et construit beaucoup de résidences dans le secteur de Breakeyville où il dit posséder plusieurs terrains. Il fait également de la rénovation commerciale et résidentielle.
[46] Il relate, pour l’essentiel, les faits tels qu’ils sont exposés plus haut.
[47] Il ajoute qu’avant de construire la Propriété du Bénéficiaire, il avait construit 3 autres résidences sur la rue [...] et quelques autres maisons dans le voisinage immédiat. D’autres résidences ont été construites sur la rue [...] avant 2015 par d’autres entrepreneurs.
[48] Il affirme qu’à sa connaissance, la Propriété du Bénéficiaire est la première à avoir subie une infiltration d’eau.
[49] Il n’a rien noté de particulier au moment de l’excavation, sauf peut-être la présence d’un peu d’eau à l’occasion.
[50] Il confirme que le drain agricole installé chez le Bénéficiaire est de type annulaire et dit qu’en général, il essaie d’installer le drain « à niveau ».
[51] Il a été surpris d’apprendre, en juin 2017, qu’il y a eu infiltration chez le Bénéficiaire.
[52] Il explique ses démarches depuis l’intervention de l’Administrateur au dossier. Il dit avoir lu beaucoup sur le sujet de l’ocre ferreuse et les moyens d’y remédier puisqu’il a appris que d’autres propriétés sont également affectées.
[53] De fait, la maison modèle, qui est construite depuis environ 2 ½ ans, est elle aussi affectée par l’ocre ferreuse. Pour cette dernière, il a opté pour une solution à l’ozone en laquelle il croit beaucoup. Il souhaite utiliser cette méthode chez le Bénéficiaire, au moins pour une période de 6 à 9 mois.
[54] Relativement à la décision de l’Administrateur, Monsieur Dussault comprend qu’il doit poser un bassin de captation et refaire une portion du drain. Quant au reste, il comprend qu’il peut faire ce qu’il veut, le choix de la méthode corrective lui appartenant. Pour sa part, il entend utiliser la solution à l’ozone que recommande son expert.
[55] Il expose plus amplement en quoi consiste cette solution, mais il n’est pas pertinent ici d’en relater le détail. Il indique au Tribunal que s’il devait installer cette technologie chez le Bénéficiaire, qu’il consent à assumer tous les frais y relatifs pour toute la durée de la garantie, soit cinq (5) ans. Ainsi, la seule obligation du Bénéficiaire sera de l’informer si des ajustements sont requis et d’être présent pour donner accès à sa Propriété à l’expert.
[56] Il indique ne pas être opposé aux recommandations de l’expert Hosseini dont l’Administrateur ordonne l’exécution, mais affirme qu’il est impossible d’installer un drain agricole avec une pente d’au moins 0.5 %, tel que l’indique l’expert. Il ajoute d’ailleurs que l’ACQ et l’APCHQ recommandent de ne pas poser le drain en pente, mais plutôt à l’horizontale. Il ne soumet toutefois aucune documentation à cet effet.
[57] En contre-interrogatoire, il témoigne longuement sur la solution à l’ozone qu’il préconise et les limites de celle-ci, à savoir qu’il s’agit d’une technologie nouvelle sur lesquelles il existe peu de données pour une utilisation comme celle envisagée. Le fait qu’il n’y ait qu’une seule personne au Québec en mesure d’utiliser et de gérer cette technologie constitue une autre limite à laquelle son expert entend remédier.
[58] Au niveau contractuel, il reconnaît que nulle part il n’est indiqué que le drain devra être nettoyé périodiquement. De fait, le seul contrat traitant du sol est le contrat de vente du terrain et il s’en détache complètement puisque ce n’est pas son contrat. Il n’est pas le vendeur du terrain.
[59] Monsieur Dussault est longuement questionné sur la question de la vente du terrain par une société appartenant à son père, mais utilisant les services du même courtier immobilier que lui pour la vente des maisons.
[60] Il justifie cette stratégie par le désir que les acheteurs paient moins de taxe de mutation et non pas d’un stratagème visant à éluder sa responsabilité.
[61] Il considère néanmoins que la responsabilité du sol est celle de l’acheteur, ajoutant que s’il voit quelque chose, il n’hésite pas à le mentionner. Il réitère à plusieurs reprises qu’il n’avait pas connaissance de la présence d’ocre dans le secteur avant les infiltrations survenues chez le Bénéficiaire.
[62] Selon lui, la responsabilité du sol et des vérifications préconstruction y afférentes sont de la responsabilité du Bénéficiaire : il rappelle que l’Entrepreneur construit la résidence sur le terrain que lui fournit ce dernier.
[63] Plus tard, il sera forcé d’admettre que les nouveaux contrats de vente des terrains ont désormais une clause traitant du nettoyage du drain agricole.
[64] Il dépose sous E-4 une fiche technique émise par l’APCHQ en fonction de la norme BNQ 3661-500 (S3-03). Il réitère qu’il accepte de refaire une portion du drain et non la totalité, comme l’ordonne l’Administrateur. Alors que la fiche technique indique qu’en présence d’ocre ferreuse il y a lieu d’utiliser un tuyau de drainage rigide de 100 mm de diamètre, il estime qu’il s’agit-là d’une norme d’excellence et non d’une règle de l’art. Selon lui, le tuyau rigide n’est pas requis avec l’utilisation de la solution à l’ozone qu’il souhaite utiliser. De plus, il dit qu’en l’instance, la norme BNQ 3661-500 n’est pas d’application obligatoire.
[65] Il admettra toutefois que dans les nouvelles constructions, il applique la norme BNQ 3661-500 et pose des tuyaux rigides, tel que recommandé.
[66] C’est ensuite au témoin Gagnier de témoigner.
[67] Monsieur Bernard-Marie Gagnier est ingénieur. Il pratique dans le domaine de la géologie/hydrogéologie et en environnement. Il fait état de ses connaissances en matière de microbiologie, de développement des microorganismes, de leur cinétique de croissance, en infection et élimination des bactéries et microorganismes. En outre, il possède une expérience pertinente en matière d’ocre biologique et son traitement. À la suite des contre-interrogatoires, le Tribunal reconnaît au témoin la qualité d’expert.
[68] Il propose la solution d’ozone en ajout à une solution de drainage et non en remplacement. Il dit que l’ozone est régulièrement utilisé en industriel mais que son utilisation en résidentiel est récente. Si cette technologie s’avère efficace, et il en est convaincu, il dit qu’elle permettra de contrôler à long terme la bactérie d’ocre ferreuse.
[69] Il émet certains commentaires sur la méthodologie de l’expert Hosseini et n’émet que peu de commentaires sur le rapport de l’expert Racine. Il émet toutefois l’opinion, à l’instar de Monsieur Hosseini, que le soulèvement de la Propriété ne soit pas nécessaire. Il affirme que le nettoyage du drain aux dix (10) ans (avec la solution de soulèvement préconisée par Monsieur Racine) est utopique. Il faudrait plutôt prévoir un nettoyage aux deux (2) ans. Il reconnaît que le Guide chantier de l’APCHQ recommande de construire au-dessus du niveau de la nappe phréatique mais comme cela n’est pas toujours possible, un drainage efficace prend toute son importance.
[70] Il énonce ses recommandations, et notamment le remplacement du drain à deux (2) endroits, selon la norme BNQ 3661-500, avec installation en pente. Selon lui, l’absence de colmatage du drain au côté gauche et à l’arrière de la Propriété signifie que le drain, à ces endroits, est installé correctement. Il améliorerait le drainage sous-terrain par l’ajout d’un drain sous la fondation et la pose d’un seul bassin de captation. Il ajouterait également une (1) ou deux (2) pompe(s) submersible(s), selon la pente du drain pluvial, juste au cas. Il procéderait aussi à un drainage périphérique du terrain. Il est d’avis, tout comme Hosseini, que la solution de rehaussement doit être utilisée en dernier recours, lorsque les autres solutions échouent.
[71] L’Entrepreneur dépose ensuite une déclaration écrite de Martin Tougas, ingénieur, pour valoir témoignage. Martin Tougas est l’auteur des rapports d’ABS datés des 31 mai et 19 juillet 2019. Cette déclaration a été communiquée aux procureurs des parties dans les délais impartis par le Tribunal. Les parties ont eu l’opportunité de poser des questions à Monsieur Tougas relativement à son rapport et aucune d’elles ne s’en est prévalue. Pareillement, aucun commentaire ne fut reçu eu égard à la qualité d’expert de ce dernier.
[72] Malgré l’absence d’opposition à la reconnaissance du statut d’expert, il est de la prérogative du Tribunal d’en décider, la reconnaissance n’étant pas automatique.
[73] À la lecture du curriculum vitae de Monsieur Tougas, il appert que ce dernier possède les connaissances requises aux fins de la reconnaissance du témoin à titre d’expert.
[74] Monsieur Tougas confirme que le niveau des semelles de fondation de la Propriété est inférieur à la nappe phréatique.
[75] Il affirme avoir pris connaissance des rapports de Messieurs Racine (B-23), Hosseini (A-14), Gagnier (E-6), Boutin (E-7) et avoir entendu les témoignages des experts Racine et Hosseini. Il dit ne pas partager l’opinion de Monsieur Racine quant à la nécessité de soulever la Propriété et être d’avis que l’amélioration du drainage souterrain proposé par l’expert Hosseini est une solution adéquate et suffisante. Il ne voit par ailleurs aucune contre-indication à l’ajout de la solution d’ozone proposée par l’expert Gagnier, en sus de la solution de drainage.
Administrateur
[76] L’Administrateur fait d’abord entendre Monsieur Mohammad Hosseini.
[77] Monsieur Hosseini est ingénieur civil, et plus particulièrement dans la branche de la géotechnique. Il décline ses expériences professionnelles de même que sa formation, lesquelles font foi de sa compétence en la matière. Le Tribunal lui reconnaît le statut d’expert.
[78] Dès le début de son témoignage, Monsieur Hosseini dénonce la participation d’ABS dans l’actionnariat de la société Fondasol inc. (pièce A-14) à hauteur de 25 %. Pour sa part, il détient 75 % des actions votantes par l’intermédiaire de sa société de gestion.
[79] En l’instance, son mandat consiste à procéder à une contre-expertise géotechnique à la suite de la réception par l’Administrateur des rapports d’ABS que lui a fournis l’Entrepreneur, lesdits rapports étant incomplets et non concluants.
[80] Monsieur Hosseini informe le Tribunal que ce n’est pas la première fois qu’il témoigne en contre-expertise de rapports émis par ABS et qu’il est tout à fait à l’aise et confortable de le faire.
[81] Il discute, en premier lieu, des rapports consultés dans le cadre de son mandat.
[82] Il souligne les déficiences qui se trouvent aux rapports d’ABS et explique les raisons pour lesquelles le Tribunal ne devrait pas tenir compte de ces rapports.
[83] Tout comme Monsieur Racine, il insiste sur l’importance de déterminer la stratigraphie du sol à l’étude, le coefficient de perméabilité des sols et la hauteur critique de la nappe phréatique avant de se prononcer sur le système de drainage en cause, ce qu’ABS n’a pas fait.
[84] Dans le cadre de son expertise, il a consulté la carte topographique des lieux qui lui indique que la Propriété se situe à 96 m au-dessus du niveau de la mer et qu’il existe dans ce secteur plusieurs zones humides. Ce fait en soi est un indicateur qu’il pourrait y avoir des problèmes de drainage en vue. Il explique que dans le cadre de tout mandat géotechnique, l’ingénieur doit toujours analyser le lieu à l’étude dans son environnement.
[85] Il explique aussi que selon les règles de l’art, une nomenclature préétablie doit être utilisée au moment d’établir la stratigraphie des sols. En l’espèce, Monsieur Racine n’a pas utilisé une telle nomenclature, d’où sa difficulté à répondre aux questions posées en contre-interrogatoire.
[86] De plus, la stratigraphie d’un sol ne peut être établie que suivant une analyse des éléments en laboratoire. Ce n’est pas un exercice qui se fait à l’œil nu. Aussi, les éléments caractéristiques du sol qui se trouvent dans son rapport correspondent à ce qui a été trouvé chez le Bénéficiaire, suivant une analyse en laboratoire, contrairement aux données contenues au rapport de Monsieur Racine ou du moins, rien n’indique que cela ait été fait.
[87] Pour l’essentiel, ce qu’il reproche à Monsieur Racine c’est le manque de rigueur. Il dira que le rôle de l’expert est de vérifier, ce que ce dernier n’a pas fait.
[88] En l’instance, après analyse de la situation, il conclut que nous sommes en présence d’une nappe perchée. Le drainage est inefficace. Partant, la solution qu’il préconise en est une de drainage.
[89] Il souligne au Tribunal qu’il est vrai que son rapport prévoit le drainage à l’aide de pompe(s) submersible(s). Il ajoute cependant que si le drainage gravitaire est possible, il n’est pas opposé à cette méthode.
[90] En ce qui concerne les solutions envisageables dans les cas de construction sous le niveau de la nappe phréatique, il confirme que les solutions identifiées par Monsieur Racine sont exactes. Pour sa part, il recommande une solution de drainage plutôt qu’une solution structurale comme celle recommandée par son homologue.
[91] Il indique que la solution structurale est généralement appropriée pour les cas de problème de structure. Monsieur Racine propose une solution structurale à un problème de drainage. Il confirme avoir recommandé dans sa carrière la solution préconisée par ce dernier à une seule reprise et il s’agissait alors d’un cas où la résidence était carrément construite dans la rivière. Dans ce cas, la meilleure solution aurait été le cuvelage, mais elle était beaucoup trop chère, et une solution de drainage s’avérait impossible. Outre ce cas, il précise que le drainage est normalement la solution de choix, ajoutant que même le soulèvement de la Propriété que veut le Bénéficiaire n’offre pas de garantie à 100 %. D’ailleurs, avant de recommander une solution de cette nature, il faut s’assurer de la capacité portante du sol et aucune étude n’a été faite en ce sens dans ce dossier.
[92] Il fait remarquer que Monsieur Racine recommande la combinaison d’une solution structurale et d’une solution de drainage. Il dit que le soulèvement de 60 cm est arbitraire et que dans un tel cas, il faudrait soulever de manière telle que les fondations soient au sec 12 mois par année, et non 10 ou 11. Il affirme être disposé à préparer le plan de drainage et à assister l’Entrepreneur dans l’exécution des correctifs.
[93] Monsieur Hosseini affirme que, contrairement à ce qu’appréhende le Bénéficiaire, la solution qu’il propose, même s’il fallait avoir recours à l’utilisation de pompe(s) submersible(s), n’entraîne aucun déficit d’usage de la Propriété. De plus, s’il est effectivement possible de procéder par drainage gravitaire, rien ne sera visible, et il n’y aura aucun bruit. Également, si le drainage est efficace, c’est-à-dire si le drain est installé en pente comme le prévoit la norme, aucun entretien ne sera nécessaire.
[94] En contre-interrogatoire, il confirme que le drainage doit être effectué exactement comme il l’a indiqué dans son rapport. Il souligne que le drain français doit être remplacé intégralement et installé en pente. Monsieur Hosseini précise que « l’hypothèse doit être conforme aux manifestations. Si les manifestations sont linéaires, l’hypothèse (donc la solution) doit être linéaire. C’est le cas en l’espèce : les infiltrations se font sur tout le pourtour du bâtiment. »
[95] Il confirme n’avoir pris aucune mesure du taux d’humidité à l’intérieur du bâtiment et que sa recommandation au sujet de la membrane intérieure fait écho aux propos de l’Administrateur qui affirme qu’il y a présence d’humidité excessive au sous-sol.
[96] Monsieur Hosseini reconnaît qu’il émet des recommandations dans son rapport, mais qu’un devis technique devra nécessairement être préparé pour l’exécution des travaux, et notamment au niveau de l’imperméabilisation, l’emplacement du ou des bassins de captation, la profondeur, etc. Il s’offre à préparer le tout. Il recommande que l’exécution des travaux soit supervisée par lui. Il justifie cette recommandation par le fait que si les travaux ne sont pas exécutés conformément à ses instructions, il court le risque d’être poursuivi, risque qu’il ne veut pas voir se matérialiser. En somme, s’il émet des plans, il veut superviser les travaux, et il produira ensuite un rapport de conformité.
[97] Il a pris connaissance du rapport d’expert fourni par l’Entrepreneur et le commente brièvement. La solution d’ozone proposée a été discutée lors de la rédaction de la norme BNQ 3661-500. Il explique que pour qu’une solution soit adoptée, il doit y avoir de la littérature scientifique à son soutien. En l’espèce, il n’y en avait aucune et la solution n’a pas été adoptée. Sans pour autant discréditer cette solution, il ne peut la recommander. Il ajoute néanmoins qu’il doute de son efficacité et qu’elle passe le standard de fiabilité.
[98] En contre-interrogatoire, l’expert est confronté à son commentaire voulant que la solution de drainage soit économique. Il confirme, tel que l’expose son rapport, que le cuvelage était aussi une solution intéressante dans ce dossier, mais qu’en l’espèce, ce n’était pas possible. Ainsi, comme l’indique son rapport, tant la solution de cuvelage que celle de drainage sont intéressantes, mais la solution de drainage présente aussi l’avantage d’être économique. Il va de soi que son mandat n’était pas de trouver une solution économique.
[99] Quant à savoir si le rehaussement de la Propriété du Bénéficiaire aura un effet sur les résidences voisines, l’expert confirme qu’effectivement, la nappe phréatique qui se trouve sous la Propriété serait de ce fait moins rabattue à la suite du soulèvement et que les propriétés voisines pourraient être affectées négativement.
[100] En réponse à une question du Tribunal, l’expert termine son témoignage en disant qu’avant toute construction, un entrepreneur devrait procéder à une analyse géotechnique du sol et construire en fonction du résultat obtenu. Une telle analyse coûte environ 5 000 $ et permet d’éliminer bien des problèmes avant même leur occurrence.
[101] Nous entendons ensuite Marie-Pier Bédard, inspectrice-conciliatrice chez l’Administrateur.
[102] Madame Bédard expose son expérience professionnelle. Elle fait ensuite état de son mandat dans le dossier en l’instance. Elle relate les faits énoncés plus haut en ce qui concerne les infiltrations, la dénonciation subséquente et les décisions intérimaires qu’elle a rendues. Au moment de rendre sa première décision en janvier 2019, Madame Bédard considère que la situation est grave, d’où ses demandes de multiples expertises et, finalement, sa décision de mandater un expert indépendant.
[103] Elle relate avoir eu de nombreuses discussions avec le Bénéficiaire et précise que ce dernier n’a plus confiance en l’Entrepreneur, qu’il croit de connivence avec l’expert. Ce dernier élément a également joué en faveur de sa décision de mandater un expert indépendant.
[104] Madame Bédard témoigne que sa décision repose en grande partie sur le rapport de l’expert Hosseini. Elle indique que ce dernier lui mentionne que les données prélevées par les autres experts ne sont pas fiables puisque les prélèvements ont été pris aux mauvais endroits. Il recommande donc, et c’est la solution qu’elle adopte, l’amélioration du drainage, tel qu’indiqué dans les extraits pertinents reproduits dans sa décision.
[105] Le témoin indique que la solution de drainage proposée par son expert se fait non seulement dans des cas comme celui du Bénéficiaire, mais également qu’il s’agit d’une méthode régulièrement utilisée pour les constructions neuves.
[106] Concernant la question de l’humidité, elle reconnaît n’avoir pris aucune mesure de taux et que sa conclusion repose essentiellement sur les commentaires du Bénéficiaire.
[107] Quant à la responsabilité de vérifier la hauteur de la nappe phréatique, Madame Bédard est catégorique : il s’agit de la responsabilité de l’entrepreneur qui procède à l’implantation. Il importe peu qu’il s’agisse d’un contrat d’entreprise ou d’un contrat de vente. L’entrepreneur qui ne procède pas lui-même à cette vérification endosse la vérification (ou l’absence de vérification) faite par le Bénéficiaire et demeure responsable de cet élément.
[108] En contre-interrogatoire, Madame Bédard confirme que la norme BNQ 3661-500 prévoit que le drain doit être installé avec une pente, bien qu’elle soit incapable de trouver rapidement la disposition en question dans ladite norme. Pareillement, elle ne peut identifier la ou les disposition(s) du Code national du bâtiment qui traite de pente relativement aux drains. Elle indique qu’un principe de construction veut que l’eau doive s’écouler et ne pas stagner dans le drain.
[109] Quant aux exigences de l’Administrateur à l’endroit des entrepreneurs qu’il accrédite, elle indique qu’il leur est demandé de se conformer au Code national du bâtiment applicable à chaque cas, de même qu’aux règlements municipaux applicables et aux règles de l’art.
[110] Elle confirme que l’Entrepreneur a toujours collaboré et n’a eu aucune réticence à compléter ses expertises lorsque demandé.
[111] Quant à la solution d’ozone, elle n’a pas souvenir que le Bénéficiaire en ait discuté avec elle. Elle se souvient toutefois que ce dernier souhaitait sa présence lors de la prise des mesures par l’expert de l’Entrepreneur.
[112] Madame Bédard confirme n’avoir jamais recommandé la solution de soulèvement au cours de ses cinq (5) années au service de l’Administrateur et avoir recommandé la solution de drainage à trois (3) reprises. Elle admet que dans ces trois (3) autres dossiers les nettoyages avaient été moins fréquents que chez le Bénéficiaire. Elle dira ensuite que la Propriété du Bénéficiaire n’est pas celle ayant nécessité le plus grand nombre de nettoyages. Elle ne peut indiquer s’il existe des niveaux de colmatage plus élevés qu’en l’instance, n’étant pas elle-même experte en la matière, mais ajoute avoir vu d’autres cas présentant des niveaux de colmatage similaires.
[113] Selon elle, la solution de drainage règle la problématique. De fait, et comme les experts l’ont exprimé unanimement, il suffit de couper l’un des trois éléments suivants, à savoir l’eau, l’oxygène ou la bactérie pour que la situation soit réglée. En procédant à un bon drainage, l’apport d’eau est retiré de l’équation et partant, il ne devrait plus y avoir de colmatage du drain par l’ocre. Elle ajoute qu’il n’est toutefois pas anormal d’avoir à faire un nettoyage occasionnel du drain.
[114] Selon elle, la solution de soulèvement que recommande Monsieur Racine en est une de dernier recours. Elle dit que depuis sa première rencontre avec le Bénéficiaire, c’est la solution qu’il souhaite et qu’il demande. Elle confirme donc avoir eu des discussions avec lui à ce sujet, mais nie catégoriquement avoir laissé croire qu’elle s’en allait dans cette direction. Elle affirme avoir toujours indiqué qu’elle choisirait la solution qui serait la meilleure.
IV
PLAIDOIRIES
Bénéficiaire
[115] Me Béland demande au Tribunal d’ordonner une solution permanente et définitive à la situation vécue par le Bénéficiaire. Il soutient que c’est là l’essence des décisions jurisprudentielles soumises[2].
[116] Il estime que la solution ordonnée par l’Administrateur, de même que celle proposée par l’Entrepreneur ne sont que des diachylons et n’a pas vocation à régler le problème définitivement. Celles-ci ne visent qu’à gérer la situation, ce qui n’est pas acceptable.
[117] Il souligne que la solution d’ozone préconisée par l’Entrepreneur a pour lacune, notamment, le fait qu’il n’y ait qu’une (1) seule personne au Québec en mesure de l’appliquer et de la réaliser. Sans compter le fait que celle-ci n’a pas encore été approuvée.
[118] Quant à l’expert Hosseini, il rappelle son témoignage à l’effet qu’il doit être présent lors des travaux puisque les entrepreneurs au Québec sont incapables de poser adéquatement un drain en pente. De plus, il faut surveiller les travaux. Et si les entrepreneurs ne peuvent suivre les plans et recommandations à la lettre, comme il le prétend, alors la surveillance doit être constante. Il rappelle que selon le témoignage même de l’expert Hosseini, le diable se trouve dans les détails et que le non-respect intégral d’une seule recommandation pourrait faire en sorte que le drainage soit inefficace, d’où la nécessité de sa présence. En somme, s’il n’est pas là, sa solution ne fonctionnera pas.
[119] Par ailleurs, il ajoute que les experts Hosseini et Gagnier ne peuvent proposer autre chose que des solutions de drainage (et d’ozone quant à Gagnier) puisque c’est leur métier.
[120] La problématique trouvée chez le Bénéficiaire est exceptionnelle et à problème exceptionnel il faut parfois une solution exceptionnelle.
[121] Il soutient que si la solution de soulèvement n’est recommandée par l’APCHQ qu’en dernier recours, c’est en raison de son coût uniquement.
[122] Se référant à la norme BNQ 3661-500, il affirme qu’un risque de colmatage existe toujours lorsqu’un bâtiment est construit sous le niveau de la nappe phréatique. En l’espèce, c’est là la première faute de l’Entrepreneur : il n’a pas construit la Propriété au-dessus de ce niveau. Il prétend que maintenant, on tente de sauver des coûts à ce dernier qui ne peut invoquer ici sa propre turpitude.
[123] Me Béland rappelle que la norme BNQ 3661-500 propose des solutions de drainage visant à réduire les risques de colmatage et non pas à empêcher l’occurrence du colmatage. Il y est également indiqué qu’une inspection régulière est requise. La solution recommandée par Monsieur Racine vise justement à assurer que les semelles de fondation seront au sec dix (10) mois par année et ainsi faire en sorte que le nettoyage ne doive avoir lieu qu’aux dix (10) ans.
[124] Me Béland soumet de nombreuses décisions[3] ordonnant le soulèvement de la résidence et demande que ce remède soit ici ordonné.
[125] Anticipant l’argument de sa consœur, Me Béland soutient que l’arbitre a le pouvoir d’ordonner la méthode corrective[4].
Entrepreneur
[126] Me Fournier rappelle que le débat en est principalement un d’expert. La question est de savoir si la décision de l’Administrateur est conforme au plan de garantie et non de savoir si la solution choisie est la meilleure. En somme, il faut déterminer si la solution choisie par l’Administrateur répare le vice conformément au plan de garantie. Là est le rôle de l’arbitre, tel que confirmé par la Cour d’appel[5].
[127] Appliquant ce principe à l’instance, le Tribunal doit décider si la solution déterminée par l’Administrateur permet de solutionner le problème d’infiltration causé par le colmatage du drain découlant des dépôts d’ocre ferreuse.
[128] En l’espèce, l’Entrepreneur est d’avis que la solution proposée par l’expert Hosseini et ordonnée par l’Administrateur est tout à fait viable et conforme au plan de garantie. Par ailleurs, ayant le choix de la méthode corrective et assumant la responsabilité des travaux, il souhaite ajouter la méthode d’ozone en plus du drainage.
[129] Ainsi, si le Tribunal en venait à conclure que la solution recommandée par l’expert Hosseini et ordonnée par l’Administrateur est conforme, a fortiori il faut constater que celle proposée par l’Entrepreneur est convenable, n’étant ni plus ni moins que la méthode Hosseini, bonifiée. Elle demande donc que la solution proposée par ce dernier soit ordonnée. Elle rappelle que la méthode corrective appartient à l’Entrepreneur, sujet toutefois à son obligation de résultat[6].
[130] Elle affirme qu’il n’existe aucune preuve prépondérante voulant que les fondations baignent en permanence dans la nappe phréatique. Elle rappelle que les mesures utilisées pour confectionner les expertises ont été prises au printemps et à l’automne uniquement. De plus, les mesures prises par Monsieur Hosseini à l’intérieur de la résidence démontrent que le niveau de la nappe est inférieur à la dalle. Cette mesure a été prise en septembre, moment où le niveau des eaux commence à monter. Ainsi, la jurisprudence soumise par Me Béland ne devrait pas trouver application ici, celles-ci traitant de cas où la preuve démontrait sans équivoque que le niveau de la nappe était en tout temps plus haut que les semelles de fondation.
[131] La procureure plaide qu’il y a lieu pour le Tribunal de préférer l’opinion de deux (2) experts qui tous deux sont réticents à adopter la solution de soulèvement, d’autant plus qu’il s’agit d’une solution de dernier recours.
[132] Elle fait remarquer que la solution souhaitée par le Bénéficiaire est celle de soulever la Propriété de 60 cm alors que même avec un tel soulèvement son propre expert admet que les semelles seront à un niveau inférieur au niveau maximum moyen de la nappe 1-2 mois par année.
[133] D’ailleurs, elle invite le Tribunal à ne pas retenir le témoignage de Monsieur Racine lorsqu’il affirme que sa solution fera en sorte que le nettoyage soit requis aux dix (10) ans seulement. Ce dernier n’a aucune expérience avec l’ocre et il est normal de faire un entretien et un nettoyage à l’occasion. Telles sont les recommandations de la norme BNQ 3661-500 et de l’APCHQ.
[134] Me Fournier est en désaccord avec l’affirmation de son confrère selon laquelle la solution doit régler définitivement et de façon permanente la problématique.
[135] D’ailleurs, elle fait remarquer que la solution recommandée par l’expert Racine ne présente pas ce caractère, bien que les nettoyages seront moins fréquents. Il est donc faux de prétendre que tel est l’objectif de la solution à appliquer.
[136] En l’instance, la véritable question est celle de savoir si les solutions préconisées par Messieurs Hosseini et Gagnier sont bonnes et une réponse affirmative s’impose. Elles sont également moins dispendieuses.
[137] En effet, le coût de la solution Hosseini est d’environ 25 000 $ à 30 000 $. Celui de la solution Gagnier est d’environ 40 000 $ et celui de la solution Racine avoisine les 180 000 $.
[138] Me Fournier plaide que la solution d’ozone, bien que nouvelle, l’Entrepreneur y croit, sur la foi de sa propre expérience. De plus, avant qu’une technologie devienne approuvée et ait force de norme, il y a des gens qui l’ont testée et des études qui ont été réalisées. Elle invite le Tribunal à ne pas rejeter cette technologie qui ne réduit en rien la qualité des travaux qui seront effectués et n’est pas contraire aux normes et aux règles de l’art. C’est d’ailleurs, plaide-t-elle, la position qu’adoptent la Cour du Québec dans l’affaire Gagné c. Dorais[7] de même que la Cour supérieure dans Fenêtre et vitraux C.M. Ltée[8].
[139] Confrontée au fait que la décision de l’Administrateur s’impose à l’Entrepreneur, ce dernier ne l’ayant pas contestée, Me Fournier rétorque que le Tribunal peut choisir la solution de l’Entrepreneur malgré l’absence de contestation de sa part.
Administrateur
[140] Me Boyer rappelle au Tribunal que le fardeau de la preuve incombe au Bénéficiaire. En l’espèce, il estime que ce fardeau est ici particulièrement lourd puisque ce qui est demandé est le soulèvement de la Propriété et que la différence de coût entre les diverses solutions discutées lors de l’enquête est substantielle.
[141] Par ailleurs, la véritable et unique question soumise à l’arbitre est celle de déterminer si la solution ordonnée par l’Administrateur est conforme aux règles de l’art et au plan de garantie. En cela il rappelle la jurisprudence[9] soumise par l’Entrepreneur sur ce point. Il soutient qu’aucune preuve n’est venue démontrer que la solution de drainage n’est pas conforme ou ne règle pas de manière satisfaisante le problème. De plus, l’expert Hosseini est une sommité en la matière et de loin le plus compétent de tous les experts entendus.
[142] Plus particulièrement, il soutient que Monsieur Racine ne possède pas les compétences nécessaires pour se prononcer valablement sur la méthode corrective. De fait, ce dernier est ingénieur chimique et non géotechnique. Monsieur Hosseini, au contraire, pratique dans le domaine de la géotechnique depuis plus de 45 ans et a participé à la rédaction de la norme BNQ 3661-500.
[143] De plus, le soulèvement de la Propriété n’offre aucune garantie supplémentaire, notamment en raison du fait que les semelles de fondation ne seront pas au-dessus de la nappe phréatique en tout temps. D’abondant, le guide de l’APCHQ (non soumis) stipule que le soulèvement est une solution de dernier recours.
[144] Il n’existe au dossier aucune preuve voulant que la solution de l’Administrateur ne soit pas conforme au plan de garantie ou aux règles de l’art. À cet égard, Madame Bédard a témoigné que la solution de drainage est adoptée même dans le cadre de construction neuve et l’expert Hosseini a affirmé avoir eu recours à cette solution à plusieurs reprises.
[145] Il souligne aussi que rien dans la décision de l’Administrateur n’exige que Monsieur Hosseini soit embauché pour la préparation des plans et devis, et/ou pour la surveillance des travaux. En cela, l’Entrepreneur est libre de retenir les services du professionnel de son choix.
[146] Par ailleurs, aucune preuve n’a été administrée quant à un potentiel déficit d’usage qui découlerait de la solution de drainage ni quant à la diminution de la valeur de la Propriété. Également, le Bénéficiaire n’a fait état d’aucune exigence préachat selon laquelle il n’aurait pas acheté avoir su qu’il serait nécessaire d’installer un bassin de captation, avec ou sans pompe submersible.
[147] Il n’existe, somme toute, aucune preuve que la situation en l’espèce est exceptionnelle au point de nécessiter une solution exceptionnelle. La situation est certes sérieuse, mais elle ne revêt pas de caractère exceptionnel.
[148] Me Boyer est d’avis que le Tribunal ne peut qu’adopter la solution de l’Administrateur, ou celle du Bénéficiaire vue l’absence de contestation de la décision par l’Entrepreneur. Il reconnaît que l’Entrepreneur peut bonifier la solution qui sera ordonnée, mais insiste sur le fait qu’il ne peut la contredire ou la modifier.
[149] Eu égard à la responsabilité de vérifier la hauteur de la nappe phréatique, il soutient qu’il ne fait aucun doute que c’est celle de l’Entrepreneur: c’est l’article 2104 C.c.Q. qui s’applique. Ainsi, les clauses 9 et 10 du contrat de vente du terrain (E-5) sont inapplicables, le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, rappelle-t-il, étant d’ordre public.
V
ANALYSE ET DÉCISION
[150] Le Tribunal est saisi d’un débat d’expert relativement à la méthode corrective ordonnée par l’Entrepreneur.
[151] D’entrée de jeu, le Tribunal rappelle que l’Entrepreneur n’a pas contesté la décision de l’Administrateur. Les arguments avancés par ce dernier ne suffisent pas à me convaincre que je puisse ordonner une solution autre que celle ordonnée par l’Administrateur ou celle demandée par le Bénéficiaire. Aucune jurisprudence en ce sens ne m’est d’ailleurs soumise par l’Entrepreneur.
[152] De l’avis du Tribunal, conclure autrement aurait pour effet de permettre à une partie de contester tardivement une décision qu’elle n’a pas contestée en temps utile.
[153] De plus, le Règlement prévoit un partage des frais d’arbitrage et le remboursement des frais d’expertise différents selon que la demande émane du Bénéficiaire ou de l’Entrepreneur. À ce titre, les articles 123 et 124 du Règlement stipulent ceci :
123. Les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’administrateur et l’entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l’administrateur à moins que le bénéficiaire n’obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l’arbitre départage ces coûts.
Seul l’organisme d’arbitrage est habilité à dresser le compte des coûts de l’arbitrage en vue de leur paiement.
124. L’arbitre doit statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel.
Il doit aussi statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur et l’entrepreneur solidairement doivent rembourser au bénéficiaire même lorsque ce dernier n’est pas le demandeur.
Le présent article ne s’applique pas à un différend portant sur l’adhésion d’un entrepreneur.
[154] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal a omis de résumer un pan complet de la preuve soumise par l’Entrepreneur en ce qui a trait à la solution d’ozone qu’il souhaite utiliser chez le Bénéficiaire.
[155] Par ailleurs, quelques remarques préliminaires s’imposent avant d’entrer dans le cœur du débat.
[156] D’abord, l’Administrateur a soutenu à l’audience que le fardeau de la preuve repose sur les épaules du Bénéficiaire. En cela, il a raison. C’est là ce que prévoit le Code civil du Québec :
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[157] Cependant, il est reconnu que ce fardeau soit celui de la prépondérance[10]. Notre Code civil énonce ce qui suit :
2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.
[158] Je ne vois nulle part dans la loi que le fardeau augmente proportionnellement à la valeur en litige. Aussi, le fardeau applicable n’est pas plus élevé en raison du fait que la solution demandée par le Bénéficiaire est beaucoup plus onéreuse que celle choisie par l’Administrateur.
[159] Ensuite, il a été question, au cours des trois (3) jours qu’a duré l’arbitrage, de la responsabilité du sol et plus particulièrement en ce qui concerne la responsabilité de vérifier la hauteur de la nappe phréatique.
[160] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un aspect qui doive ici être tranché, il m’apparaît important d’en traiter sommairement.
[161] Mon collègue, l’arbitre Errol Payne, traite abondamment de cette situation dans une récente décision[11]. Les passages suivants sont éloquents et sont applicables en l’espèce :
[52] D’autre part, le procureur soulève également l’application de l’article 2104 C.c.Q. permettant l’exonération de la responsabilité de l’Entrepreneur lorsque le bien vicié est fourni par les clients. Encore une fois, le texte de la disposition est reproduit ci-dessous :
2104. Lorsque les biens sont fournis par le client, l’entrepreneur ou le prestataire de services est tenu d’en user avec soin et de rendre compte de cette utilisation; si les biens sont manifestement impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés ou s’ils sont affectés d’un vice apparent ou d’un vice caché qu’il devait connaître, l’entrepreneur ou le prestataire de services est tenu d’en informer immédiatement le client, à défaut de quoi il est responsable du préjudice qui peut résulter de l’utilisation des biens. [soulignement dans le texte original]
[53] Toujours selon l’argumentaire du procureur de l’Entrepreneur, le terrain étant un bien fourni par les Bénéficiaires à l’Entrepreneur préalablement à la construction de la résidence, ce dernier devrait être déchargé de toute responsabilité quant au vice de sol déclaré. Il soulève l’existence de l’acte notarié de vente du terrain qui indique que les Bénéficiaires, les acheteurs, ont acheté ledit lot de 9012-6749 Québec inc., le vendeur, et non de l’Entrepreneur. Selon lui, cet élément révèlerait que le sol a en réalité été acheté d’un tiers par les Bénéficiaires, qui l’auraient ensuite fourni à l’Entrepreneur pour la construction de leur résidence. Il invoque que l’Entrepreneur ne peut alors être tenu responsable du préjudice découlant du terrain fourni par les Bénéficiaires puisque celui-ci est affecté d’un vice caché qu’il lui était impossible de connaitre.
[54] Une fois de plus, le tribunal doit respectueusement rejeter les prétentions du procureur de l’Entrepreneur.
[55] D’abord, il est reconnu que l’Entrepreneur, lequel est tenu à une obligation de résultat, ne peut invoquer sa diligence et son absence de faute dans l’exécution des travaux afin d’exonérer toute responsabilité de sa part[4]. Il ne peut invoquer comme défense le fait qu’il ait procédé à des travaux d’excavation dans les règles de l’art puisqu’il n’a vu aucune présence d’eau à ce moment dans le fond excavé. Ces arguments n’apportent rien au présent débat.
[56] Ensuite, le procureur de l’Entrepreneur tente de faire rejeter la responsabilité de ce dernier en invoquant la prétendue imposition du choix du sol par les Bénéficiaires. À l’issue de la preuve présentée devant lui, le tribunal ne peut confirmer cette prétention.
[57] En 2012, l’Entrepreneur fait la publicité d’un projet clé en main. La construction de la résidence et la vente du terrain sont présentés comme un tout aux Bénéficiaires. Les plans et devis sont fournis par l’Entrepreneur qui les a spécifiquement conçus pour être adaptés au terrain offert aux Bénéficiaires. De manière contemporaine au moment où ils signent le contrat de construction, les Bénéficiaires signent également un document distinct qui leur est tendu, lequel s’intitule « promesse d’achat ». Celui-ci comporte un entête au nom et adresse de l’Entrepreneur. La reproduction du passage suivant du document est pertinente :
Je nous soussigné(s) Yvan Brault et Marianick Boudreault, ci-après appelés les acheteurs, par la présente, promettent d’acheter de Deltec Construction Inc. 193 Ave Ste-Brigitte-de-Laval (Québec), G0A 3K0, ci-après appelé le vendeur, un terrain connu et désigné comme le(s) numéro(s) [...] du cadastre officiel de la paroisse de Beauport circonscription foncière de Québec d’une superficie approximative de 390 mètres carrés. [soulignement dans le texte original]
[58] La promesse d’achat est signée par M. Nick Tremblay, représentant de l’Entrepreneur. Il y appose ses initiales au-dessus de la ligne identifiée à l’intention du « vendeur ». On peut également y lire que l’acte de vente subséquent à la promesse devra être notarié devant le notaire Me Jaky Lévesque au plus tard le 27 mars 2012.
[59] La preuve étayée devant le tribunal est claire. Les Bénéficiaires cherchaient un projet de type clé en main, lequel leur a été offert par l’Entrepreneur. Ce dernier s’est occupé de fournir les contrats nécessaires, les plans et le terrain puis d’ériger la résidence. En aucune façon les Bénéficiaires n’ont imposé un choix de terrain à l’Entrepreneur. Il s’agit plutôt du cas contraire.
[60] Il est vrai que l’acte de vente notarié du terrain indique que dans les faits, le lot a été acheté d’un tiers vendeur, soit 9012-6749 Québec inc. Le tribunal ne met pas en cause la validité de l’acte authentique. Néanmoins, ce n’est pas parce que l’Entrepreneur n’est pas le vendeur réel aux termes de l’acte de vente qu’il n’a pas fourni le terrain en question aux Bénéficiaires.
(…)
[63] Il est bien évident qu’il existe une différence notoire lorsqu’un client qui agit à titre de maître d’œuvre dans la construction de sa maison fait affaire avec les sous-traitants qu’il sélectionne personnellement, impose le terrain qu’il possède alors et fournit lui-même les plans et devis. (…).
[64] Au surplus, même si la preuve est à l’effet que les clients n’ont pas fourni à l’Entrepreneur le terrain affecté du vice, dans l’hypothèse où cela avait été le cas, il est intéressant de mettre en lumière l’existence d’un jugement récent sur la question. L’honorable Claude Dallaire, J.C.S., s’est effectivement attardée à un tel cas dans la décision Ferme Coulée Douce inc. c. Silos Roy-Larouche inc.[7] en évaluant la responsabilité d’un Entrepreneur ayant construit un silo sur un terrain ayant été préalablement fourni par le client :
[284] Il faut d’abord vérifier si Ferme a satisfait son fardeau de démontrer toutes les conditions d’application édictées par cet article.
[285] Ce n’est qu’une fois cela fait qu’elle peut bénéficier des effets de la présomption de responsabilité de cet article.
[286] Pour réfuter les effets de cette présomption, l’entrepreneur doit ensuite démontrer que le problème avec l’ouvrage résulte d’une force majeure ou d’une autre source que de lui-même.
[287] C’est précisément pour les raisons exposées précédemment que les clauses exonérant l’entrepreneur face au sol sont jugées illégales et qu’elles ne lui sont d’aucun secours pour faire rejeter un recours, lorsque l’article 2118 C.c.Q. s’applique.
[288] En effet, comme il est question de solidité d’immeubles et de sécurité du public, le législateur a mis en place une protection d’ordre public de direction en matière de construction d’ouvrages importants. Ainsi, lorsque l’ouvrage est affecté d’un vice de conception ou de construction, ce qui inclut un vice de sol, cela ouvre la porte à l’application de la présomption de 2118 C.c.Q., sous certaines conditions, lorsqu’un recours en responsabilité est entrepris contre l’entrepreneur.
(…)
[291] SRL devait donc s’assurer que le sol pouvait recevoir le silo, mais elle a omis de prendre les moyens raisonnables pour y arriver, et ce, même après que son client ait brandi le drapeau jaune, à ce sujet.
[65] En l’occurrence, les Bénéficiaires sont des profanes ayant fait le choix de retenir les services de l’Entrepreneur pour sa spécialisation dans la construction résidentielle. Même si le terrain avait réellement été fourni par les Bénéficiaires à l’Entrepreneur, le tribunal n’aurait d’autre choix que d’appliquer le raisonnement ci-haut reproduit et conclurait tout autant à la responsabilité de l’Entrepreneur. [références omises]
[162] Par ailleurs, le témoignage de l’Entrepreneur est à l’effet qu’il n’a rien noté de particulier lors de l’excavation, sauf peut-être la présence d’un peu d’eau à l’occasion.
[163] Fait intéressant, nous retrouvons, à la page 5 du rapport de Monsieur Racine, deux (2) photos prises lors de l’érection des semelles de fondation, période qui se situe nécessairement après le 31 août 2015 et avant le 12 décembre de cette même année, bien qu’aucune date ne soit indiquée. Le Tribunal y voit au moins autant de zones d’eau que de zones où l’on aperçoit de la terre humide parsemée de flaques d’eau éparses. Ces photos parlent d’elle-même. Il est donc clair qu’au moment d’ériger les semelles de la fondation, la présence d’eau ne fait aucun doute.
[164] D’ailleurs, les parties ayant soumis au Tribunal une copie de la norme BNQ 3661-500, j’en ai pris connaissance. J’y note, à la page 13, que pour poser un diagnostic pour un bâtiment, l’expert doit prendre connaissance de l’historique du bâtiment existant, et notamment :
Ø la période de l’année où les travaux d’excavation ont été faits;
Ø les conditions d’humidité dans le sol et au fond de la tranchée au moment de la construction;
Ø la composition des sols dans la tranchée d’excavation et la présence de marbrures;
Ø la hauteur de la nappe d’eau ou des venues d’eau au moment de l’excavation;
Ø la date de construction;
Ø les travaux de réparation du système de drainage;
Ø les photos prises au moment de la construction ou lors des travaux de réparation;
Ø (…)
[nos soulignements]
[165] Il est donc évident que la présence d’eau lors de l’excavation est un fait important dont doit tenir compte l’Entrepreneur de même que la composition des sols. Autrement, pourquoi ces éléments deviendraient-ils subitement importants lors d’un diagnostic (en aval) s’ils ne l’étaient pas en amont?
[166] Sur la présence d’eau lors de l’excavation, l’Entrepreneur ne peut nier sa connaissance ni en minimiser l’importance sans du coup invoquer sa propre turpitude.
[167] Quant au mandat de l’expert Hosseini, je note en première page de son expertise, la mention suivante :
« Le présent rapport résume nos observations des lieux, les travaux de chantier et de laboratoire réalisés, ainsi que nos commentaire et recommandations au sujet du système de drainage de la résidence. »
[168] Et plus loin, on retrouve la trame historique remise à l’expert par l’Administrateur et dont un extrait indique :
« Vu ce qui précède, il va de soi qu’il est impératif de déterminer le niveau de la nappe phréatique du site en question avant toute intervention afin que le système de drainage futur assure un rendement optimal considérant que le niveau de la nappe phréatique a un impact directement relié à la formation d’ocre.
Cette contre-expertise devra également déterminer, en conclusion, quelle serait la méthode corrective privilégiée pour la propriété, dans le but de contrer le problème d’ocre ferreux. »
[169] Voilà qui répond aux questionnements soulevés en relation avec son mandat.
[170] Quant à l’expert Racine, il est vrai de dire que ce dernier a pu manquer de rigueur, par moment, en utilisant des données fournies par des tiers, dont certaines proviennent des experts au dossier. En cela, je dois donner raison à Monsieur Hosseini.
[171] Cependant, puisque l’ensemble de la preuve obtenue de toutes les parties est dans l’ensemble non contredite, et je fais ici référence au positionnement de la Propriété par rapport au niveau des eaux souterraines, le Tribunal ne lui en tient pas rigueur. Il serait toutefois souhaitable, à l’avenir, qu’il s’assure de prendre ses propres mesures. Il en va de la valeur probante de son rapport et de sa crédibilité comme expert.
[172] Enfin, il m’apparaît pertinent de traiter du rôle et des pouvoirs de l’arbitre.
[173] Maîtres Fournier et Boyer ont plaidé que le rôle du Tribunal n’est pas de choisir la meilleure solution, mais plutôt de déterminer si la méthode corrective ordonnée par l’Administrateur est conforme au plan de garantie et aux règles de l’art. Ils ont raison.
[174] La Cour d’appel dans une décision rendue en 2011[12] traite comme suit de cette question :
[20] Après avoir longuement fait état de la preuve (…)
Plus loin, elle précise à quel genre de démonstration doivent s’astreindre les intimés s’ils comptent avoir gain de cause devant elle :
[130] Concrètement ici, les bénéficiaires pour réussir devaient démontrer par une preuve prépondérante que les solutions préconisées par l’administrateur ne sont pas conformes au Plan et n’auront pas vraisemblablement l’effet correctif recherché d’assurer selon l’article 10 du Plan la réparation des malfaçons ou vices, soit en l’occurrence d’éliminer les infiltrations d’eau, la condensation occasionnée par le taux d’humidité excessif affectant la dalle et le fini la recouvrant de la résidence des bénéficiaires.
Enfin, elle rappelle quel est son rôle dans le cadre d’un arbitrage comme celui-ci, régi par le Règlement :
[135] La question, selon le Plan, à l’examen, n’est pas pour l’administrateur de retenir la solution qui serait idéale, qu’on l’appelle permanente ou autrement, mais bien de s’assurer de la conformité au Plan de la solution retenue, i.e. celle qui réparera la malfaçon ou le vice. Concrètement, il ne s’agit donc pas de rechercher et de choisir la solution parfaite ni celle qui paraîtrait parfaitement satisfaisante, mais plutôt celle qui assurera la réparation de la malfaçon ou du vice décelé. C’est là le sens et la portée de la garantie offerte par le Plan contre les malfaçons et les vices.
[136] Ainsi, ce que les bénéficiaires devaient démontrer est que les solutions retenues par l’administrateur ne rencontrent pas ces attentes du Plan.
[137] J’ai indiqué déjà que le rôle de l’arbitre est d’assurer la conformité des décisions de l’administrateur, non de s’y substituer. Pour intervenir, l’arbitre doit dans un premier temps avoir été convaincue de l’à-propos en vertu du Plan d’écarter comme mal fondée la décision de l’administrateur.
[138] Concrètement ici, cela signifie que l’arbitre doit être convaincu au moyen d’une preuve prépondérante que les solutions retenues par l’administrateur, ne sont pas conformes au Plan en ce qu’elles ne débarrasseront pas l’immeuble du vice ou de la malfaçon l’affligeant.
Rien dans ce qui précède ne peut être qualifié d’interprétation déraisonnable du Contrat ou du Règlement; au contraire, ces propos s’inscrivent dans le courant de la jurisprudence arbitrale rendue en application du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs [nos soulignements].
[175] Mon collègue Payne adopte également cette position[13].
[176] Or, cela ne signifie pas que le Bénéficiaire soit tenu d’accepter une solution partielle, qui ne vise qu’à minimiser la situation et les dommages qu’il subit[14]. La juge Langlois, citée dans l’affaire Thibodeau[15] s’exprime ainsi :
[67] Il ne s’agit pas d’envisager une solution dans la « perspective d’une minimisation des dommages, mais en fonction « de la garantie de qualité à laquelle est tenue le vendeur.
[177] En vertu du plan de garantie, le Bénéficiaire est en droit de s’attendre à ce que la méthode corrective vienne corriger et régler définitivement le problème[16]. En cela, le Bénéficiaire a raison.
[178] Quant à l’imposition d’une méthode corrective, la jurisprudence arbitrale ainsi que celle de la Cour d’appel[17] reconnaissent que l’arbitre agit à l’intérieur de sa compétence lorsqu’il rend une ordonnance en ce sens[18].
[179] Comme je l’ai indiqué plus haut, il est acquis au débat que la Propriété est construite sous le niveau maximum moyen de la nappe phréatique. Cependant, en plaidoirie, Me Fournier prétend qu’il n’y a aucune preuve prépondérante qui tende à démontrer que les semelles de la Propriété soient en permanence immergées dans l’eau, tentant du coup d’écarter l’abondante jurisprudence du Bénéficiaire qui ordonne de rehausser la résidence en litige dans de tels cas.
[180] Il importe donc de s’attarder à cet aspect du débat.
[181] Les experts ont exposé, avec plus ou moins d’éloquence, leur expertise et leur méthodologie de travail. Chacun a commenté la méthodologie de l’autre et dit en quoi la sienne est meilleure.
[182] Les experts Racine et Hosseini ont débattu entre eux, en cours d’audience, le point de référence à utiliser pour la prise des mesures du niveau de la nappe phréatique. De longues discussions s’en sont suivies mais aucun d’entre eux n’a mis en preuve les normes de pratique à cet égard.
[183] Par ailleurs, tous deux sont d’accord pour dire que le niveau maximum moyen de la nappe phréatique est observable à vue d’œil lorsqu’on pratique une tranchée (traces d’oxydoréduction visibles).
[184] En l’instance, le Tribunal note du rapport de Monsieur Racine que selon ses observations et mesures, les semelles de la fondation sont érigées à un niveau inférieur de 1,27 m par rapport au niveau maximum moyen des eaux souterraines. Il situe son point « 0 » au niveau du dessous des semelles de la fondation (B-23, p. 34). Ses mesures de niveau de la nappe phréatique ont été prises au printemps 2020.
[185] L’expert Hosseini, pour sa part, situe son point « 0 » au niveau de la surface du plancher du sous-sol (A-14, p. 5).
[186] Vu les points de référence différents, il aurait été souhaitable que les experts s’entendent sur un même point de référence et que les données de l’un soient converties pour être comparées aux données de l’autre. Ceci n’a pas été fait.
[187] Par ailleurs, le tableau que l’on retrouve à la page 35 du rapport de Monsieur Racine situe son point de référence (dessous de la semelle), de même que celui de Monsieur Hosseini (dessus de la dalle flottante) sur le graphique. À vue d’œil, j’estime la différence de hauteur entre ces deux (2) points à environ 30 cm.
[188] Selon le rapport de l’expert Hosseini, qui a pris ses mesures à l’automne 2019, le niveau de la nappe phréatique, en date du 2 octobre 2019, se situe à 180 mm au-dessus de la dalle. Force est de constater que si le niveau des eaux souterraines est supérieur à la dalle, il est indubitablement supérieur aux semelles.
[189] Ainsi, sur la foi des données obtenues par les deux (2) experts à l’automne 2019 et au printemps 2020 et procédant à la conversion de ces données, le Tribunal constate que tant à l’automne 2019 qu’au printemps 2020, les semelles de la fondation ne sont pas au sec.
[190] Par ailleurs, puisqu’il est vrai que la hauteur de la nappe varie en fonction de la période de l’année, il aurait été possible aux parties de prendre des mesures à différentes périodes. Cependant, elles ont choisi de s’en tenir aux mesures prises au printemps et à l’automne.
[191] Il est à rappeler toutefois que Monsieur Racine a souligné le fait qu’en juin et en février, soit aux périodes où se sont produits les deux (2) premiers refoulements, les eaux souterraines sont généralement basses.
[192] L’expert Hosseini confirme d’ailleurs dans son rapport que la dalle de plancher se situe en permanence dans la zone de variation de la nappe, ou sous celle-ci (A-14, p. 9). En cela, il fait écho aux propos de l’expert Racine voulant que les semelles de la Propriété soient submergées d’eau en permanence. D’ailleurs, Monsieur Racine situe le niveau moyen de la nappe phréatique à 0,5 m au-dessus des semelles de fondation (B-23, p. 38).
[193] Par conséquent, le Tribunal est d’avis que la preuve prépondérante démontre que les semelles baignent dans l’eau à longueur d’année. De ce constat découle que la jurisprudence soumise par le Bénéficiaire ne peut être écartée comme non applicable, comme le voudrait Me Fournier.
[194] Une analyse de la preuve et de la jurisprudence soumise permet de conclure que la solution ordonnée par l’Administrateur n’est pas conforme au Règlement ni aux règles de l’art.
[195] En effet, j’ai dit plus haut que la solution conforme au plan de garantie et aux règles de l’art, sans être la meilleure, doit en être une qui permette de régler la problématique, soit d’enrayer le colmatage du drain agricole causant les infiltrations d’eau. Il ne s’agit pas de diminuer le colmatage, mais bien de l’enrayer.
[196] Dans l’affaire Thibodeau[19], l’arbitre Dupuis se dit d’avis qu’une semelle submergée d’eau en permanence, comme c’est le cas en l’espèce, n’est pas conforme aux règles de l’art.
[197] En 2015, de nouveau saisi d’une question similaire, l’arbitre Dupuis, indique que « la construction d’une maison dont les fondations baignent dans la nappe phréatique est non conforme au Code national du bâtiment.[20] »
[198] L’arbitre Marcel Chartier a également constaté la non-conformité d’une semelle qui baigne dans l’eau[21].
[199] Par conséquent, le seul constat qui s’impose est que la construction, telle qu’elle existe présentement, n’est pas conforme aux règles de l’art.
[200] L’Administrateur demande au Tribunal de maintenir sa décision. Or, son maintien ferait en sorte que la situation de non-conformité qui prévaut actuellement se poursuive.
[201] Dans l’affaire Boudreault[22], l’arbitre appelé à statuer sur une situation semblable à celle à l’étude, s’exprime ainsi :
[74] Tous les experts au dossier, y compris celui ayant témoigné en faveur de l’Entrepreneur, s’entendent sur le fait que le rehaussement des fondations de la résidence est la seule méthode susceptible d’apporter une correction permanente de la problématique. Tel que présenté par M. Petitpas et M. Huot, la présence d’ocre ferreuse étant naturelle, il est impossible d’éradiquer cet élément du sol. La création d’un fossé de drainage ou l’installation d’un autre drain ne sont pas susceptibles de régler la problématique, puisque la construction des semelles de fondation de la maison dans la nappe phréatique demeurerait alors dans le même état. En surélevant les assises de la propriété au-dessus de la nappe phréatique, l’élément nécessaire au développement de la bactérie ferreuse, soit l’eau, sera soustrait de l’addition. Il s’agit là de la seule méthode permettant d’empêcher la prolifération du vice de sol. [nos soulignements]
[202] Dans la cause Thibodeau et Doré c. Construction Canadienne 2000 inc.[23], l’arbitre écrit ceci :
[93] Lors de l’audience, M. Hosseini a soumis au tribunal un guide de référence sur l’ocre ferreux, préparé par l’APCHQ et publié en 2007; en première page, le nom de M. Hosseini apparaît dans la liste des personnes ayant collaboré à cet ouvrage.
[94] À la section 2.3 dudit guide, on peut lire ce qui suit :
Les drains ne doivent pas être installés sous le niveau de la nappe phréatique. Si possible, le sol doit être sec;
[95] Dans le présent dossier, il existe une preuve prépondérante que ces conditions ne sont point rencontrées.
[96] Cette recommandation de l’APCHQ appuie la thèse voulant qu’un drain ne doit pas être utilisé pour rabattre une nappe, mais plutôt pour évacuer l’eau de pluie et l’eau de fonte.
(…)
[102] Même l’expert de Fondasol propose une solution par étape.
[103] Dans un premier temps, ce dernier, dans son rapport, propose la mise en place d’un bassin de captation avec pompe; si non suffisant, dans une deuxième étape, on installe un drain plus performant. Subséquemment, lors de l’audience, notant que l’installation d’une pompe peut occasionner des inconvénients majeurs (arrêt de l’alimentation électrique, absence des bénéficiaires, danger de colmatage de la pompe), il suggère plutôt d’évacuer l’eau par gravité.
(…)
[106] Il existe une preuve prépondérante que nous sommes en présence d’une situation problématique naturelle et permanente. Le remède exige donc une solution naturelle et permanente, ce qu’un bassin de captation ou tout drain, si efficace soit-il, ne peuvent constituer, dû à la formation permanente et rapide d’ocre ferreuse dans un milieu continuellement humide. [nos soulignements]
[203] Dans une autre affaire[24], l’arbitre Dupuis réitère ses propos relatifs à la nécessité d’une solution naturelle et permanente, ajoutant qu’une « bonne solution, conforme au plan, ne doit pas nécessiter d’entretien régulier comme c’est le cas actuellement, entretien qui sera augmenté suite à l’implantation de la méthode proposée par l’entrepreneur. »
[204] Conséquemment, le Tribunal n’a d’autre choix que d’accueillir la demande du Bénéficiaire. Cependant, certains éléments de la preuve demeurent préoccupants de sorte que la solution recommandée par l’expert Racine ne sera pas ordonnée intégralement.
[205] En effet, le rehaussement proposé de 60 cm ne fera pas en sorte que les semelles de la fondation soient maintenues au-dessus du niveau de la nappe phréatique, conformément aux règles de l’art et à la législation en vigueur.
[206] De plus, aucune expertise n’est venue établir la capacité portante du sol, comme le soulignait l’expert Hosseini, ni les hauteurs d’implantation permises ou du moins, réglementaires dans le secteur où se trouve la Propriété.
[207] Puisqu’il est de commune renommée qu’un jugement doit être exécutable[25], le présent Tribunal ne saurait ordonner une solution qui soit contraire à la législation applicable, ni aux règles de l’art.
[208] Conséquemment, le Tribunal ordonne le rehaussement de la Propriété, sujet aux balises indiquées aux conclusions des présentes.
[209] Les experts ont évoqué le possible effet néfaste que le rehaussement pourrait avoir sur les propriétés voisines. Sur ce point, qu’il suffise de dire qu’il s’agit d’hypothèses uniquement, sans données concrètes à l’appui, et que le secteur n’est pas encore très développé, étant plutôt constitué de terrains vacants. Sans minimiser l’impact possible d’une telle solution, il ne serait pas approprié d’imposer au Bénéficiaire que sa Propriété ne soit pas conforme aux règles de l’art pour éviter d’incommoder les voisins. Il appartiendra plutôt à l’Entrepreneur, sur ce point, d’être proactif et de voir si des actions sont requises de sa part, en amont plutôt qu’en aval.
[210] En terminant, quelques mots sur la solution d’ozone proposée par l’Entrepreneur.
[211] Lors de l’audience, des discussions ont eu lieu entre l’arbitre et les parties relativement à la possibilité pour ce dernier de mettre en place une solution d’ozone, en ajout à une autre solution, soit le drainage, sous réserve de ne pas contredire ni modifier les recommandations de l’expert Hosseini.
[212] Après analyse de la preuve et de la jurisprudence soumise, le Tribunal en vient à la conclusion qu’il ne peut laisser le loisir à l’Entrepreneur de l’appliquer comme il en fût alors question. On le sait maintenant, c’est une solution de soulèvement qui sera appliquée. Toutefois, la Propriété, une fois soulevée, devra malgré tout être munie d’un système de drainage. Il pourrait être tentant pour l’Entrepreneur d’imposer cette solution, comme moyen additionnel.
[213] Or, la preuve a démontré que cette technologie est encore à l’essai et que si la Propriété devait en être munie, elle serait la 8e résidence au Québec à l’utiliser. Du témoignage même de Monsieur Gagnier, ils en sont encore à l’étape des essais, bien qu’il estime ceux-ci concluants jusqu’à présent.
[214] Si l’Entrepreneur a le choix de la méthode corrective, il n’a pas toute la latitude pour imposer au Bénéficiaire de servir de laboratoire d’essai.
[215] Dans l’affaire Boudreault[26] où il était question d’une nouvelle technologie, l’arbitre écrit ceci :
[76] (…) Il ne dispose pas non plus de toutes les données nécessaires à la vérification de l’efficacité de sa méthode, indiquant au tribunal que celles-ci seront vérifiées en temps et lieu. Cela ne saurait sérieusement constituer une solution conforme aux règles de l’art et à l’esprit du plan de garantie.
(…)
[79] Considérant ce qui précède et n’ayant aucune idée concrète de la capacité de la méthode proposée par M. Thomassin à régler la problématique permanente et naturelle, le tribunal doit sans équivoque rejeter celle-ci. Il n’a d’autre choix que d’ordonner le rehaussement des fondations de la résidence puisqu’il s’agit de la seule méthode mise en preuve devant lui étant conforme aux règles de l’art et à l’esprit du plan de garantie.
[216] Me Fournier a raison de plaider qu’avant d’adopter une norme et de recommander l’utilisation d’une nouvelle technologie, des essais sont faits et des études sont réalisées. Elle a invité le Tribunal à ne pas rejeter la solution d’ozone du revers de la main au seul motif que c’est nouveau.
[217] Bien que j’aie décidé plus haut que l’Entrepreneur ne pouvait contester indirectement la décision de l’Administrateur ni imposer cette solution au Bénéficiaire, pour les motifs plus amplement exposés ci-devant, il n’en demeure pas moins que le Bénéficiaire pourrait, s’il le désire et après entente avec l’Entrepreneur, accepter que cette technologie soit implantée chez lui pour ainsi participer, peut-être, à l’émergence d’une nouvelle méthode. Cela ne saurait cependant lui être imposé.
Frais
[218] En ce qui concerne les frais du présent arbitrage, conformément à l’article 123 du Règlement, ils sont à la charge de l’Administrateur.
[219] Quant à ceux relatifs aux expertises, l’article 124 du Règlement prévoit que l’arbitre doit statuer quant au quantum des frais raisonnables d’expertise pertinente que l’Administrateur doit rembourser au Bénéficiaire.
[220] Les parties ont demandé que les frais suivent le sort du litige, sous réserves des commentaires qui pourraient m’être transmis à la suite de la réception des factures de Monsieur Racine. L’Administrateur et l’Entrepreneur ont confirmé qu’ils n’avaient aucun commentaire à formuler.
[221] Le Tribunal estime que les frais d’expertise sont justifiés et que ceux-ci doivent être entièrement remboursés au Bénéficiaire.
EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire, en partie;
ORDONNE à l’Entrepreneur de procéder aux travaux correctifs de rehaussement des fondations de manière à faire en sorte que les semelles soient érigées au-dessus de la nappe phréatique, et ce, d’ici au 30 novembre 2020, ou dans tout autre délai convenu avec le Bénéficiaire;
ORDONNE à l’Entrepreneur d’obtenir les expertises nécessaires afin que soit déterminée la capacité portante du sol de même que toute autre analyse ou expertise requise aux fins de se conformer aux présentes, tenant compte également notamment des exigences municipales et d’urbanisme eu égard à la hauteur d’implantation, et ce, aux frais de l’Entrepreneur;
ORDONNE à l’Entrepreneur de soumettre à l’Administrateurs, pour approbation, les plans et devis obtenus préalablement à l’exécution des travaux, aux frais de l’Entrepreneur;
ORDONNE que les travaux soient supervisés par un ingénieur dont les qualifications et l’expertise auront été préalablement approuvées par l’Administrateur, aux frais de l’Entrepreneur;
ORDONNE à l’Entrepreneur de remettre en état l’aménagement extérieur de la Propriété d’ici au 31 mai 2021, sauf les travaux conservatoires et nécessaires lesquels devront être exécutés dans les quinze (15) jours suivant l’exécution des travaux de rehaussement, ou dans tout autre délai convenu avec le Bénéficiaire;
ORDONNE à l’Entrepreneur de remettre en état l’intérieur de la Propriété, plus précisément, mais non limitativement le sous-sol, dans les trente (30) jours suivant l’exécution des travaux, ou dans tout autre délai convenu avec le Bénéficiaire;
ORDONNE à l’Entrepreneur d’obtenir les permis nécessaires des autorités compétentes;
Le cas échéant, ORDONNE à l’Entrepreneur de demander et d’obtenir les dérogations mineures, si requises ;
ORDONNE à l’Entrepreneur d’exécuter tous les travaux correctifs conformément à la législation en vigueur et notamment le Code national du bâtiment, la norme BNQ 3661-500, les règlements de construction applicables de même que les règles de l’art et les recommandations de l’ingénieur;
ORDONNE à l’Entrepreneur d’obtenir, à la fin des travaux, une attestation de conformité à la législation en vigueur de même qu’à la norme BNQ 3661-500, de l’ingénieur qui aura supervisé les travaux et d’en remettre copie à l’Administrateur;
À DÉFAUT par l’Entrepreneur de se conformer aux présentes, ORDONNE à l’Administrateur de s’y conformer;
PREND ACTE du paiement effectué par l’Entrepreneur au Bénéficiaire conformément aux ordonnances redues par l’Administrateur les 6 mars et 28 août 2019;
PREND ACTE de la remise d’un chèque au Bénéficiaire par l’Entrepreneur le 9 juin 2020 en paiement de la facture produite sous la cote B-14, en exécution de la décision de l’Administrateur du 3 février 2020;
CONDAMNE l’Administrateur à payer tous les frais d’arbitrage liés à la demande du Bénéficiaire;
CONDAMNE l’Administrateur à rembourser au Bénéficiaire les frais d’expertise de Monsieur Racine au montant de 11 613,90 $ dans les trente (30) jours suivant la réception de la présente décision.
Montréal, ce 31 juillet 2020
Me Karine Poulin, arbitre
[1] Le niveau maximum moyen correspond au « niveau auquel la nappe phréatique est susceptible de monter pendant quelques semaines dans l’année lors de la fonte des neige (sic) au printemps et lors de périodes de forte pluie à l’automne. » - extrait du rapport de Monsieur Racine, pièce B-23, p. 21.
[2] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., 2019 CanLII 77844 (QC OAGBRN); Guy c. Construction Midalto inc. et La garantie de construction résidentielle (GCR), CCAC S17-072802-NP, 21 mars 2018, Yves Fournier, arbitre; Bolduc et Bidégaré c. Gaubeau Construction inc. et La Garantie Habitation du Québec inc., GAMM 2015-03-004, 9 octobre 2015, Claude Dupuis, arbitre; Thibodeau et Doré c. Construction Canadienne 2000 inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., GAMM 2013-03-004, 30 septembre 2013, Claude Dupuis, arbitre.
[3] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2; Lepage c. Deltec Construction inc., 2019 CanLII 70698 (QC OAGBRN); Bolduc et Bidégaré c. Gaubeau Construction inc. et La Garantie Habitation du Québec inc., précitée note 2; Larouche c. Gauvreau & Fils excavation inc., 2013 QCCS 4175; Thibodeau et Doré c. Construction Canadienne 2000 inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., précitée note 2; Hubert et Raymond c. Construction Réjean D’Astous et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., 2005 CanLII (59143)(QC OAGBRN).
[4] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2; Guy c. Construction Midalto inc. et La garantie de construction résidentielle (GCR), précitée note 2.
[5] Pépin et al. c. Habitations Robert inc. et al.,2019 CanLll 52901 (QC OAGBRN); Construction Réal Landry inc. c. Rae, 2011 QCCA 185.
[6] Tighilet et al. c. Habitations Socam inc. et al., 2019 CanLll 103632 (QC OAGBRN).
[7] Gagné c. Dorais, 2008 QCCQ 14307.
[8] Fenêtre et vitraux C.M. Ltée c. M. Bélanger Ltée, (C.S, 1968-12-11) SOQUIJ AZ-69021109.
[9] Pépin et al. c. Habitations Robert inc. et al., précitée note 5; Construction Réal Landry inc. c. Rae, 2011 QCCA 1851.
[10] Guy c. Construction Midalto inc. et La garantie de construction résidentielle (GCR), précitée note 2.
[11] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2.
[12] Construction Réal Landry inc. c. Rae, précitée note 9.
[13] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2.
[14] Bolduc et Bidégaré c. Gaubeau Construction inc. et La Garantie Habitation du Québec inc., précitée note 2; Thibodeau et Doré c. Construction Canadienne 2000 inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., précitée note 2.
[15] Thibodeau et Doré c. Construction Canadienne 2000 inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., précitée note 2.
[16] Id.
[17] Construction Réal Landry inc. c. Rae, précitée note 9.
[18] Gestion Titanium inc. c. Tremblay et Hotte et La garantie de construction résidentielle (GCR), 2019 CanLII 1475 (QC OAGBRN); Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2; Guy c. Construction Midalto inc. et La garantie de construction résidentielle (GCR), précitée note 2.
[19] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2.
[20] Bolduc et Bidégaré c. Gaubeau Construction inc. et La Garantie Habitation du Québec inc., précitée note 2.
[21] Hubert et Raymond c. Construction Réjean D’Astous et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., précitée note 3.
[22] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2.
[23] Thibodeau et Doré c. Construction Canadienne 2000 inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., précitée note 2.
[24] Bolduc et Bidégaré c. Gaubeau Construction inc. et La Garantie Habitation du Québec inc., précitée note 2.
[25] Gestion Titanium inc. c. Tremblay et Hotte et La garantie de construction résidentielle (GCR), précitée note 18.
[26] Boudreault et Brault c. Deltec construction inc. et La garantie qualité habitation du Québec inc., précitée note 2.