ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment:
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL
ENTRE: SYNDICAT DE COPROPRIÉTÉ 51 CARMEL
(ci-après «les Bénéficaires»)
ET: 140607 CANADA INC. (CONSTRUCTION
RO-BERT)
(ci-après «l'Entrepreneur»)
ET: LA GARANTIE DES BÂTIMENTS
RÉSIDENTIELS NEUFS DE L'APCHQ INC.
(ci-après «l’Administrateur»)
No dossier CCAC: S11-080101-NP
No dossier APCHQ: 11-356FL
Arbitre: Me Philippe Patry
Pour les Bénéficiaires: Monsieur Gaston Labelle
Pour l'Entrepreneur: Monsieur Robert Bertholet
Pour l’Administrateur: Me François Laplante
Monsieur Richard Berthiaume,
inspecteur-conciliateur
Date de la sentence: 9 avril 2012
Identification complète des parties
4563 avenue Wilson
Montréal (Québec) H4A 2V5
Bénéficiaires: Syndicat de copropriété 51 Carmel
Monsieur Gaston Labelle
51, boulevard Carmel, condominium 300
Terrebonne (Québec) J6Y 0B6
Entrepreneur: 140607 Canada Inc.(Construction Ro-Bert)
Monsieur Robert Bertholet
185, rue Sévigne
Laval (Québec) H7H 1J9
Administrateur: La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc.
5930, boulevard Louis-H. Lafontaine
Anjou (Québec) H1M 1S7
et son procureur:
Me François Laplante
Monsieur Richard Berthiaume,
inspecteur-conciliateur
Décision
L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le 17 août 2011.
8 février 2011: Rapport d'inspection préachat;
25 février 2011: Lettre des Bénéficiaires à l'Entrepreneur; lettre des Bénéficiaires à l'Administrateur;
26 février 2011: Demande de réclamation des Bénéficiaires auprès de l'Administrateur;
18 mars 2011: Avis de 15 jours de l'Administrateur à l'Entrepreneur;
13 avril 2011: Inspection de l’Administrateur;
13 juin 2011: Décision de l’Administrateur;
22 juillet 2011: Correspondance des Bénéficiaires à l'Administrateur;
1 août 2011: Réception par le CCAC de la demande d’arbitrage des Bénéficiaires datée du 28 juillet 2011;
7 septembre 2011: Réception du cahier de pièces de la part de l’Administrateur;
8 septembre 2011: Audience préliminaire par conférence téléphonique;
12 décembre 2011: Réception de la contre-expertise géotechnique de la part de l'Administrateur;
20 décembre 2011: Audience préliminaire par conférence téléphonique;
16 janvier 2012: Réception du DVD «caméra drain» des Bénéficiaires;
15 mars 2012: Audience à la salle 2.04 du Palais de justice de Laval.
Introduction:
[1] Les Bénéficiaires ont interjeté appel de la décision de l’Administrateur du 13 juin 2011 à savoir que les points numéros 1 à 3 (présence d'ocre ferreuse dans le bassin de captation, pente inversée sur le côté est du bâtiment et travaux d'asphaltage mal exécutés) «ne rencontrent pas les critères du vice majeur en ce sens qu'il n'y a pas perte de l'ouvrage»[1].
[2] Plus précisément concernant l'ocre ferreuse, l’Administrateur a affirmé que dans:
«[…] le bassin, nous n'avons constaté aucune présence de dépôts de consistance molle pouvant empêcher son bon fonctionnement»[2].
[3] Le tribunal a d’abord entendu le témoignage de Monsieur Gabriel Ouellette de Expertise en Bâtiments Champagne Inc. (EBC) pour les Bénéficiaires, puis celui de Monsieur André Bertholet de 140607 Canada Inc. (Construction Ro-Bert) pour l’Entrepreneur, de même que ceux de Monsieur Richard Berthiaume et de Monsieur Mohammad Hosseini, ing., pour l’Administrateur, lors de l’audience du 15 mars 2012.
[4] Il est à noter que le tribunal a alors déclaré Monsieur Hosseini comme témoin expert compte tenu que les parties n'estimaient pas nécessaire la tenue d'un voir-dire et compte tenu de ses études avancées en génie civil, de sa vaste expérience professionnelle et des reconnaissances de son expertise par différents tribunaux.
[5] Suite à un voir-dire, le procureur de La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. s'était objecté à ce que M. Ouellette soit reconnu comme témoin expert en bâtiment ou en système de drainage. Il avait évoqué, entre autres, que M. Ouellette possédait peu d'expérience, n'était pas membre d'un ordre professionnel et n'avait jamais été reconnu comme expert par une cour de justice. Cependant après avoir entendu le témoignage de M. Ouellette, le tribunal est prêt à le déclarer comme témoin expert. Même s'il s'agissait d'une première pour M. Ouellette, ce dernier a clairement démontré qu'il possédait les compétences et les connaissances techniques adéquates pour émettre une opinion sur le litige en cause.
Juridiction:
[6] Compte tenu que les parties n'ont soulevé aucune objection préliminaire à la constitution du tribunal ou à la tenue de l'audience, le tribunal déclare que juridiction lui est acquise.
Faits:
[7] Suite à la consultation d'un rapport d'inspection préachat du condominium 402 daté du 8 février 2011 indiquant la présence possible d'ocre ferreux[3], le Syndicat de copropriété 51 Carmel a mandaté la firme d'experts Expertise en Bâtiments Champagne Inc. (EBC) pour effectuer une analyse plus approfondie. Dans son rapport du 17 février 2011, le biochimiste Michel Charest révèle que le potentiel de colmatage du drain français est élevé[4] d’où la demande de réclamation du syndicat du 26 février 2011 reçue par l'Administrateur le 2 mars 2011 (dans les 6 mois de la découverte du problème).
Question en litige:
[8] Suite à une conférence préparatoire durant laquelle le tribunal a soulevé des questions quant à l'inspection préréception et l'avis des fins de travaux de l'Entrepreneur aux Bénéficiaires[5], les parties se sont entendues sur la date du 4 juillet 2007 concernant la réception des parties communes.
[9] Considérant que la réception de la réclamation des Bénéficiaires date du 2 mars 2011, soit dans la quatrième année de la garantie, les trois points dénoncés doivent répondre aux critères de vice majeur en vertu du paragraphe 27(5) du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[6] (le Règlement), à savoir: résultent-ils d'un vice de conception, de construction ou de réalisation ou des vices de sol ayant causé la perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec?
Analyse et décision:
Point numéro 1 - Présence d'ocre ferreuse dans le bassin de captation
[10] Dans un premier temps, il importe de d'examiner la question du colmatage ou du potentiel de colmatage du drain français.
- Thèse de l’expert des Bénéficiaires: déficience du système de drainage
[11] Dans son témoignage, l’expert Ouellette a d'abord mentionné que l'échantillon d'eau du 15 février 2011 avait été prélevé dans le bassin de captation des eaux en provenance du drain français[7] et que le résultat d'analyse de cet échantillon du laboratoire Environex indiquait que le risque de colmatage du drain français était élevé. [12] De plus, il a relaté les observations suivantes de l'excavation effectuée au pourtour de la fondation lors de l'inspection du système de drainage du 19 juillet 2011[8]:
-le système de drainage était composé d'un tuyau flexible perforé sans membrane recouvert d'un mince lit de pierre nette sans membrane géotextile;
-le remblai était principalement composé de sable et d'argile, et était très humide et très meuble au moment de son inspection;
-l'absence de membrane avait permis au remblai de se mélanger à la pierre minant grandement la fonction drainante du lit de pierre;
-l'ouverture du drain a démontré que celui-ci était complètement rempli de sable avec quelques dépôts orangeâtes;
-le drain était constamment rempli à 100% d'eau;
-il y avait des dépôts orangeâtes sur les parois intérieures et extérieures du drain.
[13] Ainsi, compte tenu que l'expert Ouellette en arrivait à la conclusion que le système de drainage était déficient, il proposait de le changer complètement par un tuyau de type rigide-lisse muni de cheminées d'accès pour le nettoyage.
[14] En contre-interrogatoire, il a avoué que l'affirmation quant au potentiel élevé de colmatage du drain français ne s'appuyait pas sur des données scientifiques. De plus, il a mentionné de ne pas avoir mesuré le niveau de la nappe phréatique à l'aide d'un piézomètre. Enfin, il a reconnu qu'il n'avait pas constaté de colmatage à l'extérieur du drain français, ni de dommages apparents malgré l'humidité du sol.
- Thèse de l’expert de l'Administrateur: faible potentiel de colmatage du dépôt d'ocre
[15] Dans son témoignage, l’inspecteur-conciliateur Richard Berthiaume a réitéré que lors de son inspection du 13 avril 2011, il avait constaté que le dessus du bassin de captation se situait à environ 35 pouces plus bas que le dessus de la dalle de béton. De plus, il avait alors noté l'écoulement d'une eau claire en provenance du drain français et qu'aucune présence de dépôts de consistance molle ne se trouvait dans le bassin pour en empêcher le bon fonctionnement[9]. Enfin, il n'avait noté aucune infiltration d'eau ou présence excessive d'humidité au sous-sol du bâtiment.
[16] En contre-interrogatoire, il a reconnu qu'il n'avait effectué aucun test lors de son inspection.
[17] D'entrée de jeu, l'expert Hosseini a expliqué que la mesure du niveau de la nappe phréatique constitue une norme exigée par la littérature. Selon les relevés piézométriques qu'il a effectués, le niveau de la nappe d'eau était situé de 1 m à 1,23 m de profondeur sous la dalle de plancher du garage, ce qui constituait une nappe d'eau profonde[10]. Il a affirmé que cette nappe d'eau profonde témoignait du bon fonctionnement du drain français.
[18] Il remettait ainsi en question l'utilité de l'échantillon d'eau prélevé à même le bassin de captation, car il estimait que la condition d'eau qui s'y retrouvait favorisait les conditions propices aux activités bactériennes contribuant à la formation du dépôt d'ocre dans le tuyau de branchement du drain français. Tests à l'appui, il a pointé que la teneur en fer soluble de l'eau souterraine fraîche était de 0.07 mg/L comparativement à celle de l'eau présente dans le conduit de branchement du drain français qui variait de 2,3 à 3,1 mg/L[11]. Il concluait que l'activité bactérienne était limitée à ce conduit de branchement du drain français et à la fosse de retenue et en conséquence, ne pouvait causer la perte du bâtiment.
[19] De plus, l'expert Hosseini a souligné l'erreur commise par EBC d'avoir mal interprété les résultats des échantillons d'analyse du laboratoire Environex, soit les concentrations du fer soluble inférieures à 0,03 mg/L avec un pH de 7,7 et 7,3. Non seulement EBC n'a pas présenté de système de classification de potentiel de colmatage de dépôt d'ocre, mais selon les travaux de recherche publiés par Kuntz (1982), la teneur en fer soluble inférieure à 0,03 mg/L comprend un risque de colmatage faible et non pas élevé comme le prétendait EBC[12].
[20] Enfin, il a avancé que le drain français ne possédait aucune utilité, car la pierre nette concassée de même que le sable fin et perméable avec traces de silt entre la dalle de plancher et le sol naturel de sable silteux[13] agissent comme des systèmes naturels de drainage.
- Analyse
[21] Considérant que selon les travaux de recherche publiés par Kuntz (1982), les résultats d'analyse du laboratoire Environex des échantillons d'eau du bassin de captation, soit les concentrations du fer soluble inférieures à 0,03 mg/L avec un pH de 7,7 et 7,3, doivent être interprétés comme comportant un potentiel de colmatage faible et non pas élevé comme le soutenait EBC;
[22] Considérant que selon l'analyse de l’expert Hosseini, la teneur en fer de l'eau fraîche qu'il a prélevée est de 0,07mg/L avec un pH de 7,3 et constitue donc un potentiel de colmatage faible toujours selon le système de classification précédemment mentionné;
[23] Considérant que la variation très importante de la teneur en fer de l'eau stagnée et colorée présente dans le conduit de branchement du drain français (2,3 à 3,1 mg/L) par rapport à l'eau fraîche (0,07 mg/L) indique que l'activité bactérienne se limite au tuyau de branchement du drain français et à la fosse de retenue;
[24] Considérant que le niveau de la nappe phréatique se situe à 1 m à 1,23 m sous la dalle de béton du plancher du sous-sol;
[25] Considérant que la jurisprudence arbitrale[14] requiert habituellement que les fondations soient construites à toutes fins utiles dans la nappe phréatique afin de déclarer qu'un problème d'ocre ferreuse constitue un vice majeur;
[26] Considérant que les Bénéficiaires n'ont pu établir que les constatations factuelles effectuées par leur expert et résumées au paragraphe 12 des présentes ont été causées par un vice majeur au sens de l'article 2118 du Code civil du Québec;
[27] Considérant qu'aucune preuve d'infiltration d'eau, ni d'humidité excessive n'a été présentée;
[28] Le tribunal en arrive à la conclusion que les Bénéficiaires n'ont pas démontré selon la prépondérance de la preuve qu'il y a colmatage ou un potentiel de colmatage du drain français qui constitue ou pourrait constituer des problèmes graves susceptibles d'entraîner la perte totale ou partielle de l’ouvrage au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec.
Point numéro 2 - Pente inversée sur le côté est du bâtiment
[29] L'Administrateur a indiqué dans sa décision du 13 juin 2011 que la situation dénoncée était présente depuis plus de quatre ans, soit plus de six mois entre la découverte de ce problème et la réclamation par écrit à l'Administrateur, et que ce type de travaux ne faisait pas partie intégrante du bâtiment.
[30] Compte tenu que les Bénéficiaires n'ont présenté aucune preuve testimoniale ou documentaire à l'audience et n'ont soumis aucun argument lors des représentations finales, le tribunal maintient la décision de l'Administrateur sur ce point.
Point numéro 3 - Travaux d'asphaltage mal exécutés
[31] L'Administrateur a écrit dans sa décision du 13 juin 2011 que la situation dénoncée était présente depuis plus de quatre ans, soit plus de six mois entre la découverte de ce problème et la réclamation par écrit à l'Administrateur.
[32] Compte tenu que les Bénéficiaires n'ont présenté aucune preuve testimoniale ou documentaire à l'audience et n'ont soumis aucun argument lors des représentations finales, le tribunal maintient la décision de l'Administrateur sur ce point.
Les frais d’expertise:
[33] Malgré la pertinence du témoignage de Monsieur Gabriel Ouellette à titre d’expert, les Bénéficiaires devront assumer les frais raisonnables d’expertise de ce dernier de l’ordre de 4, 399.25$ taxes incluses, puisqu'ils n'ont eu gain de cause sur aucun point de leur appel.
.
Les frais d’arbitrage:
[34] Considérant que les Bénéficiaires n'ont obtenu gain de cause sur aucun des aspects de leur réclamation, l'Administrateur et les Bénéficiaires devront partager les coûts du présent arbitrage conformément à l'article 37 du Règlement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE:
REJETTE l’appel des Bénéficiaires;
CONDAMNE les Bénéficiaires au paiement des coûts du présent arbitrage limités au montant de 100.00$ et l’Administrateur au paiement du solde de ces coûts.
Montréal, le 9 avril 2012
_________________________
ME PHILIPPE PATRY
Arbitre / CCAC
[1] Cahier de pièces, A-8, page 4.
[2] Idem.
[3] Cahier de pièces, A-3, page 2.
[4] Cahier de pièces, A-1.
[5] Idem, page 3.
[6] Décret 841-98.
[7] Supra, note 5, page 5.
[8] Pièce B-1, Rapport d'expertise spécifique, Expertise en Bâtiments Champagne Inc., Michel Champagne et Gabriel Ouellette, 28 juillet 2011, pages 13-14-15.
[9] Supra, note 1.
[10] Pièce A-14, Contre-expertise technique, Fondasol inc., Mohammad Hosseini, ing., Ph. D., 28 novembre 2011, page 6.
[11] Idem, page 7.
[12] Idem.
[13] Idem, pages 4-5-11-12.
[14] Hubert et Raymond c. Construction Réjean D'Astous et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. (SORECONI 041014001), Chartier, 11 novembre 2005;
Larouche et Cléroux c. Habitations Clo-Bel Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. (SORECONI 070926001), Jeanniot, 14 décembre 2007;
Perreault et Cusson c. 9034-5877 Québec inc. (Construction Clément Arès) et la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. (GAMM 2010-08-002), Dupuis, 31 août 2010.