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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :
CENTRE CANADIEN D'ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)
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ENTRE : NATALIA GOMES
LUIS SAVIO
(ci-après désignés « les Bénéficiaires »)
CLAUDE DION ENTREPRISE INC.
(ci-après désignée « l’Entrepreneur »)
LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.
(ci-après désignée « l'Administrateur »)
No dossier CCAC : S16-122001-NP
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DÉCISION ARBITRALE
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Arbitre : Me Luc Chamberland
Bénéficiaires : Mme Natalia Gomes
M. Luis Savio
Pour l'Entrepreneur : absent
Pour l'Administrateur : Me Olivier St-André
Date de l'audition : Le 24 octobre 2017
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Date de la décision : Le 3 novembre 2017
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Identification complète des parties
Arbitre : Me Luc
Chamberland
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Bénéficiaires : Mme Natalia Gomes M. Luis Savio [...] Québec (Québec) [...]
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Entrepreneur : Claude Dion Entreprise inc. 250 - 5100, rue des Tournelles Québec (Québec) G2J 1E4
absent
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Administrateur : La Garantie Habitation du Québec inc. 9200, boul. Métropolitain Est Montréal (Québec) H1K 4L2 Et son avocat : Me Olivier St-André
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DÉCISION ARBITRALE
[1] Le 10 décembre 2013, les Bénéficiaires, Natalia Gomes et Luis Savio, ont signé un contrat préliminaire de vente d’un condominium avec l’Entrepreneur, Claude Dion Entreprise inc. (A-4). Le 25 mars 2014, un contrat notarié de vente de l’immeuble est intervenu entre les mêmes parties (A-5).
[2] Il n’est pas contesté que les Bénéficiaires ont pris possession de leur immeuble en copropriété le 25 mars 2014.
[3] Le 30 juin 2016, les Bénéficiaires, par courriel, faisaient la dénonciation suivante :
En attention de madame Rochette,
Bonjour,
Je suis propriétaire du projet AQE-101 à l’adresse : [...] - Québec QC.
J’ai remarqué, il y a quelques semaines, des problèmes dans ma maison que je ne trouve pas normal après 2 ans de construction.
Je sollicite de façon urgente une inspection dans ma maison pour trouver des solutions pour les problèmes suivantes :
- Infiltration d’eau autour de la base de la douche.
- Moisissure dans le silicone sur la base de la douche et aussi dans la céramique.
- Désintégration du plastique au bord de la vitre de la douche.
- Déprédation du plancher en béton à l’entrée.
- Écart important du plancher avec le mur (sous couche du plancher flottant visible).
J’attends de vos nouvelles le plus vite possible svp.
Merci à l’avance.[1]
[nos soulignés]
[4] Le 24 novembre 2016, l’Administrateur rejetait toutes les demandes des Bénéficiaires (A-3). Le 20 décembre 2016, les Bénéficiaires portaient cette décision en arbitrage (A-2).
[5] Le 30 août 2017, l’arbitre rendait une décision interlocutoire à la suite d’une audience préliminaire. Au paragraphe 4 de cette décision, on peut lire que :
[4] Les parties ont convenu que le litige porte sur les points 1 à 3 de la décision de l’Administrateur du 24 novembre 2016.
Le litige
[6] Les trois éléments factuels en litige peuvent se regrouper comme suit :
1 - Les problèmes d’étanchéité et/ou d’entretien de la douche à l’étage;
2 - La détérioration de la surface de béton à l’entrée;
3 - L’écart important entre le plancher flottant et le mur au rez-de-chaussée (la sous-couche du plancher est visible).
Les dispositions pertinentes
[7] Les dispositions pertinentes du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (RLRQ c B-1.1, r 8) (le « Règlement ») qui étaient en vigueur avant le 1er janvier 2015 se lisaient comme suit :
27. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
1° le parachèvement des travaux dénoncés, par écrit:
a) par le bénéficiaire, au moment de la réception de la partie privative ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;
b) par le professionnel du bâtiment, au moment de la réception des parties communes;
2° la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l’article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux des parties communes ou, lorsqu’il n’y a pas de parties communes faisant partie du bâtiment, de la partie privative et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.
[…]
II. Exclusions de la garantie
29. Sont exclus de la garantie:
1° la réparation des défauts dans les matériaux et l’équipement fournis et installés par le bénéficiaire;
2° les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements;
3° les réparations rendues nécessaires par une faute du bénéficiaire tels l’entretien inadéquat, la mauvaise utilisation du bâtiment ainsi que celles qui résultent de suppressions, modifications ou ajouts réalisés par le bénéficiaire;
[…]
[nos soulignés]
[8] Les mêmes dispositions qui étaient applicables après le 1er janvier 2015 se lisent comme suit :
27. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
1° le parachèvement des travaux dénoncés, par écrit:
a) par le bénéficiaire, au moment de la réception de la partie privative ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;
b) par le professionnel du bâtiment, au moment de la réception des parties communes. Pour la mise en œuvre de la garantie de parachèvement des travaux du bâtiment, le bénéficiaire transmet par écrit sa réclamation à l’entrepreneur et en transmet copie à l’administrateur dans un délai raisonnable suivant la date de fin des travaux convenue lors de la réception;
2° la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l’article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception. Pour la mise en œuvre de la garantie de réparation des vices et malfaçons apparents du bâtiment, le bénéficiaire transmet par écrit sa réclamation à l’entrepreneur et en transmet copie à l’administrateur dans un délai raisonnable suivant la date de fin des travaux convenue lors de la réception;
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux des parties communes ou, lorsqu’il n’y a pas de parties communes faisant partie du bâtiment, de la partie privative et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation significative;
6° le relogement, le déménagement et l’entreposage des biens du bénéficiaire, lorsque, lors de travaux correctifs, le bâtiment n’est plus habitable;
7° la remise en état du bâtiment et la réparation des dommages matériels causés par les travaux correctifs.
[…]
II. Exclusions de la garantie
29. Sont exclus de la garantie:
1° la réparation des défauts dans les matériaux et l’équipement fournis et installés par le bénéficiaire;
2° les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements;
3° les réparations rendues nécessaires par une faute du bénéficiaire tels l’entretien inadéquat, la mauvaise utilisation du bâtiment ainsi que celles qui résultent de suppressions, modifications ou ajouts réalisés par le bénéficiaire;[2]
[…]
[nos soulignés]
L’analyse et les motifs
[9] Lors de l’inspection, l’arbitre a pu lui-même constater les problèmes reliés aux trois points en litige. Les Bénéficiaires, à titre de demandeurs en arbitrage, ont le fardeau de démontrer le bien-fondé de leurs réclamations. En l’espèce, ils doivent répondre aux conditions prévues aux paragraphes 3 ou 4 de l’article 27 du Règlement.
[10] La preuve testimoniale en demande repose sur le seul témoignage de la bénéficiaire, Natalia Gomes. En ce qui concerne la salle de bain, Mme Gomes a déclaré avoir constaté des taches noires une année après être entrée dans sa maison, soit en mars 2015. En contre-interrogatoire, elle nous indique que c’est plutôt à l’été 2015 qu’elle a fait ce constat.
[11] Au sujet de la détérioration de la surface du béton, elle affirme avoir observé une détérioration à l’été 2015, en même temps que l’écart important entre le plancher flottant et le mur.
[12] Quelle que soit la version que l’on prend du paragraphe 3 de l’art. 27, les malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception doivent être découvertes dans l’année de réception. Or, les Bénéficiaires ont complété le formulaire d’inspection préréception (A-6) en mars 2014 et ils ont pris possession de leur résidence le 25 mars 2014. En constatant les malfaçons à l’été 2015, les Bénéficiaires n’étaient plus dans le délai d’une année de la réception du bâtiment. Au surplus, en dénonçant les trois éléments en litige le 30 juin 2016 (note A, p. 4 du cahier de l’Administrateur (A-3)) soit une année plus tard, les Bénéficiaires ne respectaient plus le délai de 6 mois ou le délai raisonnable prévu à l’art. 27, par. 3, selon l’une ou l’autre des versions.
[13] L’article 1739 du Code civil du Québec prévoit que lorsque le vice apparaît graduellement, le délai commence à courir dès que l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue. Le tribunal est d’opinion qu’à compter de l’été 2015, après plus d’une année complète, les Bénéficiaires étaient en mesure d’identifier que la détérioration du béton, après un hiver complet, constituait un vice. L’écart important au plancher flottant, après une année, permettait aussi d’identifier la gravité et l’étendue du vice. Enfin, il en est de même des nombreuses taches noires et de l’écoulement d’eau constaté à la douche à l’été 2015.
[14] Même s’il n’est pas nécessaire d’en décider, le tribunal est d’avis que ce sont les dispositions actuelles du Règlement qui sont applicables, car il s’agit d’une situation juridique en cours. La période d’une année de réception du bâtiment n’était pas complétée lorsque les nouvelles dispositions du Règlement sont entrées en vigueur en 2015. Ces nouvelles dispositions ayant pour but de favoriser à l’exercice des droits des Bénéficiaires et, étant d’ordre public, elles doivent donc bénéficier à ces derniers.
[15] L’article 41 de la Loi d’interprétation (RLRQ c i-16) énonce :
41. Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus de procurer quelque avantage.
Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
[nos soulignés]
[16] Le professeur Pierre-André Côté partage cette opinion :
i) La modification des délais en cours
755. Le législateur a envisagé l’hypothèse où un délai en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle est prolongé et celle où il est abrégé.
756. La règle la plus simple se rapporte à la prolongation des délais qui sont en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle : le nouveau délai s’applique, en tenant compte du temps déjà écoulé. Cette solution, préconisée par Roubier, est identique à celle qui a cours en droit statuaire.[3]
[17] Même si le contrat de garantie a été signé avant le 1er janvier 2015, l’art. 139 du Règlement prévoit expressément que toute clause d’un contrat de garantie qui est inconciliable avec le Règlement est nul (voir aussi l’article 5 du Règlement).
[18] L’arbitre comprend que la bénéficiaire, nouvellement arrivée au Québec, avait des difficultés avec la langue française et ne connaissait rien aux règles de droit applicables au Québec. Malheureusement, tant pour la bénéficiaire que pour tous les citoyens du Québec, la maxime selon laquelle nul n’est censé ignorer la loi s’applique à tous.
[19] Quant au paragraphe 4 de l’article 27, je suis d’avis qu’il ne s’agit pas d’un vice caché parce que les trois problèmes contestés ne rendent pas le bien impropre à l’usage pour lequel il est destiné. Le vice ne peut donc être qualifié de vice grave.
[20] En conclusion, l’arbitre rejette la demande d’arbitrage des Bénéficiaires.
[21] Au sujet des frais d’arbitrage, le tribunal constate que les Bénéficiaires avaient de véritables problèmes avec leur nouvelle résidence, mais que leur recours est rejeté en raison de leur manque de diligence concernant les délais pour exercer leurs droits. L’article 116 du Règlement m’autorise à faire appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient, c’est pourquoi les Bénéficiaires ne seront condamnés qu’à une somme de cinquante dollars (50 $) à ce titre.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[22] REJETTE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;
[23] CONFIRME la décision rendue par l’Administrateur le 24 novembre 2016;
[24] CONDAME les Bénéficiaires à payer la somme de cinquante dollars (50 $) pour les frais d’arbitrage;
[25] CONDAMNE l’Administrateur, la Garantie Habitation du Québec, à payer le solde des frais d’arbitrage conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
Québec, le 3 novembre 2017
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Luc Chamberland, avocat
Arbitre / Centre canadien d'arbitrage commercial (CCAC)
[1]. Décision de l’Administrateur, Note A, 24 novembre 2016, p. 4.
[2]. Règlement modifiant le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, G.O., partie 2, 5 mars 2017, p. 869, art. 16, par. 3.
[3]. Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 4e édition, Les éditions Thémis, p. 226.