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ARBITRAGE En vertu du Règlement sur le plan

de garantie des bâtiments résidentiels neufs

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC)

 

 

No dossier CCAC :                  S10-290701-NP

No dossier Garantie :              56945-3264

Date:                                       29 décembre 2010

 

 

ENTRE                        MONSIEUR JEAN ANELL SOLON ET

MADAME EDLYNE ST-CLOUD

(ci-après « les Bénéficiaires»)

ET                               LE GROUPE ALEXMA LAURIN CONSTRUCTION

(ci-après « l’Entrepreneur »)

ET :                             La Garantie HABITATION DU QUÉBEC INC.

(ci-après « l’Administrateur »)

 

 

DÉCISION ARBITRALE

 

Arbitre :                                   Me France Desjardins

Pour les Bénéficiaires :           Monsieur Jean Anell Solon

 Madame Edlyne St-Cloud

Pour l’Entrepreneur :               Monsieur Mario Laurin

Pour l’Administrateur :             Me Avelino De Andrade, procureur

                                                Monsieur Michel Labelle

 

Mandat 

L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le  4 août 2010 

 

Historique du dossier 

 

20 novembre 2007                  Contrat préliminaire et contrat de garantie

12 novembre 2008                  Réception du bâtiment

13 novembre 2008                  Dénonciation par courriel des Bénéficiaires

19 novembre 2009                 Dénonciation par courriel des Bénéficiaires

13 mai 2010                           Inspection de l’Administrateur

13 juillet 2010                         Décision de l’Administrateur

29 juillet 2010                         Demande d’arbitrage des Bénéficiaires

4 août 2010                             Nomination de l’arbitre                       

14 septembre 2010                Audition préliminaire par conférence téléphonique

29 novembre 2010                 Audition et visite des lieux

 

 

Décision arbitrale

 

 

[1]       Aucune objection préliminaire n’ayant été soulevée par l’une ou l’autre des parties, la compétence du Tribunal à entendre les demandes d’arbitrage est établie.

 

[2]       Les Bénéficiaires ont déposé une demande d’arbitrage à l’égard d’une décision rendue  le 13 juillet 2010 par l’Administrateur de la Garantie Habitation du Québec Inc.

 

[3]       Une visite des lieux a précédé l’audition à laquelle étaient présents les représentants des parties déjà identifiés ainsi que monsieur Denis Richer, gérant de production chez Cuisines Poirier, témoin assigné par l’Entrepreneur.

 

[4]       La visite des lieux et l’audition ont  porté, avec quelques nuances en cours d’audience, sur les deux points ayant fait l’objet de la décision de l’Administrateur :

-          Point 1 : Portes d’armoire de cuisine : gauchissement

-          Point 2 : Garage : isolation du plafond

 


LA PREUVE ET L’ARGUMENTATION

 

Point 1 : Gauchissement des portes d’armoire de cuisine

 

[5]       Les Bénéficiaires montrent plusieurs armoires de cuisine dont le bas des portes est gonflé. Ils montrent également un tiroir dont le bord en «presswood» est gonflé et le placage sur le chant est décollé.

 

[6]       Ils expliquent qu’un autre sous-entrepreneur avait d’abord soumissionné mais qu’un mois avant la réception du bâtiment, l’Entrepreneur les a informés d’un changement et qu’ils devaient se rendre chez Cuisines Poirier pour choisir les armoires.

 

[7]       Les Bénéficiaires  ont pris possession du bâtiment le 12 novembre 2008. Selon leur témoignage, à peu près 4 mois après la réception du bâtiment, les armoires ont commencé à gonfler au-dessus de la cuisinière. En juin et juillet, le problème est apparu aux autres armoires, tant dans la cuisine que dans la salle de bain et dans la salle d’eau..

 

[8]       À la fin de l’été 2009, les Bénéficiaires dénoncent la situation. À la demande de l’Entrepreneur, Cuisines Poirier dépêche un représentant. Selon le témoignage des Bénéficiaires, cette personne, qui semblait surprise de la situation, indique qu’une réponse sera donnée sous peu. Les Bénéficiaires comprennent alors des échanges que certaines armoires seront remplacées.

 

[9]       N’ayant eu aucun suivi, quelques semaines plus tard, le Bénéficiaire, monsieur Solon, se rend chez Cuisines Poirier qui délègue un autre représentant pour constater la situation. À la suite de cette visite, les Bénéficiaires reçoivent une réponse de Cuisines Poirier qui se dégage de toute responsabilité alléguant un usage abusif par les Bénéficiaires. En novembre 2009, une dénonciation écrite est adressée à l’Entrepreneur et à l’Administrateur.

 

[10]    Les Bénéficiaires indiquent ne pas avoir jugé utile de demander l’avis d’un expert. Pour eux, ils font un usage normal de la cuisine. Pourquoi le bas de toutes les portes d’armoire et des tiroirs a-t-il gondolé alors qu’il n’y a pas de source d’eau à ces endroits? Les armoires ont gondolé sur une période de 5 à 6 mois, ce qui démontre, selon les Bénéficiaires, que le produit est de mauvaise qualité.

 

[11]    En contre-interrogatoire, monsieur Solon indique qu’il a constaté le problème pour la première fois en mars 2009, au-dessus de la cuisinière mais qu’avec l’arrivée des temps chauds, toutes les portes ont gondolé.

 

[12]    L’Entrepreneur, représenté par monsieur Mario Laurin, témoigne à l’effet que c‘est le sous-traitant qui possède l’expertise. Interrogé par Me De Andrade, il témoigne toutefois à l’effet que, selon son expérience, «quand il y a de la vapeur, ça gondole».

 

[13]    Il fait entendre ensuite monsieur Denis Richer, gérant de production chez Cuisines Poirier. Celui-ci possède 29 ans d’expérience comme ébéniste et a une formation dans la finition et la teinture. Interrogé par Me De Andrade, monsieur Richer indique que Cuisines Poirier produit 15 à 25 armoires par semaine. Il relate ensuite que lors de sa visite chez les Bénéficiaires, madame St-Cloud cuisinait et il y avait beaucoup de vapeur. Il n’était pas présent lors de l’installation des armoires mais est venu en faire l’examen à la demande de l’Entrepreneur. Il ajoute «ça fait longtemps que je n’ai pas vu ce problème»

 

[14]    Contre-interrogé par monsieur Solon qui demande d’expliquer le problème de gonflement aux portes situées près du plancher alors que la vapeur monte, monsieur Richer répond qu’il croit personnellement qu’il y a eu dégât d’eau. À la remarque de monsieur Solon à l’effet que les comptoirs auraient alors aussi gondolé, monsieur Richer réitère son hypothèse d’un dégât d’eau.

 

[15]    Interrogé par monsieur Laurin, le témoin Richer révèle que, lors de sa visite, un chaudron était sur la cuisinière et le ventilateur n’était pas en fonction mais il n’y avait pas d’eau sur les comptoirs.

 

[16]    Me De Andrade interroge monsieur Michel Labelle, signataire de la décision pour l’Administrateur. Celui-ci indique qu’il a vu une dizaine de problèmes de la nature de celui qui est en cause. Selon son expérience, une cuisine a une durée de vie de 25 ans. S’il y avait eu mauvais collage, on verrait des décollements.

 

[17]    Invité à expliquer sa décision, monsieur Labelle témoigne à l’effet qu’elle est basée sur les constats du témoin Richer. Lui-même a procédé à une inspection postérieurement à monsieur Richer. Il n’a constaté aucune situation anormale.

 

[18]    Contre-interrogé par monsieur Solon, le témoin Labelle indique qu’il n’a pas vu ce problème ailleurs.

 

[19]    Sur la remarque des Bénéficiaires à l’effet qu’ils doivent cuisiner, monsieur Labelle répond que l’humidité ambiante dans une maison peut même avoir un impact sur le plancher de bois, «ce qui ne semble pas être le cas ici» ajoute-t-il.

 

[20]    En ce qui concerne l’entretien, les Bénéficiaires nous montrent le produit qu’ils utilisent, lequel est spécifiquement destiné au nettoyage des armoires de cuisine (Miracle Secret).

 

[21]    En argumentation, monsieur Solon réitère qu’il n’y a aucun usage abusif, qu’ils font fonctionner la hotte et qu’il n’a jamais vu ce problème ailleurs alors qu’il visite de nombreuses maisons dans le cadre de son travail. Le problème a commencé dès les chaleurs estivales. Il n’y a pas eu de dégât d’eau. Si c’était le cas, le bas des comptoirs serait affecté aussi. L’humidité est basse l’hiver car ils n’utilisent pas d’humidificateur. Le gonflement s’est produit à l’été. Monsieur Solon affirme que, s’ils faisaient un usage abusif des armoires, comme le prétendent l’Entrepreneur et l’Administrateur, le problème aurait empiré, ce qui n’est pas le cas.

 

[22]    Monsieur Laurin argue que le problème est définitivement dû à la vapeur car il y a un gonflement et non un décollement du placage sur le chant de la porte. De plus, il souligne qu’il n’y pas de gros problème autour du réfrigérateur. Il ajoute que les armoires ne se sont pas dégradées depuis l’inspection, sans doute parce que les Bénéficiaires ont changé leur mode de vie.

 

[23]    Me De Andrade plaide que la preuve faite ne comporte pas d’éléments permettant de renverser la décision de l’Administrateur. Les experts Richer et Labelle concluent à la présence importante d’humidité pour expliquer la situation. On est en présence de gonflement de la mélamine et non de décollement du placage sur le chant de la porte. Le témoignage de monsieur Solon qui n’a pas vu de problème ailleurs avec la mélamine et celui de monsieur Richer qui n’a pas eu d’autre réclamation justifient la décision de l’Administrateur.

 

[24]    Enfin, Me De Andrade soutient que la dénonciation, adressée par écrit en novembre 2009, est tardive en ce que les Bénéficiaires n’ont pas respecté le délai de six mois de la découverte du problème en mars 2009. Le procureur plaide qu’il s’agit d’un délai de déchéance selon une jurisprudence constante et qu’un moyen de droit peut être soulevé à tout moment devant le Tribunal.

 

Point 2 : Isolation du plafond du garage

 

[25]    Les Bénéficiaires ont dénoncé par écrit et en ces termes un problème d’isolation à la toiture : «Toiture : l’isolation à vérifier coin avant droit de la maison »

 

[26]    À l’audition et la visite des lieux, le bénéficiaire monsieur Solon explique d’abord que le point est mal exprimé. Lors de son inspection, monsieur Labelle lui aurait signalé qu’il devrait y avoir une trappe d’accès dans le plafond du garage. Voulant que sa maison soit «dans la norme», il dénonce la situation car il craint les problèmes éventuels de moisissure.

 

[27]    Contre-interrogé par Me De Andrade, monsieur Solon confirme que le plafond est tel qu’il était lors de la réception du bâtiment.

 

[28]    L’Entrepreneur  témoigne à l’effet qu’on lui avait dénoncé un problème d’isolation. C’est lors de l’inspection avec le représentant de l’Administrateur, qu’ils ont conclu ne pas être en mesure de vérifier l’isolation, le Bénéficiaire, monsieur Solon ayant, selon lui, construit lui-même le plafond du garage. «Si le Bénéficiaire avait pu observer un manque d’isolation, c’est qu’il n’y avait pas de plafond», ajoute-t-il.

 

[29]    Questionné par Me De Andrade, monsieur Labelle indique qu’il n’a jamais évoqué un problème éventuel car la trappe d’accès ne sert pas à la ventilation. Il témoigne à l’effet que, lors de son inspection, les joints étaient tirés au plafond.

 

[30]    Invité à établir les habitudes de construction dans la région, le témoin Labelle confirme que les garages ne sont pas isolés.

 

[31]    Les parties réitèrent qu’à l’origine, la dénonciation portait sur l’isolation de la toiture. Lors de la décision, il y a eu bifurcation vers l’isolation du garage. De fait, le point dénoncé, c’est l’absence de trappe et ses conséquences à long terme.

 

[32]    En argumentation, monsieur Solon note qu’il y a eu malentendu car il vise l’accès et non l’isolation. Il maintient qu’il a isolé les murs en installant du gypse mais qu’il n’a pas touché au plafond qui était déjà installé.

 

[33]    De son côté, l’Entrepreneur maintient qu’il n’a pas exécuté les travaux d’installation du gypse au plafond du garage.

 

[34]    Le procureur de l’Administrateur observe la présence de versions contradictoires. Le garage n’est pas chauffé et la trappe d’accès n’a rien à voir avec la ventilation de l’entretoit.

 

[35]    Me De Andrade plaide que, selon la version du bénéficiaire Solon, l’absence de trappe d’accès était apparente à la réception du bâtiment et n’a pas été dénoncée dans les six mois. Même en admettant que la situation n’était pas apparente pour une personne qui ne possède pas l’expertise en construction, la malfaçon n’a pas été dénoncée dans les six mois de sa découverte.

 

[36]    Globalement, Me De Andrade argue que les Bénéficiaires ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve de manière suffisante pour permettre au Tribunal de renverser la décision de l’Administrateur.

 

[37]    Les Bénéficiaires répliquent qu’ils ne sont pas entrés dans leur maison en se disant qu’ils devaient pendre des photos. Les problèmes «se découvrent en vivant dans la maison»

 

[38]    Quant au garage, monsieur Solon rappelle que les joints sont tirés sur le mur isolé par l’Entrepreneur et sur le plafond alors que les murs qu’ils a isolés lui-même n’ont pas de joints tirés.

 

[39]    Sur le délai de dénonciation, monsieur Solon  rappelle qu’il a observé le problème pour la première fois en mars, que celui-ci s’est étendu aux autres armoires au fil du temps. Le délai de réponse de l’Entrepreneur a été très long. Quand ils ont réalisé que le problème se généralisait, ils ont agi le plus vite possible.

 

L’ANALYSE ET LA DÉCISION

 

[40]    Avant d’amorcer l’analyse pour disposer de chacun des points en litige, il y a lieu de rappeler que le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement sur la garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le Règlement).

 

[41]    Ainsi, quoique l’exercice ne soit pas limpide pour les Bénéficiaires, l’arbitre doit, s’il y a lieu, distinguer les obligations couvertes par le plan de garantie des autres engagements contractuels de l’entrepreneur ou des obligations plus exigeantes auxquelles il pourrait être tenu en vertu d’autres lois.

 

[42]    Il convient d’abord de rappeler les dispositions du Règlement pertinentes au présent arbitrage:

 

10.   La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

 

  1°    le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n'a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;

 

  2°    la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l'article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n'a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;

 

  3°    la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;

 

  4°    la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;

 

  5°    la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

 

 

12.  Sont exclus de la garantie:

 

  1°    la réparation des défauts dans les matériaux et l'équipement fournis et installés par le bénéficiaire;

 

  2°    les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements;

 

  3°    les réparations rendues nécessaires par une faute du bénéficiaire tels l'entretien inadéquat, la mauvaise utilisation du bâtiment ainsi que celles qui résultent de suppressions, modifications ou ajouts réalisés par le bénéficiaire;

 

  4°    les dégradations résultant de l'usure normale du bâtiment;

 

  5°    l'obligation de relogement, de déménagement et d'entreposage des biens du bénéficiaire et les réparations rendues nécessaires à la suite d'événements de force majeure tels les tremblements de terre, les inondations, les conditions climatiques exceptionnelles, la grève et le lock-out;

 

  6°    la réparation des dommages découlant de la responsabilité civile extracontractuelle de l'entrepreneur;

 

  7°    la réparation des dommages résultant des sols contaminés y compris le remplacement des sols eux-mêmes;

 

  8°    l'obligation d'un service public d'assurer l'alimentation en gaz ou en électricité du bâtiment;

 

  9°    les espaces de stationnement et les locaux d'entreposage situés à l'extérieur du bâtiment où se trouvent les unités résidentielles et tout ouvragé situé à l'extérieur du bâtiment tels les piscines extérieures, le terrassement, les trottoirs, les allées et le système de drainage des eaux de surface du terrain;

 

  10°    les promesses d'un vendeur à l'égard des coûts d'utilisation ou de consommation d'énergie d'appareils, de systèmes ou d'équipements entrant dans la construction d'un bâtiment;

 

  11°    les créances des personnes qui ont participé à la construction du bâtiment.


Toutefois, les exclusions visées aux paragraphes 2 et 5 ne s'appliquent pas si l'entrepreneur a fait défaut de se conformer aux règles de l'art ou à une norme en vigueur applicable au bâtiment.

 

(les soulignés sont de l’Arbitre)

 

[43]    Ainsi la garantie trouvera application si l’Entrepreneur est en défaut de respecter ses obligations légales ou contractuelles, plus précisément s’il néglige de terminer les travaux convenus ou si l’exécution des travaux est affectée de vices ou de malfaçons.

 

[44]    De plus, le Règlement impose d’autres conditions à la mise en œuvre de la garantie, dont le respect par les Bénéficiaires, des délais de dénonciation prescrits. En l’espèce, l’Administrateur plaide que les Bénéficiaires n’ont pas respecté le délai de dénonciation de 6 mois de la découverte des malfaçons, contrevenant ainsi au Règlement. Le Tribunal devra donc décider de cette question préalable avant de s’interroger sur le bien-fondé de la réclamation des Bénéficiaires dans ces cas.

 

Point 1 : Gauchissement des portes d’armoire de cuisine

 

[45]     La réclamation des Bénéficiaires relativement au gauchissement des portes d’armoire de cuisine a été rejetée par l’Administrateur au motif de son exclusion de la garantie en vertu de l’article 12(3) du Règlement.

 

[46]    À l’audition, le procureur de l’Administrateur a demandé le rejet de la réclamation alléguant la tardivité de la dénonciation, adressée en novembre. Quoique le procureur plaide qu’une question de droit puisse être soulevée à tout moment devant le Tribunal, il eût été préférable que celui-ci présente ce motif d’irrecevabilité à la première occasion, soit lors de la conférence préparatoire téléphonique.

 

[47]    L’Administrateur soutient que le délai de 6 mois prévu à l’article 10 (3) est un délai de déchéance qui court à compter de la découverte de la malfaçon. Avec respect, en l’espèce, le Tribunal ne peut retenir ces prétentions.

 

[48]    La preuve est à l’effet qu’il s’est écoulé 8 mois entre la dénonciation écrite et le premier constat, en mars 2009, du gonflement de certaines portes d’armoires de cuisine, soit celles situées autour de la cuisinière. C’est au cours de l’été, que le problème est apparu à plusieurs autres portes, situées tant au-dessus que sous le comptoir de cuisine ainsi qu’à certains tiroirs.

 

[49]    Le Tribunal convient que, si la dénonciation n’avait porté que sur le gauchissement des seules armoires affectées en mars, le non-respect du délai de 6 mois aurait pu être fatal et ainsi faire perdre le droit à la garantie.

 

[50]    Toutefois, d’une part, ce n’est qu’à l’été que les Bénéficiaires ont été en mesure d’identifier l’ampleur des défauts. D’autre part, selon la preuve non contredite, les Bénéficiaires étaient justifiés de croire que le fournisseur remplacerait les armoires défectueuses et ce, jusqu’à ce qu’ils le pressent eux-mêmes de fournir une réponse. Les Bénéficiaires ont agi en novembre, dans un délai raisonnable après réception du refus d’intervenir de Cuisines Poirier.

 

[51]    En ce qui concerne le fond du litige, de l’aveu même du signataire de la décision, monsieur Michel Labelle, la décision de l’Administrateur, s’appuie sur «la position» du représentant du sous-entrepreneur, Cuisines Poirier à l’effet que le gonflement des portes d’armoire résulterait de la faute des Bénéficiaires. Quant à l’avis de monsieur Richer qui a visité les lieux pour le fournisseur, il semble particulièrement  basé sur ses constats le jour de son inspection. Ceux-ci sont reproduits dans une lettre qu’il adresse à monsieur Labelle le 5 juillet 2010 :

« Lors de ma visite, il y avait des chaudrons sur qui dégageaient de la vapeur d’eau et le ventilateur de la hotte de poêle n’était même pas en marche et il y a eu usage abusive d’eau (sic)»

 

[52]    À l’audition, le procureur de l’Administrateur a représenté que rien dans la preuve soumise ne permettait au Tribunal de renverser la décision de l’Administrateur. Avec respect, le Tribunal ne croit pas  que la preuve soumise par l’Entrepreneur et l’Administrateur soutienne les conclusions de la décision rendue.

 

[53]    Les avis exprimés par certains témoins sont éloquents en regard de leurs conclusions. D’abord, monsieur Labelle qui, tout en admettant n’avoir constaté aucun usage inadéquat lors de son inspection, ajoute que «l’humidité ambiante dans une maison peut même avoir un impact sur le plancher de bois».  Or, de son aveu même, les planchers de bois et la base du comptoir à proximité du plancher ne sont pas affectés.

 

[54]    Ensuite monsieur Richer qui, interrogé sur l’explication du gonflement des portes d’armoires situées sous le comptoir, affirme qu’il y aurait eu dégât d’eau ou utilisation d’une vadrouille. Or, les portes d’armoire dans la partie inférieure étant à hauteur approximative de 6 pouces du plancher, l’explication est pour le moins étonnante.

 

[55]    Le Tribunal perçoit des témoignages entendus que le fournisseur s’est fié à sa première impression sans chercher d’autres explications alors que l’Administrateur a pris la position du fournisseur pour acquise.

 

[56]    De l’avis du Tribunal, la preuve prépondérante est plutôt en faveur des Bénéficiaires qui ont démontré faire un usage normal tant des portes d’armoires que des appareils électroménagers ainsi qu’utiliser des produits et outils de nettoyage adéquats. De plus, en l’absence de relevés qui auraient pu appuyer cette prétention, la preuve ne permet pas de conclure à la présence d’un taux d’humidité excessif dans la maison.

 

[57]    Comme l’exprime l’Arbitre Robert Masson, «le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, mis en vigueur en vertu de la Loi sur le bâtiment, a été institué par le gouvernement du Québec afin de protéger les acheteurs et d’améliorer la qualité des constructions neuves»[1] .

 

[58]    Dans cette perspective, le Tribunal peut difficilement conclure que des armoires de cuisine, dont les portes gondolent sur une période de 6 mois après leur installation, répondent aux critères de qualité auxquels un acheteur normal est en droit de s’attendre. Conclure autrement équivaudrait  à nier l’usage que toute personne doit pouvoir normalement faire d’une cuisine et attribuer aux Bénéficiaires la responsabilité d’un ouvrage de mauvaise qualité.

 

[59]    Par conséquent, les tiroirs et portes d’armoire de cuisine endommagés devront être remplacés de façon à ce que le fini de l’ensemble des tiroirs et portes d’armoires soit harmonisé, à défaut de quoi tous les tiroirs et toutes les portes devront être remplacés.

 

 

Point 2 : Isolation du plafond du garage

 

[60]    Le tribunal retient de la preuve que les Bénéficiaires ont d’abord cru à un manque d’isolation de la toiture, ce qui a fait l’objet de la dénonciation. Lors de l’inspection, vu l’impossibilité d’accéder à l’entretoit par les chambres situées à l’étage, il fut proposé d’accéder par le plafond du garage. L’Administrateur a rendu une décision concernant l’isolation du plafond du garage en indiquant que «le Bénéficiaire n’avait pas été en mesure de démontrer la situation faute d’accès au vide sous-toit du garage livré non fini et pour lequel l’article 51 de la loi sur l’économie de l’énergie dans le bâtiment ne requiert pas d’isolation».

 

[61]    À l’audition, le bénéficiaire monsieur Solon explique que ce dont il se plaint, c’est l’absence de trappe d’accès au plafond du garage, lequel, selon lui, aurait été construit par l’Entrepreneur, ce que nie ce dernier.

 

[62]    Le bénéficiaire certifie au procureur de l’Administrateur qu’il ne se plaint ni de l’isolation de la toiture, ni de celle du plafond du garage. Il confirme au Tribunal retirer sa réclamation à l’égard de l’isolation malgré l’offre qu’une inspection soit effectuée sur-le-champ par monsieur Labelle si l’accès à l’entretoit par les chambres à l’étage lui est autorisé. Les Bénéficiaires déclinent l’offre. Par conséquent, la demande d’arbitrage sur ce point n’ayant plus d’objet, le Tribunal décline juridiction.

 

[63]    Quant à la réclamation concernant la trappe d’accès au plafond du garage, il ressort de la preuve présentée que son absence aurait dû être notée lors de la réception du bâtiment ou faire l’objet d’une dénonciation des Bénéficiaires dans les six mois de sa découverte, soit bien avant la date de l’audition.  Le Tribunal retient donc les prétentions de l’Administrateur à l’effet que la réclamation est tardive.

 

LA CONCLUSION

 

[64]    À titre d’arbitre désigné, la soussignée est autorisée à trancher tout différend découlant des plans de garantie.  L’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit;  il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient».[2] Sa décision lie les parties; elle est finale et sans appel.[3]

 

[65]    En vertu de l’article 123 du Règlement, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l’Administrateur.

 

123.   Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.

 

 

 POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

ACCUEILLE EN PARTIE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;

RENVERSE la décision de l’Administrateur concernant  le point 1 et ORDONNE que les tiroirs et portes d’armoire de cuisine endommagés soient remplacés de façon à ce que le fini de l’ensemble des tiroirs et portes d’armoires s’harmonise, à défaut de quoi tous les tiroirs et toutes les portes devront être remplacés.

 

DÉCLINE JURIDICTION concernant le point 2 et rejette la réclamation tardive des Bénéficiaires concernant la trappe d’accès au plafond du garage.

 

ORDONNE à l’Administrateur de s’assurer que les travaux correctifs requis soient exécutés d’ici le 30 avril 2011;

 

CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage.

 

Me France Desjardins

Arbitre/CCAC



[1]               Teymour Sharifi et Froogh Rezanejhad c. Groupe Immobilier Grilli Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., Me Robert Masson, dossier Soreconi 061018003

[2]               Article 116 du Règlement

[3]               Articles 20 et 120 du Règlement