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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

Les Habitations La Rémoise inc.

(ci-après le « bénéficiaire »)

 

ET :

Les Constructions De Castel inc.

(ci-après l'« entrepreneur »)

 

ET :

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc.

(ci-après l'« administrateur »)

 

 

No dossier APCHQ : 135096-1

No dossier GAMM : 2009-09-015

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

Pour le bénéficiaire :

Me Catherine Sylvestre

 

Pour l'entrepreneur :

M. Nicolas Dumais

 

Pour l'administrateur :

Me Luc Séguin

 

Date d’audience :

29 janvier 2010

 

 

Lieu d'audience :

Saint-Rémi

 

Date de la sentence :

19 février 2010

I : INTRODUCTION

[1]                Il s’agit d’un immeuble à logements à vocation sociale (OSBL en habitation), dénommé Les Habitations La Rémoise inc., auquel s’applique l’article 2. 1° c) du plan de garantie, soit un bâtiment multifamilial de plus de 5 logements détenu par un organisme sans but lucratif. L’immeuble comporte 24 logements répartis sur deux étages.

[2]                Essentiellement, la demande d’arbitrage adressée au GAMM (Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure) par les bénéficiaires et datée du 15 octobre 2009 a trait à un problème d’acoustique.

[3]                À cet égard, le bénéficiaire conteste la décision de l’administrateur datée du 8 septembre 2009, dont voici un extrait :

Par conséquent, puisque le délai de dénonciation dans ce cas-ci excède le délai raisonnable qui a été établi par le législateur, l’administrateur doit rejeter la demande de réclamation des bénéficiaires à l’égard du point 6 a).

[4]                Vu la nature de cette décision de l’administrateur, la présente sentence ne portera que sur le délai de dénonciation; le cas échéant, le fond du problème acoustique sera traité ultérieurement.

[5]                En cours d’enquête, les témoins suivants furent entendus :

-          M. Pierre Dignard, architecte du projet

-          Mme Mélanie Malenfant, locataire (unité 204)

-          Mme Sonia Jurado, agente de développement et secrétaire de Les Habitations La Rémoise inc.

-          M. Bertrand Deguire, locataire (unité 103)

-          M. Robert Périnet, architecte, inspecteur-conciliateur pour l’administrateur

-          M. Nicolas Dumais, directeur de projet et représentant de l’entrepreneur

[6]                Les parties ont accordé au soussigné un délai de quarante-cinq (45) jours à compter de la date d’audience pour rendre sentence dans la présente affaire.

II : LES FAITS

[7]                Le bâtiment a été reçu le 29 février 2008. Dès l’été 2008, le bénéficiaire a fait part à l’entrepreneur, de même qu’à l’architecte du projet, de certains problèmes d’acoustique, particulièrement entre les unités (mur à mur) 111 et 112, entre les unités (mur à mur) 211 et 212, ainsi qu’entre l’escalier et l’unité 203.

[8]                Dès lors, l’architecte a procédé à des tests non scientifiques, ce qui a conduit l’entrepreneur à ajouter une épaisseur de gypse entre les unités 111 et 112, et entre les unités 211 et 212.

[9]                Par la suite, M. Dignard, architecte, a fait effectuer d’autres tests non scientifiques et il a avisé ses clients que le problème acoustique était selon lui réglé.

[10]            M. Dignard a confirmé qu’après vérification, les cloisons étaient conformes à ses plans et que la situation acoustique était adéquate entre les unités 211 et 212, et entre les unités 111 et 112; il affirme qu’entre les logements, les cloisons sont toutes identiques; citant le Code national du bâtiment, l’architecte témoigne que chaque logement doit être séparé de toute autre partie du bâtiment par une construction ayant un indice de transmission des sons d’au moins 50.

[11]            Toutefois, le bénéficiaire, en date du 21 novembre 2008, faisait parvenir à l’entrepreneur ainsi qu’à l’administrateur une dénonciation à l’effet que le problème d’acoustique existait encore, s’exprimant en ces termes :

·         Les problèmes d’acoustiques [sic] : Des problèmes d’acoustiques [sic] ont été relevés entre le logement 203 et la cage d’escalier, entre les logements 102 et 204 et entre les logements 102 et 202. Les locataires se plaignant de problèmes d’acoustiques [sic]. Et malgré les corrections que vous avez effectuées entre les logements 211 et 212 ainsi qu’entre les 111 et 112, les problèmes persistent. De plus, des problèmes acoustiques entre le logement 111 et 211 sont présents.

[12]            Le 4 décembre 2008, l’entrepreneur informait par écrit le bénéficiaire qu’il avait apporté aux unités 212 et 112 les correctifs selon les recommandations de l’architecte et que tout était convenable; il ajoutait toutefois qu’il procéderait à des tests de conductivité sonore supplémentaires avec l’aide de la firme Octave Acoustique. Dans son rapport daté du 7 janvier 2009, cette dernière met l’entrepreneur en garde qu’il pourrait y avoir des problèmes d’acoustique dans les logements de cette habitation; c’est alors que le 15 janvier 2009, l’administrateur demande à l’entrepreneur d’intervenir.

[13]            Le 5 mai 2009, l’administrateur émet son rapport d’inspection et, relativement à l’élément acoustique, décide qu’il « … mandatera un consultant externe pour exécuter des tests in situ afin de déterminer la conformité des ouvrages à la réglementation en vigueur. »

[14]            Le 26 juin 2009, la firme CALI (Les Conceptions Acoustiques Lefebvre Inc.), retenue par l’administrateur, émet son rapport. En voici un extrait (page 5):

Résultats

Voici les résultats obtenus des tests effectués aux condos no. 102, 111, 112, 202, 204, 211, 212 et les escaliers du 10, rue Sainte-Famille, Saint-Rémi, Québec :

 

Paroi

Local émetteur

Local récepteur

Résultats

A

Condo no. 111

Mur/salon, salle à

manger, cuisine

Condo no. 112

Mur/salon, salle à

manger, cuisine

Aérien

FSTC 46

B

Condo no. 111

Plafond/salon, salle à

manger, cuisine

Condo no. 211

Plancher/salon, salle à

manger, cuisine

Aérien

FSTC 55

C

Condo no. 211

Mur/salon, salle à

manger, cuisine

Condo no. 212

Mur/salon, salle à

manger, cuisine

Aérien

FSTC 45

D

Condo no. 202

Mur/salon, salle à

manger, cuisine

Condo no. 204

Mur/salon, salle à

manger, cuisine

Aérien

FSTC 47

E

Condo no. 202

Plancher/salon, salle à

manger, cuisine

Condo no. 102

Plafond/salon, salle à

manger, cuisine

Aérien

FSTC 53

F

Escalier

Mur

Condo no. 203

Mur/chambre à coucher

Aérien

FSTC 52

[15]            Je reproduis ci-après un autre extrait du rapport de la firme CALI (page 28) :

Code National du Bâtiment : Le CNB demande un indice STC de 50 pour une cloison séparant les logements et les aires communes (corridors et escaliers) et un STC 55 pour les bruits d’ascenseurs et les chutes à déchets. Toutefois, par souci du confort et de l’isolement acoustique de leurs clients, les constructeurs ont tout avantage à porter ces indices à un minimum de STC 55 pour les murs et les planchers et à 60 pour les ascenseurs et les chutes à déchets. De plus, un indice de IIC de 55 est dans les limites de rendement acceptables pour les planchers mitoyens. Les essais effectués en laboratoire, pour le système CALI sur solives de bois avec plancher de base de contreplaqué ont obtenus [sic] des rendements sur les bruits aériens de STC 69 et sur les bruits d’impact de IIC 60.

[16]            Il est à noter que l’abréviation STC est pour Sound Transmission Class, expression qui est traduite par « Indice de Transmission du Son » dans le Code national du bâtiment.

[17]            À la suite de l’émission du rapport d’expertise de la firme CALI (26 juin 2009), l’administrateur, en date du 3 juillet 2009, publiait son deuxième rapport de décision, accueillait partiellement la réclamation du bénéficiaire du 21 novembre 2008 relative à la situation acoustique et ordonnait à l’entrepreneur d’apporter les correctifs énoncés par la firme CALI aux trois parois A, C et D du tableau ci-devant reproduit.

[18]            En effet, ces trois parois sont des murs qui séparent des logements et qui ne rencontrent pas l’exigence du CNB de 50 FSTC.

[19]            Fort des résultats obtenus par la firme CALI, lesquels démontrent que les trois parois testées séparant les logements ont une faiblesse acoustique, le bénéficiaire, dans une dénonciation datée du 10 juillet 2009, réclame, et je cite : « De régler toutes les faiblesses acoustiques dans tous les 24 logements. »

[20]            Ce à quoi l’administrateur répond que le délai de cette dernière dénonciation excède le délai raisonnable établi par le législateur.

[21]            Mme Malenfant, locataire de l’unité 204, témoigne qu’elle s’est plainte du bruit provenant de l’unité 202 à compter de juillet 2008; entre son appartement et celui du voisin (unité 206), le bruit est moindre, mais tout de même anormal, car elle peut suivre une conversation. Elle affirme que la réparation par injection de mousse entre son appartement et l’unité 202 a été inadéquate.

[22]            M. Bertrand Deguire, locataire de l’unité 103, s’occupe de la maintenance; il recueille aussi les plaintes des locataires de l’immeuble.

[23]            Il affirme entendre, depuis son appartement, les bruits et conversations du corridor, ainsi que les bruits et voix provenant des unités 203, 101 et 102. Il déclare recevoir cinq à six plaintes par semaine de la part des locataires relativement au bruit.

[24]            Mme Jurado, secrétaire de Les Habitations La Rémoise, témoigne qu’elle a reçu beaucoup de plaintes concernant le bruit; elle-même, lorsqu’elle concluait les baux dans l’unité 109, entendait du bruit provenant de l’unité 107.

[25]            Selon elle, deux locataires auraient même quitté leur logement (unités 211 et 102) à cause du bruit; certains préfèrent demeurer dans leur logement plutôt que de vivre dans la rue ou encore payer plus cher.

[26]            À la suite des nombreuses plaintes, Mme Jurado a contacté l’architecte du projet, et des corrections ont été apportées entre les unités 111 et 112, de même qu’entre les unités 211 et 212; les résultats n’étant pas concluants, la situation a été dénoncée à l’administrateur dans une lettre datée du 21 novembre 2008.

[27]            Puisque selon le rapport CALI trois parois affectant six logements n’étaient pas conformes, le bénéficiaire a fait parvenir une deuxième dénonciation en date du 10 juillet 2009 afin d’apporter les correctifs dans tous les logements.

[28]            Le témoin soumet que lors de la première plainte, le bénéficiaire a eu gain de cause, car l’entrepreneur est intervenu; par la suite, le bruit a persisté; il y avait tant de problèmes que la direction a été dépassée; elle prétend avoir reçu environ 12 plaintes concernant l’insonorisation; cependant, 12 plaintes affectent 24 logements.

[29]            M. Robert Périnet, architecte et inspecteur-conciliateur pour l’administrateur, est l’auteur des trois rapports de décision concernant la situation acoustique.

[30]            À la suite de la dénonciation du bénéficiaire en date du 21 novembre 2008, M. Périnet a commandé une expertise (CALI), laquelle a démontré des faiblesses acoustiques sur trois murs séparant des logements; subséquemment, l’entrepreneur a apporté des correctifs à ces mêmes logements.

[31]            Maintenant, par sa dénonciation du 10 juillet 2009, le bénéficiaire exige que les mêmes correctifs soient apportés aux 24 logements.

[32]            Ce à quoi M. Périnet répond que la première dénonciation (21 novembre 2008) n’exigeait pas de corriger les 24 logements; or, la situation acoustique ne s’est pas dégradée depuis; elle était connue de tous dès le début, la preuve étant l’expertise commandée par l’entrepreneur en janvier 2009 où il existait un débat réel entre celui-ci et le bénéficiaire et l’architecte du projet.

[33]            Dès 2008, le débat existait en fait depuis longtemps, et un an plus tard, le bénéficiaire veut généraliser.

[34]            M. Périnet rappelle que Mme Malenfant, dès juillet 2008, a porté plainte, ce qui a amené l’entrepreneur à apporter des correctifs.

[35]            M. Nicolas Dumais est directeur de projet pour l’entrepreneur.

[36]            À l’été ou au début de l’automne 2008, il a apporté certains correctifs selon les recommandations de l’architecte; il a lui-même commandé une expertise (Octave Acoustique inc.) qui a été émise le 7 janvier 2009; le 21 janvier 2009, l’entrepreneur transmettait au bénéficiaire une lettre exprimant que le problème acoustique était inexistant.

[37]            M. Dumais témoigne que les correctifs apportés aux trois logements à la suite du rapport CALI ont coûté 10 000 $ et que les coûts associés aux correctifs demandés pour les 24 logements seraient d’environ 60 000 $ à 70 000 $.

III : ARGUMENTATION DU BÉNÉFICIAIRE

[38]            La procureure soumet que M. Périnet a reconnu que le problème acoustique existe dans les 24 logements.

[39]            Si on se base sur le rapport de la firme Octave Acoustique, reçu par le bénéficiaire le 21 janvier 2009, comme point de départ pour le calcul du délai, la réception par l’administrateur le 15 juillet 2009 de la deuxième dénonciation du bénéficiaire rencontre le délai de six mois prescrit par le plan de garantie.

[40]            Toutefois, la prétention du bénéficiaire est que le problème a été réellement découvert lors de l’émission, le 26 juin 2009, du rapport d’expertise de la firme CALI, par lequel il apprenait que les trois murs de séparation de logement ayant été testés ne rencontraient pas les normes.

[41]            La procureure prétend que les situations de sons et de bruits sont très subjectives, les plaintes des locataires n’étant pas toujours fondées, alors que la firme CALI a procédé à une vérification objective.

[42]            Elle rappelle qu’il s’agit ici de logements sociaux; les locataires ne veulent pas ou ne peuvent pas nécessairement déménager; voilà pourquoi ils tardent parfois à se plaindre.

[43]            La direction doit au préalable s’assurer de la réalité de la situation et, dans les circonstances, elle a procédé avec diligence; même l’architecte du projet, au début, affirmait qu’il n’y avait pas de problème.

[44]            Mme Malenfant a témoigné à l’effet qu’il existait un problème acoustique entre son logement et celui d’un de ses voisins; or, son autre voisin vit seul; voilà pourquoi c’est tout à fait subjectif.

[45]            La direction n’a pas reçu de plainte de la part de tous les locataires.

[46]            La procureure soumet que l’administrateur lui-même a contribué à allonger le délai, puisque sa réponse le 5 mai 2009 fait suite à la première dénonciation du bénéficiaire le 21 novembre 2008.

[47]            Elle cite l’article 1726 C.c.Q. (Code civil du Québec) et affirme que dans le présent dossier, le vice n’est pas apparent.

[48]            La procureure conclut que dans la présente affaire, il n’y a pas eu depuis le début aggravation du vice, ne pouvant ainsi causer préjudice à l’entrepreneur.

[49]            À l’appui de son argumentation, la procureure a soumis ce qui suit :

-          Pichette et Constructions GYBB inc. (O.A.G.B.R.N., 2007-06-20), SOQUIJ AZ-50438497.

-          Takhmizdjian c. Soreconi (Société pour la résolution des conflits inc.) (C.S., 2003-07-09), REJB 2003-44527 .

-          Galibois et Gignac Construction inc. [O.A.G.B.R.N., 2004-04-25 (décision rectifiée le 2000-05-09)], SOQUIJ AZ-50390989 .

-          Françoise LEBEAU, « Les plans obligatoires de garantie des maisons neuves, un bilan après presque dix ans de la mise en vigueur du règlement », Développements récents en droit de l’immobilier (2007), Service de la formation continue du Barreau du Québec, 2007, EYB2007DEV1398.

IV : ARGUMENTATION DE L’ADMINISTRATEUR

[50]            Le procureur cite l’article 10 du plan de garantie et, relativement au délai de dénonciation, soumet que ce dernier est quasi unanimement reconnu par la jurisprudence comme étant de rigueur et de déchéance, alors que la question de préjudice n’est pas pertinente.

[51]            La dénonciation à l’origine de la présente réclamation a été reçue par l’administrateur le 15 juillet 2009, soit dans la deuxième année suivant la réception du bâtiment.

[52]            Le procureur cite l’article 1739 C.c.Q.

[53]            Il soutient qu’il n’existe aucune preuve à l’effet que le problème d’acoustique soit généralisé; or, le fardeau de cette preuve appartient au demandeur.

[54]            Selon le témoignage de Mme Jurado, depuis le départ, les locataires entendaient des bruits et des voix; c’est là le témoignage de Mme Malenfant; il n’y a pas eu de progression dans le présent dossier; le problème était généralisé, et la direction a décidé de satisfaire ceux qui se plaignaient le plus.

[55]            On a tout simplement pris un échantillon et on l’a envoyé à l’entrepreneur, alors que le problème était partout.

[56]            Le bénéficiaire, plutôt que d’avouer son manque de diligence et son non-respect du règlement, prétend que les locataires enduraient cette situation.

[57]            Le bénéficiaire a une responsabilité vis-à-vis chacun de ses locataires et aurait donc dû exiger dès le départ la solution au problème acoustique dans tous les logements.

[58]            Le procureur estime qu’il n’existe aucune preuve qu’il s’agisse ici d’un vice caché; dans les faits, les locataires subissent un inconfort depuis juin 2008.

V : DÉCISION ET MOTIFS

[59]            Le principal article du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs mis en cause dans le présent dossier est l’article 10.4° :

10.  La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

[…]

  4°    la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;

[…]

[60]            La jurisprudence a majoritairement considéré ce délai de dénonciation comme étant de rigueur et de déchéance; contrairement au délai de demande d’arbitrage, ce délai de dénonciation en est un de droit et non de procédure.

[61]            À cet égard, je cite les propos de l’arbitre Ewart[1] :

[54]       En résumé, la dénonciation prévue à l’article 10 du Règlement se doit d’être par écrit, est impérative et essentielle, le délai de six mois prévu au même article emporte et est un délai de déchéance, et si ce délai n’est pas respecté, le droit des Bénéficiaires à la couverture du plan de garantie visé et au droit à l’arbitrage qui peut en découler sont respectivement éteints, forclos et ne peuvent être exercés.

[62]            Toutefois, en accord avec la procureure du bénéficiaire, je suis d’avis que dans le cas d’un problème acoustique, il n’y aurait aucun préjudice causé par une prorogation de délai.

[63]            L’article 10.4° du plan de garantie ci-devant cité se réfère aux clauses 1726 et 1739 C.c.Q. :

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

 

1739. L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.

[64]            Contrairement à la prétention de l’administrateur, le problème d’acoustique entre les murs joignant les différents logements était caché au moment de la réception; le vice est apparu au bénéficiaire au fur et à mesure qu’entraient les plaintes des locataires; il s’agit donc d’un vice caché.

[65]            Le différend porte surtout sur le moment où commence à courir le délai de dénonciation.

[66]            Le procureur de l’administrateur est d’avis que ce délai commence à courir dès les premières plaintes des locataires, soit à l’été 2008, alors que la dénonciation du bénéficiaire en date du 21 novembre 2008 ne porte que sur un nombre restreint de logements et non sur la totalité.

[67]            Certes, cette première dénonciation ne porte que sur un nombre restreint de logements, car à ce moment-là, le bénéficiaire ne pouvait prétendre que la situation acoustique était généralisée; le bénéficiaire a choisi ces logements en fonction des plaintes reçues.

[68]            Je rappelle qu’il s’agit d’un vice caché et que les dirigeants ne sont pas des experts en acoustique; en automne 2008, leur architecte leur affirmait que tout était sous contrôle; après une première intervention de l’entrepreneur, ce dernier, le 4 décembre 2008, informait par écrit le bénéficiaire que la situation était convenable; et après l’émission du rapport de la firme Octave Acoustique, lequel indiquait « En ajoutant un gypse supplémentaire comme vous l’avez déjà fait, la nouvelle composition devrait atteindre un rendement entre FSTC 45 et 50, encore en deçà de l’exigence du CNB », l’entrepreneur, dans une lettre datée du 21 janvier 2009, affirmait que le problème d’acoustique était inexistant.

[69]            Le bénéficiaire avait donc des motifs de douter du bien-fondé des plaintes des locataires; le soussigné rappelle qu’il s’agit ici de logements à vocation sociale où le bruit susceptible d’être produit par un éventuel locataire n’est pas nécessairement un critère de sélection.

[70]            Le tribunal se doit de faire une distinction entre un bénéficiaire résident et un bénéficiaire non-résident; dans le premier cas, la connaissance des faits est directe et plus rapide.

[71]            À mon avis, ce n’est que lors de la réception du rapport d’expertise de la firme Octave Acoustique par le bénéficiaire en date du 21 janvier 2009 que ce dernier aurait pu connaître l’étendue et la gravité de la situation acoustique, car comme cité ci-devant, ce rapport indique que même après une première intervention de l’entrepreneur, le rendement acoustique est encore en deçà des exigences; la réception de ce rapport tenant lieu du début du délai de dénonciation, le délai maximum de dénonciation a été rencontré.

[72]            Une chose certaine est que l’administrateur, par l’entremise de l’architecte Périnet, a très bien saisi les conclusions de cette première expertise de la firme Octave Acoustique; voilà pourquoi, le 5 mai 2009, il décidait de procéder à une vérification plus approfondie avec la firme CALI. Cette dernière a prouvé scientifiquement que trois parois sur trois testées entre les logements ne rencontraient pas les normes; ce rapport vient donc consolider celui de la firme Octave Acoustique et appuyer la dénonciation du bénéficiaire du 10 juillet 2009 à l’effet : « De régler toutes les faiblesses acoustiques dans tous les 24 logements. »

[73]            Dans son ensemble, la preuve a démontré que le bénéficiaire, dans ce dossier concernant la situation acoustique, a procédé avec diligence et a agi avec la promptitude requise.

[74]            Pour ces motifs, la réclamation du bénéficiaire relative au délai de dénonciation du problème acoustique est favorablement ACCUEILLIE.

[75]            Le tribunal ORDONNE donc à l’administrateur de procéder sur le mérite de la réclamation et de me faire part de ses conclusions dans les trente (30) jours de la présente; pour le cas où le bénéficiaire choisirait de porter cette dernière décision de l’administrateur en arbitrage, le soussigné CONSERVE juridiction.

[76]            Conformément à l'article 21 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l'administrateur.

 

BELOEIL, 19 février 2010.

 

 

 

 

 

 

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Claude Dupuis, ing., arbitre

 



[1]     Niki Apollonatos et George Karounis c. Habitations Luxim inc. et La Garantie des maisons neuves de l'APCHQ, T.A., Me Jean Philippe Ewart, arbitre (CCAC), 2008-06-04, p. 10-11.