ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)
|
||
CANADA |
||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||
|
||
Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM) |
||
Dossiers no : |
GAMM : 2012-11-007 |
|
APCHQ : 156216-2 |
||
ENTRE : HÉLÈNE PARENT (ci-après la «Bénéficiaire»)
ET : CONSTRUCTION YVON LOISELLE INC.
(ci-après l’«Entrepreneur»)
ET : LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC.
(ci-après l’«Administrateur»)
|
||
|
||
DEVANT L’ARBITRE : |
Me Karine Poulin |
|
|
||
Pour l’entrepreneur : |
M. Yvon Loiselle |
|
Pour l’administrateur : |
Me François Laplante |
|
Pour la bénéficiaire |
Me Éric Besner |
|
|
|
|
Date d’audience : |
5 juillet 2012 |
|
Date de la sentence : |
23 juillet 2012 |
|
SENTENCE ARBITRALE
|
||
I
LE RECOURS
[1] Madame Parent, la Bénéficiaire, conteste en vertu de l’article 19 du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le « Règlement »), le point suivant de la décision rendue le 5 mars 2012 par l’Administrateur :
La bénéficiaire a déclaré avoir découvert les situations décrites au point 1 en 2009, tel que décrit dans une lettre transmise à l’entrepreneur seulement et datée du 16 septembre 2009, dont copie fut reçue par l’administrateur le 19 octobre 2011.
En ce qui a trait au délai de dénonciation, le contrat de garantie stipule que les malfaçons, les vices cachés ou les vices majeurs, selon le cas, doivent être dénoncés par écrit à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de leur découverte ou survenance ou, en cas de vices ou de pertes graduels, de leur première manifestation.
Dans le cas présent, il appert que le délai de dénonciation excède le délai raisonnable qui a été établi par le législateur et par conséquent, l’administrateur ne peut donner suite à la demande de réclamation de la bénéficiaire à l’égard de ce point.
II
LES FAITS
[2]
Le 15 juin 2009, la Bénéficiaire signe un contrat préliminaire avec
l’Entrepreneur pour la construction de sa propriété. Tel qu’en fait foi le
formulaire d’inspection préréception, la propriété est reçue par la
Bénéficiaire le 26 juin 2009 et l’acte de vente est signé par la suite le
9 juillet 2009.
[3] Le 16 septembre 2009, la Bénéficiaire informe l’Entrepreneur en ces termes :
Bonjour, Je vous avise qu’il a présence d’odeurs tres nauséabonde dans la maison, malgré d’avoir mis eau dans les drains a votre demande téléphonique. Le probleme persiste de plus le bac de la pompo submersible est de couleur brun-rouille avec odeurs nauséabonde, avec présence de matiere huileuse et noir. Le plancher du sous-sol présente fissures importantes et eau monte sur le plancher de la chambre a coucher du sous-sol avec présence de moisissures, présence eau sur mur arriere coin droit descente de cave, pouvez-vous donné suite a tout ceci, ainsi que tout mes appelles téléphoniques.
Merci de votre compéhension (sic)
[4] À l’audience, il est admis que cette lettre n’a été transmise à l’Administrateur que le 19 octobre 2011.
[5] Dans l’intervalle, la Bénéficiaire est entrée en contact avec l’Administrateur, par téléphone, le 18 janvier 2011, au sujet d’un problème d’ocre ferreux. Suite à cet appel, l’Administrateur a procédé à une inspection suite à laquelle un rapport portant sur les faits, constats et recommandations a été transmis à la Bénéficiaire et à l’Entrepreneur.
[6] Le 6 septembre 2011, l’Administrateur informe la Bénéficiaire de la procédure à suivre pour faire une réclamation en vertu du Plan de garantie.
[7] Par la suite, les 5 et 20 octobre 2011, la Bénéficiaire communique de nouveau avec l’Entrepreneur par lettre au sujet de problèmes en relation avec la propriété. Ces lettres réitèrent le problème d’ocre ferreux et ajoutent notamment un problème de fissures au plafond et à la fondation. Une copie de ces lettres a été transmise à l’Administrateur les 19 et 24 octobre 2011.
[8] Par ailleurs, le 21 octobre 2011, ayant reçu copie de la lettre du 20 octobre 2011 par courrier électronique, l’Administrateur a fait parvenir à l’Entrepreneur un avis de 15 jours le sommant d’intervenir dans le dossier. Le 4 novembre 2011, l’Administrateur a procédé à une inspection de la propriété et a rendu une décision le 5 mars 2012. C’est de cette décision dont je suis saisie, sur l’aspect du délai de dénonciation seulement.
III
LA PREUVE
[9] Lors de l’audience, aucun témoin n’a été entendu. La séquence des faits relatés ci-dessus n’est pas contestée. Les parties ont choisi de procéder sur dossier et de plaider le droit applicable. Les parties ont admis, aux fins du présent arbitrage, que les dates apparaissant aux divers documents étaient véridiques. À tout événement, aucune preuve remettant en question les dates des documents déposés n’a été faite.
IV
LES PLAIDOIRIES
Bénéficiaires
[10] D’emblée, le procureur de la Bénéficiaire souligne que l’Administrateur n’a pas rejeté la demande de réclamation, mais a plutôt refusé de donner suite à la demande en raison de sa non-recevabilité parce que hors délai. À cet égard, si je devais accueillir la demande d’arbitrage de la Bénéficiaire, le dossier devrait être retourné à l’Administrateur pour qu’il statue sur le bien-fondé de celle-ci.
[11] Se référant à la lettre du 16 septembre 2009 reproduite ci-haut, il mentionne qu’en aucun temps, la Bénéficiaire ne s’est plainte d’un problème d’ocre ferreuse. Le 16 septembre 2009, ce dont la Bénéficiaire se plaint, c’est d’un problème d’odeurs nauséabondes, de présence de matière huileuse et noire, de pompe submersible de couleur brun rouille, de fissures, d’eau, etc.
[12] Me Besner plaide que ce n’est pas le problème d’ocre ferreuse qui devait être dénoncé, mais plutôt la cause à l’origine de ce problème qui devait être dénoncée. En effet, l’ocre ferreuse n’est pas un vice en-soi, mais plutôt la conséquence qui découle d’un autre problème qui lui, est le véritable vice. C’est donc ce vice que doit dénoncer la Bénéficiaire. Le procureur réfère le Tribunal à l’affaire Douillard c. Les entreprises Robert Bourgouin Ltée[1], décision rendue par Me Chartier dans laquelle la problématique de la présence de l’ocre ferreuse est étudiée. Il souligne au passage les extraits pertinents que nous reproduisons en partie :
[39] La « causa causan» (cause causante) soit la cause déterminante, génératrice du dommage, i.e. sans laquelle le dommage n’aurait pu se produire, c’est la nappe phréatique plus élevée que la dalle de béton.
[40] La « causa proxima», la cause immédiate des dommages, c’est l’infiltration d’eau.
(…)
[43] L’ocre ferreuse ne vient qu’ajouter plus d’acuité à un problème déjà existant.
[13] Le procureur dépose en preuve sous la cote B-1 un document de l’Administrateur intitulé : « Ocre ferreux dans le drain français comment établir le bon diagnostique? » Ce document stipule :
(…)
La GMN de l’APCHQ recommande aux consommateurs qui constatent le phénomène de communiquer d’abord avec l’entrepreneur qui a construit leur maison, puisque celui-ci est bien placé pour analyser tous les paramètres et établir le diagnostic approprié.
(…)
C’est pourquoi si vous êtes appelés à évaluer la situation et à déterminer la solution, vous devez adopter une approche plus globale en déterminant notamment le niveau de la nappe phréatique à cet endroit, le pH (acidité) de l’eau et sa concentration en fer ainsi que le type de drain utilisé.
(…)
[14]
Il ajoute que suivant l’appel du 18 janvier 2011 où la problématique
d’ocre ferreux est mentionnée pour la première fois par la Bénéficiaire,
l’Administrateur a fait une inspection le
24 février suivant. Dans sa décision du 11 avril 2011, la question de la
hauteur de la nappe phréatique n’a jamais été abordée. La décision émet des
recommandations relatives à l’entretien périodique et à l’importance du
maintien des pentes pour permettre le drainage. Elle n’aborde jamais la
question fondamentale de la « causa causan».
[15] Référant à l’affaire Douillard précitée, il mentionne que la solution proposée par l’Administrateur va justement à l’encontre de la conclusion de l’arbitre qui indique que la solution retenue ne doit pas requérir d’entretien régulier ni affecter la valeur de la maison.
[16] En date des présentes, il semble que la hauteur de la nappe phréatique pourrait être à l’origine du problème d’ocre ferreux dans la propriété de la Bénéficiaire, mais cette cause (ce vice) n’a pas encore été évaluée. Par conséquent, la Bénéficiaire n’ayant pas encore découvert le vice, on ne peut lui reprocher la tardiveté à avoir dénoncé à l’Administrateur un vice encore non identifié. En somme, c’est le problème de nappe phréatique qui doit être dénoncé, pas celui de l’ocre ferreux.
[17] Le problème de nappe phréatique est reconnu comme étant un vice de construction grave. Ce vice était inconnu de la Bénéficiaire. L’esprit du Règlement en étant un de protection du consommateur, dans le doute, selon le procureur, le Tribunal doit favoriser une interprétation en faveur du consommateur[2]. Le procureur soutient qu’il faut faire preuve de prudence avant de refuser l’exercice d’un droit et demande que la demande d’arbitrage soit accueillie et que le dossier soit retourné à l’Administrateur pour statuer sur la problématique.
Administrateur
[18] L’Administrateur, pour sa part, rappelle les articles pertinents du Règlement :
SECTION II
CONTENU DE LA GARANTIE
§1. Garantie relative aux bâtiments non détenus en copropriété divise
10. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
(…)
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.
IV. Mécanisme de mise en oeuvre de la garantie
18. La procédure
suivante s'applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à
l'article 10:
1° dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription;
(…)
[19] Ainsi, ce que doit dénoncer un bénéficiaire, c’est le défaut de construction conformément à l’article 18 (1) du Règlement. Ce défaut de construction doit être dénoncé dans un délai raisonnable de sa découverte, lequel délai ne peut excéder six (6) mois, afin de bénéficier de la protection du Règlement.
[20] La jurisprudence en la matière est claire. Le délai de dénonciation de six (6) mois est de rigueur et de déchéance et il n’est pas permis de recourir à l’équité dans ces circonstances. Pour appuyer ses propos, le procureur attire l’attention du Tribunal sur deux (2) décisions portant sur la question du délai de dénonciation de six (6) mois, soit les affaires Moustaine & El-Houma c. Brunelle entrepreneur inc.[3] et Bélisle c. Les habitations Gauvin-Hogue inc.[4].
[21] Dans l’affaire Moustaine & El-Houma c. Brunelle entrepreneur inc.[5], Me Ewart fait une revue exhaustive de la jurisprudence en matière de délai et conclu comme suit :
[20] Diverses dispositions du Code de procédure civile ("Cpc") contiennent des concepts et textes similaires aux dispositions sous étude du Règlement et il est utile d'analyser certaines d'entre elles et de se référer aux auteurs et à la jurisprudence qui se sont penchés sur les mêmes éléments.
(…)
[31] Le Tribunal est d’avis, tel que le soussigné l’a exprimé récemment dans une autre affaire, que le délai maximum de six (6) mois prévu aux alinéas 3e, 4e et 5e respectivement de l’article 10 du Règlement est de rigueur et de déchéance et ne peux (sic) conséquemment être sujet à extension.
(…)
[35] Une des conséquences de la déchéance, la perte ou forclusion du droit d'exercice d'un droit particulier, dans le cas des présentes quant à l'Administrateur, le droit des Bénéficiaires de requérir la couverture du plan de garantie Plan, n'est pas sujet aux dispositions de la suspension ou interruption de la prescription applicables dans certaines circonstances :
“… alors qu’un délai de prescription peut être suspendu et interrompu (articles 2289 et s.), …, la solution contraire prévaut pour le délai de déchéance, qui éteint le droit de créance dès que la période est expirée sans que le créancier est exercé son recours et quoi qu’il arrive. Le titulaire du droit, de ce fait, ne peut même plus invoquer celui-ci par voie d’exception.“
[36] En résumé, la dénonciation prévue à l'article 10 du Règlement se doit d'être par écrit, est impérative et essentielle, le délai de six mois prévu au même article emporte et est un délai de déchéance, et si ce délai n'est pas respecté, le droit des Bénéficiaires à la couverture du plan de garantie visé et à le droit à l'arbitrage qui peut en découler sont respectivement éteints, forclos et ne peuvent être exercés.[6]
[22] Quant à la décision Bélisle c. Les habitations Gauvin-Hogue inc.[7], Me Despatis s’exprime ainsi au sujet du délai de dénonciation de six (6) mois :
[44]Au moment de présenter leur plaidoirie, les bénéficiaires ont fait valoir, d’une part, ne pas avoir été familiers avec les délais qu’on leur oppose et, d’autre part, avoir fait confiance à l’entrepreneur qui, à leurs yeux, en aurait cependant abusé. Ils me demandent en somme d’ignorer les délais prescrits par le Plan et d’agir en équité à leur égard.
[45] Il est vrai que l’audience m’a permis de constater que certains des points en litige, plus particulièrement les points 22, 29 et 32, concernent des problèmes qui, s’ils avaient été dénoncés à temps, auraient pu être corrigés en conformité du Plan. Cela dit, les propos de l’arbitre Gilles Lavoie dans Dufour et Rénovations René Gauthier inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., 23 février 2007, valent ici avec les adaptations nécessaires :
Dans ce cadre, même s’il est très difficile d’avoir à rejeter une demande d’arbitrage alors que manifestement la preuve au mérite démontre clairement que les réparations qui devaient être effectuées n’ont jamais respecté les règles de l’art, car elles n’ont jamais corrigé les défauts initiaux, force est de constater, après analyse du Règlement qui est clair et impératif sur ces questions et de toute la jurisprudence applicable à des affaires impliquant le respect des dits délais, qu’il s’agit de délais formels qu’il n’est tout simplement pas possible d’ignorer ou de contourner en invoquant l’équité. Ici, la responsabilité première du bénéficiaire était d’invoquer ses droits à l’intérieur des délais du Règlement et durant la période de validité de la Garantie. En attendant jusqu’au printemps 2006 pour agir, il a agi hors délai et hors de la période où la Garantie pouvait valablement être invoquée. La plainte doit être rejetée. Dans ces circonstances, le bénéficiaire, devra examiner ou faire examiner par un conseiller apte à le renseigner adéquatement si ses droits ne peuvent pas être invoqués dans le cadre de ses droits réguliers qui sont prévus au Code civil étant entendu que le contrat de construction tient l’entrepreneur à une obligation de résultat. (mes soulignements)
(…)
[23] D’abondant, il ajoute qu’il s’agit là du courant jurisprudentiel arbitral majoritaire.
[24] Par ailleurs, le défaut de construction qui doit être dénoncé est celui qui apparaîtrait à une personne raisonnable comme étant une anomalie par opposition à une situation normale. Or, dans sa lettre du 16 septembre 2009, la Bénéficiaire fait part d’éléments qui lui apparaissent comme étant anormaux et qui, d’un point de vue technique, ont toutes les apparences d’un problème d’ocre ferreux. On ne s’attend pas à ce qu’un bénéficiaire précise la nature exacte du problème, ceci pouvant parfois se révéler trop technique et on ne saurait tenir rigueur au bénéficiaire de cette omission. Par ailleurs, en présence d’une situation vraisemblablement problématique, comme c’est le cas en l’instance, l’obligation de dénonciation existe et le bénéficiaire doit s’acquitter de son obligation pour bénéficier de la protection de la garantie.
[25] Le fait que la Bénéficiaire ait fait part de la situation d’ocre ferreuse dans ses correspondances du mois d’octobre 2011 à l’Entrepreneur et dont copie a été reçue par l’Administrateur, ne change rien à la situation. Hormis les éléments nouveaux qui sont dénoncés et qui sont sans importance pour le présent dossier, la Bénéficiaire ne réitère que des éléments déjà connus et dénoncés à l’Entrepreneur en 2009.
[26] Me Laplante plaide que la Bénéficiaire a signé un contrat préliminaire avec l’Entrepreneur et que dans ce contrat, les obligations du bénéficiaire apparaissent très clairement. La Bénéficiaire, en dénonçant la problématique découverte en septembre 2009 à l’Entrepreneur seulement s’est acquittée de son obligation à moitié.
[27] Dans l’affaire Bélisle c. Les habitations Gauvin-Hogue inc. précitée, l’arbitre discute des problématiques sous étude en les désignant comme étant des «problèmes». Conséquemment, il faut en conclure que c’est le problème qui doit être dénoncé et non le vice lui-même.
[28] Par ailleurs, et au sujet de l’intervention de l’Administrateur suite à l’appel du 18 janvier 2011, il précise qu’il s’agissait d’une inspection pré conciliation qui n’a donné lieu qu’à un rapport technique et non à une décision. Au surplus, le rapport contient une mise en garde très claire à l’effet que l’intervention de l’Administrateur a pour unique but de contribuer techniquement à la résolution de la situation constatée et qu’en aucune façon l’intervention ne peut être considérée comme une application des termes et conditions prévus au contrat de garantie.
[29] À tout événement, même si l’Administrateur avait ouvert un dossier de réclamation pour la Bénéficiaire en janvier 2011 plutôt qu’un dossier de pré conciliation, le délai de six (6) mois était déjà largement dépassé.
[30] Au sujet de la décision Douillard[8], il soutient que cette affaire a été entendue au mérite et a bénéficié d’une preuve complète. En l’espèce, l’Administrateur ne s’est pas prononcé sur la nature du vice, mais s’est plutôt limité à rejeter la demande au motif qu’elle était faite hors délai. En définitive, ce que je dois considérer c’est si les éléments connus en 2009 étaient suffisants pour déclencher l’obligation de dénonciation à l’Entrepreneur ET à l’Administrateur dès 2009.
[31] Au sujet de l’interprétation en faveur du consommateur en cas de doute, il soumet que la Cour d’appel dans l’affaire Desindes[9] a statué que c’était une erreur de l’arbitre d’avoir assimilé les dispositions du Règlement à la Loi sur la protection du consommateur en matière d’interprétation parce que le contrat de garantie est un contrat règlementaire qui reproduit à toute fin pratique le contenu du Règlement qui doit être interprété conformément à l’intention du législateur.
[32] Quant à la question d’ocre ferreux, Me Laplante soutient que la jurisprudence récente reconnaît que les problèmes d’ocre ferreux et de nappe phréatique ne peuvent être dissociés. Par ailleurs, la décision de l’Administrateur est à l’effet que la réclamation est irrecevable et ne se prononce nullement sur la problématique.
[33] Tout comme son confrère, Me Laplante soumet qu’advenant que la demande d’arbitrage de la Bénéficiaire soit accueillie, le dossier devra être retourné à l’Administrateur afin de lui permettre de prendre position sur cet aspect du dossier et de rendre une décision.
[34] L’Administrateur demande donc au présent Tribunal d’arbitrage de rejeter la demande de la Bénéficiaire.
Entrepreneur
[35] L’Entrepreneur qui n’était pas représenté a soumis peu d’arguments si ce n’est qu’il avait préalablement fait faire des tests relativement à la qualité des terrains et qu’il a toujours répondu aux appels de la Bénéficiaire. Il soutient avoir été sur place avec un autre entrepreneur afin d’identifier le problème et rassurer la Bénéficiaire qu’il n’avait pas l’intention de la fourvoyer. Par ailleurs, il explique qu’il ne peut couler ses fondations s’il y a présence d’eau. C’est la première fois qu’il fait face à un problème comme celui-là.
Bénéficiaires
En réplique aux arguments présentés par Me Laplante, Me Besner indique que c’est à partir de la connaissance de la gravité du vice qu’un bénéficiaire peut dénoncer la situation à l’Administrateur. Le Règlement est clair : c’est le vice qui doit être dénoncé et non la situation problématique.
V
ANALYSE ET DÉCISION
[36] Le présent Tribunal d’arbitrage doit décider si la dénonciation faite par la Bénéficiaire à l’Administrateur le 19 octobre 2011 l’a été conformément au Règlement. Pour se faire, se pose la question préalable de savoir si c’est le vice qui doit être dénoncé ou si c’est l’existence d’un problème qui doit être dénoncée.
[37] Le Règlement prévoit :
SECTION II
CONTENU DE LA GARANTIE
§1. Garantie relative aux bâtiments non détenus en copropriété divise
I. Couverture de la garantie
10. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
(…)
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation. (mes soulignements)
IV. Mécanisme de mise en œuvre de la garantie
18. La procédure suivante s'applique à toute réclamation
fondée sur la garantie prévue à l'article 10:
1° dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription;
(…) (mes soulignements)
[38] La position soutenue par la Bénéficiaire n’est pas sans intérêt. En effet, comment un bénéficiaire peut-il dénoncer à l’administrateur une situation qu’il ne peut encore, à un stade préliminaire, qualifié de vice et sans savoir si ce vice potentiel est couvert par le plan de garantie? En ce sens, il m’apparaît qu’un bénéficiaire a le droit de faire un minimum de vérifications avant de dénoncer une situation à l’administrateur. Ce délai est prévu au Règlement et n’est pas inconciliable avec le droit du bénéficiaire de faire certaines vérifications préalables.
[39] L’article 10 du Règlement aux paragraphes 3, 4 et 5 traite de trois (3) situations susceptibles de se présenter et qui sont couvertes, sous réserve de certaines limites, par le plan de garantie. Il s’agit de la malfaçon existante, mais non apparente au moment de la réception, du vice caché et du vice de construction. Ces paragraphes précisent que le délai de dénonciation de chacune de ces situations, soit la malfaçon, le vice caché ou le vice de construction, est d’au plus six (6) mois suivants la découverte.
[40] Pour sa part, l’article 18 du Règlement qui se veut une disposition purement procédurale, énonce que le bénéficiaire qui veut se prévaloir de la procédure de réclamation doit dénoncer par écrit à l’entrepreneur le défaut de construction, avec copie a l’administrateur en vue d’interrompre la prescription. L’article 18 du Règlement est la disposition procédurale qui permet la mise en œuvre du processus de réclamation fondé sur l’article 10 dudit Règlement.
[41] Le procureur de la Bénéficiaire soulève un argument de texte à l’effet que l’article 10 stipule que ce sont les malfaçons, les vices cachés et les vices de construction qui doivent être dénoncés. Cette disposition ne stipule aucunement que le bénéficiaire doit dénoncer à l’Administrateur ‘un problème’. Sa prétention est à l’effet que la Bénéficiaire devait identifier le vice avant de le connaître et de pouvoir valablement le dénoncer à l’Administrateur conformément au Règlement. La simple dénonciation d’un problème sans en connaître la cause ne satisfait pas à l’obligation de dénoncer le vice.
[42] Avec égards, il s’agit d’une interprétation littérale de l’article 10 du Règlement qui omet de tenir compte de l’article 18 du même Règlement qui stipule que c’est le défaut de construction qui doit être dénoncé. Les dispositions législatives doivent s’interpréter les unes par les autres et tenir compte du contexte.
[43] Dans le cas du Règlement sous étude, il s’agit d’un règlement d’ordre public de protection. Les dispositions du Règlement sont impératives et applicables à tous. Les parties ne peuvent contractuellement y déroger.
[44] Le défaut de construction, tel que mentionné à l’article 18 du Règlement, réfère à la même réalité juridique : soit la malfaçon, le vice caché et le vice de construction, chacun à des degrés divers de gravité. L’article 18 est rédigé dans des termes suffisamment larges pour permettre d’englober ces 3 réalités.
[45] La jurisprudence est constante à l’effet que c’est la connaissance de l’existence d’un problème qui déclenche l’obligation de dénonciation. Prétendre que la Bénéficiaire devait connaître la nature du vice, i.e. procéder à toutes les analyses et expertises requises pour confirmer la nature du vice affectant sa propriété avant de le dénoncer à l’Entrepreneur avec copie à l’Administrateur serait lui imposer un trop lourd fardeau.
[46] D’ailleurs, si tel devait être l’interprétation du Règlement, il y a longtemps que l’Administrateur aurait soulevé ce point afin de faire échec à des dénonciations qui pourraient être considérées comme prématurées.
[47] Par conséquent, j’estime que ce que devait dénoncer la Bénéficiaire à l’Entrepreneur avec copie à l’Administrateur c’est l’existence d’un problème, quel qu’il soit.
[48] La preuve soumise et non contestée démontre sans équivoque que le 16 septembre 2009, la Bénéficiaire connaissait l’existence d’un problème affectant sa propriété puisqu’elle écrit à l’Entrepreneur et lui demande de remédier à la situation.
[49] En conséquence, la dénonciation faite à l’Administrateur le 19 octobre 2011 était tardive et hors délai.
[50] Par ailleurs, le régime légal du Règlement coexiste avec le régime général du Code civil du Québec. Je me permets de reprendre ici certains propos tenus par l’Arbitre Despatis dans la décision Bélisle c. Les habitations Gauvin-Hogue inc.[10] :
[47] La raison d’être de dispositions dans le Plan exigeant que des dénonciations soient faites selon une certaine forme et dans des délais préfixes est de permettre, notamment à l’administrateur qui s’est engagé à cautionner certaines obligations de l’entrepreneur, de prévenir une dégradation plus grande du bien en lui fournissant l’occasion d’agir rapidement s’il le désire.
[51] Le Règlement prévoit les modalités de mise en œuvre de la garantie en vertu de laquelle l’administrateur est tenu d’exécuter, à titre de caution, les obligations légales et contractuelles de l’Entrepreneur en défaut.
[52] En cas d’échec du recours contre la caution, rien n’empêche la Bénéficiaire, sous réserve des spécificités du régime de droit commun et du délai de prescription, de recourir au régime légal du Code civil du Québec afin d’obtenir de l’Entrepreneur qu’il exécute pleinement et correctement ses obligations. Il ne saurait cependant être question, dans les circonstances en l’espèce, de tenir l’Administrateur responsable d’une situation qui ne lui a été dénoncée que tardivement. Par ailleurs, j’estime que les frais du présent arbitrage doivent être supportés par l’Administrateur, vu les circonstances.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE
REJETTE la réclamation de la Bénéficiaire;
CONDAMNE l’Administrateur à payer la totalité des frais du présent arbitrage.
Montréal, ce 23 juillet 2012
|
|
|
Me Karine Poulin, arbitre
|
[1] Douillard c. Les entreprises Robert Bourgouin Ltée, 2005 CanLII 59909 (QC).
[2] Douillard c. Les entreprises Robert Bourgouin Ltée, précitée note 1.
[3] Abderrahim Moustaine & Rajaa El-Houma c. Brunelle entrepreneur inc.et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., T.A. SORECONI, 9 mai 2008, arbitre Jean Philippe Ewart.
[4] Andrée Bélisle et Gilles Bélisle c. La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. et Les habitations Gauvin-Hogue inc., T.A. GAMM 14 avril 2008, arbitre Johanne Despatis.
[5] Abderrahim Moustaine & Rajaa El-Houma c. Brunelle entrepreneur inc.et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., précitée note 3.
[6] Abderrahim Moustaine & Rajaa El-Houma c. Brunelle entrepreneur inc.et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., précitée note 3.
[7] Andrée Bélisle et Gilles Bélisle c. La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. et Les habitations Gauvin-Hogue inc., précitée note 4.
[8] Douillard c. Les entreprises Robert Bourgouin Ltée, précitée note 1.
[9] La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. Maryse desindes et Yvan Larochelle et René Blanchet, ès qualité d’arbitre CCAC, 500-09-013349-030, 15 décembre 2004 (C.A.).
[10] Andrée Bélisle et Gilles Bélisle c. La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. et Les habitations Gauvin-Hogue inc., précitée note 4.