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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

Dossier no :

GAMM   :    2008-12-013

                         APCHQ :  56855-1 (08-363-LS)

 

 

ENTRE :

9050-2014 QUÉBEC INC.

BÂTIMENTS UNIFIANT L’IMAGINIARE LA LUMIÈRE ET LE DESIGN (B.U.I.L.D.)

                                                                                          (ci-après, l’entrepreneur)

 

ET :

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ

                                                                                                     (ci-après, l’administrateur)

 

ET :

SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ DU SUPER 8

                                                                                          (ci-après, le bénéficiaire)

 

 

DEVANT L’ARBITRE :

 Me Johanne Despatis

 

 

Pour les bénéficiaires :                                                  

Mme Claudette Lavigne

Pour l’administrateur :                                                    

Me Luc Séguin

Pour l’entrepreneur :                                                     

M. Attila Tolnai

 

 

Date d’audience :

24 mars 2009

Date de la sentence :                                                      

20 avril 2009

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

Adjudex inc.

0812-8317-GAMM

SA-8057

 

I

INTRODUCTION

 

[1]                9050-2014 Québec inc. (Bâtiments unifiant l’imaginaire la lumière et le design, BUILD), l’entrepreneur, conteste en vertu de l’article 35 du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, ci-après le Règlement, une décision rendue le 25 mars 2008 par la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., l’administrateur. Ce dernier y accueille de la façon qui suit une réclamation présentée par le Syndicat de copropriété du Super 8, le bénéficiaire :  

L’entrepreneur devra se conformer à la décision rendue au point 57 à l’intérieur d’un délai de trente (30) jours suivant la réception de la présente.

57. Vibration excessive au plancher de l’unité no 5

Travaux :

L’entrepreneur devra apporter des correctifs à la structure du plancher de l’unité 5 en rapport à la fréquence naturelle du plancher qui est trop petite.

A titre indicatif, nous incluons à la présente, copie de l’avis technique daté du 27 février 2008 ainsi que les recommandations relatives au renfort de la structure du plancher en date du 19 mars 2008.

Selon nos constatations, le point 57 qui précède a été dénoncé par écrit dans la deuxième année de garantie, soit après l’échéance de la garantie relative aux malfaçons non apparentes, laquelle est d’une année suivant la réception du bâtiment.

Conséquemment, la garantie applicable à la suite de la première année porte sur les vices cachés. Afin qu’elle s’applique dans le présent cas, l’administrateur doit s’assurer que tous les critères suivants soient rencontrés, à savoir :

-         Le vice doit être caché;

-         Il doit précéder la vente;

-         Il doit être inconnu de l’acheteur

-         Il doit posséder une certaine gravité, à savoir rendre le bien impropre à l’usage auquel on le destine ou diminuer tellement son utilité, que l’acheteur ne l’aurait pas acquis ou n’aurait pas donné si haut prix s’il l’avait connu.

Selon les constatations effectuées sur place lors de l’inspection, l’administrateur est effectivement d’avis que la situation décrite au point 57 rencontre tous ces critères.

Par conséquent, l’entrepreneur devra effectuer les travaux précédemment mentionnés.

 

II

PREUVE

 

[2]                La réclamation du Syndicat remonte à septembre 2007. Elle concerne un problème de vibration affectant le plancher de l’unité 5 de cette copropriété construite par l’entrepreneur. Il s’agit d’un immeuble comptant huit unités réparties sur trois étages et situé rue Amherst à Montréal.

[3]                Sa dénonciation a été confiée à monsieur Robert Périnet, architecte et inspecteur-conciliateur au service de l’administrateur. Celui-ci mène une première inspection et fait rapport en décembre 2007. Il écrit alors :

57. Vibration excessive au premier niveau de plancher de l’unité 5

Nous avons observé, au plancher du troisième étage, une vibration importante dans l’unité 5, à environ 2,5 mètres du mur extérieur de la façade.

Dans la même unité, à 5 mètres de la façade, ainsi que dans toutes les autres unités, les vibrations observées semblent normales.

Concernant le point 57 qui précède, La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ n’est présentement pas en mesure de rendre une décision.

En effet, afin de rendre une décision juste et éclairée, il sera nécessaire d’obtenir au préalable, l’opinion professionnelle d’un expert.

Dans un premier temps, une copie du mandat d’expertise sera transmise aux parties impliquées.

Par la suite, sur réception du rapport de l’expert, l’administrateur sera en mesure de rendre une décision dans le cadre du contrat de garantie.  

[4]                Monsieur Périnet raconte à l’audience avoir estimé lors de son inspection qu’il y avait effectivement vibration excessive à l’unité 5 comparativement aux autres unités où il dit n’avoir pas constaté de vibration anormale.

[5]                Selon ce qu’explique monsieur Périnet, la recherche en matière de calcul de la vibration est relativement récente. Les formules qu’on y a développées ne sont pas simples et font appel à l’utilisation de plusieurs facteurs. En fin de compte, selon lui, une grande part de l’évaluation de la normalité de la vibration d’un plancher repose sur la perception individuelle qu’on peut en avoir.

[6]                C’est sur ce genre de considérations que monsieur Périnet confie au Groupe Stavibel inc., une firme de consultants en ingénierie, le mandat suivant d’évaluer ces vibrations à l’unité 5 :

[...] Il s’agit d’un bâtiment résidentiel de trois étages, avec mezzanine et comportant huit logements en condominium. Il semble qu’une vibration excessive soit perceptible, et ce, au niveau du plancher du 3ième étage à l’unité #5, lequel est composé de poutrelles de bois, recouvert d’une chape de béton.

Premièrement, votre mandat consiste, à une visite des lieux en notre compagnie, afin de cerner la problématique dans son environnement. Vous devrez effectuer les tests requis pour évaluer si les vibrations sont excessives. Deuxièmement, votre rapport devra inclure vos recommandations, dans l’éventualité où des travaux correctifs seront requis.

[7]                C’est à l’ingénieur Louis-Philippe Poirier que Stavibel confie le problème. Ce dernier fait rapport le 27 février 2008. Il y écrit : 

1.0 Inspection

Deux inspections sur le site ont été effectuées par M. Louis-Philippe Poirier, ing. [...] soit le 15 janvier 2008 et le 13 février 2008.

Le 15 janvier, une inspection a été effectuée à l’unité #5  en compagnie de monsieur Robert Périnet, architecte-inspecteur de l’APCHQ. Une vibration importante du plancher a été observée, suite à laquelle nous vous avons recommandé une étude plus approfondie de la structure.

Le 13 février, une inspection a été effectuée à l’unité #1 pour relever la structure du plancher afin d’effectuer les calculs nécessaires pour évaluer la conformité du plancher par rapport aux exigences du Code National du Bâtiment (CNBC 1995).

2.0 Analyse

Une évaluation a été effectuée pour déterminer la capacité portante des solives de bois et de la poutre principale en acier du plancher de l’unité #5. Les solives et la poutre ont la capacité requise pour supporter les charges. Celles-ci respectent également le critère de flèche L/360 sous la sollicitation des charges d’occupation. Généralement, ce critère est suffisant pour contrôler les vibrations transitoires dans les planchers qui peuvent gêner les occupants. Par contre, tel que cité dans le CNBC, « … de tels critères s’appliquent uniquement aux planchers traditionnels dont la portée est inférieure à 6 m environ et dont les fréquences sont supérieures à 10 Hz environ. Ils ne s’appliquent pas aux planchers à grande portée, en particulier ceux qui ne portent pas de cloisons, ni aux planchers prévus pour des utilisations spéciales. » Le commentaire A du CNBC est inclus en annexe, en plus de deux autres référence pertinentes.

Le plancher à l’unité #5 porte sur une poutre d’acier d’approximativement 7.1 m de longueur. La fréquence naturelle du plancher est approximativement 5 à 6 Hz et, compte tenu du concept « loft », ne porte aucune cloison. Donc, le critère de performance basé uniquement sur les déflexions n’est pas suffisant.

En général, pour contrôler les vibrations de plancher, il est recommandé que la fréquence naturelle d’un plancher soit supérieure aux fréquences d’excitation. La fréquence d’excitation harmonique d’une personne qui marche est de 2 Hz. Quelqu’un  qui sautille développe une fréquence d’excitation entre 2 et 6 Hz. Le CNBC 1995 fourni [sic] une méthode de calcul pour déterminer la fréquence suggérée pour un plancher, selon l’utilisation. D’après ce calcul, la fréquence propre au plancher de l’unité #5 devrait être minimalement de 8 Hz. Ceci explique les problèmes de vibrations.

3.0 Conclusions et recommandations

Une inspection sur le site et une évaluation par calcul démontrent qu’il existe un problème de vibration excessif à l’unité #5 [...]. Quoi que les solives et la poutre principale du plancher soient proportionnées de façon adéquate, en termes de capacité et déflexion, nous sommes d’avis que celles-ci démontrent une déficience en service. La fréquence naturelle du plancher est trop petite.

La fréquence d’une structure est proportionnelle à sa masse et rigidité. Notre opinion technique est que le problème peut être résolu de deux manières; soit en augmentant la rigidité du plancher avec des renforts aux solives et à la poutre ou en réduisant la masse du plancher en remplaçant la chape de béton par un plancher conventionnel moins lourd.

[8]                C’est sur la foi de cette opinion de l’ingénieur Poirier, ainsi que sur ses propres constatations, que l’inspecteur Périnet rend le 25 mars 2008 la décision contestée reproduite plus haut dans laquelle il ordonne à l’entrepreneur d’apporter des correctifs à la structure du plancher de l’unité 5 en rapport à la fréquence naturelle du plancher qui est trop petite.

[9]                Ne partageant pas le point de vue de l’administrateur, l’entrepreneur porte sa décision en arbitrage. Il écrit dans sa demande que l’ingénieur [monsieur Gino Lanni] qui a fait le concept et la supervision maintient que la structure est adéquate.

[10]           Subséquemment mis au courant des conclusions de Stavibel, monsieur Lanni est invité par l’entrepreneur à se pencher sur la question. Il écrit à son client le 10 avril 2008 :

Nous avons pris connaissance du rapport sur les vibrations du plancher à l’unité no 5 préparé par le Groupe Stavibel en date du 27 février 2008.

Nos commentaires sont les suivants :

1-     Les vibrations observées sur le plancher de l’unité no 5 sont tout à fait normales pour un plancher composé d’une poutre d’acier ayant une portée de 7,1 mètres. 

2-     Pour le calcul des critères de vibration, la fréquence d’oscillation d’une personne qui marche devrait être entre 1,5 Hz et non à 2 Hz comme indiquée dans le rapport. La fréquence d’oscillation de 2 Hz est excessivement élevée pour une activité dans un lieu d’habitation et applicable seulement pour des activités de danse, concert, événement sportif et exercice de sautillement (voir tableau A-2 du commentaire « A » de CNBC).

Le calcul révisé de la fréquence requise du plancher devait être 6 Hz qui est égale à la fréquence naturelle du plancher de 6 Hz, ce qui rencontre les critères de vibration.

En conclusion, les critères de vibration étant rencontrés, il n’y a aucun problème de vibration excessive tel qu’indiqué  dans le rapport de Stavibel.

[11]           Le document de monsieur Lanni est porté à la connaissance de l’ingénieur Poirier qui y réagit par écrit le 24 avril 2008:

Nous soutenons notre évaluation et nos conclusions du 27 février 2008. La fréquence d’oscillation utilisée pour évaluer le comportement du plancher était de 2 Hz. Cette valeur représente la fréquence d’excitation harmonique d’une personne qui marche, tirée de deux références, incluses avec l’avis technique du 27 février et incluses à nouveau en annexe. A partir de cette donnée et en utilisant la méthode de calcul du CNBC 1995, nous avons évalué que la fréquence naturelle du plancher devait être minimalement de 8 Hz. Le plancher a une fréquence approximative de 5 à 6 Hz.

Tel que mentionné à l’avis technique, il est important de réitérer que les poutres et les poutrelles du plancher respectent les exigences du CNBC 1995 en terme de capacité et de déflexion (L/360). Nous sommes d’avis par contre, qu’en termes de vibration, le plancher ne satisfait pas aux exigences du code.

Il existe quelques méthodes pour évaluer les critères de performance en vibration d’un plancher. Le CNBC 1995 utilise une méthode de point de charge, mais d’autres méthodes existent également. En bout de ligne, toutes ces méthodes sont théoriques donc, les résultats peuvent être débattus. Ce qui est indéniable par contre, c’est le comportement observé sur place. Nous sommes d’avis que l’inconfort subit par le propriétaire de l’unité justifie une intervention pour améliorer la performance en service du plancher.

[12]           L’ingénieur Lanni produit un second rapport le 18 février 2009 :

[...], nous avons visité les lieux de l’unité no 5 [...] le 17 juillet 2008.

Lors de notre visite, nous n’avons relevé aucun problème de vibration des planchers. Le plancher résonne d’une façon non perçue lorsqu’on marche normalement. Par contre, lorsqu’on saute d’une hauteur maximum de 12 po. et plus, une vibration est ressentie, ce qui est tout à fait normal. Nous avons également remarqué un bruit de cognement dans la penderie. Une porte de cette penderie semble bouger et donc est sensible au mouvement. Une intervention simple d’un menuisier pourrait résoudre ce problème.

Suite à cette visite, nous avons procédé à la vérification des calculs en considérant une fréquence d’oscillation de 2 hz plutôt que de 1.5 hz un facteur de charge dynamique = .25 poids des participants wp= .20 kpa et basé sur le nombre d’occupants de l’unité no 5.

La fréquence naturelle du plancher est d’environ 6.2 hz et la fréquence naturelle requise pour tenir compte d’une fréquence d’oscillation de 2 hz, tel que suggéré par l’ingénieur Louis-Philippe Poirier, serait de 5.56 hz.

Donc, le plancher rencontre donc les critères de performance en vibration du plancher selon le code CNBC 1995.

Le plancher rencontre également les critères de conception pour la vibration selon la référence « Control of floor vibration » du CNRC.

Il faudrait également souligner que les poutres d’acier et les poutrelles de bois rencontrent amplement les exigences du CNBC en ce qui a trait à la capacité et à la déflexion.

[...]

Il est donc de notre avis que le plancher à l’étude ici, rencontre les exigences et les critères d’occupation requis selon le CNBC 1995. Le peu de vibrations observées sur le plancher de bois est normal, particulièrement pour une utilisation de ce type d’habitation, soit le style « Loft ».

Afin de minimiser les vibrations au maximum, et d’avoir la perception de ne ressentir aucune vibration, il aurait fallu construire un plancher en dalle de béton armé ayant une épaisseur minimale de 10’’. Les coûts de cette charpente seront au moins quatre fois celui d’une charpente en bois.

Beaucoup de projets de condominiums à Montréal et dans lesquels nous avons été impliqué, ont été conçus avec des poutrelles de bois ayant des portées de plus de 25’ et nous n’avons remarqué aucun problème de vibration. Les vibrations de plancher sont plutôt un problème de gêne pour les occupants qu’un problème de surcharge ou de fatigue.

Toutes les structures vibrent lorsqu’elles sont provoquées par le mouvement des occupants. Les critères de vibration sont en fonction du niveau de tolérance subi par les occupants. Si les occupants font des mouvements de sautillement, tel que danse ou exercices physiques, le niveau de vibration toléré devrait être plus élevé. Chaque occupant a une tolérance différente aux vibrations. Ces dernières rencontrent les critères minimaux du CNBC et ce malgré le fait que certains occupants pourraient déterminer que ceci est inacceptable. Donc, le niveau de tolérance aux vibrations de plancher est très subjective. [sic]

[13]           Les ingénieurs Lanni et Poirier ont été cités à l’audience et chacun reconnu expert. Ils y ont tous deux décrit leurs constatations.

[14]           L’ingénieur Gino Lanni affirme d’abord n’avoir ressenti aucune vibration lors de sa visite de l’unité 5 en février 2009 lorsqu’il marchait normalement. Selon ce qu’il raconte, il ne ressentait de vibration que lorsqu’il sautait. C’est du reste l’essentiel de ce qui ressort de son rapport de février 2009 où il écrit : Le plancher résonne d’une façon non perçue lorsqu’on marche normalement. Par contre, lorsqu’on saute d’une hauteur maximum de 12 po. et plus, une vibration est ressentie, ce qui est tout à fait normal. Nous avons également remarqué un bruit de cognement dans la penderie.

[15]           Selon monsieur Lanni, la vibration ressentie en sautant est tout à fait normale et inévitable en raison des matériaux utilisés et du type de logement impliqué, soit un loft. Il insiste pour dire que la structure du bâtiment n’est pas cause ici, affirmation par ailleurs non contestée.

[16]           Monsieur Lanni opine que les calculs effectués par son collègue Poirier ne sont pas justes puisque ce dernier y utiliserait certaines valeurs qui ne seraient pas pertinentes à ce genre d’habitation. Il reconnaitra toutefois lorsqu’interrogé sur ses propres calculs que leurs résultats s’inscrivent à la limite de l’acceptable.

[17]           Monsieur Lanni convient par ailleurs qu’au-delà des calculs, la question est largement subjective dans la mesure où il s’agit d’une question de nuisance indissociable de la tolérance de chacun aux vibrations, i.e. à ce que chacun est prêt ou non à accepter.

[18]           Pour sa part, l’ingénieur Poirier a longuement expliqué ses calculs réalisés en s’appuyant sur le Commentaire A, Critères de tenue en service relatifs aux flèches et aux vibrations, tiré du CNBC 1995. Tout en reconnaissant que certains facteurs utilisés dans ses calculs résultent d’une certaine interprétation de sa part sur ce qui est pertinent à la démarche, il insiste qu’en ce qui le concerne les choix et hypothèses retenus l’ont été en s’appuyant notamment sur certains ouvrages de référence qu’il mentionne.

[19]           Selon monsieur Poirier, il existe en effet différentes méthodes d’évaluation des critères de performance en vibration d’un plancher. Pour sa part, il s’en est remis à celle du CNBC 1995 qui, selon lui, sont valables et normalement utilisés dans ces matières.

[20]           Comme messieurs Périnet et Lanni avant lui, il affirme qu’au-delà de la méthode choisie et des calculs, une bonne partie de l’évaluation repose sur le comportement du plancher tel qu’observé sur place. Or, à cet égard, il affirme que le plancher de l’unité 5 vibre, à  son avis, anormalement, une situation qui nécessite une intervention pour en améliorer la performance.

[21]           Monsieur Dinh Ba Nguyen est propriétaire de l’appartement 5. Il dit sentir vibrer le plancher lorsqu’il marche normalement dans son appartement : Ça fait shaker les portes, dit-il, avant d’ajouter : Je ne sens pas ça stable, c’est le plancher qui bouge. Il y voit une limitation à sa jouissance des lieux au point où, conscient du problème, il doit toujours faire attention afin de ne pas gêner son voisin d’en bas.

[22]           Monsieur Yves Gaucher, propriétaire de l’unité 1, a également témoigné. Il explique que lorsque ses voisins d’en haut marchent dans leur appartement, son plafond et ses portes de penderie se mettent à vibrer, ce qu’il juge inacceptable. En plus, il déplore entendre tous les bruits provenant d’en haut. Monsieur Lanni dira à ce sujet qu’il faut distinguer bruit d’impact et vibration qui sont deux phénomènes distincts. Monsieur Périnet qui reconnait aussi la distinction précisera ne s’être penché que sur le phénomène de la vibration, n’ayant pas été saisi d’aucune réclamation concernant des bruits d’impact qui sont une question d’insonorisation.

[23]           L’audience, à la demande de l’entrepreneur, a comporté une visite des lieux. J’ai été à même de constater à cette occasion qu’une vibration pouvait être ressentie lorsque les six ou sept personnes que nous étions marchaient normalement dans l’unité 5. Une vibration était également ressentie lorsque quelqu’un montait ou descendait l’escalier menant à la mezzanine située dans cette unité. 

[24]           Monsieur Lanni a convenu qu’on sentait effectivement le plancher vibrer mais, selon lui, cette vibration est très faible et en somme à peine perceptible.

[25]           Le groupe s’est aussi rendu à l’unité 1 situé immédiatement en dessous de l’unité 5. Nous avons à cette occasion pu percevoir que les plafonniers ainsi que les portes de penderie suspendues au plafond vibraient lorsque l’on marchait dans l’unité 5.

 

III

ANALYSE ET DÉCISION

 

[26]           La question qui est au cœur du débat est de savoir si la décision rendue par l’administrateur ordonnant à l’entrepreneur d’apporter des correctifs à la structure du plancher de l’unité 5 en rapport à la fréquence naturelle du plancher qui est trop petite est conforme au Règlement.

[27]           Juridiquement, la partie qui se porte demanderesse devant un tribunal a de manière générale le fardeau de démontrer le bien-fondé de ses prétentions. C'est donc le cas ici pour l’entrepreneur qui se pourvoie à l’encontre d’une décision lui ordonnant des travaux correctifs. 

[28]           La règle suivante énoncée à l’article 2804 du Code civil du Québec relative à la notion de prépondérance de la preuve s’applique au présent litige :

La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.

[29]           Je dois donc décider sur la foi de la preuve présentée et du droit pertinent du bien fondé du recours de l’entrepreneur. Autrement dit, l’entrepreneur a-t-il relevé le fardeau de démontrer de manière prépondérante que l’administrateur a rendu une décision contraire au Règlement en décidant que le plancher de l’unité 5 ne répond pas aux exigences en matière de vibration?

[30]           Sur le fond, j’ai entendu au sujet de la dimension technique de la chose, à part l’architecte Périnet, les ingénieurs Lanni et Poirier, ce dernier à titre d’expert mandaté par l’administrateur. L’ingénieur Lanni a pour sa part été entendu en quelque sorte au double titre d’expert et aussi d’ingénieur chargé du projet jugé fautif. J’ai en outre entendu des résidants des unités 1 et 5 venus décrire leur vécu et enfin, visité les lieux de la façon décrite plus haut.

[31]           La preuve entendue est contradictoire. Monsieur Lanni défend d’une part la conformité de l’ouvrage à titre d’ingénieur responsable des travaux et décrit, d’autre part, la méthode qu’il estime correcte pour mesurer techniquement cette conformité. Je n’ai relevé aucun élément qui justifierait de mettre en doute son objectivité et sa bonne foi. Là n’est pas la question : le fait que des opinions techniques divergent ne justifie pas d’y voir des questions de mauvaise foi ou encore de partialité. Cela dit, je dois toutefois rendre jugement sur l’appréciation générale de la preuve et sa prépondérance.

[32]           En l’espèce, l’ensemble de la preuve, y compris mais pas exclusivement l'opinion de l'expert Poirier, m’amène à la conclusion que la prépondérance va dans le sens de la décision de l’administrateur.

[33]           Il y a d’abord lieu de rappeler certaines observations purement matérielles. Ainsi, monsieur Lanni a soutenu initialement, tant dans son rapport qu’à l’audience, qu’aucune vibration n’était ressentie lorsque l’on marchait normalement dans l’unité 5. Cette affirmation est contredite par tous les autres témoins, de l’inspecteur aux résidants, en outre de ne pas s’être avérée exacte au moment de la visite des lieux. La preuve prépondérante est plutôt à l’effet que des vibrations sont perceptibles dans les unités 1 et 5 dès lors que quelqu’un marche dans l’unité 5.

[34]           Monsieur Lanni a lui aussi lors de la visite des lieux reconnu après avoir entendu les différents témoignages, qu’on pouvait effectivement ressentir une vibration lorsque quelqu’un marchait normalement mais que celle-ci était normale, qualifiant par ailleurs d’inadéquate la méthode utilisée par son collègue Poirier pour la mesurer.

[35]           Monsieur Lanni a expliqué ses propres choix méthodologiques sans toutefois produire, contrairement à son vis-à-vis, les sources sur lesquelles il affirme fonder sa démarche. Il a ainsi émis l’avis que le plancher de l’unité 5 rencontre en matière de vibration les critères du Control of floor vibration du CNRC mais sans toutefois déposer ni expliquer la documentation en question.

[36]           S’agissant de l’évaluation technique de la vibration observée, de son côté, l’expert Poirier, a procédé à des calculs fondés sur des normes documentées qui l’ont amené à conclure au caractère anormal de la vibration du plancher. Il s’en est expliqué en faisant état de la documentation technique et de la littérature sur lesquelles il fondait sa conclusion, conclusion précédée de deux visites des lieux. En somme, tout en reconnaissant que ses calculs résultaient d’une certaine interprétation des facteurs pertinents, il a expliqué et justifié ses choix qui reposent en outre sur des documents techniques éprouvés.

[37]           Les affirmations de monsieur Poirier concordent, sont constantes et en quelque sorte confortées par la preuve matérielle puisqu’effectivement le plancher vibre.

[38]           Mais il y a plus. Selon la preuve non contredite, au-delà de tout calcul ou de toute conclusion purement technique du caractère excessif ou non de la vibration d’un plancher, il y a aussi à prendre en compte une dimension plus subjective, tributaire de la réaction, de la perception de la personne qui ressent ces vibrations.

[39]           À cet égard, les deux ingénieurs ainsi que l’architecte Périnet s’entendent : une grande part de la normalité ou de l’acceptabilité de la vibration d’un plancher dépend en somme de ce qu’on peut ressentir en face du comportement réel de la chose lorsque celle-ci est l’objet de vibration. L’expert Poirier écrit à ce sujet dans son rapport :

Il existe quelques méthodes pour évaluer les critères de performance en vibration d’un plancher. Le CNBC 1995 utilise une méthode de point de charge, mais d’autres méthodes existent également. En bout de ligne, toutes ces méthodes sont théoriques donc, les résultats peuvent être débattus. Ce qui est indéniable par contre, c’est le comportement observé sur place. Nous sommes d’avis que l’inconfort subit par le propriétaire de l’unité justifie une intervention pour améliorer la performance en service du plancher.

[Caractères gras ajoutés]

[40]           C’est également ce qui ressort du second rapport de l’expert Lanni lorsqu’il affirme :

[...] Les vibrations de plancher sont plutôt un problème de gêne pour les occupants qu’un problème de surcharge ou de fatigue.

Toutes les structures vibrent lorsqu’elles sont provoquées par le mouvement des occupants. Les critères de vibration sont en fonction du niveau de tolérance subi par les occupants. Si les occupants font des mouvements de sautillement, tel que danse ou exercices physiques, le niveau de vibration toléré devrait être plus élevé. Chaque occupant a une tolérance différente aux vibrations. Ces dernières rencontrent les critères minimaux du CNBC et ce malgré le fait que certains occupants pourraient déterminer que ceci est inacceptable. Donc, le niveau de tolérance aux vibrations de plancher est très subjective.

 [Caractères gras ajoutés]

[41]           Il en résulte, selon ma compréhension des choses, qu’une même vibration peut être incommodante pour quelqu’un sans nécessairement l’être ou l’être autant pour quelqu’un d’autre. C'est une question de seuil, d’équilibre, de bon sens. Cela revient à dire qu’une sensation d’inconfort crédible et démontrée pourra contribuer à qualifier d’anormale une vibration située à la marge de la normalité technique.

[42]           La preuve de l’inconfort ressenti ici devant le comportement usuel du plancher de l’unité 5 lorsque soumis à des vibrations minimales est pratiquement non contredite. Le propriétaire de l’unité 5 a décrit que ces vibrations ont sur lui des effets désagréables qui l’amène à les juger intolérables. Son voisin d’en dessous aussi. Nos observations confirment par ailleurs la matérialité de l’importance relative de la vibration perceptible à l’usage normal. En effet, des pas à l’appartement 5 amènent la vibration du plafond, des luminaires et des portes de penderie d’en dessous. On peut estimer qu’il n’est pas déraisonnable dans les circonstances de juger comme effectivement excessive la vibration responsable de cette perception.

[43]           Pour toutes ces raisons, j’en conclus que la preuve démontre que les vibrations observées excédaient la règle de tolérance retenue par l’administrateur. On ne m’a donné aucun motif valable de renverser ce constat.

[44]           Le recours de l’entrepreneur à l’égard du point 57 est donc rejeté et la décision de l’administrateur maintenue. Conséquemment, la directive donnée par l’administrateur à l’égard du point 57 d’apporter les correctifs à la structure du plancher de l’unité 5 en rapport à la fréquence naturelle du plancher [laquelle] est trop petite est maintenue.

[45]           J’ordonne en conséquence à l’entrepreneur de procéder à ces travaux dans un délai raisonnable à être convenu avec le bénéficiaire mais n’excédant pas 60 jours des présentes et, à défaut de l’avoir été par l’entrepreneur, qu’il y soit procédé par l’administrateur en conformité du Règlement.

[46]           Finalement, j’ordonne en conformité de l’article 124 du Règlement que les coûts d’arbitrage soient défrayés selon les proportions suivantes : 50 % par l’administrateur et 50 % par l’entrepreneur.

 

 

Montréal, le 20 avril 2009

 

 

 

 

 

 

 

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Johanne Despatis, avocate

Arbitre

                       

 

Adjudex inc.

0812-8317-GAMM

SA-8057