ARBITRAGE En vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (Décret 841-98 du 17 juin 1998) | |
CANADA |
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Province de Québec |
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Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : | |
Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) | |
No dossier CCAC: No dossier GCR: | S23-021701-NP 222413-9644 |
No dossier Arbitre : | 308944-6 |
Entre |
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STEVEN YOUNG ET STÉPHANIE CHIASSON | |
Bénéficiaires |
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Et |
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SERVICES RÉNOVIE INC. | |
Entrepreneur |
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Et |
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GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR) | |
Administrateur de La Garantie | |
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SENTENCE ARBITRALE |
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Arbitre : |
Me Pierre Champagne, LL.M. |
Pour les Bénéficiaires : | Steven Young et Stéphanie Chiasson |
Pour l’Entrepreneur : | Joannie Normand |
Pour l’administrateur : | Me Marc Baillargeon |
Dates d’audience : | Soumissions écrites, juin 2023 |
Lieu d’audience : | Montréal |
Date de la décision : | Le 4 décembre 2023 |
[1] Il s’agit d’une demande d’arbitrage d’une décision de l’Administrateur du Plan de Garantie Construction Résidentielle (« GCR ») rendue le 6 février 2023, rejetant la demande des Bénéficiaires d’être remboursés d’un solde des acomptes versés, savoir 35 176,00 $, 60 000,00 $ ayant déjà été remboursés par l’Entrepreneur.
[2] Le motif de rejet est que l’article 9 du Règlement sur le Plan de Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs limitant le remboursement des acomptes au montant maximal de 50 000,00 $, la demande doit être rejetée puisque 60 000,00 $ ont déjà été remboursés. Pour citer ici les termes retenus par l’Administrateur :
« Par conséquent, avec l’information disponible ce jour, nous sommes d’avis que cette réclamation devra être rejetée puisque 60 000 $ ont déjà été remboursés et que le Règlement ne couvre que jusqu’à 50 000 $. »
[3] Le 20 avril 2021, un contrat préliminaire est conclu entre l’Entrepreneur et les Bénéficiaires, pour la construction d’une résidence unifamiliale située à Ste-Julienne. Au contrat préliminaire, la clause 9.2.4 prévoit un acompte de 95 176,30 $ qui est payé le 25 juillet 2021.
[4] En mars 2022, le projet n’ayant pas encore débuté, l’Entrepreneur relocalise les Bénéficiaires dans une maison située au [...], à Ste-Julienne. Un bail est signé entre les parties et il est produit au dossier.
[5] En septembre 2022, les Bénéficiaires mettent fin au contrat d’entreprise et les parties signent le 14 octobre 2022 une entente afin de résilier le contrat d’entreprise pour la construction d’une maison unifamiliale. En vertu de l’entente du 14 octobre 2022, intitulée
« Transaction quittance » l’Entrepreneur Rénovie s’engage à payer la somme de 94 426,00 $ aux Bénéficiaires, par la voie de cinq (5) chèques postdatés, tel que prévu à l’article 5 de la Transaction-quittance.
[6] En vertu du paragraphe 5 d) de la Transaction-quittance, un chèque postdaté à l’ordre de Stéphanie Chiasson, au montant de 35 176,00 $, moins 750,00 $ à titre de compensation pour le loyer jusqu’au 1er janvier 2023, devait être remis le ou avant la date de départ des Bénéficiaires de la maison louée.
[7] Dans le document de Transaction-quittance, ce chèque est appelé le « chèque D », qui doit être remis au moment du départ des Bénéficiaires de la maison louée.
[8] Les Bénéficiaires auraient quitté la maison louée le 18 décembre 2022.
[9] Un litige est survenu entre les parties Bénéficiaires et l’Entrepreneur, en ce que ce dernier réclame le paiement de dommages intérêts suite à un manque d’entretien de ladite maison sise au [...], à Ste-Julienne, et à certains dommages qui excéderaient l’usure normale.
[10] Suite au refus de la part de l’Entrepreneur de remettre le solde des acomptes, soit la somme de 34 426,00 $ (35 176,00 $ - 750,00 $),1 une demande est déposée auprès de GCR le 17 février 2023.
[11] Lors de la session de gestion devant l’Arbitre, le 26 mai 2023, les parties ont convenu que les représentations seraient faites par écrit. Certaines ont été déposées après la conférence de gestion, et d’autres, émanant de l’Entrepreneur et des Bénéficiaires avaient déjà été déposées en mars et avril 2023.
[12] Les documents dont l’Arbitre a pris connaissance sont les suivants :
a) Le cahier de pièces de l’Administrateur sur réclamation no. 9644, comportant dix
(10) onglets, dont sa propre décision et une bonne partie de la documentation pertinente au dossier, soit en annexe à sa décision ou séparément.
b) La demande d’arbitrage des Bénéficiaires du 17 février 2023, déjà incluse dans le cahier de l’Administrateur.
c) Le résumé des faits et des prétentions juridiques de Steven Young et Stéphanie Chiasson (les Bénéficiaires), en date du 2 juin 2023.
d) La réponse audit résumé des faits et prétentions de la part des avocats de l’Administrateur (GCR), en date du 8 juin 2023.
e) Un courriel de Madame Joannie Normand, de Services Rénovie Inc. (l’Entrepreneur), daté du 20 mars 2023, comportant un résumé des faits, une facture de la compagnie Les Ciments J.L. Inc., en date du 18 janvier 2023, au montant total de 15 168,01 $, l’avis de visite des lieux du 17 novembre 2022, le bail signé entre les parties pour le [...], ainsi qu’une série de photos prises le 18 janvier 2023 et le 17 novembre 2022.
1 Voir décision de l’Administrateur du 6 février 2023, page 5, avant-dernier paragraphe.
f) Une réponse de Stéphanie Chiasson (Bénéficiaire), audit résumé des faits de l’Entrepreneur du 20 mars 2023, en date du 10 avril 2023, intitulé « Allégation de mauvais état de la maison après le déménagement », accompagnée de textes et de photos commentées.
g) Un courriel de Michael Gevry, représentant l’Entrepreneur Services Rénovie, en date du 11 avril 2023, comportant certaines photos du [...].
[13] La décision de l’Administrateur a porté uniquement sur l’obligation de rembourser le solde du dépôt, et non sur le litige entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur quant au défaut d’entretien ou aux dommages causés à la résidence louée.
[14] L’Administrateur, dans son mandat de conciliateur, mentionne le fait que dans sa prise de décision et nonobstant ce qui précède et en dehors de son mandat comme conciliateur, il fut tenté à maintes reprises de conclure une entente entre les parties afin que les Bénéficiaires puissent récupérer une partie du restant de leur acompte, mais sans succès.2
[15] La demande d’arbitrage porte sur le remboursement du solde des acomptes. Quant à la réclamation de l’Entrepreneur en dommages, si tant est que c’est dont il s’agit ici, la cause d’action de l’Entrepreneur n’est pas connexe à la réclamation de remboursement d’acompte, ni à la demande d’arbitrage qui porte sur le même objet.
[16] L’Administrateur n’avait pas juridiction pour l’entendre, l’Arbitre non plus. En fait, la demande de l’Entrepreneur concerne l’occupation d’un autre lieu, en vertu d’un bail, alors qu’il s’agit ici d’une demande de remboursement d’acompte suite à la résiliation du contrat entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur.
[17] De plus, en vertu de l’article 28 de la loi sur le Tribunal Administratif du Logement, il s’agit d’une réclamation du ressort exclusif du Tribunal Administratif du Logement, à l’exclusion de tout autre tribunal.3
[18] Il n’est pas nécessaire d’aller plus avant dans le détail de cette réclamation de l’Entrepreneur, puisque de toute façon, comme nous le verrons plus loin, ses droits à cet égard seront réservés.
2 Voir décision de l’Administrateur du 6 février 2023, page 6.
3 Article 28, Loi sur le Tribunal Administratif du Logement, L.R.Q. ch. T-15.1
[19] Il est quand même intéressant de noter sa réclamation, qui semble émaner d’un courriel du 25 janvier 2023, dont l’Arbitre a pris connaissance suite à la production du courriel de Stéphanie Chiasson du 10 avril 2023.4
[20] C’est dans ce courriel que la représentante de l’Entrepreneur mentionne la facture pour la remise en état du plancher émanant de Les Ciments J.L. Inc., datée du 18 janvier 2023. Le montant de cette facture est de 15 168,01 $.
[21] Si l’on additionne les autres montants réclamés, savoir 1 196,00 $ pour certains travaux, des débours de matériel de 325,00 $, des frais de ménage à 400,00 $, on constate que le tout ne peut excéder la somme de 17 344,01 $.
[22] Hormis l’erreur de calcul sur la réclamation de 1 196,00 $, et qui serait fondée sur seize
(16) heures à soixante-cinq dollars (65,00 $) l’heure, ce qui donnerait 1 040,00 $ et non pas 1 196,00 $, le total réclamé, soit 17 344,01 $, du moins selon ce courriel du 25 janvier 2023, est loin des 35 176,00 $ réclamés en remboursement du solde des acomptes.
[23] De toute façon, vu la conclusion de l’Arbitre sur la recevabilité de cette demande, il ne sera pas nécessaire d’aller plus loin dans l’étude de la réclamation de l’Entrepreneur, ainsi que la position des parties à cet égard.
[24] Par ailleurs, dans ses représentations du 8 juin 2023, l’avocat ad litem représentant GCR mentionne au paragraphe 6 de ses prétentions :
« 6. La somme de 35 176,00 $ réclamée à titre de balance de l’acompte versé à l’Entrepreneur et le refus de rembourser de ce dernier ne concerne en rien l’Administrateur, les parties devront régler leur litige devant le tribunal civil approprié ».
[25] L’Arbitre est en accord avec cette proposition et il ne fera que réserver les droits de l’Entrepreneur à cet égard.
[26] Qu’en est-il maintenant du droit des Bénéficiaires au remboursement du solde des acomptes versés, alors que l’Entrepreneur a déjà remboursé une somme supérieure à 50 000,00 $ ?
[27] Les Bénéficiaires ont tenté de plaider l’application de l’article 1432 du Code civil du Québec, sur la notion d’interprétation d’un contrat d’adhésion. L’avocat de GCR a parfaitement raison sur ce point, tout contrat relié au Plan de garantie est un contrat dit
4 Dans ce courriel du 10 avril 2023, un des documents soumis est le courriel de Joannie Normand du 25 janvier 2023, adressé à Pierre Lagarde de GCR et Michael Gevry.
« réglementé », et non pas un contrat d’adhésion imposé par une partie à une autre5. Le contenu est imposé par le législateur, et l’Administrateur du Plan de garantie agit comme caution des obligations de l’Entrepreneur.
[28] Qu’en est-il maintenant de l’application de l’article 9 du Règlement sur le Plan de garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs, concernant plus particulièrement le montant maximal de 50 000,00 $ prévu ?
[29] L’article 9 se lit comme suit :
« 9. La garantie d’un plan dans le cas d’un manquement de l’Entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception du bâtiment doit couvrir :
1o dans le cas d’un contrat de vente :
f) soit les acomptes versés par le Bénéficiaire;
h) soit le parachèvement des travaux si le Bénéficiaire est détenteur des titres de propriété, à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier;
2o dans le cas d’un contrat d’entreprise :
a) soit les acomptes versés par le Bénéficiaire à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier;
b) soit le parachèvement des travaux à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier.
(…)»
[30] L’article 13, paragraphe 1 du Règlement édicte ce qui suit :
« 13. La garantie d’un plan relative à une maison unifamiliale isolée, jumelée ou en rangée est limitée par adresse aux montants suivants :
1o pour les acomptes, 50 000,00 $; (…) »
[31] Est-ce donc à dire qu’une fois qu’un entrepreneur aurait remboursé 50 000,00 $, dans le cas où les acomptes excèdent cette somme, le Plan de garantie n’aurait plus aucune application?
5 Voir La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et als., jugement de la Cour d’Appel du 15 décembre 2004, motifs de la Juge Pierrette Rayle, par. 37 et 38
[32] L’Arbitre n’est pas de cet avis.
[33] Comme le mentionne dans son argumentation l’avocat du Plan de garantie GCR, l’Administrateur agit comme caution, et non pas comme assureur. Cette qualification juridique a toute son importance ici.
[34] En matière d’interprétation, il n’est pas nécessaire d’aller au-delà du sens grammatical des mots utilisés par le législateur pour interpréter un texte donné, lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté. Pour les acomptes donc, le Plan de garantie est limité à la somme de 50 000,00 $, que ces dollars soient les premiers ou les derniers.
[35] Il ne s’agit ni d’un déductible ni d’une franchise d’assurances. À titre d’exemple, on dit d’un déductible qu’il s’agit d’une somme en deçà de laquelle l’assureur ne versera aucun montant, dans le cas d’un sinistre. Si la perte est de 10 000,00 $ et que le déductible est de 1 000,00 $, la somme payée par l’assureur sera 9 000,00 $. Dans le cas d’une franchise, lorsque cette expression est utilisée, elle peut avoir deux (2) sens, soit la même que la notion de « déductible », ou la notion juridique de franchise, c’est-à-dire qu’au-delà d’un certain seuil, l’assureur paie le montant entier de la perte. Dans le cas d’une perte de 10 000,00 $ par exemple, si la franchise est de 1 000,00 $, l’assureur paiera la somme totale de 10 000,00 $.
[36] Le texte de l’article 13 du Règlement est clair, et la caution de l’Administrateur est donc limitée à 50 000,00 $. Le législateur ne fait aucune distinction quant au fait de savoir si l’ensemble des acomptes effectués par le client bénéficiaire excède ou non ladite somme. La
« garantie » ou plutôt la « caution », sur le plan juridique, est limitée à ladite somme de 50 000,00 $, pourvu que la nature de la réclamation entre dans le cadre de l’article 13.
[37] En d’autres termes, en autant que le bénéficiaire réclame un remboursement d’acompte, et jusqu’à concurrence d’une somme de 50 000,00 $, le Plan de garantie doit couvrir cette somme et indemniser le Bénéficiaire.
a) DÉCLARE que la réclamation ou demande de l’Entrepreneur n’est pas recevable, qu’elle est du ressort exclusif du Tribunal Administratif du Logement et en conséquence, REJETTE la défense ou, si tant est que ladite défense constitue une demande reconventionnelle, la demande reconventionnelle de l’Entrepreneur, sous la réserve suivante, savoir :
b) RÉSERVE tous les recours de l’Entrepreneur quant à sa demande en dommages- intérêts à cet égard.
c) ORDONNE à l’Administrateur, la Garantie de Construction Résidentielle (GCR), de rembourser aux Bénéficiaires la somme équivalant au solde des acomptes, savoir trente-quatre mille quatre cent vingt-six dollars et trente cents (34 426,30 $), avec intérêts et l’indemnité de l’art. 1619 C.c.Q. à compter du 3 janvier 2023.
d) ORDONNE que les frais d’arbitrage soient à la charge de l’Administrateur.
e) RÉSERVE à l’Administrateur ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur et/ou sa caution pour toutes sommes versées incluant les frais d’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Signé à Montréal,
ce 4ième jour du mois de décembre 2023
PIERRE CHAMPAGNE, LLM., Arbitre
2000, Avenue McGill College, Bureau 1600 Montréal, Québec H3A 3H3
Courriel : champagne.p@djclegal.com