TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

 


 

ARBITRAGE EN VERTU DU

RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE

DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)

 

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL

(Organisme d’arbitrage accrédité par la Régie du bâtiment du Québec)


 

ENTRE :

 

SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ DU 3167 BOULEVARD DE LA GARE

(ci-après le « Bénéficiaire »)

 

 

ET

 

ONZE DE LA GARE PHASE III INC.

(ci-après l’« Entrepreneur »)

 

 

ET

 

GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)

(ci-après l’« Administrateur »)

 

Dossier CCAC :       S20-122301-NP


 

DÉCISION ARBITRALE


 

Arbitre :                                                         Me Karine Poulin

Pour le Bénéficiaire :                                   Marc Morin

Pour l’Entrepreneur :                                   Christian Dupont

Pour l’Administrateur :                                 Me Pierre-Marc Boyer

Date de l’audience :                                    15 avril 2021

Date de la décision :                                   22 avril 2021


 


 

Identification complète des parties

 

BÉNÉFICIAIRE :

 

Syndicat de la copropriété du 3167 boulevard de la Gare a/s Marc Morin

GESTION IMMOBILIÈRE PROVISION INC.

125-1675, route Transcanadienne Dorval (Québec) H9P 1J1

 

ENTREPRENEUR :

 

Onze de la Gare Phase III inc. a/s Christian Dupont

200-5200, rue Saint-Patrick Montréal (Québec) H4E 4N9

 

 

ADMINISTRATEUR :

 

Garantie de construction résidentielle (GCR) Me Pierre-Marc Boyer

CONTENTIEUX DE LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)

4101, rue Molson

Montréal (Québec) H1Y 3L1


 

 

I

LE RECOURS

 

[1]           Le Bénéficiaire conteste en vertu de l’article 35 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le « Règlement ») les points 11 à 23 de la décision de l’Administrateur rendue le 9 décembre 2020, rejetant sa réclamation au motif que la dénonciation écrite a été faite dans un délai déraisonnable.

 

II

LES FAITS

 

[2]           Le syndicat des copropriétaires est formé le 24 janvier 2017, lors de l’assemblée de transition. En tout temps depuis sa constitution le syndicat Bénéficiaire est géré par un gestionnaire immobilier professionnel. En l’occurrence, au moment de sa constitution, le syndicat Bénéficiaire est géré par SolutionCondo.

 

[3]           Le 24 juillet 2017, Patrick Gautreau, technologue professionnel et directeur technique chez Nivoex inc., procède à une inspection des parties communes conformément au mandat que lui confient les administrateurs du syndicat Bénéficiaire par suite de la réception de l’avis de fin des travaux daté du 1er mai 2017.

[4]           Son rapport est daté du 26 octobre 2017 et il est remis au Bénéficiaire. Le rapport d’inspection soulève un certain nombre d’anomalies qui font l’objet de discussions entre l’Entrepreneur et le Bénéficiaire dans les mois qui suivent. Ce n’est toutefois que le 18 décembre 2019 que la situation est dénoncée par écrit à l’Administrateur, d’où la décision rendue et contestée en arbitrage.

 


 

 

 

Bénéficiaire


III

LA PREUVE


[5]           Lors de son témoignage, monsieur Jean Désy allègue principalement ce qui suit :

[6]           Il est membre du conseil d’administration depuis le tout début. Il est enseignant retraité et n’avait aucune connaissance en matière de copropriété au moment de l’achat de son unité privative.

 

[7]           Lors de la constitution du syndicat en janvier 2017, les membres du conseil d’administration, outre lui-même, sont Éric Besner, copropriétaire, et une autre personne, représentante de l’Entrepreneur pour les unités non encore vendues.

 

[8]           Il affirme que contrairement à ce qu’indique le procès-verbal d’assemblée, il n’y a eu aucune information de fournie aux copropriétaires relativement au plan de garantie, pas plus d’ailleurs qu’à aucun autre moment par la suite.

 

[9]           Lors de sa nomination sur le conseil d’administration, il n’a aucune connaissance des règles applicables aux copropriétés divises. Il affirme qu’il s’attendait à recevoir une certaine formation de la part du gestionnaire professionnel, mais en vain.


 


 

[10]        Monsieur Désy confirme qu’il était présent lors de l’inspection préréception par l’expert en bâtiment (Nivoex). Il n’a pas de souvenir précis des problèmes révélés lors de l’inspection, mais reconnaît qu’il avait en sa possession une liste de problèmes notés par les copropriétaires et qu’il suivait l’expert pendant l’inspection. Il se dit satisfait du rapport reçu de Nivoex et notamment du fait qu’il établit une liste de déficiences avec une priorisation des travaux à faire selon la gravité du vice.

 

[11]        Il affirme qu’il y a eu des contacts réguliers entre le syndicat et l’Entrepreneur, tant par courriel que verbal, afin que soient effectués les travaux requis. Lors de ces échanges, l’Entrepreneur promet à plusieurs reprises de venir corriger les problèmes et va même jusqu’à programmer des dates de rendez-vous pour ce faire. Or, il ne s’est jamais présenté auxdits rendez-vous.

 

[12]        Le témoin précise qu’il n’a pas remis personnellement le rapport de Nivoex à l’Entrepreneur, mais affirme que l’Entrepreneur en a reçu une copie, d’où les discussions qui ont eu lieu.

 

[13]        Monsieur Désy indique au Tribunal que la charge d’administrateur du syndicat est du bénévolat. Il n’a pas connaissance des délais de prescriptions relatifs au plan de garantie. SolutionCondo ne l’a jamais informé de cela. Répondant à une question du Tribunal, il indique que SolutionCondo leur a été imposé par l’Entrepreneur dès le début. Ce n’est ni lui ni monsieur Besner qui ont trouvé et embauché ce gestionnaire.

[14]        Éric Besner témoigne ensuite. Il allègue principalement ce qui suit :

 

[15]        Monsieur Besner confirme être membre du conseil d’administration depuis le début avec monsieur Désy et Me Catherine Béland qui représente l’Entrepreneur pour les unités non vendues.

 

[16]         Au plan professionnel, il affirme être gestionnaire dans le domaine de l’informatique et il n’a aucune connaissance en matière de copropriété ni de plan de garantie.

 

[17]        Lors de l’assemblée de transition, il ne se rappelle pas qu’il y ait eu des discussions au sujet du plan de garantie.

 

[18]        Son souvenir est à l’effet que ce qui pressait au moment de cette assemblée était de nommer les membres du conseil et de désigner les personnes autorisées à signer des chèques.

 

[19]        Il n’y a pas eu de discussion réelle au sujet du plan de garantie par la suite, mais il est informé que le syndicat Bénéficiaire doit faire procéder à une inspection par un expert. C’est ainsi que suivant la réception de l’avis de fin des travaux lui et Jean Désy conviennent qu’il faut embaucher un expert et SolutionCondo propose la firme Nivoex.

 

[20]        Quant aux démarches du Bénéficiaire auprès de l’Entrepreneur suivant la réception du rapport d’inspection, elles ont principalement consisté à faire un plan d’action avec la représentante du gestionnaire SolutionCondo, afin qu’une rencontre ait lieu avec l’Entrepreneur. Par la suite, l’Entrepreneur leur donne son interprétation du rapport de Nivoex et indique ce qui sera réparé et ce qui ne le sera pas.


 


 

[21]        Il ajoute qu’au fil du temps, tous les interlocuteurs au dossier sont remplacés, mais tous sont de bonne foi. Il affirme que le souhait des membres du conseil d’administration est de travailler avec l’Entrepreneur pour que soient corrigées les déficiences et maintenir de bonnes relations.

 

[22]        Il explique que le syndicat Bénéficiaire a tardé à dénoncer la situation à l’Administrateur en raison de son objectif de maintenir de bonnes relations et de ne pas rendre la situation litigieuse s’il est possible de l’éviter. Selon lui, pour le long terme, il vaut mieux travailler le relationnel que le litige, d’où les communications fréquentes avec l’Entrepreneur.

 

[23]        Par ailleurs vient un temps ils constatent que certains travaux ont été corrigés et d’autres non. Ils voient bien que certaines choses n’avanceront pas et c’est alors qu’ils choisissent de formaliser les démarches auprès de l’Administrateur en décembre 2019. À ce moment, tous les membres du conseil sont d’avis qu’ils ont épuisé le capital relationnel avec l’Entrepreneur et qu’ils n’ont d’autre choix que d’utiliser la voie formelle.

 

[24]        Monsieur Besner affirme, à l’instar de monsieur Désy, que les administrateurs sont des bénévoles qui administrent les affaires du syndicat. Ils n’ont aucune expérience en la matière et s’appuient sur le gestionnaire pour que tout soit fait selon les règles. Or, SolutionCondo a manqué de leadership dans le dossier et ce sont lui et Jean Désy qui se sont retrouvés avec le problème et qui ont dû faire les démarches auprès de l’Administrateur du plan de garantie.

 

[25]        Avec le recul, il admet qu’il agirait différemment, mais pour eux, à l’époque, il s’agit d’un dossier où il faut travailler avec l’Entrepreneur et ils ne connaissent pas la GCR.

 

[26]        En contre-interrogatoire, il confirme avoir signé un contrat préliminaire avec l’Entrepreneur et avoir reçu copie du contrat de garantie chez le notaire. Il confirme en avoir pris connaissance. Il se souvient vaguement qu’il était question de la possibilité de demander des réparations dans le cas d’insatisfaction, mais qu’il s’agissait alors du contrat lié à son unité privative. Il n’a jamais eu besoin d’y recourir pour son unité puisque l’Entrepreneur a toujours effectué les travaux requis. D’ailleurs, il dit qu’à ce moment-là, il n’a aucune connaissance de la distinction entre les parties privatives et celles communes. Bref, pour lui, le contrat de garantie est en lien avec son condo.

[27]        Mélanie Guilbault témoigne ensuite. Elle affirme ce qui suit :

[28]        Elle est employée chez le gestionnaire présentement mandaté par le Bénéficiaire, Gestion immobilière provision inc. Son rôle est de s’assurer que tout fonctionne bien dans l’immeuble et de rapporter toute défectuosité au syndicat et de les faire réparer.

 

[29]        Son assignation chez le Bénéficiaire débute en septembre 2019. Lors de son entrée en fonction, le Bénéficiaire lui remet le rapport de Nivoex. Elle entame des discussions avec l’Entrepreneur afin de faire corriger les déficiences.

 

[30]        Selon elle, l’Entrepreneur est réceptif face au rapport de Nivoex. Il reconnaît verbalement plusieurs points, mais il n’a jamais rien mis par écrit, malgré ses demandes. Elle attribue le défaut de l’Entrepreneur à cet égard au manque de temps. Selon elle, l’Entrepreneur a de bonnes intentions et la volonté de s’exécuter depuis le début, mais il manque de temps.


 


 

[31]        Le Bénéficiaire interroge ensuite le représentant de l’Entrepreneur, Christian Dupont. Ce dernier affirme principalement ce qui suit :

 

[32]        Il est surintendant et responsable du service après-vente chez l’Entrepreneur. Son intervention dans le présent dossier débute en mai 2019. Préalablement à cette date, c’est Josiane Massé qui est responsable du dossier.

 

[33]        Monsieur Dupont affirme n’avoir aucune connaissance de ce qui s’est passé dans le dossier avant mai 2019. Il dira plus tard avoir reçu des informations lors de la transition entre lui et madame Massé.

 

[34]        Selon les notes au dossier, l’Entrepreneur aurait fait des suivis selon lui. Depuis qu’il est impliqué dans le dossier, il a été pris dans des urgences sur d’autres projets. Une priorisation s’imposait alors, d’où les délais. Selon sa compréhension, au moment où le dossier lui est transféré, il ne reste qu’à passer à travers le rapport Nivoex et aller voir ce qui doit être fait. Il confirme avoir fait cette visite avec Mélanie Guilbault.

 

[35]        Selon l’historique qu’il trouve au dossier, il n’y a eu aucun suivi de la part du gestionnaire du Bénéficiaire avant la lettre de dénonciation en décembre 2019. Il ne peut toutefois confirmer ou infirmer l’existence de communication écrite entre les parties avant cette date. Il dit qu’il faudrait vérifier dans le dossier, mais à son souvenir, les communications avec le Bénéficiaire débutent lors de l’intervention de Mélanie Guilbault en août 2020.

 

[36]        Il reconnaît que dans l’industrie, il est d’usage de contacter le client et d’aller voir ce qui se passe lors de la réception d’une mise en demeure. Confronté au fait que plusieurs mois se sont écoulés entre la réception de la dénonciation en décembre 2019 et sa visite en août 2020, il indique que le délai d’intervention peut varier d’un dossier à l’autre.

 

[37]        Quoi qu’il en soit, monsieur Dupont affirme que lors de sa visite en août 2020, il indique à madame Guilbault les travaux qu’il effectuera et ceux qu’il refuse de faire. Il n’a toutefois rien mis par écrit.

 

[38]        Confronté au fait qu’il se trouve au dossier une interprétation du rapport de Nivoex par l’Entrepreneur, il ne peut expliquer les raisons pour lesquelles aucune démarche n’a été faite par la suite, précisant qu’il n’était pas au dossier à ce moment-là et qu’il n’en a pas discuté avec son prédécesseur lors du transfert.

 

Administrateur

 

[39]        Normand Pitre, inspecteur-conciliateur chez l’Administrateur et auteur de la décision contestée, témoigne ensuite. Son témoignage se résume comme suit :

 

[40]        Monsieur Pitre indique qu’une première rencontre a eu lieu avec les parties en juillet 2020.

 

[41]        Lors de cette rencontre, il constate la date du rapport de Nivoex, le nombre de points soulevés dans le dossier et le fait que l’Entrepreneur ne semble pas avoir réellement pris connaissance du rapport.


 

 

[42]        Il ajoute qu’il n’a d’ailleurs dans son dossier aucun commentaire de l’Entrepreneur suite à l’envoi de l’avis de 15 jours. Il demande donc aux parties de faire un premier tour de l’immeuble ensemble et il demande à l’Entrepreneur de signifier ses intentions pour chacun des points. C’est la rencontre du mois d’août évoquée par les parties.

 

[43]        Vient ensuite une 2e rencontre avec les parties en octobre 2020. À cette date, les intentions de l’Entrepreneur ont été signifiées et elles sont consignées dans sa décision.

 

[44]        Lors de l’analyse du dossier, il constate que la réception des parties communes a eu lieu le 24 juillet 2017.

 

[45]        Cependant, bien que le dossier fasse état de nombreuses communications entre les parties, selon les informations reçues de madame Guilbault et de madame Nancy Worden, membre du conseil d’administration, ce n’est qu’en décembre 2019 que le Bénéficiaire dénonce la situation à l’Administrateur, soit 29 mois après que le Bénéficiaire ait pris connaissance des problèmes dénoncés.

 

[46]        Il indique que les points soulevés dans le rapport de Nivoex auraient pu être reconnus comme malfaçons s’ils avaient été dénoncés dans un délai raisonnable suivant leur découverte.

 

[47]        Or, en l’espèce, le délai de 29 mois est déraisonnable et rien ici ne permet de prolonger à 29 mois le délai raisonnable généralement établi à 6 mois. De plus, la garantie contre les malfaçons est expirée depuis 17 mois au moment de la dénonciation. Partant, les vices auraient dû se qualifier de vices cachés pour être couverts par la garantie, mais encore là, le délai de dénonciation de 29 mois fait échec à toute réclamation, quelle que soit la nature du problème en question.

 

[48]        Dans ces circonstances, il n’a eu d’autre choix que de rejeter la réclamation pour cause de tardiveté.

 

Entrepreneur

 

[49]        Bien que présent à l’audience, l’Entrepreneur n’administre aucune preuve et ne soumet aucun argument.

 


 

 

 

Bénéficiaire


IV PLAIDOIRIES


[50]        Le Bénéficiaire admet avoir dénoncé les problèmes à l’extérieur du délai prévu au Règlement.

 

[51]        Il soutient les avoir dépassés pour plusieurs raisons, et notamment le manque de connaissance des administrateurs qui sont tous des bénévoles, néophytes en la matière. Ils ont géré la situation dans les limites de leurs connaissances et ont manqué de support du gestionnaire alors en place.


 


 

[52]        Par ailleurs, plusieurs changements d’interlocuteur sont survenus en cours de route, surtout du côté de l’Entrepreneur, et les membres du conseil d’administration ont toujours donné à l’Entrepreneur le bénéfice du doute pour régler la situation plutôt que de la dénoncer au plan de garantie.

 

[53]        Avec le recul, le Bénéficiaire reconnaît qu’il ferait les choses différemment s’il avait su, mais ils se sont fiés à la réputation de l’Entrepreneur et à sa présence sur le projet depuis plusieurs années.

 

[54]        Il plaide qu’il est possible, selon la jurisprudence, de prolonger le délai de dénonciation si la tardiveté à dénoncer à l’Administrateur découle de négociations en vue de parvenir à une entente. Il soumet que les délais en l’espèce découlent des négociations et que celles-ci justifient le retard. Il ne soumet toutefois aucune autorité en ce sens.

 

[55]        Il demande au Tribunal qu’il soit tenu compte, au moment de rendre la décision, de l’inexpérience des membres du conseil d’administration, du fait qu’il s’agit de bénévoles ainsi que du manque de coopération de l’Entrepreneur.

 

Administrateur

 

[56]        Me Boyer rappelle que le fardeau de la preuve repose sur les épaules du Bénéficiaire et soumet qu’en l’espèce, il ne s’en est pas déchargé.

 

[57]        Il reconnaît qu’un délai de dénonciation de 6 mois est généralement accepté comme étalon de mesure du délai raisonnable et qu’en certaines circonstances, ce délai peut être allongé potentiellement jusqu’à 12 mois. Cependant, un délai de 29 mois est clairement déraisonnable.

 

[58]        Conscient du manque de connaissance des membres du conseil d’administration, il précise toutefois que leur ignorance des délais et du Règlement n’est pas un motif qui peut être retenu pour prolonger le délai.

 

[59]        Quant au manque de coopération de l’Entrepreneur, il voit là un signal d’alarme qui aurait dû alerter le Bénéficiaire et l’inciter à dénoncer plus tôt, et non le contraire.

 

[60]        Au cœur du présent litige se trouvent les discussions entre le Bénéficiaire et l’Entrepreneur. Cependant, il n’y a aucune preuve d’un quelconque engagement ferme de sa part à corriger quoi que ce soit, contrairement aux faits dans l’affaire Carrier1.

 

[61]        On ne trouve au dossier aucun écrit, aucun échéancier ni même aucune date en lien avec des échanges ou des rencontres autres que celle du mois d’août 2020 et celles en présence du conciliateur. D’abondant, même si l’Entrepreneur avait fait des promesses fermes d’exécuter certains travaux, il est déraisonnable de croire qu’on peut lui octroyer 29 mois pour s’exécuter.

 

[62]         Que le précédent gestionnaire ait manqué à ses devoirs envers son client et qu’il n’ait pas fait son travail n’est pas pertinent pour l’arbitrage.

 

 


1 Carrier et Verret c. Construction S.M.B. inc. et Garantie de construction résidentielle (GCR), CCAC, S20- 052101-NP, 19 novembre 2020, Yves Fournier, arbitre.


 


 

[63]        Il réitère que le Bénéficiaire ne s’est pas déchargé du fardeau qui était le sien, soit de démontrer que la décision de l’Administrateur est erronée. Celle-ci doit conséquemment être maintenue.

 

V

ANALYSE ET DÉCISION

 

[64]        Les faits en l’instance sont relativement simples et la preuve n’a pas été apportée comme quoi la décision de l’Administrateur est erronée.

 

[65]        Personne n’a nié le délai de dénonciation de 29 mois, ni que ce délai dépasse largement ce qui est prévu au plan de garantie.

 

[66]        À l’audition, le Bénéficiaire a beaucoup insisté sur les engagements pris par l’Entrepreneur lors de la visite du 20 août 2020 en présence de madame Guilbault.

 

[67]        Cependant, et comme expliqué au Bénéficiaire, les engagements pertinents à prouver sont ceux intervenus avant la dénonciation à l’Administrateur et non après.

 

[68]        Pour se prévaloir de l’alinéa 2 de l’article 35.1 du Règlement qui prévoit ce qui suit :

 

35.1. Le non-respect d’un délai de recours ou de mise en oeuvre de la garantie par le bénéficiaire ne peut lui être opposé lorsque l’entrepreneur ou l’administrateur manque à ses obligations prévues aux articles 33, 33.1, 34, 66, 69.1,132 à 137 et aux paragraphes 12, 13, 14 et 18 de l’annexe II, à moins que ces derniers ne démontrent que ce manquement n’a eu aucune incidence sur le non-respect du délai ou, à moins que le délai de recours ou de mise en oeuvre de la garantie ne soit échu depuis plus d’un an.

 

Le non-respect d’un délai ne peut non plus être opposé au bénéficiaire, lorsque les circonstances permettent d’établir que le bénéficiaire a été amené à outrepasser ce délai suite aux représentations de l’entrepreneur ou de l’administrateur.[nos soulignements]

 

le Bénéficiaire devait démontrer, selon la balance des probabilités, qu’il a été amené à outrepasser le délai de dénonciation à la suite de représentations de l’Entrepreneur antérieures au 24 janvier 2018, date à laquelle le délai de 6 mois expirait.

 

[69]        L’ignorance du Bénéficiaire des exigences relatives au délai de dénonciation ne peut justifier d’y passer outre.

 

[70]        De fait, il est plutôt courant que les membres de conseils d’administration soient néophytes en matière de plan de garantie. Il est toutefois moins usuel qu’un gestionnaire immobilier professionnel le soit. Certes, le Bénéficiaire n’a peut-être pas reçu le service auquel il s’attendait et auquel il avait droit, et pour lequel il a payé. Néanmoins, cela ne le décharge pas de ses obligations en vertu du Règlement.


 


 

[71]         Le présent débat a pour trame de fond des discussions entre le Bénéficiaire et l’Entrepreneur qui ne semblent pas aboutir. Le manque de coopération de l’Entrepreneur semble être en cause, tout comme le manque de diligence ou de compétence du gestionnaire mandaté par le Bénéficiaire. Une chose est certaine, si le manque de coopération de l’Entrepreneur est en cause comme le soutient le Bénéficiaire, Me Boyer a raison de plaider qu’il s’agit là d’un motif qui aurait justifié de dénoncer rapidement plutôt que tardivement.

 

[72]        En l’instance, qu’en est-il des représentations de l’Entrepreneur antérieures au 24 janvier 2018?

 

[73]        Devant le Tribunal les témoins ont affirmé qu’il y a eu des discussions et des promesses depuis le début et cette preuve n’est pas contredite. Malgré cela, et pour des raisons exposées plus loin, le Tribunal ne peut se fier entièrement aux témoignages entendus lorsqu’ils ne sont pas supportés par la preuve documentaire.

 

[74]        La preuve au dossier appuie l’allégation selon laquelle de nombreux changements d’interlocuteurs ont eu lieu chez l’Entrepreneur.

 

[75]        Le Tribunal constate des différentes pièces qu’au cours du mois de février 2018, et faisant suite à la correspondance de Josiane Massé du 9 janvier précédent, des courriels sont échangés entre les parties en vue de planifier la visite avec l’Entrepreneur au cours de laquelle le rapport de Nivoex doit être discuté et faire l’objet de vérifications par ce dernier.

 

[76]        La pièce B-11 fait état d’une lettre transmise le 13 mars 2018 par l’Entrepreneur au Bénéficiaire ayant pour objet « Notre interprétation du rapport ». Dans cette lettre, on note : un (1) engagement de l’Entrepreneur en lien avec les points contestés en arbitrage, sans date prévue d’exécution des travaux, de même que six (6) refus relatifs aux éléments contestés en l’instance.

 

[77]        Même en admettant, pour fins de discussions seulement et sans affirmer que ce soit le cas, que les nombreux changements au sein de l’Entrepreneur puissent constituer une impossibilité d’agir justifiant de prolonger le délai de dénonciation, il est clair dès mars 2018 que l’Entrepreneur refuse d’exécuter les travaux en lien avec ces six (6) points et le Bénéficiaire n’avait dès lors aucune raison de tarder à dénoncer la situation à l’Administrateur.

 

[78]        Mais il y a plus. Contrairement aux témoignages entendus, la preuve documentaire révèle que le Bénéficiaire est au fait de l’existence du plan de garantie et qu’il s’applique aux parties communes et ce, depuis au moins juin 2018. En effet, dans une correspondance du 12 juin adressée au gestionnaire du syndicat, monsieur Besner écrit :

 

« (…) À mois d’avoir un plan d’action avec des engagement précis d’ici le 18 juin, le CA transmettera le dossier à l’administrateur du plan de garantie. » (sic)

 

[79]        Le 4 octobre 2018, Nancy Worden, membre du conseil d’administration, écrit au gestionnaire actuel, Marc Morin, ce qui suit :

« Marc,


 


 

Suite à la réunion d’hier soir, le conseil a pris le temps de discuter des travaux sous garantie non complété par Quorum, nous avons aucun retour d’appel, ni action, rien de positif de leur part pour nous dire quand ils finiront les travaux, ils nous promettais Août 2018… nous sommes en octobre.

 

Donc le conseil veux absolument passer par le côté légal pour les inciter à terminer ce qu’ils se [section manquante] Donc mise en demeure ou hypothèque légal, il ne reste plus beaucoup d’unité dans la tour 5…

 

D’autant plus il y a des briques qui commencent à tomber sure le côté de notre édifice. » (sic)

 

[80]        Par la suite, une mise en   demeure   est   transmise   à   l’Entrepreneur   le 19 octobre 2018 par le gestionnaire du Bénéficiaire. Une copie de cette mise en demeure devait être transmise à la Régie du bâtiment du Québec ainsi qu’à l’Administrateur, comme l’indique la mention au bas de la lettre. Or, rien n’indique que tel fût le cas. De fait, l’existence même de cette mise en demeure n’a pas été abordée à l’audition.

 

[81]        Ce n’est que le 18 décembre 2019 que le Bénéficiaire dénonce la situation à l’Administrateur, soit plus d’un (1) an après l’envoi de la mise en demeure.

 

[82]        Comme on l’a vu, le Bénéficiaire connaît l’existence et l’application du plan de garantie aux parties communes et ce, au plus tard le 12 juin 2018. Rien n’explique le délai de plus de 19 mois à partir de cette date, et de 29 mois depuis la connaissance, pour dénoncer la situation à l’Administrateur.

 

[83]        Comme le Tribunal l’indique plus haut, la preuve de promesses antérieures au 24 janvier 2018, soit avant l’expiration du délai de 6 mois suivant la découverte des malfaçons, n’est pas contestée. Par ailleurs, vu les témoignages rendus qui sont contredits par la preuve documentaire, le Tribunal ne peut considérer la preuve de l’existence de telles promesses comme probante, en supposant même qu’une preuve verbale puisse être suffisante.

 

[84]        Conséquemment, il n’existe aucun motif qui permette au Tribunal de prolonger le délai de dénonciation de 6 mois à 29 mois et pour cette raison, la réclamation du Bénéficiaire doit être rejetée.

 

Frais

[85]        Quant aux frais du présent arbitrage, l’article 123 du Règlement prévoit que l’arbitre doit départager les frais de l’arbitrage entre l’Administrateur et le Bénéficiaire lorsque le Bénéficiaire est le demandeur, comme en l’instance, et que ce dernier n’a gain de cause sur aucun point.

 

[86]        Suivant la tendance jurisprudentielle, le Bénéficiaire sera condamné à payer une somme de 100 $ pour les frais liés à sa demande d’arbitrage.

EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

REJETTE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire;


 


 

CONDAMNE le Bénéficiaire à payer la somme de 100 $ à titre de frais liés à sa demande d’arbitrage;

 

CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage liés à la demande du Bénéficiaire, déduction faite d’une somme de 100 $.

 

Montréal, ce 22 avril 2021

 

 


Me Karine Poulin, arbitre CCAC

 

 

 

Procureurs/représentant :

 

Bénéficiaire :

Marc Morin

GESTION IMMOBILIÈRE PROVISION INC.

 

Entrepreneur :

Christian Dupont

 

Administrateur :

Me Pierre-Marc Boyer

CONTENTIEUX DE GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)