ARBITRAGE EN VERTU DU
RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)
Dossier no : GAMM : 2016-16-008
QH : 76947-9985
ENTRE :
EMMANUEL PROVOST
(ci-après appelé le « Bénéficiaire »)
ET
3858081 CANADA INC. (LES MAISONS DOMINUS)
(ci-après appelé l’« Entrepreneur »)
ET
LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.
(ci-après appelé l’« Administrateur »)
DEVANT L’ARBITRE : Me Karine Poulin
Pour Le Bénéficiaire : Monsieur Emmanuel Provost
Pour l’Entrepreneur : Absent
Pour l’Administrateur : Me François-Olivier Godin
Date d’audience : 16 août 2016
Date de la sentence : 28 novembre 2016
SENTENCE ARBITRALE
I
LE RECOURS
[1] Le Bénéficiaire conteste en vertu de l’article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (ci-après appelé le « Règlement ») la décision de l’Administrateur rendue le 16 mars 2016 et qui rejette sa réclamation au motif que les vices dénoncés ne présentent pas le degré de gravité requis du vice majeur pouvant entraîner la perte partielle ou totale de l’unité résidentielle.
[2] L’Entrepreneur étant en faillite, il n’a pas participé à l’arbitrage et son syndic a indiqué qu’il n’entendait pas prendre part au débat de sorte que l’audition s’est tenue en présence de l’Administrateur et du Bénéficiaire seulement.
[3] Le Bénéficiaire demande la réfection complète du revêtement extérieur de sa propriété et le remplacement des matériaux endommagés sous celui-ci.
[4] Lors de la visite des lieux et suite au retrait de certains matériaux, l’inspecteur conciliateur a reconnu la présence d’un vice majeur au pourtour de la porte patio, incluant à la solive de rive du balcon arrière. Il ordonne ce qui suit dans son rapport de conciliation complémentaire émis le 30 août 2016 :
Considérant les dommages observés à la structure du bâtiment;
Par conséquent, l’entrepreneur soumissionnaire devra faire les vérifications nécessaires et les correctifs requis, selon les règles de l’art, et l’usage courant du marché.
Ø Retirer la solive de rive du balcon
Ø Retirer tous les matériaux humides ou aillant des traces d’eau au pourtour de la porte patio.
Ø Reconstruire avec des matériaux neufs selon les plus récentes normes de construction en vigueur au Québec.
Ø Vérifier le bon fonctionnement de la porte patio suite aux correctifs.
Celui-ci n’ayant pas été porté en arbitrage, cette décision a force de chose jugée et le Tribunal n’a pas juridiction pour statuer sur cette portion de la réclamation.
[5] Par ailleurs, le Bénéficiaire maintient sa réclamation quant à sa demande relative au remplacement de la totalité du revêtement extérieur (et des matériaux sous-jacents endommagés). Il va sans dire qu’est exclue de sa réclamation toute la portion de revêtement et des matériaux qui seront remplacés en raison de la décision du 30 août 2016.
[6] En cours d’audience, diverses objections à la preuve sont faites et notamment quant à la preuve qu’administre le Bénéficiaire relativement au revêtement d’aluminium des colonnes qui supportent le toit avant. L’Administrateur a soutenu que cet élément n’avait pas été dénoncé par le Bénéficiaire et qu’aucune décision n’a été rendue par l’Administrateur sur cet élément. Le Bénéficiaire, a indiqué que, pour lui, sa réclamation portant sur le remplacement du revêtement extérieur inclut le revêtement des colonnes. Pour des raisons économiques évidentes, il est convenu que l’inspecteur-conciliateur rende une décision verbale sur cet élément en cours d’audience et que le Tribunal en décide aussi dans le cadre de la présente décision arbitrale, le cas échéant.
II
LES FAITS
[7] Le 25 février 2011, le Bénéficiaire a signé un contrat préliminaire de vente et contrat de garantie obligatoire de maison neuve avec l’Entrepreneur pour la construction d’une propriété sur la rue Claude-Perraud à Beloeil. Il s’agit d’une unité de milieu d’une série de maisons en rangée. La réception de l’unité résidentielle a eu lieu le 29 juin 2011 et celle-ci contenait des réserves.
[8] Le 7 janvier 2016, le Bénéficiaire dénonce à l’Administrateur un problème relatif à son revêtement extérieur. Cette dénonciation s’inscrit dans le cadre d’une série d’autres dénonciations faites par les voisins immédiats du Bénéficiaire pour des problèmes similaires de revêtement extérieur.
[9] Ainsi, le 24 février 2016, une visite des lieux est faite par Monsieur Michel Arès, inspecteur-conciliateur chez l’Administrateur. Suite à sa visite, Monsieur Arès rejette la réclamation du Bénéficiaire le 16 mars suivant, d’où la demande d’arbitrage du 11 avril 2016 et la présente décision.
III
LA PREUVE
Bénéficiaire
[10] Monsieur Provost, le Bénéficiaire, témoigne avoir procédé à l’acquisition de son unité résidentielle en juillet 2011. Selon son témoignage, quelques problèmes ont été découverts suite à la réception de son unité mais ceux-ci ont été corrigés par l’Entrepreneur.
[11] Il indique avoir remarqué le gonflement du seuil de la porte patio graduellement mais qu’en janvier 2016, cela devient carrément évident. Selon ses paroles, le seuil de la porte « fait la banane ». Il indique le soulèvement du seuil au milieu de l’ouverture de la porte patio, soit à la jonction des deux (2) portes. Selon son témoignage, le fait que les portes puissent être ajustées fait en sorte que les portes se touchent encore au milieu mais celles-ci sont croches (les parties internes étant surélevées par rapport aux parties externes).
[12] Cette découverte ayant soulevé des doutes, il a procédé à une inspection du bâtiment et noté la détérioration générale du revêtement, incluant la présence de champignons sur une moulure extérieure, d’où sa réclamation auprès de l’Administrateur le 7 janvier 2016.
[13] Monsieur Provost témoigne que lors de l’inspection par Monsieur Arès, les taux d’humidité pris dans les moulures extérieures situées au pourtour des fenêtres étaient anormaux. Selon lui, le revêtement laisse pénétrer l’eau qui attaque les poutrelles. Quant à la porte patio, celle-ci ne ferme plus. Elle a dû être ajustée, mais l’ajustement est au maximum. Il émet l’hypothèse que le soulèvement du seuil permet la pénétration de l’eau sous celui-ci.
[14] Il remet au Tribunal une série de photos prises chez un voisin. Il demande au Tribunal de constater que la totalité des matériaux a été remplacé. Il ajoute qu’il s’attend à trouver chez-lui les mêmes dommages.
[15] Il remet aussi une photo de la moulure inférieure de sa porte patio qui démontre l’état d’engorgement de ladite moulure. Selon son témoignage, la moulure se défait facilement, d’une simple pression du doigt, sans qu’il soit nécessaire d’appliquer quelque force que ce soit ni d’utiliser un outil. Il termine en indiquant qu’il ignore depuis combien de temps l’eau s’infiltre.
[16] En contre-interrogatoire, le Bénéficiaire admet n’avoir fait aucun entretien particulier au revêtement extérieur. Plus précisément, il n’a pas refait la peinture, ni les joints de scellant. Il reconnaît aussi n’avoir noté aucune infiltration d’eau à l’intérieur du bâtiment.
[17] Par la suite, le Bénéficiaire fait entendre Monsieur Sylvain Brosseau.
[18] Monsieur Brosseau est technologue professionnel et il est l’auteur du rapport d’expertise émis le 19 mai 2016. Il est reconnu par le Tribunal comme expert en bâtiment et est autorisé à témoigner à ce titre.
[19] Il dépose son rapport et en réitère le contenu. En somme, il ressort de son témoignage et de son rapport la présence de certaines anomalies au niveau de la pose du revêtement extérieur St-Laurent et notamment au niveau de l’espacement des planches entre elles, la largeur et la profondeur des joints et la pose inadéquate du scellant à certains endroits.
[20] Il démontre également que les bouts de certaines planches sont arrondis et élargis en raison du gonflement causé par la présence d’eau. De fait, le relevé du taux d’humidité dépasse 40 pour cent (40 %). Ce relevé a été pris dans une moulure en relativement bonne condition comparativement aux autres moulures selon son témoignage.
[21] De plus, un espace insuffisant existe au bas du déclin, près de la fondation, empêchant l’égouttement des eaux et la circulation de l’air comme il se doit. Il note l’absence de moustiquaire à ce même endroit. Également, le parement St-Laurent est ondulé.
[22] Par ailleurs, il souligne l’absence de solin au-dessus des ouvertures des fenêtres et de la porte patio de même que la présence de champignons sur la moulure autour d’une fenêtre en façade. Il précise que selon son expérience, la morphologie du champignon observé indique sa présence depuis un certain temps. Il indique l’état avancé de décomposition des moulures autour des ouvertures des fenêtres.
[23] Monsieur Brosseau traite ensuite de la pente inversée de l’allège de maçonnerie (façade avant) qui favorise l’accumulation d’eau. L’absence de solin à la jonction de ladite allège et du revêtement St-Laurent est aussi notée de même que la présence de scellant à ce même endroit.
[24] Quant à la jonction entre le revêtement St-Laurent et la toiture avant, il indique au Tribunal qu’aucun solin n’a été trouvé et que le dégagement entre ledit revêtement et la toiture est insuffisant. Il remet en cause l’efficacité du plan de drainage.
[25] Monsieur Brosseau souligne ensuite la présence d’efflorescence sur la brique, indice qu’il y a présence d’humidité. S’il est normal de voir de l’efflorescence au cours de la première (1re) année d’une maison neuve, il affirme qu’il est cependant anormal d’en trouver encore plus de 4 ans après la fin de la construction.
[26] Quant aux colonnes en bois supportant le toit avant, il indique que celles-ci sont recouvertes en aluminium et que la présence d’un joint de scellant au bas empêche l’écoulement des eaux de sorte que les colonnes « baignent » dans l’eau, d’où le risque de dégradation prématuré de celles-ci et l’affaissement possible du toit qu’elles supportent. Au soutien de son affirmation quant à la dégradation prématurée des colonnes, il montre les traces jaunâtres sur le balcon, autour des colonnes. Il qualifie ces cernes de « jus de pourriture ». Il ajoute que l’affaissement du toit provoquera son « décrochage » de la structure de la maison causant ainsi des dommages additionnels. Il termine sur ce point en disant que les colonnes sont des éléments structuraux du bâtiment.
[27] Traitant ensuite de la porte patio, il indique que celle-ci est désaxée en raison du gonflement de la structure sous-jacente. Il indique avoir retiré avec ses doigts le revêtement St-Laurent qui l’entoure. De plus, ses observations lui ont permis de constater que la solive de rive située sous celle-ci est pourrie. La membrane pare-intempéries n’est également pas continue sur le côté gauche de la porte patio.
[28] Au terme de son témoignage, il indique que les anomalies rencontrées démontrent que le plan de drainage est compromis et que l’intégrité du bâtiment est menacée. Plus particulièrement, il souligne à titre d’exemple que les linteaux des fenêtres, qui sont des éléments structuraux, devront être remplacés à court et moyen terme.
[29] En contre-interrogatoire, il admet n’avoir procédé à aucun dégarnissement lors de sa visite d’inspection. Il admet également ne pas avoir fait de constat direct démontrant la dégradation de la structure du bâtiment ni de test d’air qui soutiendrait son affirmation quant aux risques de contamination fongique.
[30] Il indique cependant que la dégradation structurale est certaine vu la présence d’eau. À ce titre, il indique que l’absence de solins au-dessus des portes et fenêtres permet la stagnation de l’eau à ces endroits et la pénétration de celle-ci à travers le papier pare-intempéries par capillarité. Selon son témoignage, c’est de cette façon que les linteaux seront affectés par l’eau de même que les poutrelles et la solive de rive au balcon arrière. D’ailleurs, il ajoute que la présence d’eau favorise la prolifération des moisissures et attire les fourmis charpentières.
Administrateur
[31] Monsieur Michel Arès, inspecteur-conciliateur, est l’auteur de la décision dont appel et il témoigne pour l’Administrateur.
[32] Il indique que la visite des lieux s’est faite en présence du Bénéficiaire le 24 février 2016 et que celle-ci s’est déroulée à l’extérieur du bâtiment, bien qu’il se souvienne être entré dans la maison. Il n’a toutefois fait aucune vérification à l’intérieur de la propriété.
[33] Il confirme les dires de Monsieur Brosseau qui affirme que la ventilation est restreinte au bas du revêtement, soit que l’espace entre le revêtement extérieur et le solage est insuffisant. Par ailleurs, il soutient que si l’espace d’air est insuffisant, il est toutefois présent. De ce constat découle, selon lui, que l’eau ne stagne pas derrière la structure, contrairement à ce qu’a affirmé Monsieur Brosseau.
[34] Monsieur Arès confirme n’avoir vu aucun solin chez le Bénéficiaire. Il soutient toutefois qu’il est très peu probable que l’eau atteigne les linteaux, bien que cela soit possible.
[35] Il reconnaît qu’il existe certains problèmes au niveau de l’installation et des matériaux. Par exemple, il indique que les moulures « boivent » l’eau. Cependant, il est d’avis que les problèmes rencontrés ne présentent pas le degré de gravité du vice de construction. Il ajoute qu’en présence de dégradation du papier pare-intempéries, de l’isolant, du panneau intermédiaire ou encore, s’il y avait eu des infiltrations d’eau, il aurait reconnu la problématique.
[36] Il indique que les moulures vont rapidement tomber et que certaines planches du revêtement vont également se décrocher. Il ajoute que les champignons vont continuer à pousser et que si aucune intervention n’est faite, une quantité supplémentaire d’eau va pénétrer derrière le revêtement, que les fourrures vont s’imbiber d’eau et que l’eau traversera inévitablement le papier pare-intempéries. D’ailleurs, il note que certaines planches se soulèvent aux extrémités laissant ainsi pénétrer une plus grande quantité d’eau. Celles-ci doivent donc être changées. En somme, sans intervention, le problème ira en s’aggravant et la structure en sera inévitablement affectée.
[37] Quant aux colonnes supportant la toiture au-dessus du balcon avant, il indique que la présence de scellant au bas constitue une malfaçon apparente. De plus, il souligne le manque d’entretien, à savoir que le joint entre les deux (2) morceaux d’aluminium (supérieur et inférieur) n’a pas été refait. Il est donc d’avis que cette réclamation n’est pas recevable en vertu de la garantie de cinq (5) ans, soit la garantie contre les vices majeurs.
[38] En contre-interrogatoire, il dit que l’absence de solin au-dessus de la porte patio n’est probablement pas la cause des dommages sous celle-ci. Il indique qu’il doit y avoir une infiltration d’eau quelque part.
[39] Quant à la dégradation des colonnes qui supportent le toit au-dessus du balcon avant, il admet que leur dégradation provoquera l’affaissement du toit à cet endroit.
Visite des lieux
[40] Suite à l’audition, les parties et l’arbitre soussignée se sont déplacés à la résidence du Bénéficiaire pour y faire les constats suivants :
Ø L’allège située en façade est en pente négative;
Ø Présence de chantepleure sous l’allège qui permet l’égouttement des eaux, malgré l’absence de solin entre les deux (2) types de revêtement;
Ø Présence de champignons à la moulure de la fenêtre située au-dessus du garage;
Ø Gondolement du revêtement et des moulures (en façade et à l’arrière);
Ø Coins de planches qui sont surélevés (décollés) en façade;
Ø Présence de scellant au bas des colonnes qui soutiennent le toit au-dessus du balcon avant;
Ø Présence de deux (2) solins superposés à la fenêtre avant;
Ø Problème d’écoulement des eaux au balcon arrière (ce problème a été reconnu par l’Administrateur dans sa décision du 30 août 2016);
Ø Présence de fourrures horizontales au-dessus et en-dessous de la porte patio;
Ø Les moulures autour de la porte patio se défont « au doigt », sans outil;
Ø Le panneau intermédiaire à cet endroit est mou et facilement transpercé à l’aide d’un couteau, sans effort;
Ø Les fourrures verticales situées de chaque côté de la porte patio sont également cassables « au doigt », sans effort;
Ø Présence de champignons s’apparentant à de la mérule derrière le panneau intermédiaire (sous la porte patio);
Ø La membrane pare-intempéries n’est pas continue du côté gauche de la porte patio;
[41] Lors de la visite des lieux, Monsieur Brosseau réaffirme qu’il existe un problème d’étanchéité sur l’entièreté du bâtiment. Me Godin, pour sa part, émet des réserves quant à l’applicabilité des constats faits au pourtour de la porte patio sur le reste du bâtiment.
IV
PLAIDOIRIES
Bénéficiaire
[42] Le Bénéficiaire soutient que la preuve est claire à l’effet que le revêtement extérieur ainsi que la technique de pose sont déficients. Il soutient que les règles de l’art ne sont pas respectées et qu’en conséquence, des dommages au bâtiment ont été causés.
[43] Il rappelle que Monsieur Arès a admis que le toit au-dessus du balcon avant va s’effondrer si la situation n’est pas réglée en ce qui concerne les colonnes avant et que les moulures et les planches du revêtement vont également tomber. Il ajoute que Monsieur Arès a reconnu que la ventilation est restreinte derrière le revêtement ce qui l’endommage et cause sa détérioration progressive. Enfin, Monsieur Arès a aussi clairement indiqué que quelque chose doit être fait rapidement afin d’éviter que l’intégrité du bâtiment ne soit mise en péril.
[44] Le Bénéficiaire soumet deux (2) décisions arbitrales[2] au soutien de ses prétentions et demande au Tribunal d’accueillir sa demande d’arbitrage.
Administrateur
[45] D’entrée de jeu, l’Administrateur soutient que les décisions soumises par le Bénéficiaire sont inapplicables en l’espèce. De fait, il indique que l’arbitre soussignée a déjà indiqué dans une autre décision[3] qu’un problème de revêtement n’est pas nécessairement un vice de construction de nature à mettre en péril la pérennité de l’immeuble, à l’instar de Me Jeanniot[4] et Yves Fournier[5].
[46] Il ajoute que Monsieur Arès a dit que le revêtement doit être changé mais qu’en aucun cas il n’a parlé de risque à la structure.
[47] Quant aux colonnes, il souligne que l’eau pénètre par le joint de scellant vétuste situé à la jonction des deux (2) morceaux d’aluminium. À ce titre, la vétusté du joint de scellant relève d’un manque d’entretien du Bénéficiaire et conséquemment, il s’agit d’un élément exclu de la protection offerte par la garantie.
[48] En somme, Me Godin indique que la problématique du balcon arrière, celle du revêtement et celle des colonnes doivent être traitées séparément. Il ajoute qu’il ne voit pas en quoi les problèmes du balcon pourraient être liés au problème de revêtement.
[49] Enfin, il indique que le rapport de l’expert du Bénéficiaire qui n’a procédé à aucune ouverture n’apporte rien de nouveau au dossier et il demande au Tribunal d’accorder les frais en fonction du Règlement, sujet toutefois à ce que ceux-ci soient raisonnables, notamment eu égard au coût des réparations estimé entre 7 000 $ et 8 000 $.
V
ANALYSE ET DÉCISION
[50] Le Tribunal doit décider du présent dossier à la lumière de la preuve soumise en l’instance.
[51] D’entrée de jeu, le Tribunal indique que la décision rendue dans l’affaire Joyal[6] n’est pas applicable en l’instance, celle-ci étant fort différente. En effet, dans cette affaire, la première décision rendue par l’Administrateur rejetait la réclamation des Bénéficiaires au motif que le vice rencontré n’en était pas un de la nature du vice de construction. De cette décision, les Bénéficiaires n’en ont pas appelé et celle-ci avait donc l’effet de la chose jugée au moment de l’audition. C’est suite à une 2e dénonciation et à une 2e décision que le Tribunal est saisi de l’affaire.
[52] L’Administrateur a soutenu qu’il y avait chose jugée et les Bénéficiaires, pour leur part, soutenaient qu’il s’agissait d’une nouvelle situation ou à tout le moins qu’il y avait eu aggravation de la situation. Ils demandaient au Tribunal une décision déclarant qu’il y a présence d’un vice de construction. Le Tribunal s’est dit d’avis que les Bénéficiaires devaient démontrer une aggravation suffisante de la situation « telle qu’il s’agit d’une situation qui ne s’apparente plus à la première » pour autoriser le Tribunal à rendre une décision qui qualifierait le vice en présence, ce qu’ils n’ont pas fait. C’est avec regret que le Tribunal a dû rendre cette décision mais les Bénéficiaires ne s’étaient tout simplement pas acquitter de leur fardeau de la preuve.
[53] Par ailleurs, en l’instance, le Tribunal est d’avis d’accueillir la demande d’arbitrage du Bénéficiaire.
[54] En effet, les propos de Monsieur Arès sont révélateurs de l’état du bâtiment : sans intervention rapide, les moulures vont tomber ainsi que le revêtement. De plus, le fait que certains coins de planches du revêtement soient décollés fait en sorte qu’une plus grande quantité d’eau pénètre derrière le revêtement ce qui, en soi, rend le bâtiment d’autant plus vulnérable. Ce dernier a aussi indiqué que les champignons continueront de proliférer et il a également confirmé n’avoir vu aucun solin aux fenêtres ni à la porte patio. Il admet qu’il est possible, quoi que très peu probable, que l’eau atteigne les linteaux des fenêtres.
[55] Outre le témoignage de Monsieur Arès, et bien que l’efflorescence était peu visible lors de la visite des lieux, les photos contenues au rapport d’expertise déposé par le Bénéficiaire sont claires et démontrent la présence d’efflorescence. Personne n’a contesté que la présence d’efflorescence après plus de quatre (4) ans soit un signe de présence d’humidité derrière le revêtement.
[56] De plus, sauf le solin double à la fenêtre avant, aucun solin n’était visible. L’absence de solins a déjà été reconnue comme compromettant fatalement la ventilation entre les deux (2) plans de protection du bâtiment[7].
[57] Quoique le Tribunal n’ait plus à statuer sur la question du balcon arrière, le Tribunal est d’avis que les éléments découverts à cet endroit lors de la visite des lieux doivent également être pris en compte.
[58] En effet, les moulures se défont « au doigt », sans outil et sans effort, de même que certaines fourrures. La présence de champignon s’apparentant à de la mérule, quoique la typologie n’ait pas été prouvée sans être par ailleurs contestée, est inquiétant. Des traces ont été découvertes sur le panneau intermédiaire.
[59] Personne n’a démontré la cause exacte de l’état avancé de dégradation des matériaux autour de la porte patio et à la solive de rive du balcon, alléguant toutefois qu’il doit y avoir infiltration d’eau. Quoi qu’il en soit, aucune infiltration d’eau à l’intérieur du bâtiment n’a été vue par le Bénéficiaire.
[60] La membrane pare-intempéries n’est pas continue du côté gauche de la porte patio. Cette situation n’est pas conforme aux normes.
[61] En plaidoirie, l’Administrateur soulève l’absence de preuve démontrant que les matériaux sous la membrane pare-intempéries du reste du bâtiment sont affectés ni que la structure même de celui-ci soit affectée. De fait, Me Godin indique douter que les constats faits au pourtour de la porte patio soient applicables au reste du bâtiment.
[62] Au sujet du degré de gravité requis, Me Jeanniot s’exprime ainsi :
[30] Afin de faire droit à la demande du Bénéficiaire, (…) je dois de façon préliminaire me satisfaire qu’il s’agit d’un vice qui porte atteinte à l’intégralité ou à la structure du bâtiment et/ou qu’il puisse rendre le bâtiment impropre à l’usage auquel il est destiné (puisque la norme juridique générale impose un caractère « sérieux » ou « important » du vice, un critère déterminant).
[31] Les décideurs qui m’ont précédé ont aussi accepté de considérer le vice suffisamment important, lorsqu’on est placé dans une situation de perte d’ouvrage et que le préjudice soit né et actuel, de manière immédiate. La notion de « perte » doit recevoir une interprétation large et s’étendre à tout dommage sérieux subis (sic) par l’ouvrage immobilier.
(…)
[33] Il n’y a pas de preuve que l’immeuble est devenu non sécuritaire en raison de vices ou encore qu’il y a danger d’écroulement de certaines parties[8].
[63] Traitant aussi du degré de gravité, l’arbitre Claude Dupuis, s’appuyant sur la jurisprudence, indique :
[14] Dès la visite des lieux, le soussigné a été en mesure de constater l’état assez lamentable du revêtement extérieur sur le mur latéral et le mur arrière, soit un revêtement de bois usiné de marque St-Laurent.
[15] On peut aisément apercevoir des gonflements, des gondolements, des joints disloqués, de la détérioration de calfeutrage, des bordures de fenêtre dégradées, etc.
[16] Lors de son témoignage, M. Robillard, conciliateur, nous répète à peu près ces mêmes déficiences (gonflement de déclin, calfeutrage) et il affirme qu’il y a un manque de ventilation à la base; il ajoute de plus que cette installation ne rencontre pas les recommandations du manufacturier.
[17] Interrogé par le soussigné sur les conséquences à venir, le témoin admet que cette situation, à long terme, va causer des problèmes.
[18] Constatant la gravité de son affirmation, M. Robillard a par la suite modifié un peu son témoignage, ajoutant que « les problèmes ne sont pas immédiats, pas obligatoires, la structure n’est pas encore affectée, ça pourrait venir… »
[19] Par problème, on entend évidemment : structure affectée par l’humidité et la moisissure.
(…)
[24] Toujours selon M. Landry, le manque de ventilation cause une accumulation d’humidité pouvant affecter la structure interne du bâtiment. La dégradation actuelle, anormale en regard de l’âge du bâtiment, ne s’arrêtera pas, elle va plutôt se poursuivre.
(…)
[27] Cette qualification par l’expert des bénéficiaires de l’état actuel du revêtement du mur latéral et du mur arrière du bâtiment n’est absolument pas contredite par l’administrateur. Ce dernier, pour expliquer le refus de la présente réclamation, soutient qu’il n’existe aucune preuve à l’effet que la structure interne de l’édifice soit affectée.
(…)
[34] Dans le présent dossier, il n’existe pas de preuve matérielle à l’effet que la structure ait déjà été affectée par l’humidité ou autre.
[35] Toutefois, les deux experts, soit celui des bénéficiaires ainsi que l’inspecteur conciliateur de l’administrateur, affirment que le danger potentiel existe, et ce, à cause de l’installation non conforme du revêtement, et tout particulièrement l’absence de ventilation.
[36] En effet, en ce qui a trait à ces murs extérieurs, la dégradation est constante et elle ne s’arrêtera pas.
[37] La menace de la perte d’ouvrage existe réellement et est même appuyée par le témoignage du conciliateur de La Garantie Qualité Habitation au cours de l’audience, lorsque ce dernier affirme qu’à long terme, il y aura un problème à la structure; comme souligné précédemment, la perte sous 2118 C.c.Q. n’a pas à être totalement réalisée, le danger suffit. Ce qui est exactement notre cas.
[38] Par la suite, le conciliateur a tenté de minimiser les conséquences de son affirmation; toutefois, le premier jet était plein de sincérité.
[39] Conséquemment, le tribunal, selon la preuve recueillie, considère que la situation du mur latéral et du mur arrière du bâtiment concerné répond aux exigences de l’article 2118 du Code civil du Québec. [9]
[64] En tout respect, le Tribunal est d’avis que ce n’est pas parce que le bâtiment en l’instance ne s’est pas encore écroulé ou encore qu’aucune partie importante n’est devenue inutilisable qu’il ne s’agit pas d’un vice de construction.
[65] Le Tribunal retient du témoignage de Monsieur Arès que ce dernier considère que le bâtiment n’est pas atteint d’un vice construction en raison de son état actuel, mais il admet, du même coup, que sans intervention rapide, la structure du bâtiment sera rapidement affectée.
[66] De l’avis du Tribunal, s’il devient nécessaire de faire des travaux aussi importants après une aussi courte période pour éviter des dommages structuraux au bâtiment, c’est que le vice en présence en est un de construction. Ce n’est plus ici une simple question de réduction de la durée de vie utile du revêtement au terme de laquelle un remplacement est nécessaire sans pour autant être urgent, ni une question d’entretien.
[67] Par conséquent, la demande du Bénéficiaire est accueillie en ce qui concerne le remplacement du revêtement extérieur. Ceci inclut aussi les matériaux sous-jacents qui devront être vérifiés et remplacés si nécessaire selon les lois et normes en vigueur de même que les règles de l’art.
[68] En ce qui a trait aux colonnes, le Tribunal retient deux (2) choses : d’une part, la présence d’un joint de scellant au bas des colonnes, à la jonction du balcon, constitue une malfaçon apparente. Ceci dit, cette malfaçon est apparente pour un professionnel mais non pour un profane. En conséquence, cet argument ne saurait être retenu à l’encontre du Bénéficiaire.
[69] D’autre part, il appert qu’un joint de scellant se trouve à la jonction des morceaux d’aluminium inférieur et supérieur qui recouvrent les colonnes. Ceux-ci sont désuets et auraient dû être refaits par le Bénéficiaire. Or, il ne l’a pas fait.
[70] Il ressort de la preuve qu’il s’agit-là de deux (2) causes contributives et la preuve est silencieuse à savoir laquelle est prépondérante ou si les dommages seraient tout de même présents en l’absence de l’une de ces causes.
[71] Considérant l’impossibilité de déterminer la cause réelle des dommages, que des travaux devront être faits chez le Bénéficiaire, que le Règlement a été adopté dans un objectif de protection du consommateur et compte tenu que les conséquences qui résulteront du laisser-aller de cette situation affecteront la structure de l’immeuble, il apparaît juste et équitable d’ordonner la réparation des colonnes également. Ceci étant, le Tribunal précise que chaque cas étant un cas d’espèce, il ne saurait être question de conclure qu’un problème en lien avec le recouvrement d’aluminium de colonnes, soient-elles des éléments structuraux de support du toit ou non, doit nécessairement être reconnu comme vice de construction.
Frais
[72] Conformément à l’article 123 du Règlement les frais du présent arbitrage sont à la charge de l’Administrateur.
[73] Quant aux frais d’expertise réclamés par le Bénéficiaire, le Tribunal fait droit à la demande et ordonne à l’Administrateur de rembourser la totalité desdits frais au Bénéficiaire, incluant la facture de l’expert pour sa présence à l’audience. La somme due à ce titre est de 2 425,97 $.
EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire;
ORDONNE à l’Administrateur de remplacer la totalité du revêtement extérieur et de corriger le plan de drainage incluant le remplacement des matériaux endommagés le cas échéant, ainsi que de réparer les dommages causés aux colonnes avant, incluant le remplacement du recouvrement d’aluminium, le tout conformément aux lois, codes et règlements en vigueur de même qu’aux règles de l’art et ce, dans les 30 jours de la réception de la présente sentence;
ORDONNE à l’Administrateur de rembourser aux Bénéficiaires les frais d’expertise au montant de 2 425,97 $, et ce, dans les trente (30) jours de la présente sentence;
ORDONNE que les frais du présent arbitrage soient payés en totalité par l’Administrateur conformément à l’article 123 du Règlement.
Montréal, ce 28 novembre 2016
Me Karine Poulin, arbitre
[1] Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ c B-1.1, r. 8.
[2] Maryse Bouchard et Jacques Gauthier c. Sylvain Proulx, Syndic de faillite, ès qualites pour 3858081 Canada inc. (Les Maisons Dominus) et La Garantie Habitation du Québec, GAMM, 2016-16-002, Me Jean Morissette, arbitre; Lina Paola Daza Espinosa et Juan Camilo Mejia Valencia c. 3858081 Canada inc. / Les Maisons Dominus et La Garantie Habitation du Québec inc., GAMM, 2015-16-003, M. Claude Dupuis, arbitre.
[3] Jean-François Joyal et Catherine Roy c. 3858081 Canada inc. / Les Maisons Dominus et La Garantie Habitation du Québec inc., GAMM, 2015-16-015, Me Karine Poulin, arbitre.
[4] Syndicat de la copropriété du 1274 Gilford, Montréal (Anouk Fournier) c. 153642 Canada inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SORECONI, 070507001, Me Michel A. Jeanniot, arbitre.
[5] Syndicat du 18 Impasse Huet c. 9153-5914 Québec inc. Condos Place d’Amérique et Garantie Habitation du Québec, CCAC, S16-051601-NP, M. Yves Fournier, arbitre.
[6] Jean-François Joyal et Catherine Roy c. 3858081 Canada inc. / Les Maisons Dominus et La Garantie Habitation du Québec inc., préc., note 3.
[7] Lina Paola Daza Espinosa et Juan Camilo Mejia Valencia c. 3858081 Canada inc. / Les Maisons Dominus et La Garantie Habitation du Québec inc., préc., note 2.
[8] Syndicat de la copropriété du 1274 Gilford, Montréal (Anouk Fournier) c. 153642 Canada inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, préc., note 4.
[9] Lina Paola Daza Espinosa et Juan Camilo Mejia Valencia c. 3858081 Canada inc. (Les maisons Dominus) et La Garantie Habitation du Québec inc., préc., note 8.