Constructions Cartierville inc. c. Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. |
2007 QCCQ 12075 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-22-105626-041 |
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DATE : |
17 mai 2007 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
HENRI RICHARD, J.C.Q. |
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CONSTRUCTIONS CARTIERVILLE INC. |
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Demanderesse |
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c. |
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LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L'APCHQ INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le présent dossier porte essentiellement sur le « mécanisme de mise en œuvre de la garantie » prévu au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (c. B-1.1, r.0.2) (ci-après appelé le « Règlement »).
[2] Constructions Cartierville inc. (ci-après « Cartierville ») est un entrepreneur en construction dûment accrédité auprès de la défenderesse, La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. (ci-après la « Garantie »). Cette dernière est autorisée à administrer un plan de garantie en vertu de l'article 81 de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q., c. B-1.1) et des articles 41 et suivants du Règlement.
[3] Cartierville poursuit la Garantie en paiement de la somme de 36 552,97 $ représentant le solde découlant d'un contrat de construction que les clients de Cartierville ont transmis à la Garantie suite à la découverte de malfaçons. Cartierville ajoute à cette demande de paiement une réclamation au montant de 20 000 $ « représentant des dommages-intérêts et troubles et inconvénients suite à l'abus de droit » (paragraphe 59 de la requête introductive d'instance), de même qu'une somme de 1 138,75 $ « représentant les frais d'expertise » payés par Cartierville dans le cadre de ses procédures (paragraphe 60 de la requête introductive d'instance).
[4] La Garantie conteste la réclamation de Cartierville en soutenant qu'elle a dû faire procéder aux corrections de ses travaux en payant un autre entrepreneur en construction et, se portant demanderesse reconventionnelle, lui réclame la somme de 64 910,70 $ à cet égard.
Les faits
[5] Le 26 août 2001, Mme Julie Gagné et M. Hugo Hernandez-Piché (ci-après les « clients ») signent un contrat d'entreprise avec Cartierville afin de construire sur leur terrain un duplex à l'angle des rues Coursol et Quesnel à Montréal (pièce D-2). Les plans de ce duplex ont été préparés par M. Hernandez-Piché qui est architecte.
[6] Les clients prennent possession de cet immeuble vers le mois de février 2002. Ils constatent plusieurs malfaçons et vices affectant la propriété, notamment des infiltrations d'eau par la toiture. Ils refusent de remettre le paiement final à Cartierville, décidant plutôt de retenir la somme de 36 552,97 $ jusqu'à ce que Cartierville ait procédé ou fait procéder à toutes les corrections qui s'imposent.
[7] Au moment de la signature du contrat d'entreprise D-2, les clients et Cartierville signent aussi un « contrat de garantie » sur un formulaire en provenance de la Garantie qui y est notamment désignée à titre d'« administrateur » (pièce P-2 ou D-3).
[8] Insatisfaits des travaux effectués par Cartierville et suite à la découverte de plusieurs malfaçons, les clients ont entrepris des démarches afin de mettre en demeure Cartierville et de mettre en oeuvre le plan de garantie concerné. Puisque aucun règlement n'est intervenu entre les clients et Cartierville, ceux-ci ont mis en œuvre le plan de garantie. La procédure de mise en œuvre de ce plan est prévue à l'article 18 du Règlement tel que rédigé en 2001 et se lit comme suit:
« 18. La procédure suivante s'applique à toute réclamation faite en vertu du plan de garantie:
1° dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription;
2° au moins 15 jours après l'expédition de la dénonciation, le bénéficiaire avise par écrit l'administrateur s'il est insatisfait de l'intervention de l'entrepreneur ou si celui-ci n'est pas intervenu; il doit verser à l'administrateur des frais de 100 $ pour l'ouverture du dossier et ces frais ne lui sont remboursés que si la décision rendue lui est favorable, en tout ou en partie, ou que si une entente intervient entre les parties impliquées;
3° dans les 15 jours de la réception de l'avis prévu au paragraphe 2, l'administrateur demande à l'entrepreneur d'intervenir dans le dossier et de l'informer, dans les 15 jours qui suivent, des mesures qu'il entend prendre pour remédier à la situation dénoncée par le bénéficiaire;
4° dans les 15 jours qui suivent l'expiration du délai accordé à l'entrepreneur en vertu du paragraphe 3º, l'administrateur doit procéder sur place à une inspection;
5° dans les 20 jours qui suivent l'inspection, l'administrateur doit produire un rapport écrit et détaillé constatant le règlement du dossier ou l'absence de règlement et il en transmet copie, par poste recommandée aux parties impliquées;
6° en l'absence de règlement, l'administrateur statue sur la demande de réclamation et, le cas échéant, il ordonne à l'entrepreneur de rembourser le bénéficiaire pour les réparations conservatoires nécessaires et urgentes, de parachever ou de corriger les travaux dans le délai qu'il indique et qui est convenu avec le bénéficiaire;
7° à défaut par l'entrepreneur de rembourser le bénéficiaire, de parachever ou de corriger les travaux et en l'absence de recours à la médiation ou de contestation en arbitrage de la décision de l'administrateur par l'une des parties, l'administrateur fait le remboursement ou prend en charge le parachèvement ou les corrections dans le délai convenu avec le bénéficiaire et procède notamment, le cas échéant, à la préparation d'un devis correctif, à un appel d'offres, au choix des entrepreneurs et à la surveillance des travaux. »
[9] Cette procédure est aussi reprise, selon les mêmes termes que l'article 18 précité, à la section C intitulée « Mécanisme de mise en œuvre de la garantie » contenue au contrat de garantie P-2 ou D-3 signé entre les clients et Cartierville le 26 août 2001.
[10] En l'espèce, les étapes de la procédure de mise en œuvre de la garantie prévues aux paragraphes 1 à 5 inclusivement de l'article 18 précité du Règlement ont été réalisées. Le dernier rapport produit par la Garantie découle d'une inspection supplémentaire effectuée le 28 août 2003 et est daté du 3 septembre 2003 (pièce P-5 ou D-15). Il est rédigé par M. Jocelyn Dubuc, alors conciliateur auprès du Service d'inspection de la Garantie. Il précise notamment:
« Dans le présent rapport, nous avons donc regroupé tous les points mentionnés dans les demandes de réclamation des bénéficiaires qui nous ont été adressées jusqu'à maintenant. Les parties concernées sont donc priées de bien vouloir ignorer les rapports du 6 janvier 2003 (pièce P-3 ou D-8) et du 2 juin 2003 (pièce P-4 ou D-10) et de ne tenir compte que du présent rapport daté du 3 septembre 2003. » (page 1 de P-5 ou D-15).
[11] Avant de faire état des 29 points sur lesquels il se prononce, M. Dubuc ajoute:
« Selon les informations qui nous ont été fournies par les parties concernées, une somme d'environ 36 450 $ serait présentement retenue par les bénéficiaires envers l'entrepreneur. À cet effet, vous trouverez ci-joint une convention de dépôt en fidéicommis qui devra être complétée, signée et nous être retournée dans les plus brefs délais. De plus, la convention devra être accompagnée d'un chèque au montant de 25 000 $ payable à l'ordre de La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. en fidéicommis.
Quant au solde résiduel, il devra être remis à l'entrepreneur après que la convention ait été signée par les parties impliquées et avant le début des travaux correctifs. Dès que nous aurons reçu la convention de dépôt en fidéicommis dûment signée et que la somme de 25 000 $ aura été disposée de la manière décrite ci-dessus, l'entrepreneur sera mis en demeure d'exécuter les travaux mentionnés aux points 1 à 29 qui suivent. Dès que les travaux demandés auront été exécutés à l'entière satisfaction de La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc., le montant déposé en fidéicommis sera distribué de la façon mentionnée à la convention de dépôt en fidéicommis. » (page 1 de P-5 ou D-15).
(soulignement du Tribunal)
[12] Une « convention relative au dépôt en fidéicommis » est jointe au rapport P-5 et transmise aux clients qui sont désignés par la Garantie à titre de « bénéficiaires » (pièce P-6 ou D-16). Cette convention est dûment signée par les clients et transmise à Cartierville avec une lettre l'accompagnant datée du 2 octobre 2003 et signée par Mme Martine Lambert, secrétaire du Service d'inspection et de conciliation de la Garantie (pièce D-16).
[13] Les paragraphes 2, 3 et 4 de cette convention se lisent ainsi:
« LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT:
[…]
2. Qu'à même la somme qui est retenue par les bénéficiaires, un montant de vingt-cinq mille dollars (25 000 $) soit transféré et déposé au compte de " La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. en fidéicommis ".
3. Qu'à même la somme qui est retenue par les bénéficiaires, un montant de onze mille quatre cent douze dollars et quatre-vingt dix-sept cents (11 412,97 $) soit remis directement à l'entrepreneur après la signature des présentes et avant le début des travaux correctifs.
4. L'entrepreneur devra faire radier, à ses frais, l'avis d'hypothèque légale de la construction qu'il a fait publier le 11 septembre 2002 au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal, de même que le préavis d'exercice du recours hypothécaire qu'il a fait publier le 19 février 2003 au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal et renoncer à publier tout autre avis d'hypothèque légale de la construction. Sur présentation, par l'entrepreneur, de preuves à cet effet, les bénéficiaires procèderont à la remise des sommes retenues tel que mentionné aux paragraphes 2 et 3 des présentes. » (pièce P-6 ou D-16)
[14] Cartierville n'a jamais accepté les termes du paragraphe 4 précité, si bien que les clients n'ont pas transmis à la Garantie en fidéicommis la somme de 25 000 $. Selon la preuve prépondérante, aucun entrepreneur n'accepterait de faire radier un avis d'hypothèque légale avant d'être payé des sommes qui lui sont dues.
[15] Selon le témoignage de M. Salvatore Scalia, seul administrateur de Cartierville, suite à la réception du dernier rapport P-5 de la Garantie, il a tenté de communiquer avec son signataire, M. Dubuc, afin d'obtenir des précisions sur la nature exacte des travaux à être exécutés, notamment en rapport avec les points 1 et 2 intitulés « Couverture du toit principal - Couverture du toit-terrasse ». Il est à noter qu'avant de rédiger son rapport P-5, la Garantie avait obtenu un rapport d'expert signé par M. Jean Désormeaux, technologue professionnel et expert en matière de toitures auprès de la firme Toitech enr. daté du 19 mai 2003 (pièce D-11).
[16] N'ayant obtenu aucune réponse satisfaisante de M. Dubuc, M. Scalia a retenu les services d'une avocate, Me Sylvie Vanasse, afin de le représenter dans cette affaire. Le 16 octobre 2003, par lettre adressée aux clients, Me Vanasse mentionne notamment:
« Quoique notre cliente (Cartierville) consent à la correction de certaines déficiences mentionnées dans ledit rapport d'inspection de l'APCHQ, il demeure plusieurs points en litige que notre cliente désire faire évaluer par son expert. » (pièce P-7 ou D-17)
[17] De plus, Me Vanasse annonce aux clients que Cartierville a retenu les services d'un expert pour « évaluer la nature des malfaçons et/ou vices dont vous tenez responsable ma cliente » et sollicite une autorisation afin de permettre l'accès à son expert, M. Michel Ewert, ingénieur de la firme Sogenet inc. afin de préparer une contre-expertise. Une copie conforme de cette lettre P-7 est transmise par télécopieur à M. Jocelyn Dubuc et Mme Martine Lambert, représentants de la Garantie .
[18] La réponse de M. Dubuc à la lettre P-7 ne se fait pas attendre. Le 20 octobre 2003, M. Dubuc écrit à Me Vanasse pour lui indiquer que son rapport P-5 est final et puisque Cartierville a « refusé ou ignoré de se prévaloir de l'arbitrage à l'intérieur du délai prévu », son rapport oblige Cartierville à exécuter tous les travaux qui y sont décrits. Il conclut sa lettre en ces termes:
« Par conséquent, auriez-vous l'obligeance de nous faire part, par écrit, dans un délai de quarante-huit (48) heures, des intentions de votre cliente au sujet des travaux demandés au rapport d'inspection qui a été émis le 3 septembre 2003 (pièce P-5). Si l'entrepreneur accepte d'exécuter les travaux, votre lettre devra être accompagnée d'un échéancier de travail détaillé et raisonnable en tenant compte de l'urgence de certaines interventions.
Veuillez prendre note qu'à défaut de donner suite à la présente à l'intérieur du délai accordé ou dans l'éventualité où votre cliente refuserait de débuter les travaux immédiatement, nous n'aurons d'autre alternative que de mandater un autre entrepreneur pour les faire effectuer aux frais et dépens de Les constructions Cartierville inc. et ce, à même les sommes retenues. »
(pièce P-8 ou D-18)
(soulignement du Tribunal)
[19] Par lettre datée du 22 octobre 2003, Me Vanasse confirme aux clients que l'expert Michel Ewert et M. Scalia procèderont à une visite des lieux afin de préparer une contre-expertise le 28 octobre 2003 à 14h00 (pièce P-9). Une copie conforme de cette lettre est expédiée à M. Jocelyn Dubuc et Mme Martine Lambert, représentants de la Garantie.
[20] Par lettre datée du 27 octobre 2003, puisque aucune suite n'a été donnée à sa lettre P-8 ou D-18 du 20 octobre 2003, M. Dubuc avise Me Vanasse que certains travaux correctifs sont urgents et nécessitent une intervention rapide afin de préserver le bâtiment et d'empêcher que les dommages s'aggravent. De plus, il indique que les clients ou les « bénéficiaires » se sont conformés aux exigences du contrat de garantie en faisant retenir les sommes dues auprès d'un notaire. Puisque Cartierville a refusé de signer la convention de dépôt en fidéicommis et de faire radier son avis d'hypothèque légale, elle nuit au processus de conciliation et retarde l'exécution des travaux inutilement. Ceci étant, M. Dubuc conclut:
« Devant une telle situation, La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. doit prendre en charge les travaux mentionnés aux points 1 à 29 du rapport d'inspection du 3 septembre 2003 (pièce P-5). Par conséquent, veuillez prendre note que nous mandaterons un autre entrepreneur pour exécuter les travaux aux frais et dépens de votre cliente. »
(pièce P -12 ou D-19)
[21] Le 27 octobre 2003, la Garantie a retenu les services de l'entrepreneur Construction Aspirot inc. afin de procéder à l'exécution des travaux mentionnés aux points 1 à 29 du rapport P-5 en vertu d'un contrat « à coût majoré, incluant la main d'œuvre et les matériaux » (pièce D-19).
[22] Le Tribunal note que le 29 octobre 2003, la Garantie a fait parvenir par télécopieur à Me Vanasse, une copie du rapport d'expertise D-11 préparé par M. Jean Désormeaux en date du 19 mai 2003 (voir pièce P-11).
[23] Par lettre datée du 31 octobre 2003, Me Vanasse écrit à M. Jocelyn Dubuc pour l'aviser que sa cliente, Cartierville, a requis une contre-expertise qui s'est effectuée le 28 octobre 2003 en plus de réitérer la position de sa cliente à l'effet qu'elle « ne refusait pas d'effectuer une partie des travaux mais désirait vérifier la nature des déficiences dont se plaignent les propriétaires » (pièce P-13 ou D-20). Suite à la réception de cette contre-expertise, elle avise M. Dubuc qu'elle lui communiquera « le détail des travaux à effectuer ainsi que l'échéancier de ses dits travaux ».
[24] Par lettre en date du 4 novembre 2003, M. Dubuc répond à Me Vanasse en réitérant qu'aucune demande d'arbitrage n'a été faite par Cartierville, si bien que: « Les décisions rendues par La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de la l'APCHQ inc. ainsi que le contenu du rapport d'expertise de la firme Toitech ne sont donc plus discutables et par conséquent, en sa qualité d'administrateur du plan de garantie, La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. doit prendre le dossier en charge et faire effectuer les travaux correctifs par un autre entrepreneur aux frais et dépens de votre cliente » (pièce P-14 ou D-21).
[25] Cet échange épistolaire se termine par des lettres de Me Vanasse et de M. Dubuc. Le 13 novembre 2003, Me Vanasse écrit à M. Dubuc et l'avise de l'intention de Cartierville d'effectuer la correction des travaux suivant un échéancier à être fourni en plus de lui transmettre copie du rapport de la contre-expertise de M. Michel Ewert qui évalue les travaux correctifs à être effectués à un montant de 14 700 $ (pièce P-15 ou D-22). Le 17 novembre 2003, M. Dubuc réitère que la Garantie a dû mandater un autre entrepreneur pour l'exécution des travaux correctifs (pièce P-17 ou D-23).
[26] Selon l'état de compte transmis par la Garantie à Cartierville, il lui en a coûté la somme de 64 910,70 $ afin de faire procéder par Construction Aspirot inc. à tous les travaux correctifs rendus nécessaires par l'inexécution des obligations de Cartierville (voir état de compte D-25 du 21 avril 2005), somme que la Garantie réclame de Cartierville dans le cadre de sa demande reconventionnelle.
[27] Au début de l'année 2004, puisque les clients ont décidé de mettre en vente l'immeuble concerné, il était nécessaire que l'avis d'hypothèque légale et le préavis d'exercice de Cartierville soient radiés. Le 18 mai 2004, les clients, Cartierville et la Garantie ont signé une « convention relative au dépôt en fidéicommis » (pièce P-19 ou D-26). Dans cette convention, les clients reconnaissent que les travaux à compléter et/ou à corriger suivant le rapport de la Garantie « ont été effectués à leurs entières satisfactions jusqu'à ce jour » (paragraphe 2).
[28] Ceci étant, les clients acceptent de transférer la somme de 36 552,97 $ dans le compte en fidéicommis de la Garantie, en considération de quoi Cartierville s'engage à faire radier son avis d'hypothèque légale et son préavis d'exercice d'un recours hypothécaire. Cartierville et la Garantie s'entendent pour que cette somme soit détenue en fidéicommis « jusqu'à ce qu'un jugement final ou un règlement final intervienne » entre elles et prévoit qu'elles conservent tous les recours à l'égard du:
« - droit d'intervention de l'administrateur (la Garantie) à titre de caution pour effectuer les travaux reconnus dans leur rapport d'inspection daté du 3 septembre 2003 aux frais et dépens de l'entrepreneur (Cartierville);
- droit de l'administrateur d'obtenir la somme retenue par les bénéficiaires (les clients) sur le produit de la vente ou du contrat d'entreprise intervenu pour la construction du bâtiment jusqu'à concurrence des débours encourus ou qui seront encourus à la suite de l'exécution des travaux reconnus dans le rapport d'inspection daté du 3 septembre 2003; »
(paragraphe 7 de la convention P-19 ou D-26)
[29] Par lettre de mise en demeure datée du 12 juillet 2004, la Garantie réclame de Cartierville la somme de 44 499,59 $ découlant des travaux correctifs effectués en rapport avec la propriété des clients (pièce P-20 ou D-27).
[30] C'est donc dans ce contexte factuel que le Tribunal doit répondre à la question suivante.
1. Le mécanisme de mise en œuvre du plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs prévu à l'article 18 précité du Règlement ainsi que celui prévu au rapport final P-5 de la Garantie signé par M. Jocelyn Dubuc en date du 3 septembre 2003 ont-ils été respectés ?
Analyse
[31] La Cour d'appel du Québec, dans l'affaire La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Desindes et al, J.E. 2005-132 , a eu à se prononcer sur un litige impliquant le Règlement. Elle décide notamment que le Règlement est d'ordre public (paragraphe 11) et que la réclamation d'un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative (paragraphe 15). La Cour d'appel réfère à l'article 18 précité du Règlement de même qu'aux articles 19 et 20 qui prévoient le recours à l'arbitrage dans l'éventualité où le bénéficiaire ou l'entrepreneur est insatisfait d'une décision de la Garantie.
[32] En outre du mécanisme d'ordre public et impératif prévu à l'article 18 précité du Règlement, le présent Tribunal constate que la Garantie, par son rapport P-5 daté du 3 septembre 2003 et signé par M. Jocelyn Dubuc, a ajouté des conditions au mécanisme de mise en œuvre du plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.
[33] Selon la preuve présentée, la procédure prévue aux paragraphes 1 à 5 de l'article 18 précité du Règlement a été accomplie. La prochaine étape est prévue au paragraphe 6 qui prévoit qu'en l'absence de règlement, la Garantie statue sur la demande de réclamation et, le cas échéant, ordonne à Cartierville de rembourser les clients pour les réparations conservatoires nécessaires et urgentes, de parachever ou de corriger les travaux dans le délai qu'elle indique et qui est convenu avec les clients.
[34] Le rapport d'inspection supplémentaire final P-5 de la Garantie ne prévoit aucun délai pour l'exécution des travaux correctifs qui y sont décrits. Puisque aucun règlement n'est intervenu entre les clients et Cartierville suite au rapport P-5, la Garantie pouvait ordonner à Cartierville de corriger les travaux « dans le délai qu'il indique et qui est convenu avec le bénéficiaire » (paragraphe 6 de l'article 18 précité du Règlement). En l'espèce, la preuve est nettement prépondérante et même non contredite à l'effet qu'aucune mise en demeure ou ordonnance en provenance de la Garantie n'a été transmise à Cartierville afin de corriger les travaux dans un délai particulier.
[35] De plus, le Tribunal réfère à nouveau au dernier paragraphe précité de la page 1 du rapport P-5 à l'effet que Cartierville « sera mis en demeure d'exécuter les travaux mentionnés aux points 1 à 29 qui suivent », et ce:
« Dès que nous aurons reçu la convention de dépôt en fidéicommis dûment signée et que la somme de 25 000 $ aura été déposée de la manière décrite ci-dessus, […] ».
[36] Il a été décidé par la Garantie, en vertu dudit paragraphe, que la mise en demeure à être expédiée à Cartierville devait se faire uniquement après la consignation par les clients de la somme de 25 000 $ dans le compte en fidéicommis de la Garantie. Jamais ladite somme n'a été transmise par les clients puisque Cartierville a refusé ou négligé de signer la « convention relative au dépôt en fidéicommis » P-6 ou D-16 dans laquelle la Garantie l'obligeait à faire radier, à ses frais, son avis d'hypothèque légale et son préavis d'exercice d'un recours hypothécaire (paragraphe 4).
[37] Le Tribunal considère que ladite convention P-6 ou D-16 déborde du champ d'application de l'article 18 précité du Règlement. La Garantie peut soumettre et proposer une telle convention mais ne peut l'imposer. Cartierville n'était pas obligée de souscrire aux termes de cette convention puisque la Garantie, en voulant en faire une condition impérative faisant partie du mécanisme de mise en œuvre du plan de garantie, agissait d'une manière ultra vires, i.e. au-delà des pouvoirs qui lui sont attribués.
[38] Ce n'est qu'en mai 2004, suite à la nécessité de procéder aux radiations de l'avis d'hypothèque légale et du préavis d'exercice de Cartierville afin de permettre aux clients de vendre l'immeuble concerné, qu'ils ont transmis à la Garantie en fidéicommis la somme de 36 552,97 $ (voir la convention P-19 ou D-26). Cette convention a été volontairement signée par les parties mais ne pouvait être imposée par la Garantie.
[39] La Garantie plaide que la lettre P-8 ou D-18 datée du 20 octobre 2003 et signée par M. Jocelyn Dubuc constitue une mise en demeure ou une ordonnance adressée à Cartierville afin « de corriger les travaux ». Avec respect, cette position est mal fondée en faits et en droit. Cette lettre demande à l'avocate de Cartierville, Me Sylvie Vanasse, de faire part à la Garantie, par écrit, dans un délai de 48 heures « des intentions de votre cliente au sujet des travaux demandés au rapport d'inspection qui a été émis le 3 septembre 2003 ». À défaut, M. Dubuc demande que Cartierville débute immédiatement les travaux sinon un autre entrepreneur les effectuera aux frais et dépens de Cartierville.
[40] Le récit factuel de ce dossier démontre clairement que le paragraphe 6 de l'article 18 précité du Règlement n'a pas été respecté.
[41] De plus, prenant même pour avéré que la lettre P-8 ou D-18 du 20 octobre 2003 puisse constituer une ordonnance ou une mise en demeure adressée à Cartierville d'effectuer les travaux, le Tribunal est d'opinion qu'elle ne contient aucun délai permettant à l'entrepreneur de corriger ses travaux. La demande d'exécution immédiate de travaux, non assortie d'un délai, est contraire au paragraphe 6 de l'article 18 précité du Règlement. De plus, le Tribunal réfère à l'article 1595 du Code civil du Québec qui se lit comme suit:
« 1595. La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.
Elle doit accorder au débiteur un délai d'exécution suffisant, eu égard à la nature de l'obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l'exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande. »
(soulignement du Tribunal)
[42] Ceci étant, le Tribunal conclut que Cartierville est bien fondée de plaider que le non-respect de la procédure impérative et d'ordre public prévue à l'article 18 précité du Règlement constitue une fin de non-recevoir à la demande reconventionnelle de la Garantie [1]. Le Tribunal doit appliquer avec rigueur et sans compromis les prescriptions impératives de ce Règlement.
[43] Avant de conclure un contrat d'entreprise avec un nouvel entrepreneur, en l'occurrence Construction Aspirot inc., la Garantie devait respecter scrupuleusement la procédure prévue à l'article 18 précité du Règlement, en plus de mettre formellement Cartierville en demeure de corriger ses travaux « dans un délai d'exécution suffisant ». De l'avis du Tribunal, la preuve non-contredite est à l'effet que la Garantie a failli à cet égard.
[44] Ceci étant, il est superfétatoire pour le Tribunal de se prononcer sur le coût et la nature des travaux exécutés par Construction Aspirot inc. de même que l'évaluation effectuée par l'expert de Cartierville, M. Michel Ewert (voir rapport P-16).
[45] Quant à la réclamation de Cartierville au montant de 20 000 $ « représentant des dommages-intérêts et troubles et inconvénients suite à l'abus de droit », le Tribunal conclut qu'aucune preuve prépondérante n'a été apportée afin de justifier l'octroi de cette somme.
[46] En conséquence de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que Cartierville a établi le bien-fondé de sa réclamation au montant de 36 552,97 $ de même que ses frais d'expertise et que la demande reconventionnelle de la Garantie est mal fondée en faits et en droit.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal:
ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance de la demanderesse;
REJETTE la défense et la demande reconventionnelle de la défenderesse;
CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 36 552,97 $, avec intérêts au taux de 5 % l'an à compter de l'assignation, y compris l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec;
LE TOUT avec dépens, notamment les frais de l'expert de la demanderesse établis à la somme de 1 138,75 $.
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__________________________________ Henri Richard, J.C.Q. |
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Me Sylvie Vanasse, |
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pour la demanderesse |
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Me Luc Séguin, |
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(SAVOIE FOURNIER) |
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pour la défenderesse |
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Dates d’audience : |
21, 22 et 23 février 2007 |
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[1] Pour une étude récente de cette notion de fin de non-recevoir, voir: Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (S.C.E.P.) c. Sylvestre, EYB 2005-96969 (C.S.).