_

CENTRE D'ARBITRAGE COMMERCIAL NATIONAL

ET INTERNATIONAL DU QUÉBEC.

______________________________________________

 

 

NO : 02-0708

 

                                                           LOUISELLE MOREAU

 

                                                            Bénéficiaire-demanderesse;

 

                                                            c.

 

LA GARANTIE QUALITÉ HABITATION DU QUÉBEC INC.

 

                                                            Administrateur-défenderesse;

 

                                                            ________________________________

 

 

SENTENCE

 

 

                        La demanderesse a acquis, le 28 août 2000, d'un entrepreneur "G.H. Paquet Inc.", un immeuble devant lui servir de résidence, lequel est situé au […], à St-Louis-de-France.

 

                        Cet immeuble est jumelé à un autre et sa construction avait débuté le 28 août 1999 pour être terminée depuis avril 2000.

 

                        De plus, cet immeuble bénéficie d'un plan de garantie souscrit par la défenderesse, conformément aux normes et critères établis par le règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

 

                        Peu après l'occupation, est survenue une infiltration d'eau au sous-sol. La défenderesse en avisa aussitôt le représentant de l'entrepreneur, M. Gaétan Paquet, qui vint sur les lieux et fit une inspection au cours de laquelle il constata la présence d'une étrange substance gluante rouge, substance identifiée plus tard sous le nom d'ocre de fer.

 

                        Le 6 avril 2001, est survenue une autre infiltration d'eau au sous-sol. M. Gaétan Paquet en fut avisé et fit, le 9 avril 2001, 2 excavations pour atteindre le drain français extérieur, en vue de le sectionner pour pouvoir le débloquer en introduisant un "fisher" et, en profita pour y placer à ces 2 endroits une cheminée d'accès pouvant permettre ultérieurement d'autres déblocages ou inspections sans avoir à excaver.

 

                        Malgré le déblocage , l'année suivante, le 31 mars 2002, est survenue une infiltration d'eau qui a entraîné des coûts de nettoyage intérieur pour 823,45$. M. Gaétan Paquet fut encore avisé et vint constater mais a témoigné qu'il avait refusé d'intervenir après avoir aperçu une substance noire dans le raccordement des drains, substance qu'il croit être le résidu de vidange de la fosse septique d'une roulotte utilisée par le couple de la demanderesse. Aucune preuve ne fut faite sur la nature de ce qu'il aurait constaté et Mme Louiselle Moreau ainsi que son conjoint, M. Claude Massicotte, ont témoigné à l'effet qu'ils n'ont jamais vidangé la roulotte dans le drain. Cette preuve doit donc être préférée au doute de M. Paquet.

 

                        La demanderesse transmit alors, le 13 avril 2002, une mise en demeure à l'entrepreneur, avec copie à la défenderesse.

 

                        Le 18 avril 2002, la demanderesse remit à la défenderesse une plainte formelle.

 

                        Le 7 mai 2002, un représentant de la défenderesse, M. Robert Linteau, se rendit à la résidence de la demanderesse et y constata une forte présence d'ocre ferreux et, fut aussitôt convaincu que cela était de nature à obstruer le système de drainage, ce qui serait la cause des infiltrations.

 

                        Le 21 mai 2002, M. Robert Linteau rédigea un rapport dans lequel il attribue la formation d'ocre ferreux à une contamination du sol. Ce faisant, il exclut l'application du Plan, en vertu de l'article 6.7.7 du texte de garantie qui se lit comme suit:

 

                        6.7.7 EXCLUSIONS DE GARANTIE

 

                        Sont EXCLUS de la garantie:

 

6.7.7 La réparation des dommages résultant des sols contaminés y compris le remplacement des sols eux-mêmes.

 

                        Le 3 juillet 2002 est survenue encore une infiltration importante, causant des dommages aux meubles, pour lesquels la demanderesse réclame la somme de 4 720,00$.

 

                        Les 2 parties attribuent la cause première des infiltrations à la formation d'ocre ferreux qui obstrue le drain français.

 

                        Les experts de la demanderesse et celui de la défenderesse ont expliqué que l'ocre ferreux serait formé par une bactérie qui, en présence d'un sol contenant des ions ferreux agit comme catalyseur, transformant ces ions, en présence d'oxygène, en une masse visqueuse, gluante.

 

                        Il s'agit donc d'une circonstance difficile à prévoir à un endroit précis et l'analyse des probabilités difficile.

 

                        Or, une première question se pose, à savoir si un entrepreneur peut être responsable des conséquences d'un tel comportement des sols.

 

                        D'un point de vue que le terrain faisait partie du contrat de vente du 28 août 2000, la présence de la bactérie peut être considérée comme un vice caché du terrain, ce qui rendrait le constructeur-vendeur responsable (article 2103 C.c.Q).[1]

 

                        Du point de vue de la seule exécution d'un contrat d'entreprise, la jurisprudence est bien établie que l'entrepreneur a une obligation de résultat quant à la solidité et le comportement de l'édifice pour l'usage auquel il est destiné[2]. De plus, l'entrepreneur est responsable du comportement des sols[3].

 

                        Alors, l'entrepreneur avait l'obligation de construire un système de drainage pouvant prévenir les infiltrations.

 

                        Il est vrai que le système fut construit selon les usages du temps, soit en employant un drain enveloppé dans une membrane filtrante, recouvert d'un lit de pierre. Ce système est généralement adéquat dans la plupart des cas mais pas en présence d'ocre ferreux. En effet, la membrane se voit très vite colmatée par l'ocre, ce qui empêche les eaux souterraines de pénétrer dans le drain, pour être évacuées.

 

                        Une pratique courante n'est pas règle de l'art et, ne peut dégager un entrepreneur de sa responsabilité[4].

 

                         Un entrepreneur ne peut se dégager de ses responsabilités quant à ses obligations de résultat sauf dans les cas de la faute du propriétaire, d'un cas fortuit ou de force majeure ou, à la suite de l'acte d'un tiers[5].

 

                        Chacune de ces exclusions furent plaidées quant à:

 

 

Faute du propriétaire

 

                        Il fut reproché l'introduction de résidus de la fosse septique de la roulotte. Comme mentionné précédemment, il n'y a pas de preuve à cet effet. D'autre part, cela ne peut expliquer les infiltrations précédant celles du 31 mars 2002 et, le fait qu'il y a eu aussi des infiltrations d'eau à l'autre immeuble jumelé.

 

                        Il fut aussi invoqué un manque d'entretien du drain. D'une part, il y a une preuve que M. Claude Massicotte en faisait un lavage régulier par le cheminée d'accès. D'autre part, dans le cas que la membrane filtrante est colmatée par l'ocre ferreux, il n'y a aucune possibilité de l'enlever par l'intérieur ou par quelconque entretien.

 

Cas fortuit ou de force majeure

 

            La présence de la bactérie concernée est un événement ne rencontrant pas les critères d'un cas fortuit ou de force majeure puisqu'il aurait fallu à la fois que ce soit un événement étranger, imprévisible quant à survenance et irrésistible quant à sa puissance[6].

 

                        Or, le phénomène du colmatage par hydroxyde de fer est connu depuis plusieurs années1,[7]. Le témoin Robert Linteau en a déjà observé 4 fois et l'expert Nelson Larivée en a observé à de très nombreuses reprises.

 

                        D'autre part, il eut été possible de prévenir les conséquences en posant la membrane filtrante de manière à recouvrir plutôt tout l'enrobement granulaire.

 

 

Faute d'un tiers.

 

                        Il fut mis en preuve un effondrement de la piscine voisine à la fin de l'hiver 2002. Cependant, il ne fut pas mis en preuve d'un quelconque effet sur les infiltrations et, n'a sûrement aucun effet sur les infiltrations antérieures, ni celles du mois de juillet 2002.

 

Conclusion:

 

                        Alors, je suis d'avis que les infiltrations relèveraient de la responsabilité de l'entrepreneur.

 

                        Alors, il s'agit maintenant de décider de l'application du Plan.

 

                        La demanderesse est une bénéficiaire, au sens du Plan de la défenderesse, lequel s'applique à l'immeuble de la demanderesse.

 

                        La défenderesse doit intervenir dans le cas de manquements de l'entrepreneur à de telles obligations légales ou contractuelles sauf dans les cas d'exclusion prévues au paragraphe 6.7 du Plan.

 

                        Alors, reste à décider si l'exclusion prévue à l'article 6.7.7 du Plan, pour les cas de contamination des sols, s'applique.

 

                        La demanderesse plaide qu'un sol contaminé est un sol contenant les éléments contaminants décrits à l'ouvrage intitulé "Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés" publié par "Publications du Québec", en concentration supérieure à la grille des critères, niveau B (p. 87).

 

                        Cette grille ne considère pas la présence de fer comme étant un contaminant et le manganèse que s'il excède une concentration de 1000 ppm.

 

                        La demanderesse a produit une expertise établissant que la concentration de manganèse n'est que de 71 ppm pour ainsi plaider que le sol n'est pas contaminé.

 

                        La contamination invoquée à l'article 6.7.7 du Plan n'est pas celle invoquée à la "politique", laquelle, selon le texte, a été établie "pour assurer la protection de la santé des futurs utilisateurs et pour sauvegarder l'environnement". Cette contamination peut bien aussi affecter l'usage d'un bâtiment mais il peut y en avoir bien d'autres, comme l'émission de gaz, des déchets toxiques,  des déversements pétroliers,[8] etc…

 

                        L'exclusion de l'article 6.7.7 du Plan concerne des dommages qui résultent de sols contaminés. Alors, la contamination dont il est question est une contamination pouvant aussi causer des dommages à l'immeuble sans nécessairement affecter la santé ou l'environnement.

 

                        Tel est le cas en l'espèce pour la bactérie dont la présence produit l'ocre ferreux.

 

                        Je suis donc d'avis que les réparations réclamées par la demanderesse pour que cessent les infiltrations, résultent de sols contaminés et sont donc exclus de la garantie de la demanderesse.

 

                        Par ailleurs, le rapport d'inspection de M. Robert Linteau, du 21 mai 2002, rejette une demande en rapport aux gouttières.

 

                        Aucune preuve ne fut formulée pour ce sujet et la décision de l'administrateur de la défenderesse doit donc également être maintenue pour cet aspect.

 

                        Enfin, la défenderesse, a demandé, qu'advenant le rejet des réclamations de la demanderesse, que le coût de l'arbitrage lui soit remboursé, incluant le coût de son expert, M. Nelson Larrivée, pour un montant de 1 748,38 $.

 

                        L'article 6.12.4 du Plan traite du coût de l'arbitrage de la façon suivante:

 

"Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts (coûts de l'arbitrage) sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun aspect de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts".

 

                        Je suis d'avis que la demanderesse doit être tenue responsable des coûts de l'arbitrage.

 

                        Elle doit donc, dans un premier temps rembourser la somme de 2 300,50$ que la défenderesse a déjà avancée au "Centre d'arbitrage commercial national et international du Québec" en provision pour les frais.

 

                        La demanderesse doit aussi rembourser la somme de 170,67$ que la défenderesse a dû payer pour assigner le témoin Jean-Marc Bergeron, ce qui fait, sans aucun doute, partie des frais de l'arbitrage.

 

                        Mais qu'en est-il du coût des expertises? Un seul article du Plan en fait mention et c'est l'article 6.12.5:

 

"L'arbitre doit statuer, s'il y a lieu, quant aux frais raisonnables d'expertises pertinentes que l'administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause totale ou partielle".

 

                        Cet article permet à l'arbitre de réduire les coûts d'arbitrage à la charge de l'administrateur mais n'exclut pas le droit de l'administrateur de demander le remboursement de ses frais d'expertises. Cet article ne fait qu'accorder le droit à l'arbitre de déterminer le coût raisonnable à rembourser au demandeur mais ce droit appartient déjà en faveur du demandeur à l'article 6.12.4 cité plus haut.

 

                        Alors, il n'y a pas lieu de déroger à règle générale que le coût des expertises fait partie des dépens[9].

 

                        En rapport aux montants accordés, un jugement récent de la Cour Supérieure[10] permet à l'arbitre d'accorder des intérêts et une indemnité additionnelle. J'accorde donc de tels intérêts mais à compter du jugement.

 


PAR CES MOTIFS, JE

 

                        CONFIRME la décision de l'administrateur de la défenderesse, datée du 21 mai 2002.

 

 

                        DÉCLARE que les réparations et les dommages reliés aux infiltrations d'eau dans le sous-sol sont exclus de la garantie de la défenderesse.

 

 

                        REJETTE la demande de la demanderesse en rapport aux gouttières.

 

                        DÉCLARE  la demanderesse entièrement responsable des coûts du présent arbitrage.

 

                        CONDAMNE la demanderesse à rembourser à la défenderesse la somme 2 300,50$ qu'elle a du avancer pour les frais du présent arbitrage, avec intérêts, y compris l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 3 février 2003;

 

                        CONDAMNE la demanderesse à rembourser à la défenderesse la somme de 170,67$ qu'elle a dû payer pour l'assignation du témoin Jean-Marc Bergeron, avec intérêts, y compris l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 3 février 2003;

 

                        CONDAMNE la demanderesse à rembourser à la défenderesse la somme 1 748,38$ pour l'expertise de M.Neilson Larrivée, avec intérêts, y compris l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 3 février 2003.

 

 

                                                Québec, 3 février 2003.

 

 

                                                ____________________________

                                                René Blanchet, arbitre.



[1] Sylvain & Bergeron c. Vaudreuil & Lafontaine & als. REJB 2002-32596

[2] CUM c. Ciment Indépendant, JE 88-1127 (CA).

  Harnois c. Dumontier, JE 89-201 (CA).

  American Home Insurance c. Regent Kitchens, 1991 RJQ 1161

[3] Protestan Board School c. Quinlan, 1921, 30 BR 515.

  Paradis et Farley c. King, 1942 RCS 10

[4] Boivin c. Simard & Simard, 1983 CP 248 .

[5] Cargill Grain c. Davie Shipbuilding, 1978, 1 RCS 574.

[6] Thérèse Rousseau-Houle, "Les contrats de construction en droit public et privé", Wilson et Lafleur, p. 364.

[7] Publication G.R-H-85-01, 12ième colloque du génie rural, Université Laval, p. 163.

[8] Placements Langelier Inc. c. Cie Pétrolière Impériale, REJB 2002-35690 (CA)

[9] Bastien c. Bastien, REJB 2001-27617 .

  Nadeau c.Entreprise Forestière Rosaire Perron Inc., REJB 2000-17615 .

  Janin Construction Inc. c. Régie d'assainissement Laprairie, JE 94-1559 .

  Crédit-Bail Banque Royale c. Services professionnels Warnock Hersey Ltée, JE 96-418

Corporation parc industriel du centre du Québec c. Construction Cartier Ltée,   JE 88-1164

[10] Garantie d'habitation du Québec Inc. c. Masson, REJB 2002-33076