ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

(Loi sur le bâtiment, L.R.Q., c. B-1.1

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)

 

 

ENTRE :                                                        Domenica Giove et Domenico Frenza

 

(ci-après « les Bénéficiaires »)

 

ET :                                                                Habitations Germat inc.

 

(ci-après « L’Entrepreneur »)

 

 

ET :                                                                La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.

 

(ci-après « l’Administrateur »)

 

No dossier CCAC : S11-011003-NP

 

 

DÉCISION ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

 

Me Albert Zoltowski

 

 

 

Pour les Bénéficiaires :

 

Me Catia Larose

 

 

 

Pour l’Entrepreneur :

 

Me Serge Crochetière

 

 

 

Pour l’Administrateur :

 

Me Patrick Marcoux

 

 

 

Date de la décision :

 

Le 22 novembre 2011

 

 

Identification complète des parties

 

 

Arbitre :

 

Me Albert Zoltowski

1010, de la Gauchetière Ouest

Bureau 950

Montréal (Québec) H3B 2N2

 

 

 

Bénéficiaire :

 

Madame Domenica Giove et

Monsieur Domenico Frenza

3952, rue de l’Empereur

Laval (Québec) H7E 5N9

 

Représentés par: Me Catia Larose

De Chantal D’Amour Fortier S.E.N.C.R.I.

1730, boulevard Marie-Victorin, bureau 101

Longueuil (Québec) J4G 1A5

 

 

 

Entrepreneur :

 

Habitations Germat inc.

600, rue Bombardier

Mascouche (Québec) H1M 1S7

 

Représentée par Me Serge Crochetière

Crochetière, Pétrin, S.E.N.C.R.I., avocats

5800 boulevard Louis-H.-Lafontaine

Montréal (Québec) H1M 1S7

 

 

 

Administrateur :

 

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.

5930, boul. Louis-H.-Lafontaine

Montréal (Québec) H1M 1S7

 

Représentée par Me Patrick Marcoux

Savoie Fournier

5930, boulevard Louis-H.-Lafontaine

Montréal (Québec) H1M1s7

 

 

 

 

Mandat :

 

L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le 13 avril 2011.

 


 

 

 

Historique du dossier :

 

8 août 2004  :

Signature du contrat préliminaire et contrat de garantie par l’Entrepreneur et les Bénéficiaires;

 

 

23 mai 2007 :

Jugement de la Cour supérieure sur la demande des Bénéficiaires en passation titres et dommages-intérêts contre l’Entrepreneur et messieurs Michel Mathon et Rosaire Mathon (les demandeurs reconventionnels);

 

 

5 juillet 2007 :

Avis de dénonciation des Bénéficiaires à l’Administrateur;

 

 

10 septembre 2007 :

Jugement de la Cour d’appel sur la Requête des Bénéficiaires pour exécution provisoire (article 550 C.p.c.);

 

 

31 mars 2010 :

Jugement de la Cour d’appel sur l’appel de l’Entrepreneur et messieurs Michel Mathon et Rosaire Mathon du jugement de la Cour supérieure;

 

 

14 juillet 2010 :

Dénonciation des Bénéficiaires à l’Administrateur avec le rapport d’inspection de leur inspecteur monsieur François Dussault (date de réception par l’Administrateur étampée : 2 août 2010);

 

 

15 juillet 2010 :

Signature du contrat d’achat-vente notarié du bâtiment par les Bénéficiaires et l’Entrepreneur;

 

 

3 novembre 2010 :

Inspection du bâtiment par l’Administrateur;

 

 

8 décembre 2010 :

Décision de l’Administrateur;

 

 

10 janvier 2011 :

Demande d’arbitrage des Bénéficiaires;

 

 

13 avril 2011 :

Nomination de l’arbitre;

 

 

2 juin 2011 :

Avis aux parties de la tenue d’une conférence préparatoire;

 

 

13 juin 2011 :

Conférence préparatoire annulée;

 

 

23 juin 2011 :

Conférence préparatoire;

 

 

6 juillet 2011 :

Avis aux parties de la tenue d’une deuxième conférence préparatoire;

 

 

14 juillet 2011 :

Deuxième conférence préparatoire;

 

 

19 juillet 2011 :

Avis d’audience;

 

 

27 septembre 2011 :

Audience;

 

 

22 novembre 2011 :

Décision

 

 

 

DÉCISION

Introduction

[1]       En août 2004, les Bénéficiaires ont conclu avec l’Entrepreneur un contrat initial et contrat de garantie pour la construction et l’achat d’une belle et grande résidence à Laval.

[2]       Malheureusement, les relations entre les parties se sont détériorées assez rapidement. En lisant le récit des faits dans le jugement de la Cour supérieure, on constate que dès les premiers mois de 2005, les parties avaient de sérieux conflits. En juin 2005, les Bénéficiaires prennent une action devant la Cour supérieure en passation de titre contre l’Entrepreneur et pour dommages-intérêts contre messieurs Michel Mathon et Rosaire Mathon.  Par demande reconventionnelle, l’Entrepreneur et messieurs Mathon demandent à la Cour de leur octroyer des dommages-intérêts sous différents chefs. La Cour supérieure rend son jugement le 23 mai 2007 que les défendeurs/demandeurs reconventionnels portent en appel. Finalement, ce n’est que lorsque la Cour d’appel du Québec prononce son jugement le 31 mars 2010 que les prétentions des parties sont réglées. Dans le dispositif de son jugement, la Cour d’appel ordonne aux parties de signer un acte d’achat-vente notarié, ce qu’elles ont fait quelques mois plus tard, soit le 15 juillet 2010.

[3]       Le 8 novembre 2010, l’Administrateur rend une décision par laquelle il établit la date de la réception du bâtiment au 25 septembre 2007 et statue sur quelque 80 défaillances alléguées par les Bénéficiaires (sur 100 défaillances dénoncées, 20 ont été abandonnées par les Bénéficiaires).

[4]       Cette décision est contestée par voie d’une demande d’arbitrage de chacune des parties. Les Bénéficiaires sont en désaccord avec la date de réception établie par l’Administrateur. De son côté, l’Entrepreneur, conteste certains défauts de construction reconnus par l’Administrateur comme étant couverts par le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs qu’il administre.

[5]       L’arbitre soussigné (« le tribunal arbitral » ou « le tribunal » ) est saisi de chacune de ces deux demandes d’arbitrage.

[6]       Certaines procédures relatives à chacun des deux demandes ont été réunies avec le consentement des parties pour des fins d’efficacité et d’économie.

[7]       En outre, les parties ont convenu que la décision du tribunal arbitral sur la date de réception du bâtiment faisant l’objet de la demande des Bénéficiaires servira également pour les fins de la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur (Dossier CCAC S11-011808-NP).

La date de réception du bâtiment

[8]       Au tout début de sa décision, sous la section intitulée « Résumé de la garantie », l’Administrateur déclare qu’il doit, en tout premier lieu, déterminer la date de réception du bâtiment. Pourquoi ? Parce que, selon lui, la date de réception du bâtiment « marque le point de départ des garanties d’un an contre les malfaçons cachées  et de trois ans contre les vices cachés ».

[9]       Ensuite, il réfère aux difficultés d’établir cette date de réception :

              « La date de réception du bâtiment s’avère problématique dans ce dossier à cause des circonstances, faits et gestes plus amplement détaillés dans un jugement de la Cour supérieure daté du 23 mai 2007 (dossier 540-17-001732-055), confirmé par la Cour d’appel le 31 mars 2010 (dossier 500-09-017876-079). »

[10]    Il réfère au premier rapport d’inspection effectué pour le compte des Bénéficiaires et signé par leur inspecteur, M. François Dussault, T.P. en date du 7 avril 2005.

[11]    Ensuite, il continue sa description des faits « qui sont bien connus de l’Entrepreneur et des Bénéficiaires » en faisant référence, entre autres :

-       à une demande des Bénéficiaires d’ouverture d’un dossier auprès de l’Administrateur sur un formulaire daté du 5 juillet 2007, (sans pour autant expliquer comment l’Administrateur a-t-il traité cette demande);

-       à une décision de la Cour d’appel en date du 10 septembre 2007 dans laquelle la Cour[1] « Accueille en partie la requête, aux seules fins de permettre aux (Bénéficiaires) de prendre possession (du Bâtiment) pour l’habiter, l’entretenir, payer les taxes et l’assurer;» Selon l’Administrateur, ce jugement a permis aux Bénéficiaires de prendre possession du bâtiment;

-       et à un deuxième rapport de l’inspecteur des Bénéficiaires, monsieur François Dussault, T.P. qui faisait suite à une inspection du 25 septembre 2007.

[12]    Ensuite, l’Administrateur conclut que cette réception du bâtiment a eu lieu à la date de cette dernière visite de l’inspecteur François Dussault, T.P. soit le 25 septembre 2007.

[13]    En lisant le texte de cette décision, on peut constater que l’Administrateur considère seulement deux dates de réception possibles : celle du premier rapport de l’inspecteur Dussault daté du 7 avril 2005 et celle de sa deuxième visite d’inspection qui a eu lieu le 25 septembre 2007 et qui a été décrite dans son rapport du 15 octobre 2007.

[14]    Pourquoi l’Administrateur rejette la première de ces deux dates de réception ? Parce que, selon lui, à la première de ces dates :

              « …l’entrepreneur revendiquait la nullité du contrat préliminaire et contestait le droit des bénéficiaires de prendre possession du bâtiment. Les décisions des tribunaux mentionnées ci-haut sont éloquentes à ce sujet.

 

              Or, cette position de l’Entrepreneur est incompatible avec la notion qu’il ait pu y avoir réception du bâtiment le ou vers le 7 avril 2005 »

Demande d’arbitrage des Bénéficiaires

[15]    Les Bénéficiaires ont déposé une demande d’arbitrage datée du 10 janvier 2011 auprès du CCAC. Elle porte uniquement sur la date de réception du bâtiment et elle vise :

              « (la) détermination de la date de réception du bâtiment laquelle devrait être fixée à la date de signature de l’Acte de vente notarié établissant le droit de propriété des Bénéficiaire dans l’immeuble;»

[16]    Ce contrat de vente notarié est daté du 15 juillet 2010. Il a été signé par l’Entrepreneur et les Bénéficiaires devant le notaire Me Louis-Philippe Hébert à la même date (pièce E-1).

Faits admis par les parties

[17]    Les faits, dans ce dossier, ne sont pas contestés.

[18]    Les procureurs de toutes les parties reconnaissent comme avérés les faits tels que décrits par l’Honorable Claudette Picard, j.c.s dans son jugement du 23 mai 2007 et dans celui de la Cour d’appel daté du 31 mars 2010 rendu par les Honorables André Brassard, j.c.a., François Pelletier, j.c.a. et Marie-France Bich, j.c.a.

Preuve des Bénéficiaires

[19]    Le seul témoin des Bénéficiaires est monsieur Domenico Frenza. Il est également un des Bénéficiaires.

[20]    Le témoin commence en déclarant qu’il témoignera seulement sur certains faits survenus après la décision du 23 mai 2007 de la Cour supérieure.

[21]    Le témoin reconnaît et dépose une copie de la lettre de dénonciation du 5 juillet 2007 que les Bénéficiaires ont envoyée à l’Administrateur à l’attention de madame Ann-Marie Spezza (pièce B-1). Dans cette lettre, les Bénéficiaires déclarent qu’ils sont propriétaires du bâtiment, ils annexent sous pli le jugement de la Cour supérieure du 23 mai 2007, le contrat préliminaire et le contrat de garantie ainsi que le rapport de l’étape 5 (un rapport d’inspection de monsieur François Dussault) daté du 7 avril 2005.

[22]    Par cette lettre, ils dénoncent aussi d’autres anomalies que celles décrites dans le rapport d’inspection de monsieur Dussault.

[23]    Il dépose et réfère à la copie de la lettre datée du 7 août 2007 de l’Administrateur (par Ann-Marie Spezza, secrétaire au Service d’inspection et conciliation) qui avise les Bénéficiaires que l’Administrateur a demandé à l’Entrepreneur d’intervenir dans leur dossier de réclamation dans les 15 jours suivants cette lettre (pièce B-2).

[24]    Le témoin déclare que plus tard, madame Spezza lui a mentionné que les Bénéficiaires « ne sont pas passés chez le notaire » et conséquemment, l’Administrateur ne peut donner suite à leur réclamation.

[25]    Il dépose copie d’un talon de chèque de l’Administrateur au montant de 100 $ avec une note explicative qu’il s’agit du « remboursement du dépôt versé lors de la demande d’inspection » (pièce B-6). Il affirme que les Bénéficiaires ont reçu ce remboursement de l’Administrateur en novembre 2007.

[26]    Il affirme que les Bénéficiaires sont en possession du bâtiment depuis septembre 2007. Il précise que la maison était abandonnée de 2005 à 2007.

[27]    Le témoin n’est pas contre-interrogé par l’Administrateur ou l’Entrepreneur.

Question en litige

[28]    Est-ce que la date de réception du bâtiment devrait être modifiée du 25 septembre 2007, tel qu’établi par l’Administrateur, au 15 juillet 2010, soit la date de signature par les Bénéficiaires et l’Entrepreneur du contrat d’achat-vente notarié du bâtiment?

Premier argument des Bénéficiaires

[29]    Le premier argument des Bénéficiaires est à l’effet qu’ils ont acquis le statut de « bénéficiaire(s) », tel que ce mot est défini pour les fins du contrat de garantie et du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[2] (ci-après « le Règlement ») seulement le 15 juillet 2010 lorsqu’ils ont signé le contrat d’achat-vente notarié.

[30]    Ils plaident qu’en 2005, l’Entrepreneur a agi comme si le contrat préliminaire avec eux était résilié et il a unilatéralement remis le bâtiment en vente.

[31]    Ils expliquent qu’ils ont dû aller devant la Cour supérieure pour faire reconnaître la validité de ce contrat préliminaire et de leur titre. Après le jugement favorable qu’ils ont obtenu de la Cour supérieure et qui a été porté en appel par l’Entrepreneur et messieurs Mathon, leur dossier a été suspendu jusqu’à ce que la Cour d’appel rende son jugement, le 31 mars 2010. Ce jugement leur a permis de signer presque quatre mois plus tard, le 15 juillet 2010 le contrat d’achat-vente notarié du bâtiment.


 

Analyse de l’argument no 1

[32]    L’unique point en litige dans cette cause est la modification de la date de réception du bâtiment. Vu que « la réception du bâtiment » selon sa définition dans le Règlement est faite par un « bénéficiaire », qui est aussi un mot défini dans le Règlement, la question de savoir si une personne possède ou non le statut de « bénéficiaire » au moment de cette réception est pertinente.

[33]    L’article 1 du Règlement définit un « bénéficiaire » comme : « une personne physique ou morale, une société, une association, un organisme sans but lucratif ou une coopérative qui conclut avec un entrepreneur un contrat pour la vente ou la construction d’un bâtiment résidentiel neuf et, dans le cas des parties communes d’un bâtiment détenu en copropriété divise, le syndicat des copropriétaires; ».

[34]    Est-il exact, comme le prétendent les Bénéficiaires, qu’ils n’avaient pas le statut de « bénéficiaire » pour les fins de la « réception du bâtiment » avant le 31 mars 2010, soit avant la date du jugement de la Cour d’appel, qui a ordonné à l’Entrepreneur de signer le contrat d’achat-vente notarié?

[35]    Selon le tribunal arbitral, le contrat préliminaire que les Bénéficiaires et l’Entrepreneur ont signé le 8 août 2004 intitulé « contrat préliminaire et contrat de garantie » constitue « un contrat pour la vente ou la construction d’un bâtiment résidentiel neuf » pour les fins de la définition de « bénéficiaire » du Règlement, citée plus haut.

[36]    Le fait que l’Entrepreneur a tenté de résilier de façon unilatérale le contrat préliminaire en 2005 et a pris la position que le bâtiment peut être remis en vente sur le marché, des démarches que les Bénéficiaires n’ont jamais acceptées, n’ont pas pu  leur enlever leur statut de « bénéficiaire(s) » pour les fins de l’application du plan de garantie.

[37]    Il ne faut pas oublier que les dispositions du Règlement qui régissent le plan de garantie sont d’ordre public[3]. Un entrepreneur qui a signé un contrat préliminaire en bonne et due forme avec les futurs acheteurs d’une résidence et qui tente de façon unilatérale, et malgré l’opposition de ses cocontractants de résilier un tel contrat, ne peut pas leur enlever la protection qui leur est conférée par les dispositions du Règlement régissant le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

[38]    Par conséquent, le tribunal arbitral est d’avis que les Bénéficiaires jouissaient du statut de « bénéficiaire(s) » depuis leur signature et celle de l’Entrepreneur du contrat préliminaire le 8 août 2004 et ce malgré la tentative en 2005 de résiliation unilatérale de ce contrat par l’Entrepreneur.

Deuxième argument des Bénéficiaires

[39]    Comme deuxième argument, les Bénéficiaires soumettent que c’est seulement une fois qu’ils ont signé le contrat d’achat-vente notarié le 15 juillet 2010 que l’Administrateur a consenti à donner suite à leur dénonciation de défauts de construction affectant leur bâtiment.

[40]    Ils expliquent qu’avant cette date, soit le 5 juillet 2007, ils ont tenté de mettre en œuvre le plan de garantie en soumettant leur lettre de dénonciation (pièce B-1) et leur réclamation à l’Administrateur mais ce dernier a refusé d’y donner suite. Il leur a remboursé en 2007 les 100 $ qu’ils lui ont payés pour l’ouverture de leur dossier de réclamation. Ils soulignent que l’Administrateur n’a jamais pris la peine d’exprimer sa position par écrit.

[41]    Ils plaident qu’ils se sont conformés à cette position de l’Administrateur.

[42]    Ce n’est qu’en août 2010 soit, après qu’ils aient signé le 15 juillet 2010 le contrat d’achat-vente notarié du bâtiment, que l’Administrateur a accepté de mettre en œuvre le plan de garantie.

Analyse de l’argument no 2

[43]    Le tribunal arbitral constate que la conduite de l’Administrateur est surprenante lorsqu’il a reçu la dénonciation des Bénéficiaires et leur demande d’ouverture du dossier de réclamation le 5 juillet 2007 et a refusé d’y donner suite sans justifier sa position par écrit.

[44]     Selon la preuve des Bénéficiaires, madame Spezza, représentante de l’Administrateur a commencé la procédure habituelle de traitement de toute demande de réclamation en demandant à l’Entrepreneur de faire les réparations nécessaires dans les 15 jours de cette demande, selon la lettre de madame Spezza du 7 août 2007 adressée aux Bénéficiaires (pièce B-2). Cependant, selon le témoignage de monsieur Frenza, madame Spezza lui a annoncé plus tard que l’Administrateur ne continuera plus de traiter la réclamation des Bénéficiaires car un contrat notarié n’était pas encore intervenu entre eux et l’Entrepreneur.

[45]    Tel que mentionné ci-haut, les dispositions du Règlement sur le plan de garantie sont d’ordre public. L’Administrateur a l’obligation de se conformer à la procédure y prescrite à l’égard de toute réclamation fondée sur ce plan. S’il refuse, et un bénéficiaire est d’avis que ce refus est injustifié, il n’est pas obligé de s’y conformer. Le Règlement lui offre la possibilité de recourir à la procédure d’arbitrage. Ce règlement prévoit expressément son droit de recourir à l’arbitrage à l’article 19.

[46]    Cet article se lit comme suit :

              « 19. Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d’en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l’arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation. »

[47]    Le tribunal arbitral note que la procureure des Bénéficiaires plaide que « l’Administrateur a pris la position juridique que le plan de garantie ne s’applique pas aux Bénéficiaires » et « ils ont respecté cette position ».

[48]    Est-ce que le tribunal arbitral doit comprendre de ce plaidoyer que, selon les Bénéficiaires, l’Administrateur a rendu une décision verbale leur refusant la mise en œuvre du plan de garantie ou que cette prise de position juridique par l’Administrateur n’équivalait pas à une décision verbale?

[49]    Si les Bénéficiaires croyaient que l’Administrateur a rendu une décision verbale leur refusant l’application du plan de garantie - et s’ils étaient en désaccord avec cette décision verbale - pourquoi ne l’ont-ils pas contesté en arbitrage suivant l’article 19 du Règlement précité?

[50]    S’ils n’étaient pas certains que la position de refus exprimée par l’Administrateur (par la bouche de madame Spezza) équivalait à une « décision de l’Administrateur » - pourquoi n’ont-ils pas insisté auprès de l’Administrateur de leur fournir un document confirmant ce refus, avec motifs à l’appui, qu’ils auraient pu considérer comme une « décision de l’Administrateur » que l’article 19 leur permettait de contester par voie d’arbitrage?

[51]    D’après la description des faits qu’on retrouve dans les jugements de la Cour supérieure et de la Cour d’appel, d’après la correspondance entre les procureurs des parties et les autres documents faisant partie du dossier de cet arbitrage - le tribunal constate que les Bénéficiaires ont été représentés par des procureurs soucieux de protéger leurs droits et ce au moins depuis le début de 2005.

[52]    Pourquoi les Bénéficiaires ont-ils simplement accepté « la position juridique de l’Administrateur » (selon l’expression de la procureure des Bénéficiaires), exprimée verbalement par madame Spezza en novembre 2007 et le remboursement des 100 $ pour l’ouverture de leur dossier de réclamation ?

[53]    Aucune explication à ce sujet n’a été soumise au tribunal arbitral.

[54]    Le tribunal arbitral considère que les Bénéficiaires qui ont accepté, sans demande d’explications écrites et sans contestation la position de refus de l’Administrateur de donner suite à leur réclamation déposée en juillet 2007 - ne constitue pas une circonstance qui justifierait la modification de la date de réception du 25 septembre 2007 au 15 juillet 2010, sur la base d’équité (tel que permis par l’article 116 du Règlement) ou selon les règles de droit.

Troisième argument des Bénéficiaires

[55]    Le troisième argument des Bénéficiaires se résume comme suit : Le contrat d’achat-vente notarié du 15 juillet 2010 constitue « l’acte » d’acceptation du bâtiment par les Bénéficiaires. La référence à un « acte » fait partie de la définition de « réception du bâtiment » prévue par le Règlement.

[56]    Selon la procureure des Bénéficiaires, par ses agissements l’Administrateur a également interprété le mot « acte » de la même façon en acceptant de traiter en août 2010, soit après la signature de « l’acte » d’achat-vente notarié du 15 juillet 2010, la réclamation des Bénéficiaires.

[57]    Le procureur de l’Administrateur rétorque qu’il est en désaccord avec cet argument. Selon lui, la date de la réception du bâtiment aurait pu être le 6 avril 2005, soit la date du premier rapport d’inspection de l’inspecteur des Bénéficiaires, monsieur Dussault. Il réfère au texte de la définition de « réception du bâtiment » dans le Règlement ainsi qu’au paragraphe 29 de la décision de la Cour d’appel dans lequel, le juge Brassard, au nom de la Cour, écrit comme suit :

              « (29)         Le 19 mars 2007, par ailleurs, dans le cadre de procédures préalables à l’audition, les parties conviennent d’admissions quant aux travaux qui restaient à compléter sur l’immeuble en date du 28 janvier 2005 et admettent également que, si un représentant de l’APCHQ venait témoigner, il déclarerait que les travaux qui demeuraient à exécuter au 28 janvier 2005 n’empêchaient pas la prise de possession de l’immeuble par les intimés. D’un autre côté, aucune admission n’est faite en ce qui concerne les malfaçons énumérées dans une défense et demande reconventionnelle réamendée déposée le même jour. »

[58]    Selon l’Administrateur, étant donné que les Bénéficiaires n’ont pas eu accès au bâtiment jusqu’en septembre 2007, il a décidé de faire coïncider la réception du bâtiment avec la date de la deuxième visite de l’inspecteur des Bénéficiaires en date du 25 septembre 2007.

[59]    Le procureur de l’Administrateur ajoute qu’il n’y a rien dans la définition de « réception du bâtiment » utilisée pour les fins de la mise en œuvre du plan de garantie qui exigerait qu’un acheteur potentiel doive posséder le titre de propriété du bâtiment avant ou lors de sa réception. Il déclare que dans d’autres dossiers de réclamation ouverts par l’Administrateur, il arrive parfois que des personnes que l’Administrateur considère comme étant des « bénéficiaires » du plan de garantie, signent l’acte d’achat de leur immeuble plusieurs mois après la date de sa réception.

[60]    La position du procureur de l’Entrepreneur est que la « réception du bâtiment » pour les fins du plan de garantie n’exige aucun contrat d’achat, notarié ou pas. Elle n’exige même pas un écrit. À l’appui de ses prétentions, il cite un jugement de la Cour supérieure[4] qui traite de « la réception de l’ouvrage ». Selon lui, la « réception du bâtiment » est survenue en septembre 2007 lors de sa prise de possession. Cette prise de possession en septembre 2007 a été reconnue expressément par les Bénéficiaires dans le contrat d’achat-vente notarié du 15 juillet 2010.

Analyse de l’argument no 3

[61]    Étant donné qu’il s’agit de déterminer la date de « réception du bâtiment », la définition de l’expression « réception du bâtiment » pour les fins de l’application du plan de garantie est fort pertinente. Elle apparaît à l’article 8 du Règlement dans la section « Garantie relative aux bâtiments non détenus en copropriété divise », et la sous-section intitulée « Couverture de la garantie ». Cet article se lit comme suit :

              « 8. Pour l’application de la présente sous-section à moins que le contexte n’indique un sens différent :

                        réception du bâtiment : l’acte par lequel le bénéficiaire déclare accepter le bâtiment qui est en état de servir à l’usage auquel on le destine et qui indique, le cas échéant, les travaux à parachever ou corriger.»

[62]    Étant donné que le Règlement prévoit expressément qu’un plan de garantie qui cautionne l’exécution des obligations légales ou contractuelles d’un entrepreneur résulte d’un contrat conclut avec un bénéficiaire pour la vente ou la construction (soulignée par le tribunal), les dispositions du Code civil du Québec qui régissent « Les contrats d’entreprise ou de service », y compris les contrats de construction (qu’on retrouve aux articles 2098 à 2129) peuvent parfois servir pour les fins d’interprétation des dispositions du Règlement.

[63]    À l’alinéa 2 de l’article 2110 du Code civil, l’expression « la réception de l’ouvrage » est décrite comme suit :

              « La réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter, avec ou sans réserves. »

[64]    On peut constater immédiatement que la définition de « réception du bâtiment » à l’article 8 du Règlement et celle de « la réception de l’ouvrage » à l’article 2110 al. 2 dans le Code civil ont des similarités. Or, les tribunaux civils ont déjà déclaré que la réception de l’ouvrage ne requiert aucun écrit et peut même être tacite.

[65]    Dans l’arrêt D & S Décors inc. mentionnée ci-haut, madame la juge Anne-Marie Trahan j.c.s. cite avec approbation un extrait d’un ouvrage du professeur Vincent Karim[5] comme suit :

              « (65)         Quant à la réception (or the acceptation) le professeur Karim la définit ainsi : 

 

                        La réception est un acte volontaire et unilatéral par lequel le client déclare accepter l’ouvrage. Cependant, ce dernier ne peut refuser sans motif valable de recevoir un ouvrage exécuté et terminé conformément aux stipulations du contrat et aux règles de l’art…Il n’est pas nécessaire de constater l’acceptation de l’ouvrage par écrit. Celle-ci peut être verbale ou résulter d’un geste ou d’un acte démontrant l’intention et la volonté du client de recevoir l’ouvrage.

             

              (66)   It goes without saying that a work can be accepted although it is not completed. The acceptation can be partial or total and with or without reservation. »

[66]    Dans le jugement Côté c. MS Construction enr.; s.e.n.c. Blanchette, 2010 QCCQ 14415 (Canlii) on lit également au paragraphe 22 que la  « réception d’un ouvrage » peut être tacite :

              « La réception de l’ouvrage peut être formelle ou tacite. Elle est tacite lorsqu’elle découle de la conduite des parties. Ainsi, le silence du client après la prise de possession de l’ouvrage confirme implicitement son acceptation des travaux tels qu’exécutés.»

[67]    Un raisonnement semblable est suivi dans la décision Giroux[6]

              « (37) Rappelons que la réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter. En l’espèce, il n’y a pas de réception de l’ouvrage.

 

              (38)   La date de la réception peut coïncider avec celle de la fin des travaux, mais elle peut aussi survenir avant ou après la fin des travaux. Lorsque le client néglige ou refuse, comme en l’espèce, de recevoir les travaux, alors que ceux-ci sont complétés et que l’ouvrage est prêt pour l’usage auquel il est destiné, la garantie pour les vices et malfaçons commence à partir du jour où le client aurait dû recevoir l’ouvrage, soit le jour de la fin des travaux. »

[68]    Selon le tribunal arbitral, à l’instar de la « réception de l’ouvrage », que l’on trouve à l’article 2110 al. 2 du Code civil du Québec, la « réception du bâtiment » pour les fins de la couverture du plan de garantie prévue par l’article 8 Règlement, peut dans certaines situations, être verbale ou même tacite. Néanmoins, pour que ce plan de garantie s’applique, cette « réception du bâtiment » demeure également assujettie à l’exigence d’une inspection préréception, tel que requis par l’article 17 du Règlement.

[69]    Cet article 17 se trouve dans la même section intitulée « S 1 Garantie relative aux bâtiments non détenus en copropriété divise » que l’article 8 précité avec la définition de « réception du bâtiment » - mais dans la sous-section IV. intitulée « Mécanisme de mise en œuvre de la garantie ». Voici ce qu’il énonce :

                « 17. Chaque bâtiment visé par la garantie doit être inspecté avant la réception. Cette inspection doit être effectuée conjointement par l'entrepreneur et le bénéficiaire à partir d'une liste préétablie d'éléments à vérifier fournie par l'administrateur et adaptée à chaque catégorie de bâtiments. Le bénéficiaire peut être assisté par une personne de son choix.

 

L'inspection doit être différée lorsque la réception du bâtiment intervient après la fin des travaux. »

[70]    Il faut noter que l’exigence d’une telle inspection avant la « réception du bâtiment » pour les fins de l’application du plan de garantie constitue une différence majeure avec la procédure entourant « la réception de l’ouvrage » sous l’article 2110 al. 2 du Code civil du Québec qui est muette au sujet d’une telle inspection.

[71]    Dans ce dossier, en examinant l’acte notarié du 15 juillet 2010, on peut constater qu’il contient des déclarations des Bénéficiaires à l’effet qu’ils ont pris possession et occupent le bâtiment depuis le 10 septembre 2007.

[72]    Est-ce que cette prise de possession par les Bénéficiaires le 10 septembre 2007 pourrait constituer une« réception du bâtiment » tacite pour les fins du plan de garantie?

[73]    Le tribunal arbitral ne le croit pas. Comme mentionné ci-haut, cette prise de possession doit être  précédée d’une inspection. Selon les faits retenus par l’Administrateur à l’appui de sa décision, cette inspection a eu lieu seulement quelque deux semaines plus tard, lors de la visite de l’inspecteur Dussault le 25 septembre 2007.

[74]    Toutefois, le tribunal note que même si la réception du bâtiment n’a pas eu lieu à la date de sa prise de possession le 10 septembre 2007 - cette prise de possession rend plus vraisemblable la réception du bâtiment en septembre 2007 plutôt que le 15 juillet 2010.

[75]    Dans sa décision, l’Administrateur a conclu que la « réception du bâtiment » par les Bénéficiaires a eu lieu à la date de la deuxième visite d’inspection de monsieur Dussault le 25 septembre 2007.

[76]    Les arguments présentés par les Bénéficiaires visent seulement le changement de cette date de réception, à la date de la signature de l’acte notarié, le 15 juillet 2010.

[77]    Étant donné que les Bénéficiaires ne l’ont pas convaincu par ce troisième argument et par la preuve à son appui du bien-fondé d’un tel changement, le tribunal conclut que la date de réception déterminée par l’Administrateur doit demeurer inchangée. Le tribunal arrive à cette conclusion même si, à la place de l’Administrateur, il aurait peut-être choisi une autre date.

Conclusions supplémentaires

 

[78]    Selon l’article 116 du Règlement, le tribunal arbitral statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient.

 

[79]    L’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel.

 

[80]    Tel que le prévoit l’article 21 du Règlement, lorsque le demandeur est le Bénéficiaire, les coûts de l’arbitrage sont à la charge de l’Administrateur à moins que le Bénéficiaire n’obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas, l’arbitre départage ces coûts.

 

 

[81]    Malgré le fait que devant l’arbitre soussigné, les Bénéficiaires n’ont pas eu gain de cause, il est juste qu’ils doivent payer 100 $ des coûts de l’arbitrage et que le solde de ces coûts soit à la charge de l’Administrateur.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ARBITRAL :

REJETTE La demande des Bénéficiaires de changer la date de réception du bâtiment au 15 juillet 2010 ;

DÉCLARE que le bâtiment des Bénéficiaires a été reçu le 25 septembre 2007 conformément à la décision de l’Administrateur datée du 8 décembre 2010 ;

DÉCLARE que les Bénéficiaires devront payer 100 $ des frais d’arbitrage et que le solde de ces frais devra être payé par l’Administrateur.

 

 

 

Montréal, le 22 novembre 2011

 

 

 

 

 

 

 

 

Me ALBERT ZOLTOWSKI

Arbitre  / CCAC

 

 



[1]     Requête d’un bénéficiaire pour exécution provisoire (article 550 C.p.c.)

[2]    R.Q., c. B-1.1, R.0.2

[3]    La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Maryse Desindes et al., 15 décembre 2004, no 500-09-013349-030, Cour d’appel, paragraphe 11 du jugement.

[4]    D & S Decors inc. c. Mandravelos, 2006 QCCS 4376 (CanLII),  paragraphes 65 & 66.

[5]    Vincent Karim, Les contrats d’entreprise, de prestation des services et l’hypothèque légale, Wilson & Lafleur Montréal, pp. 157 et 158.

[6]    Giroux (Mobi-AR-Désign) c. Parent, 2009 QCCQ13338 (CanLii)