ARBITRAGE
En vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs
(Décret 841-98 du 17 juin 1998, tel qu’amendé, c. B-1.1, r.0.2,
Loi sur le bâtiment, Lois refondues du Québec (L.R.Q.), c. B-1.1, Canada)
Groupe d’arbitrage Juste Décision – GAJD
ENTRE
ISABELLE LAPLANTE et YANICK GRENON Bénéficiaires
Et
HABITATIONS HARMONIX INC.
Entrepreneur
Et
GARANTIE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR) Administrateur
Nos dossiers / Garantie : 170419-5107
No dossier / GAJD : 20213012
No dossier / Arbitre : 35304-51
SENTENCE ARBITRALE
Arbitre | : | Me Pierre Brossoit |
Pour les Bénéficiaires | : | Isabelle Laplante |
Pour l’Entrepreneur | : | Danny Pelletier |
Pour l’Administrateur | : | Me Nancy Nantel |
Date d’audience | : | Le 1er mars 2022 |
Lieu | : | En mode virtuel Zoom |
Immeuble concerné | : | [...], Saint-Philippe, Qc |
Date de la décision | : | Le 16 mars 2022 |
LES PIÈCES
[1] Les pièces produites par les Bénéficiaires sont les suivantes :
B-1: Rapport de Paul Davis;
B-2: En liasse, échange de courriels du 10 mars 2021 au 1er avril 2021 entre les Bénéficiaires et l’Administrateur.
[2] Les pièces produites par l’Entrepreneur sont les suivantes :
E-1: Lettre du 17 février 2021 de la Personnelle, compagnie d’assurance; E-2: Lettre du 21 juillet 2021 de la Personnelle, compagnie d’assurance.
[3] Les pièces produites par l’Administrateur sont les suivantes :
A-1: Contrat préliminaire signé par les Bénéficiaires et l’Entrepreneur le ou vers le 31 juillet 2019, incluant :
Annexe au contrat préliminaire
A-2: Contrat de garantie signé par les Bénéficiaires et l’Entrepreneur le 31 juillet 2019;
A-3: Formulaire d’inspection-inspection signé par les Bénéficiaires le 4 février 2020;
A-4: Courriel des Bénéficiaires transmis à l’Entrepreneur le 19 octobre 2020, incluant :
Formulaire de dénonciation daté du 19 octobre 2020;
A-5: Courriel des Bénéficiaires transmis à l’Administrateur le 30 octobre 2020, incluant :
Formulaire de réclamation daté du 28 octobre 2020;
A-6: Réponse de l’Entrepreneur aux Bénéficiaires le 2 novembre 2020 re : points de la réclamation du 28 octobre 2020;
A-7: En liasse, courriel de l’avis de 15 jours de l’Administrateur transmis à l’Entrepreneur et aux Bénéficiaires le 6 novembre 2020, ainsi que les preuves de remises par courriel, incluant :
Formulaire de dénonciation daté du 19 octobre 2020 (voir A-4);
Formulaire (vierge) de mesures à prendre par l’Entrepreneur;
A-8: Photographies des lattes de plancher prises par l’Administrateur le 8 décembre 2020;
A-9: En liasse, la décision de l’Administrateur datée du 25 février 2021, ainsi que les preuves de remises par courriel aux Bénéficiaires et à l’Entrepreneur du 25 février 2021;
A-10: Échanges de courriels entre les Bénéficiaires et l’Administrateur les 25 et 26 février 2021 re : points de la réclamation et décision rendue le 25 février 2021;
A-11: Courriel des Bénéficiaires transmis à l’Administrateur le 1er mars 2021 re :
fermeture du dossier et poursuite de la réclamation pour sinistre avec l’assureur;
A-12: Courriel des Bénéficiaires transmis à l’Administrateur le 4 mars 2021 re : réparation du plancher et sinistre causé par une infiltration d’eau;
A-13: Courriel de la notification de l’organisme d’arbitrage daté du 3 mai 2021, incluant :
Demande d’arbitrage des Bénéficiaires du 23 avril 2021;
Réponse des Bénéficiaires le 26 avril 2021 re : points contestés de la décision de l’Administrateur et explication délai pour la demande d’arbitrage;
Lettre de nomination de l’arbitre du 3 mai 2021; A-14: Curriculum Vitae de Camille Bélanger. LES TÉMOINS ENTENDUS LORS DE L’AUDIENCE
[4] Pour les Bénéficiaires :
Isabelle Laplante
[5] Pour l’Entrepreneur :
Danny Pelletier
[6] Pour l’Administrateur :
N/A
LA PROCÉDURE
[7] L’Administrateur demande le rejet de la demande d’arbitrage des bénéficiaires en raison du défaut d’avoir exercé leur droit dans les trente (30) jours de la réception de la décision rendue le 25 février 2021 par l’Administrateur.
LE CONTEXTE FACTUEL
[8] Le 30 juillet 2019 intervient un contrat de vente entre les bénéficiaires, Isabelle Laplante et Yanick Grenon (les « Bénéficiaires »), et Habitations Harmonix inc. (l’« Entrepreneur ») pour l’acquisition par les Bénéficiaires d’un immeuble résidentiel à construire par l’Entrepreneur et sis au [...], à Saint-Philippe, Québec (l’« Immeuble »).
[9] Le 4 février 2020, les Bénéficiaires prennent possession de l’Immeuble.
[10] Le 19 octobre 2020, les Bénéficiaires dénoncent à l’Entrepreneur et à l’Administrateur leur insatisfaction sur des points en lien avec la construction de l’Immeuble.
[11] Le ou vers le 15 décembre 2020, une infiltration d’eau à la toiture de l’Immeuble endommage les lattes de bois du plancher de la chambre à coucher principale de l’Immeuble.
[12] Suite à cet incident, l’Entrepreneur effectue des travaux correctifs qui mettent fin à l’infiltration d’eau. Les parties sont toutefois en désaccord sur l’ampleur des travaux correctifs à effectuer au plancher endommagé.
[13] Le ou vers le 15 janvier 2021, les Bénéficiaires dénoncent à leur assureur les dommages causés par l’infiltration d’eau à l’Immeuble des Bénéficiaires.
[14] Le 17 février 2021, l’assureur des Bénéficiaires avise l’Entrepreneur que sa responsabilité peut être engagée en raison des dommages causés par l’infiltration d’eau à la toiture de l’Immeuble.
[15] Le 25 février 2021, Camille Bélanger, conciliatrice pour l’Administrateur, rend une décision (la « Décision ») sur les dix (10) points de la réclamation des Bénéficiaires et incluant les travaux correctifs à effectuer en lien aux dommages causés par l’infiltration d’eau.
[16] Mme Bélanger conclut au point 8. LATTES DE PLANCHER GONFLÉES– INFILTRATION D’EAU à l’obligation de l’Entrepreneur d’effectuer des travaux correctifs au plancher « abîmé à la chambre à coucher principale, au niveau de la garde-robe, sur une largeur approximative d’un à deux pieds. »
[17] Le 1er mars 2021, l’Entrepreneur communique par courriel avec les Bénéficiaires pour fixer un rendez-vous dans le but d’effectuer les travaux en lien avec le point 8 précité de la Décision.
[18] Le 2 mars 2021, les Bénéficiaires avisent l’Entrepreneur qu’il n’y a pas lieu de prendre rendez-vous et que les Bénéficiaires considèrent le dossier « fermé ».
[19] Le 3 mars 2021, Mme Laplante en avise également Mme Bélanger comme suit :
« Bonjour madame Bélanger,
pouvez-vous svp expliquer à Monsieur Pelletier ce que signifie une fermeture de dossier, il ne semble pas comprendre.
La décision n’étant plus entre nos mains, j’aimerais aussi que cesse tout contact avec Monsieur Pelletier en lien avec cette réclamation, tel qu’il nous a été recommandé.
Mes salutations.
Yanick Grenon et Isabelle Laplante »
[20] Le 3 mars 2021, Mme Bélanger répond au courriel précédent de Mme Laplante comme suit :
« Bonjour Madame Laplante,
De ce que je comprends de la situation, l’entrepreneur veut savoir s’il doit faire les travaux quand même, chez vous, car il a reçu une ordonnance de travaux de la GCR (obligation légale).
Vous seule pouvez lui dire qu’il n’est pas requis pour lui et que vous refusez qu’il les exécute puisque vous poursuivez avec vos assurances.
Ou qu’il doit quand même les effectuer.
À cet effet, pouvez-vous lui indiquer s’il doit ou non les faire, de manière claire, svp, afin qu’il coordonne les sous-traitants nécessaires ou avec votre réponse qu’il n’a plus l’obligation de les faire due (sic) à un refus de votre part qu’il intervienne
En espérant le tout plus compréhensible pour chacun (sic) des parties.
Cordialement, »
[21] Le 4 mars 2021, les Bénéficiaires répondent comme suit au courriel précédent de Mme Bélanger :
« La réparation du plancher proposée par habitations Harmonix et GCR (2 pieds au niveau du garde-robe de la chambre des maîtres) ne résout en rien le sinistre causé dans notre maison dû à une infiltration d’eau causée par une malfaçon du toit. Aucune vérification n’a été effectué (sic) pour vérifier l’étendue des dégâts. Notre assurance eux l’ont fait. Votre décision ne règle donc en rien notre sinistre. Voilà pourquoi le dossier est entre les mains de notre assurance.
Yanick et Isabelle »
[22] Suite au courriel du 4 mars 2021 des Bénéficiaires, l’Administrateur ferme son dossier.
[23] Le 10 mars 2021, l’Administrateur fait parvenir aux Bénéficiaires un sondage automatisé concernant leur appréciation du traitement de la réclamation des Bénéficiaires par l’Administrateur.
[24] Les Bénéficiaires dénoncent à ce sondage leur insatisfaction du travail de Mme Bélanger et de la Décision rendue.
[25] Le 16 mars 2021, les Bénéficiaires sont avisés qu’ils doivent demeurer isolés à l’Immeuble jusqu’au 26 mars 2021 inclusivement, pour cause qu’ils ont été en contact étroit avec une personne atteinte de la Covid-19.
[26] Durant cette période, la mère de Mme Laplante voit aux besoins urgents des Bénéficiaires, qui heureusement n’ont aucun symptôme causé par la Covid-19 et sont en mesure de travailler de la maison.
[27] Durant cette période, Mme Laplante s’informe auprès de l’Administrateur du traitement de sa plainte communiquée à l’Administrateur le 10 mars 2021.
[28] Le 1er avril 2021, Mme Bélanger avise les Bénéficiaires que s’ils sont insatisfaits de la Décision, ils doivent en demander l’arbitrage.
[29] Le 8 avril 2021, les Bénéficiaires reçoivent de leur assureur la somme de 5 934,37 $ (moins une franchise de 500 $), équivalent au coût estimé par l’assureur pour les dommages causés par l’infiltration d’eau et qui inclus le remplacement des lattes de bois à la chambre à coucher principale et au garderobe adjacent, de même qu’à l’aire ouverte donnant sur la cuisine et la chambre d’enfant.
[30] Le 23 avril 2021, les Bénéficiaires demandent l’arbitrage des items 5 à 10 de la Décision.
[31] Le 21 juillet 2021, l’Entrepreneur reçoit de l’assureur des Bénéficiaires une mise en demeure de leur rembourser la somme de 5 434,37 $.
QUESTION EN LITIGE
[32] Les Bénéficiaires ont-ils fait la preuve de motifs expliquant et justifiant le dépôt tardif de leur demande d’arbitrage?
LE DROIT
[33] L’article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (le « Règlement ») prévoit ce qui suit :
« 19. Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d’en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l’arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation. »
[34] Le Règlement est d’ordre public et il fixe les modalités et les limites du plan de garantie de l’Administrateur.
[35] Dans l’affaire Takhmizdijian c. Soreconi, 2003 CanLII 18819, l’honorable juge Ginette Piché de la Cour Supérieure a déterminé que le délai d’exercice du recours en arbitrage était un délai de procédure pouvant être prolongé.
[36] Les Bénéficiaires ont reçu la Décision le 25 février 2021. La demande d’arbitrage a été soumise à un organisme d’arbitrage (Soreconi) le 23 avril 2021, soit 25 jours après le délai d’expiration prévu au Règlement.
[37] Les Bénéficiaires ayant exercé leurs recours en arbitrage hors délai, ils doivent faire la preuve des motifs expliquant et justifiant le dépôt tardif de leur demande d’arbitrage.
[38] À l’audition, Mme Laplante admet que les Bénéficiaires ne voulaient pas porter la Décision en arbitrage. Ce n’est que suite à l’invitation d’un sondage automatisé le 10 mars 2021 au sujet de l’intervention de l’Administrateur dans le traitement de leur réclamation que les Bénéficiaires ont cru, à tort, que leur réponse en forme de plainte équivalait à une demande d’arbitrage et inciterait l’Administrateur à modifier la Décision, sans la nécessiter de se soumettre au processus d’arbitrage.
[39] L’interprétation des Bénéficiaires est pour le moins téméraire, alors que les modalités du recours à l’arbitrage sont bien définies à l’article 19 du Règlement et repris après les conclusions de la Décision comme suit :
« Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait de la décision, peut exercer ses recours autant en médiation qu’en arbitrage. (…)
ARBITRAGE :
Dans le cadre de l’arbitrage, la demande doit être soumise par la partie requérante, dans les trente (30) jours suivant la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur. (…) »
[40] Les Bénéficiaires ont fait une interprétation erronée et pourtant claire de la procédure à suivre pour demander l’arbitrage de la Décision.
[41] Les Bénéficiaires soumettent qu’ils étaient dans l’impossibilité de déposer une demande d’arbitrage en raison du confinement lié à la Covid-19 et auquel ils ont été obligés du 16 au 26 mars 2021. Cette période n’a pourtant pas empêché les Bénéficiaires de s’enquérir auprès de l’Administrateur du suivi de leur plainte du 10 mars 2021.
[42] Les Bénéficiaires auraient pu sans effort faire parvenir par courriel leur demande d’arbitrage à l’un des organismes d’arbitrage indiqué après les conclusions de la Décision.
[43] Les Bénéficiaires ajoutent que ce n’est que le 1er avril 2021 que l’Administrateur les ont avisés que leur plainte contre Mme Bélanger n’est pas une demande d’arbitrage.
[44] Ce n’est cependant que le 23 avril 2021 que les Bénéficiaires déposent auprès de l’Administrateur une demande d’arbitrage de la Décision, alors qu’ils savent le 1er avril 2021 être hors délai. Les Bénéficiaires n’ont donné aucune explication pour justifier ce délai.
[45] Le Tribunal est d’avis que les Bénéficiaires ont « fermé » leur dossier auprès de l’Administrateur, car il était dorénavant entre « les mains » de leur assureur, et que leur motivation tardive à demander l’arbitrage n’a pour but que de tenter de modifier la Décision sur des points qui n’ont pas fait l’objet du dédommagement de leur assureur.
[46] Les explications des Bénéficiaires ne justifient pas le Tribunal d’autoriser le dépôt tardif de leur demande d’arbitrage. Conséquemment, le Tribunal accueille la demande en rejet de l’Administrateur.
[47] La présente sentence arbitrale est toutefois sans préjudice des droits des Bénéficiaires contre l’Entrepreneur en lien avec la construction de l’Immeuble et qu’ils pourraient faire valoir devant un tribunal de droit commun. Il en est de même quant aux travaux correctifs à exécuter par l’Entrepreneur selon la Décision rendue, à l’exception toutefois du point 8. LATTES DE PLANCHER GONFLÉES – INFILTRATION D’EAU pour lequel les Bénéficiaires ont été exonérés par leur assureur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande en rejet de l’Administrateur de la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;
REJETTE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires de la décision de l’Administrateur rendue le 25 février 2021.
ORDONNE à l’Administrateur de payer les frais d’arbitrage.
À Montréal, le 16 mars 2022
Me Pierre Brossoit, arbitre
* * *
Les autorités soumises par l’Administrateur :
1- Natacha Renaud et Patrice Meunier et. Construction Ovi inc. et al., Dossier CCAC (S18-021201NP), Me Carole St-Jean, arbitre, 13 novembre 2018;
2- Louison Fortin et Guy Lessard et. Construciton Gilles Rancourt et fils inc. & al., No. Dossier APCHQ : 147624-1, M. Claude Dupuis, arbitre, 1er août 2011;
3- Denis Richard et Lucie Mezzapelle et. Les Habitations Classique V inc. & al., Dossier Abritat : 313376-1, Me Jean Doyle, arbitre, 8 octobre 2015