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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

Christine Bériault et Philip Noordberg

(ci-après les « bénéficiaires »)

 

ET :

Synergie Construction-Conseils inc.

(ci-après l'« entrepreneur »)

 

ET :

La Garantie Habitation du Québec inc.

(ci-après l'« administrateur »)

 

 

No dossier QH : 10436-1

No dossier GAMM : 2005-09-027

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

Pour les bénéficiaires :

M. Claude Latulippe

 

Pour l'entrepreneur :

M. Louis Bombardier

 

Pour l'administrateur :

Me Avelino De Andrade

 

Date d’audience :

31 mars 2006

 

Lieu d'audience :

Carignan

 

Date de la sentence :

28 avril 2006

 

I : INTRODUCTION

[1]                À la demande de l'arbitre, l'audience s'est tenue à la résidence des bénéficiaires.

[2]                Selon les dispositions du plan de garantie, les bénéficiaires ont déposé une plainte relativement à l'état général des armoires (portes, tiroirs et panneaux) de la cuisine, incluant l'îlot et le comptoir de service de la salle à manger, soit fendillement, peinture écaillée et espacement visible à la jonction des pièces de bois.

[3]                À la suite de cette réclamation, l'administrateur, en date du 2 juin 2005, émettait une première décision, demandant à l'entrepreneur de « faire les vérifications nécessaires et les correctifs requis ».

[4]                Une deuxième décision de l'administrateur, datée du 8 décembre 2005, se présentait comme suit :

1.  ARMOIRES ET TIROIRS : CUISINE, ÎLOT ET COMPTOIR DE SERVICE

La présente fait suite aux vérifications par l'entrepreneur tel que requis au point 1 du rapport du 2 juin 2005.

Un rapport d'expertise en laboratoire réalisé et signé par Monsieur François Faucher, directeur de la firme CanLak, révèle que la porte analysée ne montre aucun défaut. Après discussions avec M. Faucher, le délaminage dans les joints serait causé par l'utilisation du produit.

En conséquence, l'entrepreneur a donné suite à ses obligations demandé au rapport d'inspection du 2 juin 2005 et fait les vérifications requises, lesquelles ne résulte pas d'une malfaçon du produit à la livraison.

Or, suivant les conclusions de ce rapport, ce point ne peut être considéré comme un vice caché de la responsabilité de l'entrepreneur.

Par conséquent, La garantie Qualité-Habitation ne peut reconnaître ce point dans le cadre de son mandat.

[sic]

[5]                En cours d'enquête, en plus des représentants des parties, les personnes suivantes sont intervenues :

B       Mme Christine Bériault, bénéficiaire

B       M. Philip Noordberg, bénéficiaire

B       M. Pierre L'Écuyer, représentant le fabricant d'armoires

B       M. André L'Écuyer, représentant le fabricant d'armoires

B       M. Jacques Bernier, représentant technique - produit de finition

II : POSITION DES BÉNÉFICIAIRES

[6]                Les armoires ainsi que les tiroirs faisant l'objet de la réclamation ont été sous - traités de l'entrepreneur à Delcraft inc.

[7]                Le contrat prévoyait l'application de teinture sur ces panneaux d'érable plutôt que de peinture comme c'est le cas, alors qu'il est très difficile de faire adhérer de la peinture sur du bois massif sans que cette dernière ne réagisse.

[8]                Peu après la prise de possession, un premier fendillement est apparu; puis, par la suite, se sont manifestés d'autres fendillements, des écaillements et des ouvertures de joints.

[9]                M. Latulippe, l'expert des bénéficiaires, est d'avis que le manufacturier aurait dû appliquer de la teinture et non de la peinture sur les panneaux d'érable; le bois dur absorbant très peu la peinture, celle-ci peut écailler aux extrémités lorsque le bois varie.

[10]            Selon lui, l'application de peinture sur du bois dur est non conforme et va à l'encontre des règles de l'art.

[11]            La fissuration se produit sur des panneaux larges au moment où la peinture casse.

[12]            Le témoin explique que le fendillement peut être causé par des variations d'humidité ou de température.

[13]            Toujours selon M. Latulippe, un bois qui ne possède pas de capillarité importante se doit d'être teint, sans quoi des fissures apparaîtront; il ajoute que le sous‑traitant Delcraft inc. aurait dû informer les bénéficiaires quant à la possibilité d'obtenir des résultats comme ceux constatés à ce jour.

[14]            Il n'existe dans ce dossier aucune preuve d'usage abusif ou de mauvais contrôle d'humidité. Des dommages sont apparus dans des endroits non atteignables suite à une pénétration d'air dans les joints, causant ainsi des éraflures.

[15]            Les bénéficiaires ont choisi leur couleur dans la salle de montre du manufacturier; personne ne les a informés à savoir si c'était de la peinture ou de la teinture qui était appliquée sur les éléments en démonstration.

[16]            Les déficiences apparaissent graduellement et sont de plus en plus nombreuses, alors que les contrôles de température et d'humidité sont toujours stables.

[17]            Les bénéficiaires nous informent que leurs meubles sont teints, qu'ils ont été installés deux jours après la pose des armoires et qu'ils n'ont subi aucun dommage.

III : POSITION DE L'ADMINISTRATEUR ET DE L'ENTREPRENEUR

[18]            M. L'Écuyer, représentant du fabricant des armoires, nous informe que son entreprise produit de 400 à 500 unités par année. Le témoin indique que le fendillement sur les panneaux centraux est causé par un chauffage excessif et un mauvais contrôle de l'humidité; ces conditions, dit-il, sont aussi la cause de l'écaillement.

[19]            Sur un document de spécifications de commande de Delcraft à l'entrepreneur, la couleur indiquée est « 335 »; M. L'Écuyer avance que c'est là la couleur que les bénéficiaires ont choisie et que ce numéro de couleur correspond uniquement à de la peinture.

[20]            Un autre document de Delcraft à l'entrepreneur, soit une estimation de prix en rapport avec les armoires des bénéficiaires, indique à trois endroits « érable teint »; à cet égard, M. L'Écuyer affirme que le mot « teint » apparaissant sur les pages de ce document peut tout aussi bien signifier teinture que peinture.

[21]            M. Bernier est représentant d'une entreprise de finition qui compte parmi les fournisseurs de Delcraft. Il conclut, de son expérience de 25 ans dans le domaine du bois, qu'il s'agit bel et bien ici d'un problème d'humidité et non pas de fabrication ou de livraison d'armoires.

[22]            Il affirme qu'il serait impossible d'obtenir la couleur choisie par les bénéficiaires avec de la teinture; d'ailleurs, dans des conditions similaires d'environnement, la teinture elle-même aurait causé du fendillement.

[23]            Il admet aussi que des problèmes d'humidité lors de la construction des armoires à l'usine auraient occasionné les mêmes résultats.

[24]            Selon M. Bernier, l'humidité est maintenant adéquatement contrôlée dans la résidence des bénéficiaires; toutefois, s'il y a encore progression dans les défauts, cette dernière est une conséquence de la fissuration de départ; voilà pourquoi les autres meubles des bénéficiaires ne subissent pas de dommages.

[25]            Le procureur de l'administrateur est d'avis que les bénéficiaires ont obtenu ce qu'ils ont demandé; certes, ils n'ont pas été informés des conséquences de leur choix; cette obligation d'information, même si couverte dans le Code civil, ne l'est point dans le plan de garantie.

[26]            M. Latulippe a fait mention de l'usage de deux produits incompatibles; rappelons que Delcraft fabrique 400 unités par année et n'a jamais eu de réclamation.

[27]            Les bénéficiaires ne pouvaient pas obtenir leur choix de finition avec de la teinture.

[28]            Le procureur cite l'article 1726 du Code civil (vice caché) et indique qu'il n'existe pas une telle gravité dans le présent dossier.

[29]            Même si l'arbitre concluait à un vice caché, la dénonciation par les bénéficiaires en mars 2005 ne respecte pas le délai de six mois prescrit par l'article 6.4.2.4 du contrat de garantie.

[30]            En effet, la prise de possession a eu lieu en août 2002; selon les témoignages recueillis, les défauts sont apparus au plus tard en septembre 2003, alors que la dénonciation est datée de mars 2005; chose certaine, les défauts sont apparus avant septembre 2004.

IV : DÉCISION ET MOTIFS

[31]            Le rôle de l'arbitre au plan de garantie est de confirmer ou infirmer la décision de l'administrateur relativement à la réclamation des bénéficiaires concernant les unités d'armoires.

[32]            Dans un premier temps, soit le 2 juin 2005, l'administrateur a conclu :

Par conséquent, l'entrepreneur devra faire les vérifications nécessaires et les correctifs requis, selon les règles de l'art et l'usage courant du marché.

[33]            À la suite de son inspection, le conciliateur admet donc qu'il y a des correctifs à apporter.

[34]            Dans un deuxième temps, soit le 8 décembre 2005, l'administrateur modifie sa première décision comme suit :

Un rapport d'expertise en laboratoire réalisé et signé par Monsieur François Faucher, directeur de la firme CanLak, révèle que la porte analysée ne montre aucun défaut. Après discussions avec M. Faucher, le délaminage dans les joints serait causé par l'utilisation du produit.

En conséquence, l'entrepreneur a donné suite à ses obligations demandé au rapport d'inspection du 2 juin 2005 et fait les vérifications requises, lesquelles ne résulte pas d'une malfaçon du produit à la livraison.

[35]            La deuxième décision de l'administrateur est donc modifiée à la suite d'un rapport d'expertise réalisé par M. François Faucher.

[36]            Or, en cours d'enquête, le rapport d'expertise de M. Faucher n'a pas été déposé, et ce dernier n'a pas non plus témoigné.

[37]            De plus, la preuve recueillie n'a pas été convaincante à l'effet que le délaminage dans les joints serait causé par l'utilisation du produit.

[38]            M. Faucher conclut que la porte analysée ne montre aucun défaut. Or, la plainte déposée par les bénéficiaires ne fait pas état d'un défaut de porte, mais plutôt de défauts dans la peinture appliquée sur les unités de bois franc.

[39]            Dans ses deux décisions précitées, l'administrateur ne fait point mention, comme motif de refus de la plainte, du non-respect du délai de dénonciation par les bénéficiaires.

[40]            Ayant fait son nid lors de la rédaction de ses décisions, l'administrateur ne peut en cours d'audition apporter des motifs supplémentaires pour justifier son refus; il se doit de faire un examen complet avant de rendre sa décision. D'ailleurs, la preuve n'est pas très convaincante relativement au non-respect de ce délai, vu la progression lente dans les défauts telle qu'exprimée par les experts.

[41]            Il n'existe aucune preuve de manque de contrôle d'humidité dans le bâtiment des bénéficiaires.

[42]            M. Bernier, expert en finition et fournisseur pour le fabricant d'armoires, a témoigné à l'effet que l'humidité est actuellement sous contrôle et a admis que le problème d'humidité ait pu survenir à l'usine lors de la fabrication en plein été.

[43]            Le fabricant souligne que le numéro de couleur « 335 » inscrit sur le document Spécifications de commande ne peut correspondre à de la « teinture »; or, ce document est strictement une commande entre le fabricant d'armoires et l'entrepreneur, sans aucune intervention des bénéficiaires.

[44]            Toutefois, il existe un autre document d'estimation de prix préparé par Delcraft inc. sur lequel on aperçoit la signature des bénéficiaires et sur lequel apparaissent à trois endroits les termes « érable teint ».

[45]            À cet égard, M. L'Écuyer affirme que le mot « teint » est utilisé dans son entreprise aussi bien pour signifier peinture que teinture.

[46]            C'est là un argument relativement faible, car l'usage populaire ou courant établit une nette distinction entre un bois teint et un bois peint.

[47]            D'autre part, il existe une preuve prépondérante à l'effet que l'application de peinture sur du bois dur va à la longue causer des fissures, de l'écaillement ainsi que des dommages sur les panneaux massifs; je cite à cet égard un extrait du rapport d'expertise soumis le 7 mars 2006 par M. Claude Latulippe :

[...] que le bois massif, érable, chêne, etc., sont des essences qui sont très difficiles à y faire adhérer une peinture sans que cette dernière ne réagisse.

[48]            Le tribunal retient donc cette hypothèse vu qu'il n'existe aucune preuve de mauvais usage ni de manque de contrôle de l'humidité.

[49]            D'ailleurs, il a été reconnu que les autres meubles des bénéficiaires, qui ont été teints et qui ont pris place dans la maison à peu près en même temps que les armoires, n'ont pas subi de dommages.

[50]            Les bénéficiaires ont choisi cette couleur sur un échantillon dans la salle de montre; le fabricant, en cours d'audience, nous informe qu'il ne pouvait obtenir cette couleur par l'application de teinture sur le bois.

[51]            Dans l'hypothèse où l'entrepreneur n'avait pas l'obligation d'informer le client à cet égard, il demeure qu'il avait l'obligation de ne point utiliser un produit qui allait éventuellement causer une malfaçon.

[52]            Vu l'état actuel des travaux et vu la progression dans le temps des défectuosités, reconnue par les intervenants, le tribunal est d'avis qu'il s'agit ici d'un vice caché au sens de l'article 1726 du Code civil, à savoir que l'acheteur n'aurait pas donné si haut prix s'il l'avait connu.

[53]            Pour les motifs ci-devant énoncés, le tribunal

ACCUEILLE        favorablement la présente réclamation des bénéficiaires; et

ORDONNE          donc à l'entrepreneur d'effectuer les correctifs requis selon les règles de l'art; et

ACCORDE          à l'entrepreneur un délai de quatre-vingt-dix (90) jours à compter de la présente pour réaliser ces travaux.

[54]            Conformément au deuxième alinéa de l'article 21 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l'administrateur.

[55]            En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés à l'article 22 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, le tribunal

ORDONNE          à l'administrateur de rembourser aux bénéficiaires, dans les trente (30) jours de la présente, les frais d'expertises pour un montant de mille quatre cent soixante-dix-neuf dollars et cinquante-deux cents (1 479,52 $).

BELOEIL, le 28 avril 2006.

 

 

 

 

 

 

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Claude Dupuis, ing., arbitre [CaQ]