ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM) |
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Dossier no : |
GAMM : 2012-15-016 |
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APCHQ : 13-327.1FL-SP |
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ENTRE :
SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES LES MANOIRS DOMAINE DU GÉANT (PHASE I, II, IIIA, IIIB)
ET : SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES L’ALTITUDE
ET : SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES PANACHE (BÂTIMENTS 5 ET 6)
ET : SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES TREMBLANT-LES-EAUX (PHASE IA, IB, 2A)
ET : SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES L’ÉQUINOXE (PHASE I-EST, I-OUEST)
(ci-après les «Bénéficiaires») ET :
STATION MONT-TREMBLANT S.E.C. 2742241 CANADA INC.
(ci-après l’«Entrepreneur»)
ET : LA GARANTIE DES MAISONS NEUVES DE L’APCHQ INC.
(ci-après l’«Administrateur»)
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me Karine Poulin |
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Pour l’entrepreneur : |
Me Ayse Dalli, McCarthy Tétreault |
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Pour l’administrateur : |
Me François Laplante |
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Pour les bénéficiaires : |
Me Raymond L’Abbé, Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l. |
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Date d’audience : |
28 mai 2014 |
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Date de la sentence : |
30 mai 2014 |
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SENTENCE ARBITRALE
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I
LE RECOURS
[1] Le Tribunal est saisi d’une requête des Bénéficiaires pour permission d’interroger hors Cour deux (2) témoins, soit un (1) représentant de l’Administrateur et un (1) représentant de l’Entrepreneur.
[2] L’Administrateur ne s’objecte pas auxdits interrogatoires alors que l’Entrepreneur s’y oppose.
II
LES FAITS
[3] Les Bénéficiaires demandent l’arbitrage d’un certain nombre de décisions rendues par l’Administrateur lesquelles rejettent les demandes des Bénéficiaires au motif que celles-ci ont été présentées après l’échéance de la garantie dont la durée maximale est de cinq (5) années.
[4] Le procureur des Bénéficiaires souhaite interroger hors Cour un représentant de l’Administrateur qui était en emploi au moment des événements pertinents sur la procédure de traitement et de suivi des garanties. Il souhaite également interroger un représentant de l’Entrepreneur, en emploi au moment de l’émission des garanties, sur la procédure de gestion des garanties à l’époque pertinente et notamment quant aux informations demandées aux promettant-acheteurs et aux documents qui leur étaient remis.
III
PLAIDOIRIES
[5] Le procureur des Bénéficiaires invoque, au soutien de sa demande, la nécessité d’interroger au préalable afin d’établir certains faits et notamment eu égard au comportement des parties. Il allègue que le Tribunal doit tenir compte, dans son analyse de la preuve, de tous les faits matériels mais également du comportement des parties afin de statuer tant en droit qu’en équité tel que le permet l’article 116 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le «Règlement»).
[6] De plus, la tenue des interrogatoires prévues pour une durée approximative de deux (2) heures chacun et le coût relatif à ceux-ci n’est pas disproportionné au litige qui oppose les parties lequel est évalué à plus de trois millions de dollars (3 000 000 $).
[7] Enfin, Me L’Abbé avance que les interrogatoires pourraient vraisemblablement permettre aux parties de convenir de certaines admissions et d’écourter la durée de l’audience déjà prévue pour 8 jours.
[8] Il rappelle que le Tribunal est maître de la procédure et est libre de prendre les moyens nécessaires pour se conformer à l’esprit et à la lettre du Règlement[1]. Il soulève que rien dans le Règlement ou dans le Code d’arbitrage du GAMM n’interdit la tenue d’interrogatoires hors Cour.
[9] Enfin, s’inspirant de la jurisprudence[2], Me L’Abbé soutient que l’interrogatoire demandé va dans le sens tant de l’esprit que de la nature de l’instance arbitrale qui se caractérise par sa simplicité procédurale, son accessibilité, sa rapidité et sa modicité des coûts.
[10] Le procureur de l’Entrepreneur, pour sa part, plaide que l’interrogatoire du représentant de l’Entrepreneur désigné par Me L’Abbé n’est pas pertinent notamment eu égard au fait que celui-ci n’est plus à l’emploi de l’Entrepreneur et qu’au surplus, il n’a pas accès aux documents de l’Entrepreneur. En somme, le témoignage de ce témoin n’est pas pertinent puisqu’il ne pourra témoigner que sur des généralités.
[11] Elle ajoute que la preuve du comportement des parties que tente de faire la partie adverse n’est pas pertinente pour déterminer la date de réception des bâtiments mais que c’est plutôt le critère de l’habitabilité du bâtiment qui doit prévaloir pour déterminer la date de réception et partant, le début du délai de prescription de la garantie.
[12] L’interrogatoire, pour être permis, doit laisser croire que des informations utiles pourront en être tirées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, elle avance qu’il sera difficile de trouver le témoin.
[13] En réplique, Me L’Abbé plaide qu’il ne faut pas présumer de ce que dira le témoin et que la difficulté à retracer le témoin n’est pas un motif pour s’objecter à la tenue de l’interrogatoire. Il réitère que l’interrogatoire hors Cour n’est pas interdit en arbitrage et est même souhaitable.
IV
ANALYSE ET DÉCISION
[14] La question dont est saisi le Tribunal est celle de savoir si, dans le contexte du présent arbitrage, une partie a le droit de procéder à un interrogatoire préalable.
[15] Rappelons d’abord que le présent Tribunal d’arbitrage est constitué en vertu du Règlement, lui-même adopté en application de la Loi sur le bâtiment.
[16] Les dispositions pertinentes du Règlement pour trancher la question en l’espèce sont les suivantes :
106. Tout différend portant sur une décision de l'administrateur concernant une réclamation ou le refus ou l'annulation de l'adhésion d'un entrepreneur relève de la compétence exclusive de l'arbitre désigné en vertu de la présente section.
(…)
107. La demande d'arbitrage doit être adressée à un organisme d'arbitrage autorisé par la Régie dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur ou, le cas échéant, de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation. L'organisme voit à la désignation de l'arbitre à partir d'une liste des personnes préalablement dressée par lui et transmise à la Régie.
110. Dès la désignation de l'arbitre, l'organisme d'arbitrage remet aux parties intéressées le document de vulgarisation mentionné au paragraphe 6º de l'article 128.
128. L'autorisation de la Régie est accordée à un organisme qui satisfait, outre aux conditions prévues à la Loi sur le bâtiment, aux suivantes:
(…)
5° il a une procédure d'arbitrage qui comporte, outre les règles prescrites par la présente section, des dispositions concernant notamment les éléments suivants:
a) la demande d'arbitrage;
b) la préparation du dossier;
c) la désignation, la compétence et les pouvoirs de l'arbitre;
d) le devoir d'information de l'arbitre envers les parties;
e) le déroulement de l'arbitrage, notamment les délais, la récusation et la révocation de l'arbitre, l'assignation des témoins et la décision arbitrale;
6° il a un document de vulgarisation de la procédure d'arbitrage notamment à l'égard:
a) du droit de représentation des parties intéressées par la personne de leur choix;
b) des règles de procédure et de preuve à suivre;
c) du mode d'assignation des témoins et des experts;
d) de la possibilité d'inspecter des biens ou de visiter les lieux;
e) de la consignation d'une entente entre le bénéficiaire, l'entrepreneur et l'administrateur ou d'un désistement dans une décision arbitrale;
f) de la procédure d'homologation de la décision arbitrale.
[17] Conformément aux dispositions législatives pertinentes, la procédure applicable aux instances arbitrales tenues en vertu du Règlement est prévue au Code d’arbitrage qui stipule ce qui suit :
Article 14
Lors de la conférence préparatoire, l'arbitre informe les parties de la procédure et du mode de preuve qu'il juge appropriés eu égard au différend qui lui est soumis ainsi que du temps d'audition dont disposera chaque partie.
[18] Aucune autre disposition du Code d’arbitrage n’est d’assistance pour aider à trancher la question en litige.
[19] Force est de constater que ni le Règlement, ni le Code d’arbitrage ne prévoit de mécanisme précis en matière de procédure et d’administration de la preuve. De fait, l’article 14 du Code d’arbitrage consacre à l’arbitre une liberté procédurale suffisamment large pour permettre à l’institution arbitrale de disposer du différend d’une manière souple et efficace. Cette disposition du Code d’arbitrage est inspirée de l’article 944.1 du Code de procédure civile qui stipule ceci :
944.1. Sous réserve des dispositions du présent Titre, les arbitres procèdent à l'arbitrage suivant la procédure qu'ils déterminent. Ils ont tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leur compétence, y compris celui de nommer un expert.
[20] Rappelons que le Code de procédure civile est applicable, en l’absence de toute disposition contraire, aux instances arbitrales et ce, par le truchement de l’article 2643 du Code civil du Québec :
2643. Sous réserves des dispositions auxquelles on ne peut déroger, la procédure d’arbitrage est réglée par le contrat ou, à défaut, par le Code de procédure civile.
[21] Puisqu’aucune disposition du Code d’arbitrage ou du Règlement n’interdit la tenue d’interrogatoire préalable, et vue la teneur des articles 14 du Code d’arbitrage et 944.1 du Code de procédure civile, le Tribunal est d’avis qu’il bénéficie de toute la latitude nécessaire pour statuer sur cette question à la lumière des principes généraux du droit et sous-jacents à l’existence des tribunaux d’arbitrage.
[22] Le Tribunal fait sien les propos du juge Jean-François Gosselin, j.c.q. dans l’affaire Joris immobilier[3] :
[77] Cela dit, ce n'est pas par hasard que le législateur a d'une part limité au strict minimum les motifs pour lesquels une sentence arbitrale peut être écartée, et d'autre part interdit au juge exerçant le contrôle judiciaire de s'intéresser au fond du litige. Il en va, en effet, de la nature même de l'arbitrage de constituer un forum caractérisé par la simplicité procédurale, l'accessibilité, la rapidité et la modicité des coûts, et de procurer aux parties qui y ont préalablement consenti une décision finale et sans appel, susceptible d'être rendue tantôt en droit et tantôt en équité, mais dans tous les cas à l'abri, quant au fond, du regard inquisiteur des tribunaux judiciaires. Ce ne sera, en réalité, que quand le processus aura été gravement vicié que la sentence arbitrale pourra être neutralisée.
[81] Ces considérations mènent au second constat, lequel met l'accent sur la nature de l'institution arbitrale et sur l'affranchissement que le législateur a souhaité par rapport aux règles régissant le débat judiciaire. Les arbitres sont en effet maîtres de leur procédure (art. 944.1 C.p.c.). Ils peuvent inspecter les biens et visiter les lieux (art. 944.4 C.p.c.). Si la procédure se déroule habituellement oralement, rien ne s'objecte, sur le plan des principes, à ce qu'ils statuent sur dossier, après avoir requis un exposé des prétentions des parties, le dépôt des pièces et le dépôt des rapports d'expert (art. 944.2 C.p.c.), ainsi que des représentations écrites (art. 944.3 C.p.c.). Ils ont en outre, ce qui est tout aussi significatif, le pouvoir spécifique de « continuer l'arbitrage si une partie fait défaut d'exposer ses prétentions, de se présenter à l'audience ou d'administrer la preuve au soutien de ses prétentions » (art. 944.5 al. 1 C.p.c.). Ils ne sont pas tenus de trancher le différend en fonction des seules règles de droit et peuvent agir en qualité d'amiables compositeurs si, comme c'est le cas ici, les parties en ont convenu (art. 944.10 C.p.c.). (…)
[133] La dynamique ainsi créée aurait encore pu être enrichie, à supposer même que le procureur de monsieur Corthals l'eut souhaité, par des initiatives que l'article 7.25 du Règlement aurait permises. Dans la mesure, en effet, où « [l]'administration de la preuve devant le conseil d'arbitrage s'inspire des règles applicables devant les tribunaux civils », il aurait été possible de pallier l'absence de monsieur Mercredy par diverses initiatives qui conviendraient bien à l'instance arbitrale, vu la nature et les caractéristiques de l'institution. L'on peut notamment penser, ici, à l'interrogatoire du témoin hors de Cour que permet l'article 404 du Code de procédure civile : monsieur Mercredy aurait alors pu être interrogé et contre-interrogé à une date ultérieure et sa déposition prise en sténographie et produite au greffe du Conseil d'arbitrage. Ou, encore, peut-être monsieur Mercredy aurait-il pu témoigner par vidéoconférence à une date ultérieure, les avocats l'interrogeant et le contre-interrogeant à Gatineau alors que les membres du Conseil d'arbitrage et l'avocat qui l'assistait se seraient trouvés à Montréal. Ou, plus simplement encore, peut-être monsieur Mercredy aurait-il pu produire, à une date ultérieure, une déclaration complète pour valoir témoignage, comme le permet spécifiquement l'article 2870 du Code civil du Québec.
[165] En contexte arbitral plus qu'en contexte administratif, et en contexte administratif plus qu'en contexte judiciaire, la souplesse est de rigueur : voilà ce qu'illustre, ultimement, la présente affaire.(…)
[167] Souplesse, ouverture, créativité, initiative : tels sont dès lors les objectifs derrière lesquels tous les intervenants devraient se rallier, et ce peu importe l'instance décisionnelle interpellée. En pareil contexte, il paraît donc souhaitable que tous les acteurs impliqués - décideurs, plaideurs, parties - se mettent en mode solution quand un obstacle se dresse sur la route de la justice : Guimond c. Commission des relations du travail, EYB 2006-100908 (C.A.). C'est d'ailleurs ce désir sincère d'avancer de façon constructive qui aurait pu permettre, dans la présente affaire, de régler, de manière simple, efficace et peu coûteuse et d'une façon correcte pour chacun, le problème qui est à l'origine du dérapage observé.
[23] S’inspirant des propos rapportés ci-dessus, et à la lumière de l’article 4.2 du Code de procédure civile consacrant la règle de la nécessaire proportionnalité dans les actes de procédure eu égard notamment au temps et aux coûts exigés, le Tribunal estime que, dans les circonstances en l’espèce, la permission d’interroger au préalable un représentant de l’Entrepreneur de même qu’un représentant de l’Administrateur est justifiée et doit être accordée. De fait, les interrogatoires demandés pourraient diminuer significativement la durée de l’audience et ce, à un moindre coût.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la requête des Bénéficiaires;
PERMET l’interrogatoire hors Cour d’un (1) représentant de l’Administrateur et d’un (1) représentant de l’Entrepreneur;
LE TOUT frais à suivre.
Montréal, ce 30 mai 2014
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__________________________________ Karine Poulin, arbitre
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