ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE

DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)

 

 

 

ENTRE :                                                         MADAME CAROLE TREMBLAY ET MONSIEUR RÉMI ROCHEFORT

 

                                                                         (ci-après désignés « les  Bénéficiaires »)

 

 

                                                                         MAISON LAPRISE INC.

 

                                                                         (ci-après désignée « l’Entrepreneur »)

 

 

ET :                                                                  LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC. (GMN)

 

                                                                         (ci-après désignée « l’Administrateur »)

 

 

No dossier CCAC : S10-201201-NP

No dossier arbitre : 9964-21131

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

Audience :                                                       28 juin 2011

 

Visite des lieux :                                             28 juin 2011

 

Lieu d’audience :                                            Palais de justice de La Malbaie

                                                                         30, chemin de la Vallée

                                                                         La Malbaie (Québec) G5A 1A3

 

Date de la sentence :                                     15 septembre 2011

 

 

 

Identification complètes des parties

 

 

 

Arbitre :                                                            Me Jean Dallaire

                                                                         3340, rue de la Pérade, bur. 300

                                                                         Québec (Québec)  G1R 4T4

 

 

Bénéficiaires :                                                Madame Carole Tremblay

                                                                         Monsieur Rémi Rochefort

                                                                         9, rang Saint-Philomène

                                                                         Saint-Agnès (Québec)  G5A 2B5

Leur procureur

Me Luc Lavoie

Lavoie Gagnon société d’avocats

164, rue John-Nairne

La Malbaie (Québec)  G5A 1M5

 

Entrepreneur :                                                 Monsieur Marc Morin

                                                                         Maison Laprise inc.

                                                                         166, 4e Rue

                                                                         Montmagny (Québec)  G5V 3L5

 

Administrateur :                                              La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.

5930, boul. Louis-H. Lafontaine

Anjou (Québec)  H1M 1S7

Son procureur :

Me Luc Séguin

Savoie Fournier Avocats

5930, boul. Louis-H. La Fontaine

Anjou (Québec)  H1M 1S7

 

 

APRÈS AVOIR PRIS CONNAISSANCE DES PROCÉDURES, ENTENDU LA PREUVE ET LES ARGUMENTS DES PARTIES, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE REND LA SENTENCE SUIVANTE :

 

[1]              Le 8 septembre 2009, les Bénéficiaires ont acquis de l’Entrepreneur une maison modulaire qu’ils ont fait installer au 9, rang St-Philomène à La Malbaie (secteur Ste-Agnès).

[2]              Les Bénéficiaires se sont réservé l’exécution de divers travaux, notamment la finition intérieure et extérieure.  En ce qui concerne la finition intérieure, les Bénéficiaires ont procédé à l’installation des plaques de plâtre, le plâtrage et la peinture.  Pour la finition extérieure, ils ont installé le revêtement sur les murs.

[3]              Les Bénéficiaires ont pris possession de leur résidence le 27 novembre 2009.

[4]              Peu après la réception de leur résidence, les Bénéficiaires ont éprouvé des problèmes avec la porte-fenêtre qui donne à l’arrière de leur résidence.  Elle demeurait bloquée.

[5]              Les représentants de l’Entrepreneur se sont déplacés à quatre (4) reprises pour effectuer des travaux pour débloquer la porte tout en ignorant quelle était la nature réelle du problème qui empêchait l’ouverture.

[6]              Lorsque les Bénéficiaires ont fait effectuer leurs travaux de plâtrage des joints, l’ouvrier qui procédait à ces travaux a constaté une déflexion du plafond vis-à-vis la ferme de toit maîtresse qui reposait sur le linteau au-dessus de la porte-fenêtre.

[7]              Après que les Bénéficiaires eurent dénoncé cette irrégularité, l’Entrepreneur est retourné sur les lieux pour procéder à un examen du plafond.

[8]              L’Entrepreneur a d’abord cru que la ferme maîtresse pouvait être en cause mais il s’est plutôt rendu compte qu’il avait commis une erreur dans la préparation de ses plans.

[9]              Comme il l’admet, l’Entrepreneur a constaté que des blocages auraient dû être installés sous les jambages de la porte-fenêtre, puisque la ferme maîtresse qui repose sur le linteau de la porte-fenêtre lui impose des charges importantes.  Ainsi, en l’absence de ces blocages, il y aurait eu une pression trop forte sur le linteau et les jambages qui a eu pour effet de comprimer la porte-fenêtre et, conséquemment, de l’empêcher d’ouvrir normalement.

[10]           L’Entrepreneur a donc entrepris de corriger son erreur et a installé des blocs de transfert de charge sous les jambages de la porte-fenêtre.  Il a également entrepris de rectifier la bosse qui était apparue au plafond.

[11]           Les travaux n’ont pas été exécutés à la satisfaction des propriétaires puisqu’il demeure une déflexion au plafond.

[12]           Les Bénéficiaires prétendent qu’il aurait dû y avoir redressement de la structure suite à l’affaissement des fermes de toit, affaissement qui serait de l’ordre de 13 millimètres selon leur expert, et que le plafond de la salle à diner et du salon doivent être corrigés.

[13]           Après avoir donné les avis prescrits par le contrat de garantie dans les délais requis, l’Administrateur a rendu une décision le 24 novembre 2010 par laquelle il rejetait les prétentions des Bénéficiaires, puisque, selon lui, les travaux de réparation exécutés par l’Entrepreneur étaient acceptables et conformes aux règles de l’art.

[14]        Le 20 décembre 2010, les Bénéficiaires ont requis une demande d’arbitrage de la décision de l’administrateur.

 

VISITE DES LIEUX

[15]        Préalablement à l’audition de l’arbitrage, il fut convenu que l’arbitre soussigné procéderait à une visite des lieux qui a eu lieu le matin de l’audition.

[16]        Tous les témoins et représentants de l’Entrepreneur, de l’Administrateur, ainsi que les Bénéficiaires étaient présents.

[17]        L’arbitre soussigné a pu constater ce qui suit :

              a)      Il y a une déflexion de 13 millimètres ( ½ pouce) du toit au-dessus du mur de la porte-fenêtre ;

              b)      Cette déflexion du toit n’est pas apparente à l’œil nu et la démonstration de cette déflexion a été faite à l’aide d’un niveau laser ;

              c)      Il y a également une déflexion de 6 millimètres (¼ de pouce) entre le mur attenant et la toiture ;

              d)      La moulure sous le soffite montre une dénivellation à peine perceptible entre le toit et la moulure au-dessus de la porte-patio ;

              e)      Le mur du salon et de la salle à diner (pièce à air ouverte) montre une déflexion qui serait, selon les Bénéficiaires, de plus de 13 millimètres et, selon l’Entrepreneur et l’Administrateur, de 6 millimètres ;

              f)       Les parties ne se sont pas entendues sur la manière de mesurer la déflexion du plafond ;

              g)      Cette déflexion du plafond n’est nullement apparente à l’œil nu ;

              h)      Il n’y a pas de dénivellation du plancher qui a été montrée ;

              i)       Les blocs de transfert de charge ont été installés et recouverts d’uréthane ;

              j)       Les Bénéficiaires ont prétendu que les blocs de transfert de charge auraient été coupés, de sorte que l’affaissement qu’ils allèguent n’a pas été rectifié, alors que l’Entrepreneur, quant à lui, prétend que les blocs de charge avaient la hauteur requise et ont été installés sans avoir été modifiés.

 

LES ADMISSIONS

[18]        Les parties sont en désaccord à savoir s’il y a eu affaissement ou non.  L’expert des Bénéficiaires est d’avis qu’il y a eu affaissement de 13 millimètres alors que l’Entrepreneur prétend que si affaissement il y a eu, il ne serait que de quelques millimètres.

[19]        Toutefois, l’installation des blocs de transfert de charge a redonné à l’immeuble toute sont intégrité structurale.  Ainsi, mis à part l’aspect esthétique, il n’y a aucun vice ou malfaçon d’allégué par les Bénéficiaires.

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[20]        Les Bénéficiaires, par l’entremise de leur expert, requièrent substantiellement d’enlever l’uréthane et vérifier les blocs de transfert de charge, de vérifier s’il y a eu affaissement, de remonter le plancher où repose les jambages  de la porte-fenêtre afin de redresser l’affaissement et, finalement d’enlever le gypse au plafond et corriger la déflexion.

[21]        L’Entrepreneur quant à lui soumet que les réparations ont été faites conformément aux règles de l’art.

 

Témoignage de M. Jean-François Cormier, ingénieur junior

[22]        M. Cormier a été assigné par les Bénéficiaires pour agir à titre d’expert.  Il est ingénieur junior et se spécialise en structure de bois et de béton.  Il travaille  pour un entrepreneur en construction.

[23]        M. Cormier est d’avis que l’absence de blocs de transfert de charge sous le jambage de la porte-fenêtre a fait basculer le linteau, ce qui a provoqué le blocage de la porte-fenêtre.

[24]        Il a constaté un affaissement de 13 millimètres des fermes de toit au-dessus de la porte-fenêtre.

[25]        Bien que des correctifs appropriés aient été effectués, l’affaissement n’a pas été rétabli.

[26]        Il est d’avis qu’il n’y aura plus de mouvement de la structure et que les blocs de transfert de charge ont réglé le problème d’affaissement.

[27]        Malgré les recherches qu’il a faites sur les normes applicables aux tolérances acceptables pour les déflexions et les différences de niveau, il n’en a pas trouvé.  Il a visité le site de l’APCHQ et n’a pas trouvé de documentation sur le sujet.

Témoignage de M. Rémi Rochefort

[28]        M. Rochefort est insatisfait des réparations qui ont été effectuées par l’Entrepreneur.  Il reproche à l’Entrepreneur d’avoir ajusté la porte-fenêtre à quatre (4) reprises avant de se rendre compte de l’absence des blocages de transfert de charge.

[29]        En ce qui concerne le gondolement du plafond, il explique que l’Entrepreneur aurait dû reprendre le plafond au complet afin de le rectifier.  Au lieu de cela, l’Entrepreneur s’est contenté de corriger la partie vis-à-vis la ferme maîtresse.  Les réparations ont donc été mal exécutées puisqu’il demeure une déflexion qu’il considère intolérable.

[30]        Il explique que l’Entrepreneur a enlevé la latte qui longeait la ferme maîtresse qui est d’une épaisseur de 5/8 de pouce (16 millimètres) pour la remplacer par une bande de contreplaqué de ¼ de pouce (6 millimètres).

[31]        Lorsque le tireur de joints a procédé au plâtrage du plafond, il s’est rendu compte qu’il demeurait une bosse.

[32]        Il désire que la ferme de toit maîtresse soit rectifiée.

 

Témoignage de Stéphane Sauzeau, ing. junior

[33]        M. Sauzeau est à l’emploi de l’entrepreneur et il a témoigné à l’effet qu’il était possible qu’un léger affaissement ait lieu en l’absence des blocs de transfert de charge.  Il prétend qu’il ne peut y avoir eu un affaissement de l’ordre de 13 millimètres comme l’affirme l’expert des Bénéficiaires.  Il n’a toutefois pas procédé à vérifier ces mesures.

[34]        Il ignore à quoi est due la déflexion du toit au-dessus de la porte-fenêtre.

[35]        Le blocage de la porte-fenêtre peut s’expliquer en partie par le travail du bois et l’absence des blocs de transfert de charge.

 

Témoignage de M. Michel Hamel T.P.

[36]        M. Hamel est le représentant de l’Administrateur et c’est lui qui a rendu la décision du 24 novembre 2010. 

[37]        Il nous explique que lorsqu’il a inspecté le plafond avant de rendre sa décision, il l’a regardé d’un point de vue normal et que sa façon de procéder correspond au prescription du Guide de performance de l’APCHQ[1] dont un extrait a été produit sous la cote A-11.  Le guide prévoit ce qui suit :

                       « Plafond inégal :    Performance minimale attendue  

                        À l’intérieur d’une pièce ou d’un espace donné, le plafond doit présenter un aspect uniforme lorsqu’on l’observe à partir d’un point de vue normal.

                        Lorsqu’un fléchissement, un gonflement ou un gondolement localisé est présent, mais que cette situation n’est pas de nature structurale et que la surface ne dévie pas de plus de ¼ po (6 mm) par rapport au plan spécifié, aucun correctif n’est requis. »

[38]        En ce qui concerne l’écart de hauteur entre les deux fermes de toit, il nous réfère encore au Guide de performance qui stipule que l’écart de hauteur ne doit pas dépasser ½ pouce (12 millimètres).  Il soutient donc qu’en application du Guide de performance, les réparations entreprises par l’Entrepreneur seraient acceptables, conformes aux règles de l’art et à l’intérieur des tolérances admises.  L’extrait pertinent du Guide de performance produit sous la cote A-12 prévoit ce qui suit :

                       « Fléchissement du faîtage : «Performance minimale attendue

                        Toute structure de toit doit être construite selon les dispositions du code, et le faîtage ne doit pas fléchir de plus de 1 po (25 mm) sur 8 pi (2,5 m) sous la charge théorique normale.

                        L’écart de hauteur entre 2 fermes de toit ne doit pas dépasser ½ po (12 mm). »

[39]        Quant à la déflexion du toit, le soffite était installé lorsqu’il a fait son inspection et il n’a pas remarqué de fléchissement de la toiture.  Il faut préciser que lors de la visite le matin de l’audition, les Bénéficiaires avaient enlevé le soffite afin de pouvoir procéder au mesurage de la déflexion.

 [40]       Il témoigne finalement que le Code de construction n’oblige pas l’installation d’une latte entre le plafond et la plaque de plâtre.  La latte sert à ajuster les niveaux.  L’Entrepreneur était donc justifié de remplacer la latte de 16 millimètres par un contreplaqué de 6 millimètre.

 

ANALYSE ET DÉCISION

a)           Méthode de réparation choisie par l’Entrepreneur

[41]        Alors que les Bénéficiaires prétendent que l’Entrepreneur aurait dû corriger l’écart de hauteur entre les fermes de toit par une intervention structurale, l’Entrepreneur a plutôt choisi de compenser les écarts de niveau lors de l’exécution des travaux de finition, en ajustant le niveau du plafond à l’aide de lattes plus minces sous les plaques de plâtre.

[42]        L’article 2099 C.c.Q. prévoit :

                       « 2099           L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. »

[43]        Puisque l’Entrepreneur a le libre choix de ses moyens d’exécution, le Tribunal d’arbitrage considère que ce libre choix s’applique également lors des travaux de réparation.

[44]        Il faut se rappeler que l’Entrepreneur a vis-à-vis son client une obligation de résultat.  Cela signifie notamment qu’il doit livrer à son client un immeuble exempt de vices cachés ou de malfaçons.  Dans la mesure où les réparations qu’il choisit de faire ne contreviennent d’aucune façon aux normes ou aux règles de l’art, l’Entrepreneur était justifié de corriger les dénivellations ou les différences de niveau à l’aide de ses travaux de finition.

b)           Les travaux de l’Entrepreneur sont-ils conformes aux règles de l’art

[45]        Au moment où l’Administrateur s’est rendu sur les lieux dans le but de rendre sa décision, il a constaté que le plafond présentait une surface uniforme et égale lorsqu’il l’observait d’un point de vue normal.  Lorsque les Bénéficiaires se plaignent de la déflexion du plafond, ils invoquent un préjudice esthétique.  Afin de pouvoir réussir dans un recours où un tel préjudice est invoqué, les Bénéficiaires doivent, à tout le moins, démontrer qu’une personne raisonnable, placée d’un point de vue normal, peut constater une anomalie dans le travail d’un entrepreneur.

[46]        Le soussigné a donc pu constater, tout comme l’Administrateur, que le plafond ne présente aucune déformation perceptible.  En ce qui concerne l’extérieur, la déflexion du toit n’est pas perceptible et il serait excessif et inéquitable de requérir de l’Entrepreneur qu’il corrige ses travaux.

[47]        Bien qu’il n’en fasse pas mention dans sa décision, l’Administrateur s’est probablement fondé sur les normes de bonnes pratiques que s’est données l’APCHQ dans son Guide.  La preuve ayant démontré que les différences de niveau étaient moindres ou près du seuil de tolérance acceptable pour l’APCHQ, la décision de l’Administrateur était raisonnable et sa décision sera maintenue.

[48]        Le Tribunal d’arbitrage précise qu’il considère le Guide de performance de l’APCHQ non pas comme une norme, mais plutôt comme un guide servant à établir la règle de l’art en ce qui concerne les tolérances admissibles lors de l’exécution de travaux de construction.

[49]        C’est pourquoi il n’a pas à trancher le désaccord sur la mesure de la déflexion du plafond puisque la visite des lieux s’est avérée concluante sur le sujet.

[50]        Pour ce qui est de la latte sous le soffite à l’extérieur du bâtiment, l’Entrepreneur ne peut être forcé de la rectifier puisque ce sont les Bénéficiaires qui l’ont installée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

MAINTIENT la décision de l’Administrateur du 24 novembre 2010 et REJETTE la demande des Bénéficiaires.

LE TOUT avec frais à être départagés entre les Bénéficiaires (50,00$) et l’Administrateur pour la balance des coûts du présent arbitrage.

Québec, le 15 septembre  2011

 

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Me Jean Dallaire

Arbitre / Centre Canadien d’Arbitrage

Commercial



[1] Guide de performance de l’APCHQ pour les professionnels de la construction résidentielle au Québec, 1ère Édition, septembre 2006