(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :
Société pour la résolution de conflits inc. (SORECONI)
No dossier SORECONI : 102505003
No dossier Garantie 58525
Date: 22 novembre 2010
ENTRE MADAME SYLVIE GUERNON ET MONSIEUR PASCAL TURGEON
(ci-après « les Bénéficiaires»)
ET HABITATIONS P.P.R. INC.
(ci-après « l’Entrepreneur »)
ET : La Garantie HABITATION DU QUEBEC inc
(ci-après « l’Administrateur »)
Arbitre : Me France Desjardins
Pour les Bénéficiaires : Madame Sylvie Guernon
Monsieur Pascal Turgeon
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Dominic Desy
Monsieur Pierre Rousseau
Pour l’Administrateur : Me Avelino De Andrade, procureur
L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 22 juin 2010.
9 novembre 2008 Contrat préliminaire et contrat de garantie
15 juillet 2009 Déclaration de réception du bâtiment
31 août 2009 Lettre des Bénéficiaires reçue le 2 septembre par l’Administrateur
14 décembre 2009 Lettre des Bénéficiaires reçue le 15 décembre par l’Administrateur
janvier 2010 Lettre de l’Entrepreneur aux Bénéficiaires, reçue le 11 janvier par l’Administrateur
27 avril 2010 Décision de l’Administrateur
29 avril 2010 Addenda à la décision de l’Administrateur du 27 avril
25 mai 2010 Demande d’arbitrage des Bénéficiaires accompagnée du rapport d’expertise commandé à M. Renald Cyr
22 juin 2010 Nomination de l’arbitre
13 juillet 2010 Transmission du cahier des pièces de l’Administrateur
19 août 2010 Audition préliminaire par conférence téléphonique
20 septembre 2010 Décision de l’Administrateur
28 octobre 2010 Audition et visite des lieux
[1] Aucune objection préliminaire n’ayant été soulevée par l’une ou l’autre des parties, la compétence du Tribunal à entendre la demande d’arbitrage est établie.
[2] Les Bénéficiaires contestent la décision du 27 avril 2010 avec addenda le 29 avril 2010, rendue par l’Administrateur de la Garantie Habitation du Québec Inc. sur 4 points de la réclamation des Bénéficiaires et déclarant ne pouvoir statuer sur un 5ième point sans qu’une inspection supplémentaire ne soit menée en septembre 2010.
[3] La demande d’arbitrage déposée en mai 2010 visait les points 1, 3 et 4 de la décision de l’Administrateur. Toutefois, lors de l’enquête et audition tenue au domicile des Bénéficiaires, ceux-ci ont déclaré abandonner un des deux éléments visés par le point 3, soit celui concernant les fissures à la dalle de béton du garage.
[4] En ce qui concerne le point 5 relatif au plancher de latte de bois, une inspection supplémentaire a été effectuée le 9 septembre 2010 et l’Administrateur a rendu sa décision le 20 septembre 2010, faisant droit à la réclamation des Bénéficiaires.
[5] Une visite des lieux a précédé l’audition à laquelle étaient présents les représentants des parties déjà identifiés ainsi que monsieur Denis Robillard, conciliateur signataire de la décision de l’Administrateur et monsieur Renald Cyr, témoin qui a produit un rapport d’inspection pour les Bénéficiaires.
[6] La visite des lieux et l’audition ont porté sur les points suivants
§ Point 1 : Joints en angle 135 degrés
§ Point 3 : Fissures sur fondations (excluant dalle de béton au garage)
§ Point 4 : Crépi sur fondation
LA PREUVE ET L’ARGUMENTATION
[7] Comme convenu lors de l’appel conférence tenu le 19 août 2010, monsieur Turgeon a transmis le jour même par couriel, le rapport d’une inspection partielle de la résidence des Bénéficiaires, effectuée à leur demande par monsieur Renald Cyr. Quoique ledit rapport ait été produit par les Bénéficiaires en annexe à leur demande d’arbitrage, les parties ont, à l’appel conférence, déclaré ne pas l’avoir à leur dossier. Pour sa part, l’Arbitre a, par la suite, constaté avoir bien reçu le rapport en question en même temps que la demande d’arbitrage.
Point 1 : Joints en angle 135 degrés
[8] Les Bénéficiaires montrent et expliquent que les deux joints de gypse à angle de part et d’autre de la fenêtre arrière sont arrondis et le papier à joint n’adhère pas à la surface des murs. Cette situation aurait évolué depuis la réception du bâtiment.
[9] Ils font entendre monsieur Renald Cyr qui a inspecté le bâtiment en mars 2010. Monsieur Cyr écrit dans son rapport que «l’assèchement de l’ossature de bois du bâtiment associé à une mise en place étroite des papiers à joint est en cause à cette déformation peu esthétique». Il témoigne à l’effet que ce problème n’est pas structurel mais démontre une «mise en œuvre inadéquate des joints de plâtre». Selon lui, il est normal la première année, quand on chauffe le bâtiment, qu’il y ait rétrécissement mais il ajoute : «normalement, c’est linéaire…ici, ça courbe».
[10] Au soutien de ses prétentions, monsieur Cyr réfère aux Règles générales applicables aux constats répertoriés extraites du Guide de performance de l’APCHQ. Il en conclut que puisque les joints sont visibles à la distance prévue au Guide, il y a malfaçon.
[11] En contre-interrogatoire, monsieur Cyr admet que l’assèchement des matériaux peut être la cause première de la situation mais l’Entrepreneur aurait «pu prendre des précautions», par exemple, «mettre deux joints ou faire un pli». À la question si cette façon de faire aurait causé une fissure, monsieur Cyr répond que c’est possible mais qu’elle aurait alors été capillaire, donc négligeable. Monsieur Cyr avance aussi que le tireur de joints aurait dû tenir compte d’un écart prévisible des matériaux lors de l’assèchement ou utiliser un coin métallique intérieur.
[12] En contre-interrogatoire sur la qualité des joints lors de la réception du bâtiment, les Bénéficiaires indiquent qu’ils ont commencé à remarquer un problème aux joints lorsqu’ils ont appliqué la peinture à l’automne et davantage, quand ils ont commencé à chauffer le bâtiment.
[13] L’Administrateur fait entendre monsieur Denis Robillard, conciliateur signataire de la décision. Il déclare qu’il a inspecté plus de 5000 bâtiments et n’a jamais vu une situation comme celle-là. Il réitère que l’assèchement du bois a fait tirer le papier à joints. En ce qui concerne l’utilisation d’un coin métallique intérieur, monsieur Robillard confirme l’existence d’un tel outil, à l’usage des bricoleurs, mais il n’a jamais constaté son utilisation dans la construction résidentielle pour des joints à angles de 135 degrés.
[14] En réponse à une question de Me de Andrade, monsieur Rousseau, représentant de l’Entrepreneur, témoigne à l’effet qu’il est impossible d’évaluer si une pièce de bois va bouger en séchant et, si c’est le cas, jusqu’à quel point. Il ajoute qu’il a inspecté la maison avant sa livraison et que les joints étaient adéquats.
[15] En argumentation, Me De Andrade rappelle que tous les témoignages sont à l’effet que la situation est attribuable à l’assèchement des matériaux, spécifiquement exclu de la garantie. Il n’est pas certain que le problème soit visible à la distance exigée par le Guide de performance de l’APCHQ. Même le rapport de monsieur Cyr, qui a témoigné pour les Bénéficiaires, appuie ses conclusions.
[16] En réplique, les Bénéficiaires arguent qu’ils ont démontré qu’il existe une autre façon de faire et que nul ne sait si son utilisation aurait causé un autre problème. Monsieur Turgeon ajoute «sur le plan esthétique, c’est nous qui vivons ici et nous le voyons en entrant»
Point 3 : Fissures sur fondation
[17] Après la visite des lieux, à l’audition, l’Entrepreneur s’engage à faire les travaux correctifs selon les règles de l’art, étant entendu qu’il y a obligation de résultat.
Point 4 : Crépi sur fondation
[18] Après la visite des lieux, à l’audition, l’Entrepreneur s’engage à faire les travaux correctifs selon les règles de l’art, étant entendu qu’il y a obligation de résultat.
ANALYSE ET DÉCISION
Point 1 : Joints en angle 135 degrés
[19] La visite des lieux a permis de constater que les joints en angle de chaque côté de la fenêtre arrière sont arrondis et s’enfoncent au toucher.
[20] L’Administrateur a jugé que la situation «est attribuable au comportement normal des matériaux lors de leur assèchement après la livraison de l’unité résidentielle, et de ce fait, est exclue de la garantie en application du Règlement sur la garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (ci-après le Règlement).
[21] Plus spécifiquement, la décision de l’Administrateur s’appuie sur l’article 12 du Règlement :
12. Sont exclus de la garantie:
1° la réparation des défauts dans les matériaux et l'équipement fournis et installés par le bénéficiaire;
2° les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements;
(…..)
[22] Les Bénéficiaires et leur témoin, monsieur Cyr, ont largement insisté sur la question de la visibilité des dommages, le tout en s’appuyant sur le Guide de performance de l’APCHQ en regard de la distance d’observation d’un constat.
[23] Bien que l’arbitre ne soit pas lié par les règles de tolérance prévues au Guide de performance, le fait que les joints soient observables à la distance prévue au Guide peut, certes, constituer un problème de nature esthétique plus ou moins important selon la personne qui l’apprécie. Il n’est pas difficile de croire que les Bénéficiaires n’ont pas besoin d’y apporter une attention particulière pour le remarquer. Toutefois, il ne suffit pas de démontrer l’existence d’une «déformation peu esthétique», telle que qualifiée par monsieur Cyr, pour assurer l’application de la garantie. Pour se décharger de leur fardeau de démontrer que la décision de l’Administrateur n’est pas justifiée, les Bénéficiaires devaient faire la preuve d’une autre cause que celle de l’assèchement des matériaux.
[24] Or, la preuve contradictoire sur les précautions ou les moyens qu’aurait dû prendre l’Entrepreneur pour éviter la situation dénoncée n’a pas convaincu la soussignée de l’existence d’une autre cause qui lui permettrait d’écarter la conclusion de l’Administrateur.
[25] Comme l’écrit Me Michel Jeanniot dans la décision Filomena Stante et Antonio Carriero c. Les Constructions Oakwood Canada Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ [2] :
«les Bénéficiaires sont en demande et tel quiconque porte une demande devant un Tribunal d’arbitrage, c’est la demande qui a le fardeau de preuve, qui a le fardeau de convaincre; sans que ce fardeau ne soit indu, ce sont les Bénéficiaires demandeurs qui ont l’obligation de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de l’Administrateur ou, subsidiairement, que les points qu’ils soulèvent sont recevables dans le cadre de l’application du contrat de garantie».
Les Frais d’expertise
[26] À l’audience, les Bénéficiaires ont demandé le remboursement des frais de leur témoin expert, monsieur Rénald Cyr, conformément à l’article 124 du Règlement qui se lit comme suit :
« L'arbitre doit statuer, s'il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d'expertises pertinentes que l'administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel.»
[27] Monsieur Cyr a produit, le 16 avril 2010, un rapport d’inspection portant sur 6 points dont 5 ont fait l’objet d’une décision de l’Administrateur. Il s’agit des joints en angle, des fissures et du crépi à la fondation, de l’étanchéité de la chambre froide ainsi que du plancher de latte de bois. Outre la chambre froide qui avait déjà fait l’objet d’une intervention de l’Entrepreneur avant la décision de l’Administrateur, l’Entrepreneur s’est, après la visite des lieux, engagé à l’audition à effectuer les travaux correctifs aux fissures et au crépi de la fondation. Quant au plancher, l’Administrateur a reconnu ce point dans une décision subséquente.
[28] Le procureur de l’Administrateur conteste la pertinence des frais réclamés par les Bénéficiaires. S’appuyant sur l’article 124 du Règlement, Me De Andrade argue que l’inspection par monsieur Cyr ayant été effectuée 3 semaines avant celle de l’Administrateur, donc préalablement à la décision de l’Administrateur, les services de monsieur celui-ci ne sont pas pertinents à la tenue de l’arbitrage. Au surplus, plaide-t-il, les Bénéficiaires n’ont pas informé l’Administrateur, non plus que son inspecteur, de l’existence d’un rapport d’inspection commandé par eux.
[29] Au soutien de ses prétentions, Me De Andrade a déposé deux décisions. Il réfère aux propose de Me Jeffrey Edwards dans l’affaire Lina Scotto et Tony Iannalfo c. 9061-2607 Québec inc (Construction et Rénovation Omega) et La Garantie Habitation du Québec inc dans laquellle l’arbitre rappelle que «les Bénéficiaires ont droit au remboursement des coûts raisonnables des experts requis pour faire valoir leur réclamation», La soussignée est d’avis que ce principe trouve pleinement application en l’espèce, les Bénéficiaires ayant obtenu, à l’audition et après le dépôt de leur rapport d’inspection, un engagement de l’Entrepreneur concernant deux points de leur réclamation.
[30] Par ailleurs, est-ce que, comme le plaide Me De Andrade, le fait d’avoir fait procéder à une inspection avant la décision de l’Administrateur, et ne pas en avoir informé l’inspecteur de l’Adminisrateur au moment de sa visite, sont des éléments qui devraient priver les Bénéficiaires de l’application de l’article 124 du Règlement? Me De Andrade argue que les frais d’expertise ne seraient admissibles que s’ils sont pertinents à l’arbitrage. Par conséquent, s’ils sont engagés avant la décision de l’Administrateur, ils ne devraient pas être alloués, le Bénéficiaire ne pouvant présumer de la décision.
[31] Avec respect, après analyse de la situation dans la présente cause et celle décrite par l’arbitre Masson dans la décision invoquée par le procureur de l’Administrateur[3], la soussignée ne peut conclure en ce sens. D’une part, comme le plaident les Bénéficiaires, le rapport de monsieur Cyr a été déposé en même temps que leur demande d’arbitrage. D’autre part, rien dans l’article 124 ne permet de conclure que les frais d’expert doivent être engagés après la décision de l’Administrateur. Au contraire.
[32] Qui plus est, rien dans la décision précitée, rendue par l’arbitre Edwards, ni dans le Règlement ne permet d’induire une telle limitation. Pour sa part, Me Edwards réfère aux coûts requis pour faire valoir la réclamation, l’acte du Bénéficiaire à l’origine de l’ouverture d’un dossier par l’Administrateur. Il n’invoque pas les coûts de l’arbitrage. De son côté, l’Arbitre Masson fait état d’un ensemble d’éléments l’amenant à refuser tout dédommagement aux Bénéficiaires pour leurs frais, en l’occurrence l’abandon subséquent de plusieurs demandes de la réclamation qui se sont avérées inutiles ainsi que les solutions préconisées exorbitantes.
[33] En seule présence du point 1 concernant les joints en angle, l’arbitre aurait pu retenir l’argumentation du procureur de l’Administrateur et ainsi trouver similitude entre les décisions citées et le cas présent. Toutefois, force est d’admettre que le rapport de monsieur Cyr a été partiellement utile aux Bénéficiaires pour appuyer leur réclamation. L’Arbitre tient cependant compte de l’engagement de l’Entrepreneur à effectuer les travaux correctifs. Ainsi, sur la facture totalisant 564.38$, l’Administrateur devra rembourser un montant de 300.00$.
LA CONCLUSION
[34] Le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Décidant dans le cadre de ce Règlement, l’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient».[4] Sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel.[5]
[35] En vertu de l’article 123 du Règlement, les demandeurs ayant, par l’engagement de l’Entrepreneur d’effectuer les travaux correctifs, obtenu gain de cause au sens du Règlement, sur les points 3 et 4, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l’Administrateur.
123. Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires et MAINTIENT la décision de l’Administrateur sur le point 1 ;
PREND ACTE de l’engagement de l’Entrepreneur d’effectuer les travaux correctifs concernant les points 3 et 4 (fissures et crépi sur fondation) ;
PREND ACTE de l’abandon, par les Bénéficiaires, de leur demande d’arbitrage concernant un élément du point 3 ( fissures sur dalle de béton au garage);
ACCUEILLE EN PARTIE la demande de remboursement de ses frais d’expert par le Bénéficiaire, et en limite le montant à 300.00$;
ORDONNE à l’Administrateur de s’assurer que les travaux correctifs soient exécutés au plus tard le 31 mai 2011 en considérant les risques d’aggravation le cas échéant;
CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage.
Me France Desjardins, arbitre