Rae c

Rae c. Construction Réal Landry inc.

2009 QCCS 1913

JS1061

 

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 LONGUEUIL

 

N°:

505-17-003822-089

 

 

 

DATE :

30 avril 2009

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

KIRKLAND CASGRAIN, J.C.S.

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LISA RAE

et

MICHAEL NUTTER

 

Requérants

 

c.

 

CONSTRUCTION RÉAL LANDRY INC.

 

Intimée

 

et

 

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L'APCHQ INC.

 

et

 

GROUPE D'ARBITRAGE ET DE MÉDIATION SUR MESURE (GAMM)

 

Mises en cause

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

I           LES PROCÉDURES

[1]                Par voie de requête en révision judiciaire, les requérants demandent l'annulation partielle d'une sentence arbitrale portant sur l'application du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, communément appelé "plan de garantie de l'APCHQ".[1]

[2]                L'objet de l'arbitrage était de statuer sur les différentes solutions proposées par l'administrateur du plan de garantie (ci-après "l'APCHQ"), l'entrepreneur en construction et les requérants pour corriger diverses malfaçons.

[3]                Entre autre, l'entrepreneur a posé les fondations de la résidence des requérants dans la nappe phréatique et non pas au-dessus, comme cela aurait dû être fait si les règles de l'art avaient été suivies, et la résidence des requérants est vite devenue invivable et le sous-sol insalubre.

[4]                Les représentants de l'APCHQ ont inspecté la résidence et l'APCHQ a rendu une décision sur les moyens de corriger ce problème.

[5]                Insatisfaits de cette décision, les requérants et l'entrepreneur ont demandé un arbitrage conformément à l'article 19 du règlement précité, mais l'arbitre a maintenu la décision de l'APCHQ.

[6]                Toutefois, selon les requérants, les moyens de correction retenus par l'arbitre sont inadéquats : d'une part, les requérants demeurent privés de la jouissance complète de leur résidence puisque leur sous-sol restera en bonne partie inutilisable et d'autre part, le problème n'est pas résolu de façon définitive.

[7]                Les requérants soutiennent aussi que seule la solution proposée par leur expert, entendu lors de l'enquête devant l'arbitre, est acceptable.

[8]                Les requérants estiment que l'arbitre a commis une erreur factuelle manifeste et que le résultat, c'est-à-dire la solution retenue par l'arbitre, est déraisonnable.

II          LA NORME D'INTERVENTION

[9]                L'arrêt Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc. c. Desindes ( J.E. 2005-132 , C.A.) a déjà établi que la norme d'intervention applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable.

III         LES FAITS

[10]            A la demande du Tribunal, la transcription complète des témoignages entendus à l'enquête par l'arbitre a été versée au dossier.

[11]            Le requérant Nutter a expliqué à l'enquête les circonstances de son achat :

"(…), my wife and I [had] decided to purchase a new piece of property in a new subdivision and build an up-scale home, because it's an area which will have a greater value in the future and that was our wish to build the quality home and use it as part of our retirement funds…

(…)

[And] when we had purchased our property, there were, in that new subdivision, only approximately ten (10) houses that were built or under construction.  [L'intimée Construction Réal Landry Inc.] was constructing three (3) of those ten (10) houses.  Mr. Landry had a sign in front of each of those properties which said they were guaranteed by the APCHQ.  We understood that was a reputable organization."[2]

[12]            Le requérant Nutter a également expliqué à quel usage était destiné son sous-sol :

"The basement was designed as a bedroom for my son, a study for my daughter, a family room, a cedar closet and a mechanic room."[3]

[13]            Enfin, le demandeur a décrit à l'arbitre l'état actuel du sous-sol :

"Well, currently, we experience listening to the pump running about every two (2) minutes and that goes on before, during and for some period after rain.  My wife and I have had to make sure that we're available on rotation in the event that the power goes out because when the power goes out, we have to pull out our generator to keep the pump going to get the water out from the mechanical drain.

We have been putting up with what we discovered about eight (8) or nine (9) months ago.  We have been cleaning up mould in the basement.  We have to do this on a continual basis since it was discovered.

Last September, about the same time the mould started, we started experiencing a smell which permeates starting in the garage.  We have to constantly air out our garage to keep the smell out of the house.

We have not been able to finish our basement.  We have had the floor lift.  We have had an additional pump system installed in the basement which dripped on our furniture.  We had to fix that ourselves.

(…)

We have been running a dehumidifier since [a representative]  from the APCHQ made his first inspection which is over two (2) years ago now.  He recommended that we purchased a dehumidifier and some fans and they have been operating for the last two (2) years.[4]

[14]            L'expert dont les services avaient été retenus par les inspecteurs de l'APCHQ, Donat Bilodeau, a identifié deux solutions possibles :

-         une première solution, préconisée par l'entrepreneur, consiste à évacuer l'eau sans toucher aux fondations; il s'agit d'installer un système de drainage et de pompes qui fonctionneront continuellement;

-         une deuxième solution consiste à imperméabiliser la dalle du sous-sol,

"à l'aide de membranes d'étanchéité afin de prévenir toute infiltration d'eau (…); une nouvelle dalle de béton serait coulée sur la dalle existante (dont la résistance à la poussée hydrostatique devrait être évaluée par un ingénieur en structure) et renforcée d'acier d'armature au besoin [et] de plus, un système de drainage supplémentaire serait installé sous la dalle en place (…)".[5]

[15]            Écartant d'emblée la première solution parce que peu pratique et peu sûre, l'expert Bilodeau a, dans son rapport, recommandé la deuxième solution et à l'enquête,  il a réitéré cette conclusion.[6]

[16]            L'expert des requérants, Pierre Rodrigue, a lui aussi reconnu avec l'expert Bilodeau que la première solution est inappropriée.

[17]            Cependant, selon l'expert Rodrigue, la deuxième solution ne l'est guère plus :

"Ce que ça représente comme travaux, c'est qu'il faut construire une dalle qui est capable de reprendre les pressions hydrostatiques, c'est-à-dire de reprendre la tête d'eau, là, le niveau de pression en fonction des niveaux maximum de la nappe phréatique.

Ça, c'est une dalle structurale.  C'est une dalle qui va être beaucoup supérieure à cent millimètres (100 mm) d'épaisseur, là.  Tu sais, c'est quelque chose qui… ça va certainement être au moins le double parce que il faut déjà mettre deux (2) rangs d'armature puis, bon, avec le recouvrement puis tout ça, là, c'est sûr que ça va être au moins huit cents… huit pouces (8 po), là, deux cents millimètres (200 mm), au minimum.  J'ai pas fait le design, là, mais après ça il y a une question de portée, il y a une question de calcul, là.  On rentre dans la structure, là.

Ça, normalement, il faut qu'à l'extérieur de cette dalle-là, donc avant de couler la dalle, il va falloir mettre une membrane pour que ce soit étanche.  On peut couler normalement… les techniques pour faire ça, on coule une espèce de dalle de propreté justement, là, une espèce de petite dalle sur ça, on va installer une membrane, on va couler notre dalle structurale par-dessus ça, sauf que pour que ce soit vraiment… que ça travaille vraiment bien, il faut que cette cuve-là monte vers l'extérieur aussi, là.

C'est pas juste la dalle elle-même parce que, au bout de la dalle l'eau va passer, là, tu sais.  Il faut vraiment fermer le cuvage.  Mais pour fermer le cuvage, il faut passer en dessous des empattements parce qu'il faut aller l'autre côté du mur de fondation.  Donc, ça demande des travaux de sous-œuvres.

(…)

Il faut être capable d'aller mettre une membrane en dessous et sur les côtés à l'extérieur de tout ça, dans le fond, des murs et du plancher de béton.  Pour le plancher, bon, c'est ça, on peut le faire mais sauf que là, sur le mur on peut aller mettre la membrane sur le mur mais il y a un joint à faire entre l'extérieur du mur et le dessous de la dalle qu'on va construire.

Ça, logiquement  il y a pas d'autres façons que d'aller en dessous des fondations, là.  Donc, ça nécessite des travaux en sous-œuvres.

Je trouvais un petit peu, oui, encore là, techniquement ça se fait, là, mais je trouvais que c'était une solution un peu… c'était une solution qui était coûteuse avec beaucoup de défis techniques pour un résultat, dans le fond qui fait que, on va quand même être dans l'eau, tu sais, puis la membrane, bon, une membrane ça l'a une durée de vie aussi, là, tu sais, à un moment donné, là.

Ça va percer, ça va… ça, c'est - il y a des durées de vie à ça.  Et les fabricants de membranes donnent des garanties, puis après la garantie, c'est comme une toiture, à un moment donné, il faut la changer."[7]

[18]            ­En outre, comme le déclare candidement à l'enquête le représentant de l'entrepreneur, la solution de l'expert Bilodeau aurait pour effet d'empêcher les requérants d'utiliser pleinement leur sous-sol puisqu'il faut couler du béton à l'intérieur du sous-sol, et que le plafond sera alors trop bas : "[M. Nutter], va se promener les cheveux au plafond"[8].

[19]            La solution préconisée par l'expert des requérants, par contre, évite tous ces problèmes :

"La troisième alternative est le soulèvement du bâtiment afin de situer le radier des fondations à l'élévation prescrite par la Ville de Carignan[9], permettant ainsi d'évacuer les eaux de façon gravitaire.  Bien que le coût de ces travaux soit aussi important, cette solution est de type permanente et ne nécessite aucun entretien à long terme.  Le soulèvement du bâtiment permet aussi de le situer à une élévation supérieure à la moyenne des niveaux de la nappe phréatique, ce qui diminue de façon importante l'humidité environnante et la quantité d'eau à évacuer.  Nous estimons qu'un montant budgétaire entre 50 000 $ et 75 000 $ doit être prévu pour la réalisation de ces travaux.  Comme ces travaux sont de nature très spécialisée, nous vous recommandons de faire appel à un entrepreneur spécialisé dans ce type de travaux afin d'établir un montant plus précis.[10]"

[20]            Cette solution présente évidemment des défis techniques importants et nécessite d'avoir recours aux services d'un entrepreneur spécialisé; mais comme l'explique l'expert des requérants, d'une part, la solution proposée par l'expert de l'APCHQ soulève elle aussi autant de ces défis techniques et d'autre part, il existe des entrepreneurs spécialisés dans ce domaine.[11]

[21]            Il est à noter, enfin, que l'expert de l'APCHQ n'offre aucune critique sérieuse à l'endroit de la solution préconisée par l'expert des requérants.[12]

IV         LA SENTENCE ARBITRALE

[22]            L'arbitre reconnaît que la solution de l'expert de l'APCHQ requiert la mise en marche fréquente d'une pompe à eau.[13]

[23]            L'arbitre reconnaît aussi que cette solution implique "une diminution de l'espace habitable du sous-sol".[14]

[24]            L'arbitre qualifie toutefois ces problèmes de dommages quasi-contractuels ou contractuels "non visés par le plan".[15]

[25]            Poursuivant ce raisonnement surprenant, l'arbitre suggère aux requérants de s'adresser aux tribunaux de droit commun pour obtenir réparation.[16]

V          DÉCISION

[26]            L'objet du plan est de garantir les assurés contre les malfaçons et un sous-sol dont l'espace habitable est considérablement restreint par suite de la solution de réfection choisie - solution qui, incidemment, n'est pas permanente- alors qu'il existe une autre solution - permanente, celle-là - qui permet d'avoir un espace pleinement habitable, ne correspond certainement pas à la garantie à laquelle les requérants sont en droit de s'attendre.

[27]            Les requérants n'ont pas non plus à tolérer des bruits incessants de pompes à eau et à (forcément) entretenir ces pompes pour le reste de leur existence dans leur résidence.

[28]            Or, la preuve non contredite est à l'effet que la solution proposée par l'expert des requérants est,

-         une solution qui permet aux requérants d'utiliser leur sous-sol;

-         une solution permanente (pas de membrane à changer au bout de quelques années);

-         une solution qui évite aux requérants d'entendre constamment des bruits de pompes à eau et d'avoir à les entretenir.

[29]            La sentence sur le problème de fondation est donc déraisonnable et le Tribunal est justifié d'intervenir.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête comme suit :

ANNULE la partie suivante du dispositif de la sentence arbitrale rendue le 10 juin 2008, à savoir, en page 37 de cette décision,

"(…) la seconde solution proposée par l'expert Bilodeau dans son rapport à la page 7 (…)";

ET lui substitue le texte suivant, à savoir :

"(…) au rapport de l'expert Rodrigue comme étant "la troisième alternative" en dernière page de son rapport (…)";

AVEC DÉPENS en faveur des requérants contre la mise en cause La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ INC.

 

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KIRKLAND CASGRAIN, J.C.S.

 

Me Catia Larose

BÉLANGER SAUVÉ, s.e.n.c.r.l.

Procureurs des requérants

 

Me Jean-Guy Lacasse

LACASSE ROY & ASSOCIÉS

Procureur de l'intimée (entrepreneur)

 

Me Patrick Marcoux

Contentieux de l'APCHQ

SAVOIE FOURNIER

Procureurs de la mise en cause La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ INC.

 



[1] C.B. - 1.1, r.O,2.

[2] Transcription, p. 119 et 120.

[3] Transcription, p. 120.

[4] Transcription, p. 121, 122 et 123.

[5] Rapport de l'expert Bilodeau, p. 7.

[6] Ibid.

[7] Transcription, p. 82 à 85.

[8] Transcription, p. 160.

[9] Le niveau des fondations contrevient en effet à la réglementation municipale.

[10] Rapport de l'expert Rodrigue, en dernière page.

[11] Transcription, p. 84 et 85 (parlant de la solution de l'expert de l'APCHQ), p.97 à 98 (parlant d'abord de la solution de l'expert de l'APCHQ et ensuite de la sienne) et p. 107 à 108 (parlant des deux solutions).

[12] Sauf pour mentionner que la solution de l'expert des requérants nécessite quand même un système de drainage périphérique, ce qui est de toute façon la normalité pour toutes les constructions, et dans le cas qui nous occupe, comme l'explique l'expert des requérants, le drain français qui entoure la maison est ce système périphérique et se chargerait de l'évacuation en période de crue anormale de la nappe phréatique, sans compter que les plans d'origine de l'entrepreneur avaient prévu l'installation d'une pompe submersible - effectivement installée lors de la construction, et prête à entrer en fonction, si le besoin pouvait se présenter (transcription p. 109 à 118 et 89 à 97).

[13]    Sentence arbitrale, paragraphe 154.

[14]    Sentence arbitrale, paragraphes 147 et 154.

[15]    Sentence arbitrale, paragraphe 154.

[16]    Sentence arbitrale, paragraphe 154.